dimanche 8 octobre 2023

À Gaza, un peuple en cage, par Olivier Pironet



Alors que les Israéliens sont appelés à élire un nouveau Parlement le 17 septembre, la bande de Gaza n’en finit pas de sombrer. Depuis treize ans, Tel-Aviv soumet le territoire palestinien dirigé par le Hamas à un blocus militaire dévastateur. Combien de temps la population pourra-t-elle tenir ?

Camp de réfugiés de Nahr Al-Bared Khan Younès

En cette matinée de juin, le temps est radieux sur la plage où s’alignent les barques de pêche bariolées. L’éclat du soleil, le bleu du ciel et le ressac de la mer donnent au panorama des airs de carte postale. Mais ce charmant décor ne fait pas longtemps illusion : ici, la Méditerranée est polluée, l’horizon obturé par les frégates de guerre, les cieux sillonnés par les avions de chasse et les drones. Nous sommes dans la bande de Gaza, un territoire surpeuplé (2 millions d’habitants sur 365 kilomètres carrés) et assiégé par Israël.

Les pêcheurs qui nous accueillent dans leur cahute à Beit Lahya, aux abords de la ville de Gaza, font grise mine. Israël, qui impose depuis treize ans un implacable blocus — aérien, maritime et terrestre — à la langue de terre palestinienne, leur interdit depuis deux jours toute sortie en mer, après avoir déjà réduit comme peau de chagrin leur aire de navigation. La raison invoquée : l’envoi de ballons et de cerfs-volants incendiaires sur les localités israéliennes — principalement des kibboutzim — situées à la lisière terrestre de la bande côtière. Le 18 juin, après deux nuits d’hostilités (1), puis un retour au « calme », Tel-Aviv réautorisera la pêche, mais seulement dans la limite de dix milles marins (dix-huit kilomètres et demi), loin des eaux riches en poissons. Une mesure d’exception dont le Hamas, le parti islamiste au pouvoir depuis 2006 à Gaza, réclame régulièrement la levée lors des négociations indirectes avec Israël.

« Les navires de patrouille israéliens sont à trois ou quatre kilomètres à peine, vous pouvez les voir à l’œil nu, nous dit M. Jihad Al-Sultan, le responsable du comité syndical des pêcheurs du nord de la bande de Gaza, en montrant le large du doigt. Quand nos pêcheurs sont en mer, ils leur tirent dessus régulièrement, le plus souvent sans sommation. Récemment, plusieurs d’entre eux ont été blessés et leurs embarcations sérieusement endommagées. » Au cours du premier semestre 2019, les forces navales israéliennes ont ouvert le feu à plus de deux cents reprises sur les pêcheurs, blessé une trentaine d’entre eux et saisi une douzaine de bateaux, selon deux organisations non gouvernementales palestinienne et israélienne — le Centre pour les droits humains Al-Mezan et B’Tselem. Deux marins gazaouis ont été tués en 2018.

En 2000, la bande de Gaza comptait environ 10 000 travailleurs de la mer. Faute de pouvoir accéder aux eaux poissonneuses — Israël les exclut de 85 % des zones maritimes auxquelles leur donne pourtant accès le droit international —, les deux tiers ont dû jeter l’éponge : on ne recense plus que 3 500 pêcheurs aujourd’hui, parmi lesquels 95 % vivent en-dessous du seuil de pauvreté (moins de 5 euros par jour), contre 50 % en 2008.

Direction Khouzaa, une bourgade proche de Khan Younès, l’une des principales villes du sud de l’enclave. Là aussi, le moral est en berne. Malgré un dénuement évident, M. Khaled Qadeh, un agriculteur de 34 ans aux yeux perçants protégés par son chapeau en osier, nous invite à prendre place autour d’une collation dans la petite tente de repos dressée à l’orée de son champ. Ses terres, réparties sur 11 dunums (1,1 hectare), se trouvent à quelques centaines de mètres de la clôture « frontalière » israélienne, que ne reconnaît pas le droit international. Un entrelacs de 65 kilomètres de murs, tranchées, barrières métalliques, grillages et barbelés entoure la bande de Gaza et se double d’une zone tampon variant de 300 mètres à 1,5 kilomètre de profondeur (voir « Blocus terrestre et maritime »). Cette aire d’exclusion militaire mord sur 25 % du territoire et envahit 35 % des surfaces cultivables, bien loin de la ligne d’armistice de 1949 (« ligne verte ») séparant officiellement Israël et Gaza. « Ma famille possède également 20 dunums de terres de l’autre côté de la “ligne verte”, mais nous les avons perdus en 1948 [année de la création de l’État d’Israël]  », nous précise M. Qadeh.
Un lieu « invivable » d’ici à 2020, selon les Nations unies

Sur le maigre hectare planté dont il dispose, le paysan ne peut pleinement exploiter qu’un tiers des parcelles. « Le reste de mon champ, en bordure de la “no-go zone”, est difficilement accessible, car les Israéliens m’empêchent la plupart du temps d’y aller, et ils ont la gâchette facile, sans parler des dégâts commis par leurs tanks et leurs bulldozers. Comme tous les paysans de la zone frontalière, je suis souvent exposé aux tirs, y compris à l’endroit où nous sommes. Les Israéliens m’interdisent aussi de travailler de nuit pour profiter du courant quand il y en a : s’ils suspectent le moindre mouvement, ils mitraillent ou bombardent », nous raconte M. Qadeh d’un ton vif, tandis qu’un blindé israélien patrouillant au loin soulève un nuage de poussière. Son rendement a chuté de 80 % depuis la mise en place de la zone tampon, consécutive au démantèlement des colonies juives de Gaza, en 2005, et l’instauration de l’embargo, l’année suivante. Alors que son activité est la seule source de revenus de sa famille, il est criblé de dettes. Le lopin qu’il peut cultiver lui permet seulement de gagner quelque 400 shekels (100 euros) par mois grâce à la vente de ses produits, et de nourrir les siens. Le secteur agraire, qui fait travailler 44 000 personnes (environ 10 % des emplois), a décliné de plus de 30 % depuis 2014 (2).

La situation des pêcheurs et des agriculteurs est à l’image de celle que connaît l’ensemble de la bande côtière : « catastrophique » et « intenable », selon les mots de Mme Isabelle Durant, directrice adjointe de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) (3). Dès 2012, l’Organisation des Nations unies (ONU) tirait la sonnette d’alarme. Elle estimait que ce territoire deviendrait « invivable » d’ici à 2020 si le blocus imposé par Israël, avec la collaboration de l’Égypte, n’était pas levé (4). Coupée du monde depuis huit ans, Gaza avait à l’époque subi déjà deux guerres, lancées par Tel-Aviv en 2006, puis en 2008-2009 (plus de 1 800 morts côté palestinien, une vingtaine côté israélien). En 2017, après deux autres guerres (en 2012, puis en 2014, avec un bilan cumulé de 2 500 Gazaouis tués, contre 72 Israéliens), M. Robert Piper, alors coordonnateur humanitaire de l’ONU pour les territoires palestiniens occupés, constatait : « La dégradation de la situation s’est accélérée plus vite que prévu (…). Gaza est peut-être d’ores et déjà inhabitable (5).  »

 
Soixante-dix pour cent de la population possède le statut de réfugié depuis 1948, et la moitié a moins de 15 ans. Aujourd’hui, le chômage s’élève à 53 % de la population active (70 % chez les jeunes et 85 % parmi les femmes) — un record mondial —, la pauvreté frappe plus d’une personne sur deux et l’économie locale s’est écroulée (— 6,9 % de croissance en 2018) (6). De surcroît, les infrastructures et « les capacités productives ont été anéanties », souligne la Cnuced (7). « Entre les destructions matérielles et les coûts de la reconstruction, la seule facture de la dernière guerre [celle de 2014] se monte à 11 milliards de dollars », précise M. Ali Al-Hayek, président de l’Association des entrepreneurs palestiniens (PBA), que nous rencontrons au siège de l’organisation, dans le centre-ville. « Plus d’un millier d’usines, d’ateliers et de commerces, notamment, ont été rayés de la carte. Israël nous livre aussi une guerre économique. » À cause de l’embargo, beaucoup d’entreprises ont dû fermer leurs portes, réduire les salaires ou licencier. « La bande de Gaza ressemble à une grande prison où l’on a confiné tout un peuple soumis à une occupation militaire, et à qui l’on administre des doses de tranquillisants, telle l’aide humanitaire, pour éviter l’implosion », résume M. Ghazi Hamad, vice-ministre du développement social et personnalité en vue du Hamas. « Depuis l’élection du Hamas, en 2006, nous subissons une punition collective dont nous ne voyons pas la fin », nous déclare de son côté l’analyste gazaoui Fathi Sabah, collaborateur du journal panarabe Al-Hayat. « Ce blocus est avant tout un moyen de pression utilisé par Israël, avec la complicité de la communauté internationale, pour nous mettre à genoux. »
Malaka à l’est de la ville de Gaza juin 2019


Le siège israélien affecte tous les aspects du quotidien. Il a même fait émerger une nouvelle « normalité ». La précarité énergétique, par exemple : depuis la destruction par Tel-Aviv de la seule centrale électrique, en juin 2006, l’accès à l’électricité est aléatoire. Reconstruite en partie, la centrale, en manque de fioul, ne tourne qu’à 20 % de ses capacités. Le territoire doit donc s’approvisionner principalement auprès d’Israël, qui fournit l’électricité — facturée à l’Autorité palestinienne de Cisjordanie — en quantité limitée. Les coupures de courant rythment la vie des Gazaouis. « Nous n’avons que huit à douze heures d’électricité toutes les vingt-quatre heures, et à des horaires variables, nous explique Ghada Al-Kord, journaliste et traductrice de 34 ans. La majorité des foyers ne possède pas de groupes électrogènes, trop chers, pour pallier les coupures. Cela signifie par exemple que nous ne pouvons presque rien garder au réfrigérateur. Nous devons donc nous organiser au jour le jour. Il y a deux ans, c’était encore pire. » D’avril 2017 à janvier 2018, M. Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité et chef du Fatah, a refusé de régler à Israël la facture d’électricité pour faire pression sur ses rivaux du Hamas. Conséquence : la population n’avait que trois à quatre heures de courant par jour. Les habitants sont en outre confrontés à une pénurie d’eau. Du fait de la pollution de l’aquifère côtier, dont Israël contrôle 85 % des ressources, plus de 95 % des nappes phréatiques imparties à l’enclave sont insalubres.

L’accès aux soins médicaux est également touché de plein fouet par l’embargo. L’hôpital Al-Shifa, le plus grand du territoire, jadis réputé, suscite aujourd’hui l’appréhension. Les Gazaouis, fidèles à leur sens de l’autodérision, plaisantent à son sujet : « On y entre en vie, mais on en sort les pieds devant. » Et pour cause. À court de médicaments, de matériel et de lits pour soigner les nombreux malades, les hôpitaux se sont transformés en mouroirs. Les interdictions d’importer des produits de première nécessité, le manque de personnel, les coupures de courant, mais aussi les dommages commis — à dessein — par l’artillerie israélienne, ont fait de la santé un secteur sinistré. « Nous manquons de tout », déplore le porte-parole des autorités sanitaires de Gaza, M. Ashraf Al-Qadra, qui se livre à un sordide catalogue à la Prévert : « Plus de 50 % des médicaments de base sont inaccessibles, 65 % des cancéreux sont privés de traitement, une grande partie des interventions chirurgicales ne peuvent pas être effectuées… »
Des balles explosives qui font des dégâts irréversibles

À l’hôpital Al-Shifa, le tableau est édifiant : on croise beaucoup d’éclopés — des jeunes, pour la plupart —, les murs sont défraîchis, les salles d’attente surchargées, le personnel débordé. M. Mohamed Chahin, chirurgien orthopédiste, s’occupe essentiellement des manifestants blessés par les soldats israéliens lors des rassemblements hebdomadaires organisés devant la clôture « frontalière » israélienne dans le cadre de la « grande marche du retour » (Massirat Al-Awda). Chaque vendredi, jour de manifestation, les médecins doivent faire face à l’afflux des blessés. « Les patients sont nombreux, et parfois très jeunes, raconte M. Chahin. Ils souffrent de lésions profondes que nous n’avions jamais constatées jusqu’ici. Les Israéliens utilisent des balles explosives qui détruisent les tissus musculaires, les articulations et les nerfs. Quand leurs snipers ne visent pas pour tuer — à la poitrine ou en pleine tête —, ils ciblent les jambes ou les parties les plus sensibles du corps pour faire des dégâts irréversibles. À croire qu’ils ont suivi des cours d’anatomie. Beaucoup de manifestants touchés se retrouvent handicapés à vie ou doivent être amputés, car nous manquons d’équipements. » Sur les 30 000 blessés recensés depuis le début de la « grande marche du retour », près de 140, dont une trentaine d’enfants, ont perdu un membre inférieur ou supérieur, et 1 700 d’entre eux, selon l’ONU, risquent l’amputation dans les deux années à venir, faute d’autorisation israélienne pour être évacués. 


Blocus terrestre et maritime
Cécile Marin

Les jeunes sont en première ligne des manifestations de la « grande marche ». Ce mouvement de protestation populaire et non armé, qui réunit chaque semaine des milliers de familles, a été lancé le 30 mars 2018, avant la commémoration annuelle de ce que les Palestiniens appellent la Nakba (8), le 15 mai. Traduit par « catastrophe », le terme désigne l’exode de 1948, lors duquel 800 000 d’entre eux furent chassés de leurs foyers par les Israéliens et trouvèrent refuge à Gaza, en Cisjordanie ou dans les pays arabes voisins.

Un vendredi après-midi, nous nous rendons à Malaka, dans l’est de Gaza, l’un des cinq lieux où se tient la mobilisation hebdomadaire. L’ambiance est bon enfant, familiale. Une immense tente a été dressée en retrait pour accueillir, entre autres, les plus vieux et les éclopés. Dans le haut-parleur, une voix rappelle le sens de la mobilisation : le droit au retour, la dénonciation de la conférence de Bahreïn sur le volet économique du nouveau « plan de paix » américain, l’unité palestinienne. Les drapeaux palestiniens, nombreux, claquent au vent. Nous ne nous approcherons pas de la zone, très dangereuse, où se tiennent des jeunes prêts à aller braver les tireurs d’élite israéliens.

L’idée d’un rassemblement massif devant la barrière israélienne est née dans l’esprit d’une vingtaine de jeunes Gazaouis. « Nous nous sommes inspirés d’actions du même type menées depuis plusieurs années en Palestine ou aux confins d’Israël », relate M. Ahmad Abou Artema, l’un de ses initiateurs. Ce militant pacifiste de 35 ans, à la voix calme et monocorde, est lui-même issu d’une famille expulsée de Ramla en 1948. « À travers cette mobilisation civile, il s’agissait de réaffirmer le droit au retour des réfugiés sur leurs terres, tel qu’il a été établi par les résolutions de l’ONU, et de clamer haut et fort notre soif de dignité. » Très rapidement, le mouvement a été rejoint par les factions politiques dans un souci unitaire, comme pour conjurer la discorde entre les frères rivaux du Hamas et du Fatah, qui empoisonne la scène palestinienne. Pour l’occasion, les partis remisent leurs drapeaux respectifs et donnent la consigne de ne brandir que celui de la Palestine. « La question des réfugiés relève d’un consensus national. Il est donc normal que toutes les factions aient apporté leur soutien », nous précise M. Artema. Le Hamas, pourtant partisan de la lutte armée contre Israël, s’est étroitement associé à ce mouvement pacifique. Il fait partie de son comité d’organisation aux côtés de plusieurs autres formations, comme le Djihad islamique (islamo-nationaliste) ou le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP, marxiste). « La “grande marche” est une des options autres que la voie des armes dont nous disposons pour faire valoir nos droits face à l’occupation, nous dit M. Hamad. Elle permet de donner une visibilité à notre cause. »
« On nous a exhortés à utiliser la résistance pacifique… »

Censé durer jusqu’au 15 mai 2018, le mouvement se poursuit depuis lors. D’autres revendications ont fait leur apparition, comme la levée du blocus ou la défense de Jérusalem. Malgré le caractère non armé des rassemblements, Israël a choisi d’y répondre par le feu. Depuis le début de la mobilisation civile, plus de deux cents Gazaouis ont perdu la vie, parmi lesquels une cinquantaine d’enfants, mais aussi des secouristes et des journalistes. À ce bilan s’ajoute la centaine de Palestiniens tués en un an et demi sur le territoire lors de bombardements ou d’attaques israéliennes. En février 2019, une commission d’enquête des Nations unies a conclu que les violences commises par Israël lors des manifestations à la lisière de Gaza pouvaient « constituer des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité (9) ». Des accusations balayées d’un revers de main par le premier ministre israélien. Pointant l’envoi de cerfs-volants et de ballons incendiaires sur les terres israéliennes mitoyennes par les protestataires, M. Benyamin Netanyahou a rétorqué qu’Israël devait « protéger sa souveraineté ainsi que celle de ses citoyens et exercer son droit à l’autodéfense (10) ». Il peut compter sur le soutien de son opinion publique : en mai 2018, alors que l’on approchait de la centaine de morts côté palestinien, un sondage indiquait que 71 % des Israéliens estimaient justifiés les tirs contre les protestataires de la marche (11).

Devant l’ampleur des victimes parmi les manifestants et les dégâts matériels commis en territoire israélien par des objets incendiaires, les critiques pleuvent aussi sur les dirigeants palestiniens. La « communauté internationale » et la presse occidentale accusent les factions — Hamas en tête — d’instrumentaliser les jeunes et de les jeter en pâture aux tireurs d’élite tapis derrière la barrière. M. Khaled Al-Batch, chef du Djihad islamique à Gaza et membre du Comité national de la « marche du retour », rejette ces accusations. « On nous a exhortés à utiliser la voie de la résistance pacifique, ce que nous avons fait à travers ces mobilisations, nous explique-t-il. Et, maintenant, on veut nous faire porter le chapeau du nombre élevé de victimes palestiniennes ! On ne condamne pas les vrais responsables. Qui nous tue, qui tue nos enfants ? Des snipers aguerris qui savent exactement ce qu’ils font. Jusqu’à présent, aucun mort n’est à déplorer du côté israélien lors de ces manifestations. Pourquoi personne ne sanctionne Israël ? » M. Maher Micher, dirigeant du FPLP et membre du comité d’organisation de la marche, rencontré au rassemblement du 14 juin 2019 (12), réprouve également les semonces des Occidentaux. Pour lui, ce mouvement a deux mérites : « D’une part, il permet de faire pression sur Israël, car les dégâts commis sur les terres des localités israéliennes par de simples cerfs-volants incendiaires ont poussé certains habitants à partir ; d’autre part, il a remis à l’honneur la question du droit au retour sur la scène internationale. C’est pourquoi cette marche doit continuer. » « Malgré les blessés — mon père et mon frère ont été eux-mêmes atteints par des balles —, la mobilisation doit se poursuivre jusqu’à ce que nous recouvrions nos droits et nos terres », abonde M. Mohammed Challah, un employé de 33 ans que nous croisons tandis qu’il file d’un pas déterminé vers la zone la plus périlleuse, contiguë à la barrière.

Des voix dissonantes se font néanmoins entendre, notamment parmi les jeunes. Beaucoup ne vont plus à la marche, qu’ils jugent trop proche du Hamas depuis que la formation islamiste a entrepris de l’encadrer. « Le Hamas a repris ce mouvement à son compte pour redorer son blason et regagner en légitimité alors qu’il est en perte de vitesse », affirme M. Loai A., un militant des droits humains âgé de 26 ans. Ces dernières années, l’étoile du « parti de la résistance islamique » a pâli. Une partie des Gazaouis reprochent à l’organisation dirigée par M. Yahya Sinouar de n’avoir pas pris la mesure des besoins sociaux de la population et de s’enfoncer dans l’autoritarisme et le rigorisme moral.

En témoigne la répression du mouvement de contestation populaire lancé en mars dernier. Sous le slogan « Bidna na’ich » (« Nous voulons vivre »), des milliers de personnes ont défilé pour protester contre la hausse des prix et la dégradation des conditions de vie. Accusant le mouvement d’être manipulé par le Fatah, le Hamas a répondu par le bâton : plusieurs centaines de manifestants ont été frappés et arrêtés (13). « Comment voulez-vous que nous soutenions la “grande marche” alors que le Hamas ne fait rien pour nous et nous réprime ? », nous demande M. Loai A. d’un ton plein d’amertume. « Moi, je dis au Hamas : “Je veux bien perdre ma jambe, mais que ce soit au moins pour quelque chose et pour qu’en retour vous vous occupiez de nous.” De nombreux jeunes ne pensent qu’à partir à l’étranger. Le problème, ajoute-t-il en soupirant, c’est qu’on ne peut pas sortir… »

Le Fatah peut-il incarner une solution de rechange ? Rien n’est moins sûr, tant l’Autorité palestinienne de M. Abbas, contrôlée par le Fatah, s’est discréditée aux yeux de nombreux Gazaouis comme auprès d’une grande majorité de Palestiniens de Cisjordanie. La politique de conciliation engagée avec Israël lors du « processus de paix » a échoué, la colonisation s’est étendue et la collaboration sécuritaire entre la police de l’Autorité et l’armée israélienne en Cisjordanie est rejetée massivement par l’opinion publique (14). Sans compter la corruption qui a gangrené les institutions lorsque le Fatah était au pouvoir à Gaza, attisant les rancœurs au profit d’un Hamas jugé plus intègre. « La situation sous le Fatah n’était pas vraiment meilleure, explique Fathi Sabah. Et en Cisjordanie, aujourd’hui, les choses vont mal : Mahmoud Abbas ne fait rien contre les colonies, ne lutte pas contre l’occupation, ne défend pas Jérusalem… Il ne fait rien, à part prononcer des discours aux Nations unies. » Rejetant en bloc le Fatah et le Hamas, un nombre croissant de Gazaouis appellent à des changements politiques radicaux, comme leurs compatriotes de Cisjordanie, et réclament un renouvellement générationnel.
Une priorité, la réconciliation entre Hamas et Fatah

Dans ce contexte de crise généralisée, où le blocus et le siège obèrent l’avenir, beaucoup ont perdu espoir. « Je déteste Gaza, mon enfance a été détruite par trois guerres et je veux sortir d’ici », nous confie Mme Amira Al-Achcar, une étudiante de 18 ans qui vit dans le camp de réfugiés de Nousseirat avec ses huit frères et sœurs et sa mère, seule et sans emploi. « Tous les jours, je rencontre des gens extraordinaires, instruits, qui souhaitent la paix avec les Israéliens ; mais ils sont à bout », témoigne quant à lui M. Matthias Schmale, le directeur de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) à Gaza, qui scolarise près de 280 000 enfants et fournit une aide alimentaire à plus d’un million de personnes dans l’enclave. « Il est aisé de comprendre que certains puissent basculer dans la violence quand on voit le traitement qu’Israël inflige à tout un peuple. »

En l’absence d’avancées côté israélien, et faute de soutien international, notamment de la plupart des pays arabes, la priorité, pour beaucoup, est la résolution du conflit entre le Fatah et le Hamas. Le 12 octobre 2017, les deux mouvements ont signé un accord de réconciliation censé permettre le retour de l’Autorité palestinienne dans la bande de Gaza. Mais le processus patine, principalement en raison des exigences de M. Abbas. Le président de l’Autorité réclame notamment le désarmement du Hamas, une demande catégoriquement rejetée par la formation islamiste. En attendant, « la population sombre chaque jour un peu plus dans la misère et Gaza est une cocotte-minute qui menace d’exploser », estime M. Ahmad Youssef, figure influente du Hamas, favorable à une solution de compromis entre les deux partis. Selon lui, « il faut rebâtir la maison palestinienne pour mieux faire face à Tel-Aviv. Et cela ne pourra se faire qu’à travers un système de cogestion du pouvoir. Chacun doit faire des concessions ». M. Imad Al-Agha, haut responsable du Fatah à Khan Younès, tient un discours similaire : « Nous devons mettre un terme à cette discorde qui fait le jeu d’Israël et réunir nos forces. » Un vœu pieux pour certains ; une urgence absolue pour d’autres.

Cette réconciliation ne pourrait-elle se faire sous les auspices de la jeunesse, en vue d’élaborer une nouvelle stratégie nationale ? M. Hassan Ostaz, militant du Fatah âgé de 29 ans, en est persuadé : « Aujourd’hui, il faut le reconnaître, seul le Hamas résiste aux Israéliens. Nous devons dépasser les clivages pour réfléchir aux moyens de lutter ensemble contre l’occupation. C’est ce que nous essayons de faire, par exemple, en organisant des réunions communes avec les jeunes hamsaouis [du Hamas].  » M. Mohammed Haniyeh, 28 ans, est quant à lui le représentant de la jeunesse du Hamas au sein du comité d’organisation de la « grande marche ». Il nous reçoit dans un bureau qu’il partage avec… les jeunes du Fatah. Pour lui aussi, l’heure est au sursaut collectif : « Nous devons sans tarder constituer un gouvernement d’union, organiser de nouvelles élections et œuvrer à construire notre État, de la Cisjordanie à Gaza. » Un État dont il n’est même pas question dans l’« accord du siècle » préparé par Washington et soutenu par les pays du Golfe. Cet énième projet de paix enterre notamment l’idée d’une Palestine indépendante et envisage la bande de Gaza comme une entité séparée de la Cisjordanie. « Une funeste plaisanterie », tranche M. Youssef. 
 
Olivier Pironet  
Septembre 2019

 

(1Tzvi Joffre, « IAF attacks targets in Gaza strip after rocket fire », The Jerusalem Post, et « Israeli air force fires many missiles into Gaza », International Middle East Media Center (IMEMC), 14 juin 2019.

(2Cf. le rapport annuel du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Unocha), New York, mai 2018, et Ali Adam, « Israel is intensifying its war on Gaza’s farmers », The New Arab, Londres, 19 mars 2018.

(3Tom Miles, « UN bemoans unsustainable Palestinian economy », Reuters, 12 septembre 2018.

(4Cf. le rapport « Gaza in 2020 : A liveable place ? », Nations unies, New York, août 2012.

(5« Gaza ten years later », Nations unies, juillet 2017.

(6Toutes ces données sont disponibles sur les sites de la Banque mondiale, de la Cnuced et du Bureau central des statistiques palestinien (PCBS).

(7« Rapport sur l’assistance de la Cnuced au peuple palestinien », Cnuced, Genève, 12 septembre 2018.

(8Lire Akram Belkaïd, « Al-Nakba », dans « Palestine. Un peuple, une colonisation », Manière de voir, no 157, février-mars 2018.

(10Tovah Lazaroff, « Netanyahu : UN set new hypocrisy record with Israeli war crimes allegation », The Jerusalem Post, 28 février 2019.

(11Cf. « The peace index », 2 mai 2018.

(12Plus de quatre-vingt-dix Palestiniens, dont vingt-huit enfants et quatre secouristes, seront blessés ce jour-là dans la bande de Gaza.

(13Entsar Abu Jahal, « Human rights group documents Hamas abuses », Al-Monitor, 26 avril 2019.

(14Sur la coopération sécuritaire, lire « En Cisjordanie, le spectre de l’Intifada », Le Monde diplomatique, octobre 2014.

 

dimanche 16 avril 2023

Aux racines du mot tabac

Envoyez au dictionnaire en ligne  du TLF une requête au sujet de l'origine du mot tabac; et voici ce que les «Gardiens du Trésor» vous diront:« Première attestation du mot: 1555; cité comme indigène, de l'espagnol tobacco, lui-même emprunté à l'arawak de Cuba et Haïti ».
Photo Awatif Awa-tif

En vérité, cette thèse ne tient pas. A Cuba comme à Haïti, on a toujours désigné le tabac par le seul mot «petunc»1, lui-même dérivé du tupi petyma, petyn2. Et d'ailleurs, quand le tabac fut introduit en France, c'est d'abord sous le nom de «pétun» qu'il a été connu. Ce mot fut en usage jusqu'au 17e siècle avant d'être supplanté par «tabac». Et le verbe «pétuner», qui signifie fumer ou priser du tabac, s'est conservé à ce jour dans certaines régions de la France.

Longtemps avant Colomb3, les Arabes employaient le mot «طباق tobàq»4 pour désigner ce que Kazimirski définit comme suit: «espèce d'arbre qui croit dans les montagnes de la Mecque, et qui est employé contre la gale invétérée et autres maladies»5. Dans ce sens précis, tobaq est attesté depuis la littérature préislamique, à travers un vers de T̠ābit b. Ǧābir (alias Ta'abbata Sharran), mort en 5306.  Le mot s'est répandu ensuite sous la plume des médecins arabes dans l'empire musulman, pour désigner des plantes desséchées utilisées en fumigations médicales. Avicenne (980-1037) prescrivait le tobaq, notamment à l'arsenic rouge et au bois résineux, pour le traitement de certaines maladies dont l'asthme. Ibn al-Baitar (1197-1248) le recommandait pour le traitement, entre autres, des piqûres de scorpion7

C'est de cette racine arabe que l'Encyclopédie italienne Treccani tire le mot passé en italien et en espagnol8. A son tour, le Dictionnaire du patrimoine américain de la langue anglaise (The American Heritage Dictionary of the English Language (AHD)) adopte la même étymologie9. Quant à Julia Cresswell, linguiste britannique spécialiste de la philologie médiévale, elle estime possible que le vieux mot arabe ait pu s'introduire en Espagne à travers la culture moresque pour donner tobacco10. Pour l'écrivain et philologue américain Jeff Jeske, "comme alcool, le mot tobacco est probablement dérivé de l'arabe tabaq, racine qui signifie "herbe euphorisante"7. Cette même origine est mentionnée par le chimiste allemand Werner Paulus. Et il n'est pas exclu que la première forme de "tabagisme" chez les Arabes ait pu découler de cet usage médicinal du tabbàq. Même si pour kiffer, les Arabes consommaient surtout le hachich. Et là encore, nous trouvons dans Makrizi maintes indications qui attestent de l'historicité   du cannabis et de sa consommation en pays musulmans. Par conséquent, il est plus raisonné de rattacher l'espagnol tabaco et l'italien tabacco à l'arabe tabbàq, plutôt qu'à une présumée racine cubaine ou haïtienne.
Rappelons que les Espagnols n'ont découvert le tabac que vers 1520 en Jucatan11. Alors qu'en Sicile, selon Gustave Gruyer la plante se cultivait et se commercialisait depuis le 13e siècle12.

Outre le mot tabbàq, l'arabe emploie de vieille date le mot tombac , pour désigner le tabac à narguilé, emprunté au persan mais dérivé à son tour du même tabbàq selon toute vraisemblance.
 
A. Amri
16. 04. 2023
 
 
Notes:

1- Edme-Théodore Bourg souligne à ce propos que "dans les Indes [occidentales], et surtout au Brésil et dans la Floride, les naturels nommaient cette plante petun." ( Dictionnaire de la pénalité dans toutes les parties du monde, Tome 5, Paris, 1828, p.433.

2- «Ce mot, souligne Michel Desfayes, ne peut venir du haïtien tsibat, mot tout à fait inconnu [...] A Haïti le tabac n'était connu que sous le nom indigène de pétun.» Noms dialectaux des végétaux du Valais romand, In: Bulletin de la Murithienne, 2002, no. 120, p. 57-111 (Document téléchargeable au format pdf ici).

3- Le mot est attesté dès le 6e siècle à travers un poème de T̠ābit b. Ǧābir (alias Ta'abbata Sharran), mort en 530. Puis sous la plume de Abu Hanifa (699- 767) cité par, entre autres, Lissan al-Arab,  Ibn Sida dans son dictionnaire al-Moukhassas, Ibn al-Baitar (1197-1248) dans
le Livre des produits médicinaux et des produits alimentaires simples, Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale et autres bibliothèques, pages 401 et 402, Institut national de France, 1881. 

4- Le mot est translittéré aussi sous ces orthographes: ṭabbāq, ṭubbāq.

5- Oxford Dictionary of Word Origins, Oxford University Press 2002, 2004, 2009, 2010, p.449.

6- Cf. Lisân al-'Arab, article طباق.

7- Article Tabacco dans Treccani en ligne.


8- The American Heritage Dictionary of the English Language (AHD) - Article tobacco.



9- Kitāb al-Ǧāmiʿ li-mufradāt al-adwiya wa-l-aġḏiya (Livre des médicaments et des aliments simples), Volume III, p. 97.

10
- Albert Kazimirski de Biberstein, Dictionnaire arabe-français, contenant toutes les racines de la langue arabe, leurs dérivés, tant dans l’idiome vulgaire que dans l’idiome littéral, ainsi que les dialectes d’Alger et de Maroc, Paris : Maisonneuve, 1860, p. 57 


11- Jeff Jeske, Storied Words: The Writer's Vocabulary and Its Origins, iUniverse, Inc. New York Lincoln Shaghai, 2004, p.46

12- Werner Paulus, Business in Arabien: Erfolgreiche Geschäfte wie in Tausendundeiner Nacht, Auflage, 2015, p.117

13- Edme-Théodore Bourg, Dictionnaire de la pénalité dans toutes les parties du monde, Tome 5, Paris, 1828, p.433

14- "Au treizième siècle, dit M. Gillaume, l'abbé de Cava gouvernait au-delà de trois cent quarante églises, plus de quatre vingt-dix prieurés et au moins vingt-neuf abbayes"; dans la vallée même de Cava, il possédait des villages "aussi nombreux que les jours de l'année" et une population de vingt mille habitants adonnée à l'agriculture, à l'industrie, au commerce. Sur ce territoire, on fabriquait du papier, des vases d'argile, de la toile, des étoffes de soie, des tapisseries, des brosses, des damas renommés. Le bois et le tabac étaient également l'objet de nombreuses transactions."
Gustave Gruyer, Une abbaye bénédictine aux environs de Salerne : la Sainte-Trinité de Cava, Paris, 1880, p.8
 
 
Articles similaires
 

Grinta: d'où vient ce mot italien de plus en plus en vogue dans la bouche des Tunisiens ?

Chômer, holocauste, cautère, calme, caustique: le grec n'a été que le passeur de l'étymologie arabe commune de ces mots 

Esclave: c'est à l'arabe es-saqlab que le français doit son mot

Robe: le mot dérive de l'arabe, et non d'un étymon germanique

Opportunité: l'étymologie populaire et la véritable origine du mot

Electricité: quand le prestige du verbe veut que la racine arabe soit occultée

Complot:d'où vient ce mot dont l'origine suscite des interrogations ?

Crime dérive de l'arabe jarimade sens identique

C'est l'arbi qui a fait son petit à la langue de Voltaire

Espion: mot qui dérive de l'arabe ech-cheyifa de sens identique, via l'ancien françaisespie et l'espagnol espia

Marathon, téléthon: la racine que le fenouilhellène ne saurait couvrir

Accise, assise, excision: mots français,racines arabes        

Gêne, gêner: deux dérivés arabes, et nonfranciques

Des secrets philologiques de secret, secrétaireet secrétaire d'Etat

Etymologie: quelle en est l'étymologie ?      

Espèces, chèque, carte, aval, crédit: d'où viennent ces mots ?             

Escroc, c'est le es-sariq arabe romanisé     

Escorte: voyage du mot de l'arabe au siculo-arabe puis à l'italien, au français et à l'anglais      

Rendre et dérivés ne sont pas de souche latine      

Cabaret: racine arabe et nomenclature orientale       

Quand "scène" et dérivés seront-ils relogés dans leur sakéna arabe ?

D'où viennent l'occitan "caça" et ses dérivés français ?       

Faut-il en schlaguer le dico français ?      

"Refuser": un verbe qui refuse l'incertitude de Littré et l'ingéniosité de Diez       

Le dromadaire: il blatère grec ou arbi ?     

Dégage, dégagisme.. et les mystes de laphilologie        

De deux mots il faut choisir le moindre       

Mythémologie: hanche et racines arabes à lapelle       

Un brin de muguet pour toi 

Au clair du grand jour, mon amie Hélène

 





mercredi 29 juin 2022

Couvrez ces « seinites » que je ne saurais lire

 

 


« Ils gueuleront contre la chanson, et le peuple chantera. Ils gueuleront contre la musique, et le peuple n'en sera que plus mélomane. Ils gueuleront contre la comédie, et le peuple n'en sera que plus mordu de spectacles. Ils gueuleront contre la pensée et les intellectuels, et le peuple en deviendra livrophage. Ils gueuleront contre les sciences modernes, et les enfants du peuple demanderont à être instruits dans ces sciences. Ils n'arrêteront pas de gueuler et l'univers sera assourdi de leurs gueulades. Puis des hauts-parleurs amplifiant leurs gueulades, des explosions de leurs bombes, du crépitement de leurs balles. Néanmoins à la fin, ce sont eux qui subiront les contrecoups de leurs actes. Et ils seront chèrement rétribués quand tout le monde les aura vomis, rejetés en tout lieu, en tout lieu pourchassés sans répit. »

Faraj Fouda (1945-1992)

 

" سيصرخون ضد الغناء، وسيغني الشعب، سيصرخون ضد الموسيقي، وسيطرب الشعب، سيصرخون ضد التمثيل، وسيحرص على مشاهدته الشعب، سيصرخون ضد الفكر والمفكرين، وسيقرأ لهم الشعب، سيصرخون ويصرخون، وسيملؤون الدنيا صراخاً، وسترتفع أصوات مكبرات صوتهم، وستنفجر قنابلهم، وتتفرقع رصاصاتهم، وسوف يكونون في النهاية ضحايا كل ما يفعلون، وسوف يدفعون الثمن غالياً حين يحتقرهم الجميع، ويرفضهم الجميع، ويطاردهم الجميع.  "

فرج فودة (1945- 1992)[1]


       En guise d’entrée à cet article que je voudrais dédier aux « السيدة واونهديات   / Nahdyat  es-sayyida Waw », je tiens d’abord à saluer le talent, la verve poétique et le courage de la respectable dame qui a composé cette œuvre. Et je voudrais souligner que je n’aurais peut-être pas connu ni lu Wafa Bouattour sans la controverse assez nourrie dont ses Nahdyat, depuis leur parution il y a un an et quelques mois, font incessamment l’objet. C’est vous dire, tout en reconnaissant à cette dame le mérite qui lui revient, incontestable, quel inestimable service les détracteurs des Nahdyat ont rendu à cet écrit et à son auteure, en les attaquant sans relâche sur les réseaux sociaux ou sur d'autres tribunes, non sur la base d'une critique objective et rigoureuse, mais uniquement sur des fondements moraux, lesquels, du reste, comme on le verra à travers ce papier, sont en porte-à-faux. Et d’ailleurs, loin d'en vouloir à ceux qui lui lancent leurs piques, l’auteure n’a pas manqué de remercier du fond du cœur ses calomniateurs, et cela à travers une intervention sur la chaîne arabe de la DW (télé allemande)[2], pour les bienfaits de cette publicité gratuite dont elle a bénéficié indirectement. C'est un peu le même service rendu à des auteurs historiques, comme Baudelaire pour ses « Fleurs du Mal », Flaubert pour sa « Madame Bovary », Maupassant pour sa nouvelle en vers « Au bord de l'eau », entre autres, par de sots procès intentés contre des écrits soi-disant immoraux.

       Mon papier s’articulera autour de 4 points essentiels, dont le premier concerne cette bataille, engagée en Tunisie et dans d’autres zones du monde arabe, en particulier à travers l'internet, contre cette œuvre poétique osée en deux volumes. Pour mieux en comprendre les raisons et l’objectif, il me semble nécessaire de mettre cette campagne, ces « gueulades », dans le contexte qui a motivé la citation de Faraj Fouda, car -toutes proportions gardées- la pensée unique qui a tué l'auteur égyptien, il y a 30 ans, est la même qui tire les ficelles de la triste « guerre sainte » menée depuis deux ans contre Wafa Bouattour. Ceci pour le premier point. Je tenterai de démontrer ensuite en quoi cette polémique est indécente, en rappelant que si Wafa Bouattour est incontestablement la première plume féminine à écrire sur la thématique érotique du « sein », l’érotologie en tant que genre et le discours sur la sexualité en général ne sont ni importés d’outremer ni hérétiques dans les traditions culturelles du monde arabo-musulman. On les trouve ancrés de vieille date autant dans les sources islamiques qu’en littérature arabe. Sous le troisième volet, j’établirai un lien – dont la pertinence s’imposera le moment venu- entre la censure frappant cette auteure et le « كفر koufr » restitué à son sens originel. Au quatrième volet, je parlerai de la quatrième de couverture que les détracteurs de Wafa Bouattour jugent indécente et provocatrice. Enfin, je soulèverai le problème que pose pour la traduction le titre arabe, lequel n’a pas d’antécédents dans cette langue, étant composé d’un néologisme né de la plume de Wafa Bouattour.

1-     La polémique : pourquoi et qui est derrière ?

       Je ne sais pas quand au juste notre amie Wafa a commencé à écrire, mais ses premières publications, à en juger par sa page facebook, remontent à l’année 2020. Et à peine ces publications s’étaient-elles propagées sur ledit réseau que les attaques ne s’étaient pas fait attendre. Outre les messages insultants qu’elle recevait au quotidien et dans lesquels on la traitait de tous les noms, des alertes signalant sa page à la direction du réseau ont été faites, dénonçant un contenu scabreux, immoral, des écrits attentant à la pudeur. En même temps, on a vu s’attribuer à la dame des faux comptes qui relayaient tantôt sa page officielle, mais instrumentalisés à des fins de publicité commerciale, tantôt lui imputaient des apocryphes, des écrits imitant sa facture, mais convertissant son érotisme somme toute plus suggéré qu’explicite en véritable pornographie, apocryphes apparemment instrumentalisés aux mêmes fins malhonnêtes : diaboliser la poétesse, faire d’elle -sauf votre respect, une putain qui se plait et complait à « branler » ses lecteurs par des écrits coquins, bref une « زنديقة  zindiqa » (libertine) des temps modernes. Et comme cette sale bataille était soutenue, la direction de facebook a dû céder aux alertes, et le compte de la dame a été suspendu en conséquence pour un certain temps, puis rouvert par la suite mais avec limitation temporaire de publications. C’est en tout cas ce qui est permis de comprendre à travers le post que publie l’intéressée en date du 10 novembre 2020 : « Je ne suis pas parvenue à récupérer le contrôle de mon compte, et je n’ai pas le droit de publier plus d’un post à la fois. Quand on signale un auteur, c’est de l’absurde achevé ! »[3]


« Seinites de Mme W. » : quatrième de couverture


        Qui, au juste, auraient pu signaler Wafa Bouattour et juger ses écrits malsains, dissolvants ou pornographiques ? Si la question se révèle pertinente, à mon sens, c’est que j'estime que ce ne sont pas des lecteurs « moyens », « déshérités » au sens linguistique et culturel du terme, qui seraient derrière cette campagne acharnée, systématique et pas près de connaître une fin. Mais ce serait plutôt une partie de ce qu’on appelle « élite », ou qui s’autoproclament abusivement de cette élite. Ceux qui ont déjà lu Wafa Bouattour savent que cette plume n’est pas facilement accessible au commun des lecteurs. Son arabe soutenu, son style châtié, cette écriture épurée, feraient pâlir d’envie bien d’arabisants qui s’estiment maîtres dans cette langue. Et la panoplie de procédés dont elle use, le langage figuré émaillé de métaphores, de jeux de mots divers, de termes puisés dans le champ lexical de la sensualité qui ne sont pas du tout usités dans l’arabe courant, de constructions elliptiques, antithétiques, allégoriques, symboliques, etc., tout cela réuni rendrait plus ou moins opaque, pour le lecteur moyen, son discours. Mais cette « élite », ou pseudo-élite, ici incriminée sans être explicitement nommée, qui serait-elle au juste ?

       Le bref rappel historique qui suit nous éclairera à ce propos. A peine une douzaine d’années nous sépare de la naissance du « Printemps arabe », ou de ce que l’on a appelé ainsi. Et comme tout un chacun le sait, ce que les Tunisiens et l’ensemble des Arabes concernés ont cueilli comme primeurs de ce printemps, c’étaient surtout les actes d’un fascisme ouvertement revendiqué par des salafistes, ou l’aile radicale de nos islamistes. Presque au lendemain de la fuite de Ben Ali, cela a commencé d'abord à Tunis la capitale, où il a fallu l'intervention musclée de l'armée pour empêcher une milice jihadiste de mettre le feu au quartier réservé Abdallah Guech. Peu de temps après, les mêmes jihadistes s'en sont pris à la synagogue de Tunis qu'ils voulaient détruire. Puis les actes de violence se réclamant de la charia islamique s’étaient davantage systématisés, prenant une tournure de plus en plus alarmante. Au mois de mai 2011, un bar et une boîte de nuit sont brûlés à Bizerte. A Jendouba, des débits de boissons alcoolisées clandestins et des restaurants ouverts au mois de ramadan seront pillés et incendiés à leur tour. Entretemps, l'attaque de Cinémafricart le 26 juin et, deux mois plus tôt, l'agression contre le cinéaste Nouri Bouzid, marquent le début d'un terrorisme salafiste ciblant les artistes et les intellectuels se réclamant de la laïcité. Le 9 octobre 2011, une attaque contre les locaux de Nessma TV a été avortée par les forces de l'ordre. Une autre contre la maison de Nabil Karoui directeur de cette chaîne (fort heureusement ce directeur et sa famille étaient absents lors de l'attaque) s'est soldée par l'incendie de la maison et la destruction de deux voitures garées à l'intérieur. Et comme si les détracteurs de Karoui et de sa chaîne, qu'on voulait corriger ainsi pour avoir diffusé le film franco-iranien Persepolis, n'étaient pas assez rétribués, de surcroit une poursuite judiciaire a été engagée par une légion d'avocats islamistes contre ce directeur et deux employés de Nessma TV pour «atteinte aux bonnes mœurs et aux valeurs du sacré». Et alors que le tribunal ne s'est pas encore prononcé à ce sujet, la violence salafiste a continué de plus belle, ciblant d'autres journalistes et intellectuels. Le 23 janvier 2012, Zied Krichen et Hamadi Redissi ont failli se faire lyncher par une foule de fanatiques, et ce à leur sortie du tribunal qui jugeait Nessma TV et son directeur. Après avoir essuyé les huées et les insultes, ils se sont fait agresser simultanément par le même individu qui a asséné à l'un un coup de de poing, à l'autre un coup de tête. Au même lieu et le jour même, un autre journaliste, Abdelhalim Messaoudi, et deux avocats, Chokri Belaïd et Saïda Grach, sont agressés à leur tour en marge dudit procès[4]. Dans ce même élan de fanatisme religieux, on a enregistré aussi des attaques contre des galeries d’art, des actes de vandalisme ciblant des mausolées soufis, ceux de Sidi Abd al-Azîz al-Mahdawî et Sidi Bou-Saïd, qui ont vécu entre le 12e et le 13e siècles. De leur vivant, ces illustres soufis étaient connus, vénérés et cités comme ses propres maîtres par Ibn Arabi (1165-1240)[5], le pivot de la pensée métaphysique de l’islam, qui, par ailleurs, était était réputé même en Occident depuis le Moyen-Âge sous le titre Dr. Maximus.

       On peut multiplier à l’infini les exemples de ces « hauts faits » revendiqués par les adeptes du wahhabisme tunisiens, ceux à propos de qui Rached Ghannouchi déclarait en toute sérénité et non sans fierté ni sans nostalgie qu’ils « lui rappelaient sa jeunesse ». Mais, à nous qui trouvons lamentable un tel cautionnement du zèle jihadiste, ces hordes rappellent surtout l’assassinat de Chokri Belaïd d’abord, de Mohamed Brahmi ensuite, la série d’attentats meurtriers ciblant l’armée et les forces d’ordre public en Tunisie, puis les crimes de masse perpétrés en Syrie, en Irak ou ailleurs.

       En rappelant ces faits, mon propos est de dire que l’activisme rétrograde systématique et soutenu sur les réseaux sociaux, cette autre facette de la bataille islamiste qui continue sans répit, est l’œuvre d’une « police de mœurs » frériste, une « حِسْبَة hisba » informelle comme l’appareil sécuritaire d’Ennahdha sur lequel on n’arrête pas d’enquêter, mais qui est bel et bien réelle, œuvrant en clandestinité et avec l’aval des dirigeants de la confrérie. Pour rappel, la « حِسْبَة hisba », aux origines police de marché semblable à la police municipale de nos jours, a été instituée comme « police de mœurs » d’abord en Arabie saoudite, sous l’impulsion du Wahabisme naissant, puis en Egypte sous celle de Hassan al Banna, fondateur des Frères musulmans. Sous l’Etat autoproclamé de Daesh, « hisba » signifie dans l’absolu « police »[6]. Toujours en Egypte, cette police a été dotée d'une milice chargée de « promouvoir la vertu et prévenir le vice » (الأمر بالمعروف والنهي عن المنكر). Dans le cadre de cette fonction, la milice pouvait enquêter dans la vie privée des gens, contrôler les pratiques et les observances religieuses, favoriser la délation contre toute personne suspectée de cynisme irréligieux (استهتار بالدين) ... Ainsi s’autorisait-elle de persécuter, à titre d’exemple, les femmes qui ne portent pas le hijab, qui s’habillent de manière dénotant de l’impudicité ou s’affichent publiquement en mixité. De même qu’elle imposait un contrôle strict aux médias et aux livres, interdisant aux journalistes et écrivains d’aborder des thèmes moralement subversifs, ou pas conformes à l’orthodoxie islamiste.

       En guise de conclusion à ce volet, rappelons que, peu de temps avant son assassinat en février 2013, le martyr Chokri Belaïd a mis en garde contre l’implantation en Tunisie de cette fameuse hisba, qui déclarait : « Un film, un poème, une œuvre théâtrale, une chanson, aucun magistrat sur terre n'est compétent pour statuer là-dessus. La création [artistique et littéraire] s'évalue et se corrige par les critiques spécialisés dans ces domaines, et non par les tribunaux. Ces gens qui veulent imposer leur censure comptent nous engager dans l'ère de la hisba » [7]. En dépit de cet avertissement, il semble assez probable que, dans le cadre de cette censure religieuse draconienne dirigée contre tout ce qui s'appelle création artistique et littéraire, toute œuvre s'écartant des passages cloutés islamistes, Wafa Bouattour est ciblée par cette institution travaillant à l’ombre, et qui, jusqu’à présent, n’a pas fait l’objet d’une enquête judiciaire, à ma connaissance.

2-     Wafa Bouattour a-t-elle commis une hérésie [بدعة، هرطقة] ?

       Pourquoi cette polémique, quels qu’en soient les meneurs, me semble-t-elle indécente ? Pour trois bonnes raisons, au moins, dont la première devrait figurer au catéchisme des messieurs de la hisba !

     Ces âmes ayant l’air sainte-nitouche, allergiques à tout propos sur le sexe, surtout dans la bouche d’une femme, pourraient-ils nous dire quelle est la référence islamique incontournable, le personnage le plus cité dans les compilations de hadith, lorsqu’il est question de la vie amoureuse et sexuelle du Prophète ? N’est-elle pas Aïcha, « mère des musulmans »[8], la plus jeune et la plus chouchoutée des épouses du Prophète ? Qui, parmi les musulmanes des temps modernes, pourrait-elle avoir le cran de cette femme pour parler sans embarras aux hommes, et de la façon la plus explicite, de la sexualité ? Je vais citer quelques exemples qui vous montreraient, je crois, que les musulmanes et les musulmans du 7e siècle étaient beaucoup plus en avance que nous sur la question précise de la sexualité.     

       Abou Moussa al-Achariأبو موسى الأشعري  (602-673) est allé, un jour, voir Aïcha -c’était après la mort du Prophète, pour la consulter sur la question de purification censée suivre l’acte sexuel. Mais, au moment de parler, l’homme a eu de la peine à formuler sa question tellement celle-ci lui paraissait scabreuse. Et lorsqu’il avoua à la femme que la pudeur l’empêchait de poser sa question, Aïcha lui dit : « Mais allez-y ! ne vous embarrassez pas car je suis votre mère »[9]. Et le compagnon du Prophète lui dit alors : « Que diriez-vous à propos de l’homme qui entame un rapport sexuel mais se retire avant d’éjaculer ? » [يَغْشًى ولا يُنْزِلُ] Et Aïcha de répondre : « Suivant le Prophète, si les deux « khitans » [l’extrémité renflée du pénis et le clitoris] se touchent, force est pour l’homme de faire ses ablutions » [إذا أصاب الختان الختان، فقد وجب الغسل]. Cette anecdote est attestée dans toutes les compilations du hadith, et sur la même question, Aïcha a été également consultée, quoique par le biais d’un tiers, par Ali Ibn Abi Taleb, cousin et gendre du Prophète, et comme réponse, il reçut ce qui suit : « Si le khitan [l’extrémité du pénis] dépasse le « khitan » [le clitoris], les ablutions s’imposent » [إذا جاوز الختان الختان، وجب الغسل]. Il faut remarquer ici que les ablutions en question consistent en un bain purifiant la totalité du corps.

       Autre anecdote non moins attestée : Alqamah ibn Qays علقمة بن قيس (décédé en 681), fondateur de l'école de Koufa, est allé en pèlerinage avec des compagnons, et l'un d'eux a évoqué la question du jeûneur qui embrasse et copule [يقبّل ويباشر]. Un autre compagnon, qui avait jeûné deux ans d'affilée, s'est alors écrié, indigné : « J’ai failli prendre mon arc pour vous frapper avec. Cessez de parler de ce sujet jusqu'à ce que Aïcha vienne. » Quand la « mère des musulmans » est venue, on l'a interrogée à ce sujet. Et que dit-elle alors ? « Le Prophète embrassait et « pratiquait » [كان رسول الله (ص) يقبّل ويباشر،], mais, de vous tous, il était le plus capable de maîtriser la jouissance [وكان أملككم إربه] ». Selon les exégètes de la Tradition, la « مباشرة moubachara » qui signifie littéralement « copulation », et que j’ai traduite ici par « pratique », ne signifie pas, dans ce contexte précis, « pénétration », mais se restreint à des badinages, des étreintes, des caresses, lesquels ne seraient pas de nature à faire rompre le jeûne. Sur la même question, Aïcha aurait recommandé à son frère Abderrahman, alors qu’on était au mois de ramadan, d’aller embrasser sa femme et de badiner avec [ما يمنعك أن تدنو من أهلك، فتقبّلها وتلاعبها؟]. Et comme ce frère dit : « Je l’embrasse alors que je jeûne ? », sa sœur lui dit : « oui ».

       Toujours sur cette même question, on a interrogé Aïcha sur ce qui est considéré comme licite pendant le jeûne entre un homme et sa femme.  « Tout, dit-elle, à l’exception du rapport sexuel. » [كل شيء الا الجماع]. Et l’on peut raconter à l’infini ces anecdotes faisant de Aïcha une pionnière dans le domaine de l’éducation sexuelle, une éducation sans le moindre tabou, où toutes les questions sont permises, y compris sur ses intimes rapports avec le Prophète. A ce propos précis, je recommanderais au lecteur qui voudrait en savoir plus de consulter le livre de Basant Rashad [بسنت رشاد] : « L’amour et le sexe dans la vie du Prophète » (الحب والجنس في حياة النبي).

       Le Prophète, à son tour, n’était ni prude ni avare de ses leçons en la matière. D’autant que les compilateurs de la tradition lui prêtent une puissance sexuelle quasi surhumaine, qui affirment qu’il était doté de l’endurance et de la puissance de trente hommes, voire 40 selon certains ».  Et toutes les références à ce sujet mettent en valeur cette puissance, en nous assurant que le Prophète, de jour ou de nuit, couchait successivement avec ses onze femmes.     

       « Coucher » non au sens de satisfaire exclusivement son propre appétit sexuel, mais au sens d’un acte d’amour où les deux conjoints s’épanouissent équitablement. « Abstenez-vous de vous jeter sur la femme comme la bête ! recommandait-il. Commencez toujours par lui « envoyer un messager »[10] (c’est-à-dire « excitez-la d’abord par des baisers et des caresses. » De même, il considérait comme forme d’impuissance que l’homme décharge alors que la femme n’a pas encore atteint l’orgasme[11]. Toujours à propos du Prophète, les compilateurs de hadith nous apprennent que ceux qui le consultaient pour s'enquérir d’une question en rapport avec le sexe n’étaient pas que des hommes. Ainsi, lorsque وَهْبٍ تَمِيمَةَ بِنْتَ Tamima bint Wahb a été « répudiée par trois »  par رفاعة بن قرظة القرظي Rifa'a bin Qurzah Al-Qurazi (l’un des compagnons du Prophète), cette femme qui devait passer au moins une nuit avec un « تياس teyyès »[12] pour pouvoir revenir à son mari qui voulait la reprendre, a épousé pour la circonstance عَبْد الرَّحْمَنِ بْنِ الزُّبَيْرِ Abderrahman Ibn Ezzoubayr, mais sans consommer la « ‘assila عسيلة », parce que ce « tayyès », apparemment âgé, « n’a, en guise, d’organe sexuel, que « quelque chose comme la fibre d’un tissu » . C’est Tamima qui se plaint ainsi au Prophète afin de l’autoriser à revenir à son premier mari sans consommer la « ‘assila عسيلة ». Mais le Prophète sourit et lui dit : « Non ! tant que tu n’as pas goûté à son « ‘assila عسيلة », et lui pareillement, tu ne peux pas revenir à Rifa'a Al-Qurazi! »  [أتريدين أن ترجعي إلى رفاعة؟ لا، حتى تذوقي عسيلته ويذوق عسيلتك]. Cette anecdote, c’est encore à Aïcha que les compilateurs de hadith la doivent ![13]

       Et puis Dieu, Allah à travers le plus sacré de nos références, n’a-t-il pas abordé le sujet du sexe à maintes reprises ? Citons quelques exemples à ce propos.         

       D’abord, on dénombre dans le texte coranique pas moins de 11 termes en rapport avec la sexualité : «النكاح، الزنى، الفاحشة، الفرج، المني، المباشرة، اللمس، الرفث، البغاء، المعاشرة، البكارة »[14] traduisibles comme suit : « le coït (ou mariage)[15], la fornication, la cochonnerie (ou impudicité, indécence), le sexe (au sens anatomique, renvoyant aussi bien au pénis qu’au vagin, le sperme, la copulation (ou pratique sexuelle), l’attouchement,  l’obscénité, la prostitution, la cohabitation (ou entente, copinage et  concubinage), la virginité.

       D'autre part, le Coran évoque de manière explicite le sexe comme étant une phase de la création divine : ولَقَدْ خَلَقْنَا الْإِنسَانَ مِن سُلَالَةٍ مِّن طِينٍ ثُمَّ جَعَلْنَاهُ نُطْفَةً فِي قَرَارٍ مَّكِينٍ ثم خَلَقْنَا النُّطْفَةَ عَلَقَةً فَخَلَقْنَا الْعَلَقَةَ مُضْغَةً : « Nous avons certes créé l'homme d'un extrait d'argile, puis Nous en fîmes une goutte de sperme dans un reposoir solide. Ensuite, Nous avons fait du sperme une adhérence; et de l'adhérence Nous avons créé un embryon… »[16]

        Ce même sperme est évoqué ailleurs pour rappeler aux mécréants qui l’a créé : أَفَرَأَيْتُمْ مَا تُمْنُونَ، أَأَنْتُمْ تَخْلُقُونَهُ أَمْ نَحْنُ الْخَالِقُونَ : « Voyez-vous donc ce que vous éjaculez, est-ce vous qui le créez ou [en] sommes Nous le Créateur ? »[17] Dans une autre occurrence, on lit :  وَأَنَّهُ خَلَقَ الزَّوْجَيْنِ الذَّكَرَ وَالْأُنثَى مِن نُّطْفَةٍ إِذَا تُمْنَى « Et certainement qu’Il a créé des couples avec des mâles et des femelles. Par une goutte, lorsque le sperme est éjaculé. »[18]

       Par ailleurs, de nombreux versets traitent de ce qui est licite ou illicite en sexualité, et nous allons clore le premier chapitre de ce volet par un verset en rapport avec les positions du coït. Du vivant du Prophète, il y avait une querelle morale opposant certains juifs orthodoxes aux musulmans qui faisaient l’amour en levrette, cette position sexuelle que les anglais appellent presque du même nom :  doggy style (« position du chien »). Les juifs considéraient que la levrette, s’il en résulte une conception, donnerait un enfant bigleux (أَحْوّل). Et il semble que certains compagnons du Prophète ont fait de la croyance juive un cas de casuistique (cas de conscience qui réclame une fatwa). Ayant « succombé au louche plaisir » de mettre sa femme à quatre pattes et de la prendre ainsi, Omar Ibn Al-Khattab est allé, le lendemain, se confesser au Prophète. « J’ai chuté / لقد هلكت », lui dit-il. Et c’est alors que le Prophète reçoit la révélation : « نساؤكم حرث لكم فأتوا حرثكم أنىٰ شئتم » (Vos épouses sont pour vous un champ de labour ; allez à votre champ comme vous le voulez)[19]. L’on sait que si les musulmans sont unanimes pour dire que ce verset nous autorise à faire l’amour dans toutes les positions qui nous plaisent, certains estiment que ce verset autoriserait même la sodomie.        

         Et d’une.

       Et de deux : cette polémique est indécente parce qu’elle suscite, à mon sens, en tout homme intègre, en tout intellectuel honnête, la même question que pose si judicieusement le poète tunisien عمر دغرير Amor Daghrir : « De quel attentat à la pudeur parlez-vous, alors que vous avez sucé le même sein dont parle la poétesse ? »[20] C’est ainsi que s’ouvre un article rédigé récemment par cet intellectuel ulcéré par les campagnes de dénigrement qui ciblent depuis 2020 Wafa Bouattour.

       Comment justifier cette attitude qui fait du sein, première source nourricière de l’homme et de tous les mammifères, un objet de rejet, de dénégation, d’impiété filiale, alors qu’il est censé symboliser d’abord la mère, au vu du rapport philologique entre « maman », « mamelle », « mammifère » ?  Et puis, comme le rappelle encore Amor Daghrir, la thématique érotique du sein est-elle inédite dans la littérature arabe ?  Combien sont les poètes arabes qui, de النابغة الذبياني Nabighah Al-Dibiani (536-604) à Nizar Kabani (1923-1998), en passant par عمرو بن كلثوم Amr ibn Kult̠hūm (526-584) et ابو نواس Abou Nawas (747-815), ont honoré le sein à travers des vers dont beaucoup n’envient rien à la licence de Wafa Bouattour ? Sans aucun doute, si nombreux puissent être ces poètes, il ne serait pas permis de présumer que les détracteurs de Wafa Bouattour, ou plutôt leurs suiveurs, le troupeau, les connaissent, ou même savent tous lire[21]. Et il y a lieu de supposer que l’auteure des Nahdyat est non seulement dans la ligne de mire de l’extrémisme religieux (guides et troupeau confondus), mais elle est aussi dans celle des ignares et des phallocrates. Parce que femme, enseignante en plus, mère de trois enfants, ces esprits incultes et phallocrates estimeraient qu’il n’est pas de son droit d’écrire sur le sein.

       Certains pourraient remarquer ici que ce qui est reproché à notre auteure n’est pas tout à fait la thématique du sein, mais quelque chose de plus scabreux, l’érotologie ! Je dirais pourquoi la lui reprocher alors que جلال الدين السيوطي Jalal Eddine Al-Suyūtī (1445-1505), imam et juriste en matière de théologie, lui a consacré plus d’une dizaine de livres ?[22] Puis les Tunisiens n’ont-ils pas été les pionniers de l’érotologie dans le monde arabo-musulman ?

       C’est là un incontestable paradoxe en rapport avec l’histoire de l’érotologie dans notre société. Alors que Wafa Bouattour est aujourd’hui censurée par les institutions culturelles officielles (foires de livres, radio, télévision[23], etc.,), et en même temps stigmatisée, montrée du doigt, harcelée, voire menacée, au 13e siècle -soit il y a presque 800 ans de cela- l’Université de la Zeytouna donnait au monde le premier érotologue en la personne de أحمد التيفاشي Ahmad al-Tifachi (1184-1253). Son livre سرور النفس بمدارك الحواس الخمس « Les Délices des cœurs par les perceptions des cinq sens » traitait sans gêne aucune non seulement des relations sexuelles (tous types confondus) mais aussi des mœurs en rapport, celles des souteneurs, des prostituées, des sodomites, de la zoophilie… Aujourd’hui, Tifachi qui est né dans la Tunisie historique (Tifacha était anciennement province tunisienne incluse dans la région de Gafsa) est traduit en anglais, en français et probablement dans d’autres langues. Et dans le monde arabo-musulman qui boude et montre de l’index Wafa Bouattour, cet auteur est honoré par des rééditions annotées, des études scientifiques et des hommages académiques mettant en exergue ses mérites de savant et d’avant-gardiste dans le domaine qui est le sien.

       Mêmes honneurs, si ce n’est plus, pour son successeur الشيخ النفزاوي cheikh Nefzaoui, tunisien lui aussi, mort en 1450. Cet ancien de la Zeytouna a composé son livre الروض العاطر في نزهة الخاطر  « La Prairie parfumée où s'ébattent les plaisirs », alors qu’il était juge (cadi). Et non seulement la Tunisie officielle de l’époque, apparemment en la personne du grand vizir[24] hafside (محمد عوانه الزاوي Mohamed Awana Ezzaoui), mais en réalité à la demande même d'Abû Fâris `Abd al-`Azîz al-Mutawakkil, souverain hafside de Tunis, l’a encouragé et lui a recommandé d’enrichir son manuscrit par de nouveaux chapitres, mais cette même Tunisie officielle est nommément citée dans la préface de ce livre, et le Grand vizir en question y devient principal destinataire de l’auteur. Et même si Nefzaoui ne le dit pas, il y a lieu de croire que le souverain hafside cité fut le mécène de l’auteur. De nos jours, il existe au moins 6 traductions de La Prairie parfumée, dont la première, en français, remonte à 1877[25], et la dernière en allemand à 2002[26].  

       L’histoire et l’historiographie veulent que l’époque qui a vu s’épanouir l’érotologie en Tunisie et dans le monde arabe appartienne au Moyen-Age, et celle qui censure et condamne l’érotologie les temps modernes, l’époque du progrès.

       Il va sans dire que les Nahdyat de Mme Waw, à côté des deux œuvres citées, c’est du poids mouche à côté du poids lourd, s'il est parmis d'emprunter ici le jargon de la boxe. C’est du soft, et rien que du soft raffiné, éclectique et qui vole assez haut. Tandis que les œuvres de Tifachi et Nefzaoui, ce sont des scènes pornographiques explicites, du hard au sens plein du terme. Cependant, et ce qui semble assez curieux, c’est que ce même monde qui mettait sur le pinacle Tifachi et Nefzaoui, de nos jours voue au feu Wafa Bouattour, sorcière que pourchassent avec hargne les inquisiteurs des temps modernes. C’est triste, lamentable, mais ce sont là les conséquences de cet obscurantisme islamiste et son corollaire culturel, l’essor d’une « رِدَّة ridda » ou réaction culturelle qui, dans le monde arabo-musulman, frappe quasiment l’ensemble des genres littéraires et artistiques, dont la poésie osée qui est le domaine de Mme Bouattour. Ou tout mot osé pour autant que l’on se souvienne du tire « المنكوح al-mankouh» (Le baisé), roman sorti lui aussi il y a juste un an, et dont le titre, et seulement le titre, a valu de façon injuste, imméritée, à son auteure libanaise نسرين النقوزي Nesrine Ennakouzi d’être catégorisée « écrivaine pornographique » ! Or pas un seul acte d’amour dans ce roman épistolaire ne vient conforter cette vulgaire calomnie que se sont permises ceux qui n’ont lu du roman que le titre[27].

3-     Couvrez ces Nahdyat que je ne saurais lire

       Comme tout un chacun le sait, du point de vue islamiste la levée de boucliers qui s’indigne contre les écrits de Wafa Bouattour voudrait combattre, nous dit-on, une forme de «زندقة zandaqa » (libertinage) qui, selon les puritains éternels de l’islam fondamentaliste, s’assimile à du «  كُفْر kofr » (renégat, apostasie). En vérité, il ne s’agirait que d’une grossière tartufferie, la même qui fait dire au Tartuffe de Molière (personnage qui, comme tout un chacun le sait, incarne l’hypocrisie) : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir ! » Tartufferie, hypocrisie, mais aussi obscurantisme dans le sens le plus large, puisque, si nous voulons traduire littéralement la célèbre injonction de Tartuffe, nous allons y déceler le premier sens du verbe arabe « كفر kafara », qui signifie non pas renier Dieu, mais tout simplement « couvrir, cacher, voiler ». « Couvrez ce sein que je ne saurais voir !», dans un arabe châtié, pur, coranique même, se traduit comme suit : « اكْفُرِي هذا النهد الذي لا أستطيع رؤيته ».

 

"Kafara" dans Ibn Mandhour

 
"Kafara" dans Kazimirski
 

       Et ce n’est pas un pur hasard si le français « couvrir », le latin « cooperire », l’anglais « to cover », le catalan « cobrir », l’italien « coprire », etc., au double plan de la forme et du sens sont apparentés à l’arabe « كفر kafara » : en vérité, même si les dictionnaires occidentaux ne le reconnaissent pas, le latin et les dérivés romans sont issus de la même racine arabe[28] qui, au sens dénotatif (c’est-à-dire le premier, l’originel), signifie « ستر/ غطى : voiler, cacher ». D’ailleurs, c’est dans ce sens qu’il faut interpréter le verset coranique « كَمَثَلِ غَيْثٍ أَعْجَبَ الْكُفَّارَ نَبَاتُهُ » dont la traduction est : « la végétation qui en vient émerveille les cultivateurs ». Il va de soi que ces cultivateurs, dans ce contexte agricole, sont appelés « كفار kouffar », non pas parce qu’ils seraient des renégats mais parce qu’ils « couvrent de terre, grâce au labourage, ce qu’ils sèment ».

       Par conséquent, dans cette bataille d’idiots qui oppose nos puritains à Wafa Bouattaour, il ne serait pas indécent de poser la question : qui seraient au juste les véritables « كفار kouffars » ? A mon sens, ce sont ces faquins[29] de l’islamisme, mais aussi tous les Tartuffe qui marchent dans leurs sillages, à commencer par ces organisateurs de foires du livre, ces hypocrites parfaits qui, de Tunis à Bagdad, en passant par le Caire, et sans doute dans d’autres capitales et lieux, ont sorti chacun son mouchoir pour le tendre à Wafa Bouattour, avec cette injonction sèche : « Couvrez ces Nahdyat que je ne saurais voir dans ma foire aux livres ! »

4-     Nahdyat et la première de couverture

       Dans son roman « Moby Dick » paru en 1851, le romancier, essayiste et poète américain Herman Melville assure que « le regard ahuri d'un imbécile est moins supportable que la prunelle incandescente d'un démon ». Cette sagesse que je traduirais en arabe par « النظرة الحائرة للأحمق أقل احتمالا من مقلة العين المتوهجة للشيطان», à mon sens, mérite d’être rappelée à celles et ceux qui, oublieux du sein qui les a nourris, voudraient cracher sans vergogne sur celui dont se nourrit la poésie de Wafa Bouattour.

       Quand on lit et entend toutes les insanités écrites ou dites sur les Nahdyat (et c’est vérifiable en ligne), on peut dire, sans préjuger, que le regard ahuri des détracteurs de Wafa Bouattour s’est focalisé essentiellement sur la première de couverture des Nahdyat mais a à peine effleuré le contenu du livre : à preuve, ces esprits chagrins n’y ont vu que du sexe, de la pornographie, des écrits immoraux qui rendraient pendable leur auteure. Je voudrais rappeler ici quelques vérités susceptibles de démonter ces préjugés hâtivement faits, dont la première est titrée d’une plaidoirie pro domo (faite par l’auteure elle-même), qui date d’octobre 2021.

       A un journaliste de la BBC arabe qui lui demandait ce qu’elle dirait à ses détracteurs qui l’accusaient d’être « une plume pornographe », Mme Bouattour répondait comme suit : « Le terme "نهد nahd / sein" était pour moi un simple briquet sous la détente de la femme pudique, un masque linguistique, peut-être érotique au niveau formel, et pouvant régaler les fantasmes de certains lecteurs qui se dressent ou se plantent entre les auteurs et leurs écrits. Cependant, à un niveau bien plus profond, dans une dimension absolue, c'est une valeur figurative et expressive grâce à quoi j’ai tenté de briser le courant dominant et me reconstituer une esthétique de l'existence »[30].

      Esthétique : ceux qui critiquent la conception de la première de couverture semblent tout ignorer de cette discipline de la philosophie qui s’articule autour des perceptions sensorielles, de l’essence du beau et des émotions ou réactions suscitées par le beau. A ce propos, pour autant que l’on veuille laisser de côté les insanités, les jugements négatifs conçus à travers « le regard ahuri des imbéciles », force est de reconnaitre que Wafa Bouattour qui, bien qu’angliciste de formation, maîtrise d’une façon admirable la langue arabe, maîtrise aussi, et de façon non moins admirable, les stratégies de communication. La première de couverture de ses Nahdyat illustre bien sa réussite dans le branding, qui, en marketing, concerne toutes les actions visant à gérer l'image commerciale d'une marque, d’un produit. Ses détracteurs lui reprochent, entre autres, d’avoir illustré cette première de couverture par sa propre photo. Une « subjectivité » que d’aucuns jugent outrée et déplacée, mais que l’auteure défend en ces termes : « J'ai décidé de mettre ma photo sur la première de couverture pour deux raisons. La première, subjective, était de satisfaire une seigneurie en moi, la vanité de la créatrice et la femelle (sic) [ou l'éternel féminin]. La seconde, quant à elle, objective, c'était de produire un choc artistique par lequel je m'écarterais des chemins battus littéraires, à travers la configuration de l'identité iconographique du livre. Je voulais, du même coup, régler mon compte avec la poésie classique et les illusions du sexisme ou gendrisme débile »[31].

       En vérité, ceux qui trouvent scandaleuse la conception de cette première de couverture, à mon sens, devraient revenir encore une fois à la langue arabe (qui est le premier « sein nourricier » des Nahdyat) pour voir combien la photo de Bouattour est adéquate avec le sens premier, dénotatif, de la racine des Nahdyat. Je recommanderais ici de consulter Albert Kazimirski avant de le confronter à Ibn Mandhour. Dans son dictionnaire Arabe-français sorti en 1860, Kazimirski consacre deux pages à l’article نهد [n.h.d=nahada]. Et ce qui mérite d’être souligné ici, c’est que ce mot trilitère (composé de trois consonnes), dans sa forme verbale et son sens dénotatif, signifie d’abord : « fondre sur quelqu’un, l’attaquer de front ». Saisir ce sens originel, à mon avis, c’est détenir une première clé permettant de lire de manière plus attentive, plus dynamique, les نهديات السيدة واو Nahdyat de Mme Waw. 

       Les mêmes détracteurs reprochent encore à l’auteure d’user de la provocation à travers ces photos. A supposer que cela soit juste, la provocation -est-il besoin de le rappeler ? est une manière d’interpeller le lecteur virtuel. Dans la vitrine d’une librairie, c’est la quatrième de couverture qui est susceptible d’inciter à acquérir le livre ou à s’en abstenir. Si elle a assez de pouvoir, de vertus apéritives, le lecteur passera forcément à la caisse. Sinon, il passera son chemin. Et l’on ne peut pas reprocher à une auteure ayant publié à ses propres frais ses livres d’adopter la meilleure stratégie en matière de branding. En même temps, la même fin commerciale est au service de la diffusion. Cette auteure s’est fait publier non pas pour figurer à la vitrine des libraires, mais sur les rayons de nos bibliothèques, entre nos mains, sous nos yeux, dans notre culture livresque. C’est l’objectif final de tout auteur, et chaque auteur doit fourbir au mieux ses armes pour parvenir à cette fin. Certes, Wafa Bouattour a usé (sans en abuser) de ce pouvoir dévolu à l’éternel féminin, associé à une force de frappe qui suggère sa puissance, son ascendant sensuel, mais cela ne dessert en rien le côté esthétique de la couverture.  Celle-ci, à mon humble sens, constitue en elle-même un poème, et les versets qui figurent en quatrième de couverture, si provocateurs puissent-ils paraître, relèvent, à mon sens, de la «مناهدة   mounahada », un apparenté à « nahd » qui signifie « levée guerrière ».   

       « Levée guerrière », parce que les deux tomes des Nahdyat s’inscrivent, en définitive, dans une bataille engageant l’auteure contre la bien-pensance sous toutes ses formes, la doxa religieuse, la phallocratie, l’incurie politique et la laideur qui résulte de toutes ces tares réunies. 

5-     « نهديات السيدة واو »: comment traduirait-on ce titre ?

       Les Nahdyat ne sont pas des poèmes au sens conventionnel du terme, ni des vers qui obéissent aux mètres (بحور) et aux rimes(قافية)  classiques. Ce sont plutôt des versets, terme à ne pas entendre au sens religieux car nous risquerions alors de susciter une triste fatwa qui rappellerait celle frappant Salman Rushdie, mais à comprendre plutôt dans le sens strict de la versification. On appelle en l’occurrence « verset » la division d'un texte poétique composée d'une phrase ou d'une suite de phrases formant une unité rythmique.

       Les arabophones avertis savent que نهديات nahdyat est un nouveau-né lexical dans la langue arabe. C’est à la plume de Wafa Bouattour qu’il doit son existence. Et le francophone non moins averti sait aussi que le français « sein » n’a aucun dérivé. Comment traduire alors un néologisme arabe en français, sachant que la racine « sein », attestée pour la première fois entre 1121 et 1134 au sens de  « partie du vêtement qui recouvre la poitrine »[32] est restée à ce jour, philologiquement parlant,  stérile ?

       Avant de nous aventurer à proposer la traduction qui nous semble adéquate, il ne serait pas oiseux de s’arrêter encore à la racine latine du mot français qui, à mon sens, va nous révéler encore un incontestable emprunt à l’arabe.

       Selon le TLFi (Trésor de la langue française informatisé), le mot français est dérivé du latin sinus qui signifie « courbure, sinuosité, pli ». Sachant qu’au Moyen-Age, de nombreux termes arabes relatifs à l’anatomie sont passés en latin et dans les langues romanes : (nuque (نخاع), hanche (latin anca, arabe أنقاء), échine (السَّكِنة), raquette (راحة), saphène (صافن), salvatelle (إسليم), focile (مفاصل), thorax (grec θωρήσσω, thôrêsso (« armer, renforcer »), et bien avant de l’arabe تُرْسٌ tors (bouclier),  et la liste est encore longue[33], la dérivation du latin « sinis » de l’arabe السِّنُّ والسِّنْسِنُ والسِّنْسِنَةُ [sin], [sinsin] et [sinsina], est d’autant plus pertinente que la racine arabe et ses variantes signifient la même chose أَطراف الضلوع التي في الصدر (extrémités des côtes de poitrine).

       Si je recours à cette régression philologique, c’est tout simplement pour dire qu’en vertu de cette ascendance philologique que je soutiens, il ne serait pas interdit de faire dériver un néologisme français à partir de « sein ». « Seinites de Mme W. » en l’occurrence s’assortirait bien, à mon sens, de « نهديات السيدة واو Nahdyat Es-sayyida Waw ».

      Encore un mot au sujet de l’initialisation traduite : pourquoi « Mme W. », et pas « Madame Waw » ? Parce que « واو » en arabe est la forme prononcée de l’initiale de Wafa, sinon de tout autre prénom féminin commençant par la même lettre (Wassila, Warda, Wifak…). Et je ne crois pas qu’il soit nécessaire de décrypter le sens que vise l’auteure à travers ce pronom réduit à une initiale. Je vous disais que cette respectable dame maîtrise admirablement les stratégies de communication.  Ce « Waw » arabe, « W » en français, autant il dévoile l’implication de l’auteure dans le titre même de son œuvre, autant il suggère une feinte plaçant la dame ainsi appelée sous l’anonymat. Mais pourquoi cet « anonymat » ? Parce qu’il est riche en suggestions, propice aux jeux de décodage : « Mme W. » serait le « personnage d’une œuvre à clef » (c’est-à-dire un personnage réel), et les Nahdyat se liraient alors comme un « journal intime », celui d’une « femme de l’ombre », « une femme cachée sous un aura de mystère », une femme dont la révélation d’identité serait « problématique », etc.

                  Conclusion

       A l'initiative du calligraphe Abderrazak Hammouda, deux évènements culturels seront bientôt dédiés à Wafa Bouattour. Le premier à Genève, en date du 30 juin courant, de 18h à 21h. Le second à Paris, en date du 6 juillet prochain, au même horaire. Le public qui aura le bonheur d'y assister rencontrera la poétesse, découvrira en récitals bilingues des extraits de sa poésie et sera régalé en plus par l’exposition d'un bon nombre de ses versets reproduits à travers des calligraphies, des œuvres artistiques d’une beauté achevée sortis du pinceau à lavis de l’artiste tunisien. Abderrazak Hammouda a l’air de nous dire : que ce qui vient du Beau à bons droit et endroit lui revienne ! « مَا كانَ مَنْبَعُهُ الجَمالُ، ِليَعُدْ بِالْأَهْلِيٌةِ والمَكانِ الجَديريْنِ به، للْجَمالِ»

       C’est à cette injonction à laquelle obéit l'initiative louable du calligraphe, que j’ai dû céder moi-même, lorsque ce cher ami, puis l’auteure en personne, m’ont prié de traduire quelques versets des Seinites de Mme W., qui devraient être lus pour le public francophone des deux évènements évoqués.

        A ce public particulièrement, je voudrais dire que j’ai tenté de faire de mon mieux pour traduire ces extraits sans trahir la source arabe. Quand un texte passe de l’arabe en français, ou vice versa, il est certain qu’il doit payer nécessairement une taxe, ses droits de transit à la langue d’accueil. Tout ce qui est mélodique, équivalences sonores, allitérations ou assonances, risque d’être en partie ou en totalité sacrifié. D’où la nécessité pour le traducteur de réécrire parfois un segment de verset, une expression, un mot ou une phrase dont la traduction littérale trahirait l’effet poétique initialement visé par l’auteure, et serait une sorte d’injure à la poésie plutôt que de paraître comme une caution de fidélité. A cela s’ajoute le problème de la polysémie, l’ambiguïté de certains mots qui semble délibérément choisie par la poétesse à des fins stylistiques qui rendent multidimensionnel le sens à saisir, et qui imposent au traducteur de choisir l’acception qui lui semble la mieux adaptée au contexte qu’il traduit   

      

Evènements culturels (Genève et Paris)


       Le mot de la fin, je voudrais le laisser à Wafa Bouattour elle-même, dont le nom, riche en évocations olfactives aussi bien pour l’arabisant que pour le francisant que je suis, mérite une régression à laquelle je réserve la dernière note de cette présentation[34].   

       « Merci à mon sein, bambin né des lèvres du poème. A ce géniteur qui m'a bénie et, au nom de Dieu, m'a jetée dans l'eau baptismale de la langue, merci. Merci à tous mes amis, tous mes lecteurs confondus, ceux qui pénètrent dans l'oratoire pour la prière ou pour se masturber. De vous se réunissent pour faire un tout l’argile de l’existence, le sens et le rêve. »

[شكرا لنهدي المولود من فم الشّعر، شكرا لأب بارَكَني وبَسْمَلَ وألقى بي في جُبّ اللّغة، شكرا لكلّ أصدقائي القرّاء بلا استثناء الدّاخل منهم للصّلاة أو الاستمناء، بكم يلتئم طين الوجود والمعنى والحُلم]

 

 

A.      Amri

29 juin 2022

 

 



[1] لوتس عبد الكريم، سيرتي واسرارهم، الدار المصرية اللبنانية، 2018، ص. 37-74.

[4] Ces informations et leurs références sur le blog de Ahmed Amri : Tunisie : spectre du fascisme naissant.

https://amriahmed.blogspot.com/2012/01/la-tunisie-et-le-spectre-du-fascisme.html           

[5][5] Ci-dessous, traduit par Abdelwahab Meddeb, un extrait de poème dans lequel «الشيخ الأكبر. » (« le plus grand maître ») évoque son maître tunisien qu’il a rencontré pendant sa seconde résidence à Tunis (vers 1201) :

« ô errant qui coupe le désert en allant
vers moi pour atteindre le rang des veilleurs
dis à celui que tu rencontreras parmi les exilés
un dit me concernant qui serait d’un bon conseil
sache que tu seras perdu et jeté dans la perplexité
si tu ignores mon message et mon appel
celui dont je continue de réclamer la personne
celui-là je l’ai fréquenté sur la colline verte
dans la ville très-blanche la ville de Tunis
sur un site plein de faveurs et qui séduit
en ce lieu éminent au sol sanctifié
par sa présence la qibla oblique
vers une bande d’exception bien choisie
sur le banc des nobles et des chefs
c’est lui qui les conduit vers les lueurs de la science… »

Source : https://www.leaders.com.tn/article/10551-abdelwahab-meddeb-la-memoire-assassinee

[6] A ce propos, on lit sous la plume de Hakim El Karoui, rédacteur d'un rapport pour le compte de l'Institut Montaigne paru en 2018, ce qui suit : « Les voitures de la hisba tournent dans la ville. Ils vérifient que les hommes laissent pousser leurs barbes et se rasent les moustaches. Ils vérifient aussi la coupe de cheveux, qui doit être faite d’une manière particulière. Le bout des pantalons doit tomber en haut des chevilles. » (La fabrique de l'islamisme, Institut Montaigne, 2018, n. p.)

[8] C’est le Coran (sourate Al-Ahzab, verset 6) qui a ainsi surnommé non seulement Aïcha, mais toutes les femmes du Prophète.

[9] Mère au vu du titre honorifique évoqué, et non de son âge qui faisait d’elle la cadette dudit consultant

[10] لا يقعنَّ أحدُكُم علَى امرأتِهِ كما تقعُ البَهيمةُ وليكُن بينَهما رسولٌ : Basant Rashad [بسنت رشاد] : « L’amour et le sexe dans la vie du Prophète » (الحب والجنس في حياة النبي), p. 70.

[11] Ibidem.

[12] Mot dérivé de « teys » (bouc ») qui désigne l’homme épousant une femme « répudiée par trois » pour la seule fin de la rendre de nouveau halal à son répudiateur. Il semble que la législation islamique a décrété cette obligation pour prévenir autant que possible la « répudiation par trois ».

[13] الشيخ فيصل بن عبدالعزيز آل مبارك، شرح حديث عائشة في قصة امرأة رفاعة القرظي

[14] سعيد مولاي التاج، الجنس من خلال مفردات القرآن الكريم ، 2 أكتوبر 2015، https://www.aljamaa.net/ar

[15] A propos de ce mot, أبو منصور الأزهري Abu Mansur al-Azhari souligne que le sens originel chez les Arabes est celui du coït : أَصل النكاح في كلام العرب الوطء

[16] Sourate المؤمنون Al-Mouminoune, versets 12, 13, 14.

[17] Sourate الواقعة Al-Waqi’â, versets 58, 59.

[18] Sourate النجم En-Najm, versets 45, 46.

[19] Sourate البقرة Al-Baqara, verset 223.

[20] «عنْ أيّ خدش للحياء تتحدثون، وقدْ مَصصْتمْ ذات النهْد الذي تغنّتْ بهِ الشاعرة؟» https://alantologia.com/blogs/58659/

[21] J’en veux pour exemple dans ce contexte précis deux références assez éloquentes. La première, la pièce qui suit, tirée du procès de l’islamiste qui a assassiné en 1992 l’intellectuel égyptien Faraj Fouda que je citais en exergue. A la question que lui pose le juge « Pourquoi avez-vous assassiné Faraj Fouda ? », l’accusé répond : « parce qu’il est infidèle كافر ». Le juge lui demande alors : « Comment avez-vous pu savoir qu'il était infidèle ? » Le terroriste répond : « D'après les livres qu'il a écrits ». Le juge lui dit : « Lequel de ses livres vous laissait croire qu’il était infidèle ? » - « Je n'ai pas lu ses livres ! » lui répond le terroriste. A l’exclamation du juge : « Comment ? » L’accusé répond : « Je ne sais ni lire ni écrire ! »     

https://www.facebook.com/webamri/posts/392692304099382

La seconde est le témoignage de Youssef Seddik qui, pour avoir assisté au procès islamiste intenté contre Nessma-Tv (évoqué ci-haut) a été brutalement interpellé par un jeune barbu. Voici la transcription de ce que cet intellectuel nous dit : « Je sortais du tribunal -c'était au procès d'un média, quand un type m'a pris au collet. « Tu charries un peu, lui dis-je, non ? Mais lâche-moi ! Tu devrais avoir honte ! j'ai l'âge de ton grand-père. Et puis j'ai servi l'islam au-delà de ce que tu peux imaginer. J'ai traduit en français le Prophète. J'ai traduit en français Ibn Sirine. J'ai traduit en français le Coran. » Le type me dit alors : « Ah ! tu as traduit le Coran alors que tu n'as pas de barbe ? » Voilà où nous en sommes avec les jeunes embrigadés par les gourous fondamentalistes ! Moi, parce que pas barbu, je n'ai pas le droit de traduire le Coran ! Voilà ce qu'on leur enseigne ! »    

Source : Youssef Seddik: haro sur le péril obscurantiste ! https://www.youtube.com/watch?v=upWdKv_yryc

[22] Dont un titre que l’on n’ose même pas prononcer en arabe نواضر الأيك في معرفة النيك, que je traduirais -en imitant la facture poétique d’origine- par « Les bouquets qui plaisent dans la science de la baise » ; par euphémisme les biographes d’Al-Suyūtī n’écrivent que «.. .نــ »  (N suivi de trois points, comme le français « p… » sous la plume de certains auteurs, dont Sartre, pour le mot « putain ».

[23] A ma connaissance, seule une chaîne arabe (القاهرة 24 ) et deux arabophones (la BBC et Deutshe Welle) ont permis à la poétesse de s’exprimer pour défendre à la fois sa réputation et celle de son œuvre.

[24] C’est-à-dire Premier ministre dans le jargon moderne.

[25] Baron R…, Cheikh Nefzaoui : traduit de l'arabe par monsieur le baron R***, capitaine d'État-Major, 1877

[26] Ulrich Marzolph, Der duftende Garten, Munich, Beck, coll. « Neue Orientalische Bibliothek », 2002

[27] « المنكوح al-mankouh» (Le baisé) renvoie au peuple marginalisé, le même que Wafa Bouattour, dans l’un de ses versets, qualifie de « مَنِيكٌ manik » (baisé). « J'ai utilisé le terme المنكوح al-mankouh, dit Nesrine Ennakouzi, et  choisi les protagonistes de mon roman d'un seul sexe, pour en faire en quelque sorte une première claque à nos sociétés, afin qu'elles comprennent que les hommes et les femmes sont égaux dans l'étendue de la cruauté à laquelle ils sont confrontés. Le titre est loin de toute connotation sexuelle, mais il véhicule d’autres connotations en rapport avec l’homme marginalisé, exclu, mis au ban de son propre univers intérieur et de sa société. » Source.

[28] Dans les emprunts passés de l’arabe au latin et aux langues romanes, le ف f devient souvent « p » ou « b », quelquefois « v », et cela est illustré à travers de nombreux exemples : فِطْرٌ potiron, فستق pistache, فلفل pilpoul,  فسقية piscine, قفص cabas, ابن سينا Avicenne, ابن رشد Averroès… La racine trilitère commune au latin et aux langues romanes est [K.P.R] ; elle correspond parfaitement à l’arabe : [ك.ف.ر.].

[29] Terme dérivé de l’arabe فقيه faquih (« juriste spécialisé dans le fiqh, la jurisprudence islamique »), et qui signifie en français « Homme de peu de valeur, mal élevé et méprisable (pour une femme, on dit : faquine). »

[33] Voir http://amriahmed.blogspot.com/2016/03/mythemologie-hanche-et-racines-arabes.html

[34] D’après les remarques faites par Stephen Weston en 1802 (A Specimen of the Conformity of the European Languages, particularly the english, with the oriental languages) et Antoine-Paulin Pihan en 1847 puis en 1866 (Dictionnaire étymologique des mots de la langue française dérivés de l'arabe...), il semble que le français « odeur » et ses apparentés romans sont tirés de l’arabe عطور ôtour (pluriel de عطر îtr : parfum). Le nom « Bouattour », composé du préfixe « bou » (qui exprime le détenteur d’une qualité, et non pas « le père » comme le traduisent certains) )et « attour », variante dialectale de « عطور ôtour » (parfums),  est assez éloquent à ce propos. 

 

 

 

Quand les médias crachent sur Aaron Bushnell (Par Olivier Mukuna)

Visant à médiatiser son refus d'être « complice d'un génocide » et son soutien à une « Palestine libre », l'immolation d'Aar...