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mardi 29 mars 2022

La corde du mensonge et les « cadavres exquis »

 

Le 13 décembre 2016, Eva Bartelett, blogueuse et journaliste indépendante canadienne, dénonçait dans un espace onusien les fausses informations, diffusées par le camp anti-Bachar, afin d’entacher la victoire de l’armée arabe syrienne à Idleb. Elle est immédiatement interpellée par Christopher Rothenberg du journal norvégien Aftenposten qui n’admettait pas que « les organisations internationales sur le terrain [Alep-Est] » pussent mentir. « Pourquoi, demandait-t-il, ne devrions-nous pas croire à tous ces faits parfaitement vérifiables que nous voyons sur le terrain ? Ces hôpitaux bombardés, ces civils dont nous parlons, les atrocités qu'ils ont connues... Comment pouvez-vous justifier le fait d'appeler tout cela « mensonges » ? »[1] Avant de répondre à ces questions, Eva Bartelett demanda au journaliste norvégien de lui dire quelles étaient les organisations internationales qui se trouvaient sur le terrain à Alep-Est. Et comme le journaliste ne put y répondre, demeurant silencieux, Eva Bartelett souligna qu’il n’y en avait aucune. Elle rappela à ce propos que la seule source d’informations des médias occidentaux de l’establishment était « l'Observatoire syrien pour les droits de l'homme, basé au Royaume-Uni », lequel en fait n’est qu’une seule personne[2].  Ce pseudo-observatoire, rappela encore Bartelett, puise ses informations auprès d’une coterie de groupuscules corrompues comme les Casques blancs. « Les Casques blancs, dit-elle, ont été fondés en 2013 par un ancien militaire britannique. Ils ont reçu des fonds des Etats-Unis, du Royaume-Uni, d'Europe et d'autres Etats à hauteur de 100 000 000 dollars. Ils prétendent sauver des civils à Alep-Est et à Idlib. Pourtant, personne à Alep-Est n'a jamais entendu parler d'eux. Je dis personne, car je sais que 95% de ces territoires à Alep-Est ont été libérés. Les Casques blancs prétendent être neutres, et pourtant on peut les voir porter des armes, près des corps de soldats syriens. Dans les vidéos qu'ils produisent figurent des images d'enfants visibles dans d'autres rapports. […] Ils ne sont donc pas crédibles, l'OSDH n'est pas crédible, les militants sans nom ne sont pas crédibles. »

     En vérité, outre la non-fiabilité de ces organisations fantoches sur lesquelles s’appuient les médias traditionnels, il y a mille et un exemples de fausses accusations qui s’accumulent depuis 2011 pour corroborer encore les dires d’Eva Bartelett. Et à l’exemple de l’affaire des couveuses de la maternité du Koweït[3], qui à la mi-octobre 1990, semble avoir ouvert le long chapelet d’impostures instrumentalisées pour la diabolisation de Saddam Hussein, le feuilleton mythomane anti-Bachar a débuté par des fables dont les personnages, présentés comme des victimes du régime « dictatorial », sont soit des jeunes filles, soit des enfants. Cette « catégorie vulnérable », classique de la propagande dans toutes les guerres, a constitué le fer de lance de la guerre médiatique contre le régime syrien. C’est ainsi que, vers 2006, émerge sur la toile un blog intitulé A Gay Girl In Damascus, dont l’auteure s’appelle Amina Araf Zeinab. Sous ce nom aux consonances clairement arabes et féminines, l’univers des médias sociaux découvre la présumée lesbienne syro-américaine qui, tout en défendant sans complexe aucun son droit d’homosexuelle, se présente comme militante anti-Bachar. Au début du « printemps arabe », cette Amina informe ses lecteurs qu’elle rentre à Damas pour soutenir la révolution syrienne. Puis tout à coup, début juin 2011, ses publications cessent de paraître. Une présumée cousine diffuse alors un message sur les réseaux sociaux, qui fait état de l’enlèvement d’Amina par trois hommes armés. L’auteure assure avoir vu de ses propres yeux cet enlèvement et donne même des indications sur la voiture ayant embarqué la victime. La toile s’enflamme aussitôt pour exprimer l’indignation suscitée par cet acte de banditisme, immédiatement attribué -cela va de soi, aux « sbires de Bachar ». Même le Département d’Etat américain ne reste pas indifférent. Mais comme l’affirme un dicton arabe, la corde du mensonge est courte. Après toutes les campagnes menées sur Internet par la communauté LGBT, toutes les tempêtes mobilisant l’opinion internationale pour défendre la noble cause d’Amina, le monde découvre, quelques jours seulement après, que le personnage d’Amina et le récit de son enlèvement sont un canular. La présumée lesbienne syro-américaine s’appelle Tom MacMaster, un américain âgé de 40 ans originaire de Géorgie, qui voulait contribuer à sa façon à la propagation du bénit printemps. Malheureusement pour lui et pour sa « belle cause », il a été trahi par la photo qu’il attribuait à son personnage fictif, laquelle était celle de Jelena Lečić, une expatriée croate résidant au Royaume-Uni. Celle-ci, découvrant sa photo sur des articles dédiés à ladite Amina et publiés au Guardien[4], a dénoncé l’usurpation de son identité, un usage de faux qui l’avait éclaboussée au même titre que le peuple syrien, ce qui a permis de révéler au grand jour l’imposture.

La corde du mensonge est courte. (Proverbe arabe)

 

     François Belliot, qui évoque cette affaire[5], nous fournit de nombreux autres exemples dont celui de Zaïnab el-Hosni. Cette jeune syrienne de 18 ans a été déclarée, fin juillet 2011, enlevée à son domicile familial à Homs. Quelques semaines plus tard, la vidéo « d’un corps en affreux état, écorché, démembré et décapité »[6] est mise en ligne, et le cadavre est présenté comme étant celui de Zaïnab. Là encore, la toile se met en branle et ce cadavre se transforme, pour des jours et des jours, en alléchante pâture alimentant les réquisitoires les plus virulents contre le régime de Bachar[7]. Et alors que la surmédiatisation de cette affaire allait croissant, que la « martyre » de Homs devenait en moins de rien une icône de la « révolution » syrienne, encore une fois la corde du mensonge s’est avérée courte. Le 5 octobre 2011, soit deux mois après l’annonce de son assassinat, Zaïnab el-Hosni apparaît à la télévision pour dire qu’elle est en vie, qu’elle n’a jamais été enlevée par qui que ce fût, et qu’elle a tout simplement fugué de la maison à cause d’un problème avec ses frères[8].

     Sur ce même volet, on ne peut occulter les « attaques chimiques » prétendument perpétrées à plusieurs reprises par le régime syrien. De 2013 à 2018, ce régime n’a cessé d’être accusé de frappes au chlore, au gaz moutarde, au sarin. Mais à chaque fois, les récits, les vidéos, les images de présumées victimes, trahissent des anomalies, des incohérences, des contradictions, des personnages déjà vus, qu’il serait difficile de ne pas songer à des opérations sous fausse bannière. Et les sources d’information à ce propos sont toujours les mêmes : les Casques blancs et l’Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), deux officines dont l’intelligence avec les ennemis de la Syrie et de Bachar n’est cachée pour personne. Après , François Belliot qui a consacré la belle part de son livre cité à l’analyse des divers récits et documents en rapport à tous les présumés massacres imputés au régime syrien, et conclu à la grande part de mensonge sur ce volet, en 2019 WikiLeaks a publié de nouveaux documents qui confirment, en ce qui concerne la présumée attaque chimique d’avril 2018, ce mensonge[9].  A son tour, au lendemain de la réédition mise à jour de son livre « Tempête sur le Grand Moyen-Orient », tout en rappelant que « les mensonges sont légion dans le cas syrien, tellement nombreux qu’il s’avère difficile de les « traiter » tous », Michel Raimbaud souligne à propos des « bombardements chimiques » d’Idlib que « nous nous trouvons face à une redite de l’affaire Colin Powell de 2003 en Irak et de la séquence de l’été 2013 en Syrie (attaque de la Ghouta). »[10]

      Tout ce tissu de mensonges, on ne peut le citer sans évoquer encore une fois la stratégie hargneuse de Caton l’Ancien, qui de nos jours est plus ou moins imitée en Occident par certains héritiers de la romanité. Le 17 août 2012, après avoir visité un camp de réfugiés syriens à la frontière turque, Laurent Fabius déclare que « le régime syrien doit être abattu, et rapidement. » Et « M. Bachar el-Assad ne mériterait pas d'être sur la terre »[11]. Suite à l’« attaque chimique de la Ghouta » en date du 20 août 2013, immédiatement attribuée au régime syrien[12], le même ministre français a brandi la menace d’une intervention militaire. « Les options sont ouvertes, dit-il, la seule option que je n'envisage pas, c'est de ne rien faire»[13]. En réaction à cette fanfaronnade qui condamnait expéditivement Bachar, Dominique Mazuet a publié un article dans lequel il rappelait que « Caton, dit l’Ancien, avait pris l’habitude d’entamer et de conclure toutes ses interventions au Sénat par un ronflant : « Carthago delenda est ». Il finit par avoir gain de cause et la troisième guerre punique permit une « victoire totale » sur les impudents phéniciens, qui avaient eu l’outrecuidance de disputer à Rome l’hégémonie sur la Méditerranée. » [14] Et tout en laissant entendre que la fâcheuse hargne de Fabius contre Bachar pourrait bien engendrer à son tour une nouvelle guerre punique, il conclut son article par ces mots : « C’est donc à cette ancienne lecture et à ce précédent notoire que je songe lorsque j’entends le proconsul Fabius bégayant ad nauseam la fable qui a tant et si bien servi l’atlantisme servile pour répandre le chaos, la mort, la misère et la destruction, en Irak, en Libye et maintenant en Syrie »[15].

     Le lecteur averti sait que cette figure comparant la Syrie d’aujourd’hui à Carthage et les faucons de l’alliance atlantiste à Caton l’Ancien n’a rien de fantasmagorique. Si Michel Raimbaud intitule « Delenda est Syria » [Il faut détruire la Syrie] le premier chapitre de son livre Les guerres de la Syrie, c’est que ce pays, comme il le dit de manière explicite, « est la Carthage des temps modernes » [16]. Et d’ailleurs, est-il besoin de le rappeler ? c’est de la Syrie que les fondateurs de la Carthage historique sont venus.  Par conséquent, sans autre forme de procès, la mère de Carthage doit payer à son tour les « justes terreurs » des Romains d’aujourd’hui.

Ahmed Amri
Extrait de ma postface à Décennie avec le Lion de Damas de Bouthaïna Chaaban, Ed° ITRI, 2022
29. 03. 2022

[1] https://www.youtube.com/watch?v=0DZSPy5KkWg&t=7s

[2] Il s’agit d’un activiste syrien anti-Bachar connu d’abord sous son pseudonyme Rami Abdel Rahmane, avant de révéler son véritable nom Rami Abdel Rahmane. Cet activiste a été désavoué par sa famille qui voit en lui un agent de l’étranger. (Voir Benjamin Barthe, Le comptable de l'hécatombe syrienne, in Le Monde, 15 mars 2013).

[3] Olivier Berruyer, Propagande de Guerre : L’Affaire des Couveuses koweïtiennes (1990), sur le site Les Crises, 14 mars 2014.

[4] https://greatersurbiton.wordpress.com/2011/06/13/

[5] Opt. cit. pp. 49-50.

[6] Opt. cit. p. 50.

[7] Sur al-Jazeera, on a vu tant d’énergumènes s’exalter et s’époumoner à fustiger la « barbarie de Bachar ». Moncef Marzouki, allié des islamistes d’Ennahdha et futur président temporaire de la Tunisie, en était sans doute le plus enflammé. Interpellant le régime syrien face à un défenseur de celui-ci, il cria : « Plus scandaleux que ça jamais ! Vous avez démembré le corps de la martyre Zaïnab ! N’avez-vous pas honte ? Votre État dépèce des jeunes filles ! ». Pour le Cheikh d’al-Azhar, s’exprimant sur cette même chaîne, ce cadavre n’était qu’un échantillon des « carnages et crimes contre l’humanité commis en Syrie. ». Quant à Joe Stork, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord, à Human Rights Watch, après avoir accusé les forces d’ordre syriennes d’avoir assassiné et mutilé Zaïnab, il a demandé instamment à l’organisation des Nations-Unies de faire une enquête pour démontrer l’implication directe des autorités syriennes dans ce crime. Cf. https://www.youtube.com/watch?v=seD4e9Zu8k4

[8] Opt. cit. p. 51.

[9] Niles Niemuth, De nouveaux documents de WikiLeaks démentent les mensonges sur une attaque chimique en Syrie en 2018, sur World Web Site, 17. 12. 2019.

[10] « En France, l’atlantisme et le sionisme sont les deux mamelles des néocons », in Afrique Asie, 9 juin 2017.

[11] AFP, "Bachar el-Assad ne mériterait pas d'être sur la terre" (Fabius), Le Figaro, 17. 08. 2012..

[12] Accusation démontée avec brio par François Bellio, cf. opt. cit. pp.133-204.

[13] Syrie : la France promet une "réponse proportionnée" et imminente, Le Monde, 26 août 2013.

[14] L'Humanité, 2 Septembre 2013.

[15] Opt. cit.

Quand les médias crachent sur Aaron Bushnell (Par Olivier Mukuna)

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