dimanche 11 août 2013

Figures féminines tunisiennes

Le 13 août, la femme tunisienne commémore le 57e anniversaire de la promulgation du CSP (Code du statut personnel). Décrété au lendemain de l'indépendance en 1956, ce code constitue une série de lois révolutionnaires, un véritable bond en avant sur la voie du progrès, visant à instaurer l'égalité de citoyenneté entre homme et femme.
Si cet acquis est souvent inscrit à l'honneur exclusif d'une élite masculine dont le courage et la pensée éclairée ont permis d'accomplir des réformes sans précédent dans le monde arabe, il n'en reste pas moins qu'en amont des pas décisifs c'est surtout au long parcours combattant de la femme tunisienne elle-même, à ses batailles féministes et son poids dans les luttes historiques du pays, que le CSP doit le jour. Car il faut bien rendre cette justice aux Tunisiennes qu'elles n'ont jamais été absentes de l'histoire nationale, ni des luttes sociales et juridiques, qu'elles se sont battues âprement, et depuis la nuit des temps, pour faire valoir chaque principe égalitaire accordé par les lois. 

Afin d'éclairer ce long parcours combattant féminin à travers l'histoire de la Tunisie, ci-dessous une liste (plutôt sélective et pas exhaustive) de quelques figures féminines dont chacune, à un moment précis de l'histoire, incarne un combat d'avant-garde. Soit féministe, toutes époques confondues, soit nationaliste. La classification, obéissant globalement à l'ordre chronologique de notre histoire, recouvre trois périodes saillantes de celle-ci: de la construction de Carthage à l'occupation romaine, de la conquête islamique à la dynastie beylicale, de l'occupation française à l'indépendance.
Didon

1- Elyssa

L'histoire de la femme tunisienne est aussi vieille que celle de son pays.

Il y a près de 3000 ans, c'est grâce à Elyssa ou Didon, fondatrice de Carthage et première reine de ce qui sera la superpuissance rivale de Rome, que la Tunisie est entrée dans l'histoire.
Du personnage d'Elyssa, entré dans le mythe, deux traits au moins méritent qu'on s'y arrête: d'abord cette femme venue de l'orient méditerranéen à la tête d'une poignée d'hommes, et réussissant à fonder le noyau de l'empire carthaginois -non pas par la conquête militaire mais à la faveur de son tempérament et son intelligence. Cela prouve, ou prouvera le moment venu d'une manière rétrospective, que la femme n'est pas "un être mineur d'esprit et de foi" comme il plait à beaucoup de le défendre aujourd'hui. Mais s'il y a quelque "mineur" à plaindre dans ce contexte précis, c'est bien le "majeur d'esprit et de foi" présumé qui s'est fait rouler en l’occurrence par Elyssa! (1)
Ensuite, pour autant que ce soit authentique, la fin tragique de ce personnage. En se suicidant pour se soustraire au destin faisant d'elle la compagne d'un homme qu'elle n'aime pas, ou pour épargner à Carthage d'être annexée par l'homme voulant l'épouser, cette femme a prouvé qu'elle était libre, et cette liberté était, à ses yeux, plus précieuse que la vie elle-même. Et nationaliste inconditionnelle, patriotique intègre, puisqu'elle a fait primer l'intérêt de Carthage sur l'instinct de la survie.    



2- Sophonisbe

Didon n'est pas un cas unique à ce propos précis dans l'histoire de la Tunisie ou des pays de l'actuel Maghreb. Sophonisbe, fille de Hannibal de Giscon (à ne pas confondre avec Hannibal Barca)

Sophonisbe
est également un symbole de liberté féminine, d'une part, et de résistance à la conquête étrangère d'autre part. Née à Carthage en 235 av. J. -C, Sophonisbe était reine de la Numidie quand elle fut capturée par les soldats de Scipion l'Africain. Refusant de subir le sort des vaincus qui la vouait à la triste condition d'une esclave du général et homme d'État romain, elle a illustré la devise: "Potius mori quam foedari = la mort plutôt que le déshonneur!" et ce en se suicidant par le poison alors qu'on la conduisait vers Scipion.

3- Perpétue et Félicité

Ce tempérament de la femme insoumise, on le verra encore au moment de la conquête islamique, mais même dans la période dite de la paix romaine, il ne s'est jamais estompé. Perpétue et Félicité, deux martyres chrétiennes mortes à
Perpétue
Carthage en 203, illustrent pertinemment cela. Jeune femme de famille noble ayant reçu une éducation distinguée, mariée et mère d'un bébé nourrisson, Perpétue et son esclave Félicité ont été dénoncées au procurateur de l’empereur romain qui a ordonné leur arrestation. Selon tous les récits, carthaginois et romains, avant d'être condamnées aux bêtes puis achevées par l'épée, les deux femmes avaient la possibilité de se racheter en apostasiant. Mais elles ont choisi d'être libres et d'en payer de leur vie la rançon.  On attribue à Perpétue une œuvre écrite durant sa détention, que citera plus tard Saint Augustin, ce qui fait de cette femme la première écrivaine de Carthage. Et rétrospectivement aussi, le premier auteur engagé.  



Kahéna
4- La Kahéna

L'épopée de La Kahéna, symbole de la résistance au conquérant arabe, appuie davantage cette tradition de combat féminin ancré dans l'histoire de la Tunisie et du Maghreb. Et parallèlement, elle prouve que le pouvoir, quelle qu'en soit la nature, politique, militaire, religieux, n'a jamais été l'apanage du monde masculin. La Kahéna
qu'on surnommait "la Belle gazelle" est une résistante à plus d'un titre. Reine d'abord, mais refusant les privilèges qui veulent qu'un souverain soit défendu par ses pions. Guerrière des premières lignes, sur terrain et non depuis une chambre d'opérations. Berbère défendant la bannière identitaire des Amazighs (mot dont l'étymologie signifie "hommes libres". Enfin juive, ou chrétienne selon les versions, dressée contre le péril d'une confession ennemie expansionniste.
Durant cinq ans, cette femme repousse héroïquement les vagues successives du conquérant arabe. Elle défait par deux fois la grande armée des Omeyyades. Vaincue en 693, elle se réfugie à El Jem, tentant de sa barricader dans l'amphithéâtre romain. Elle refuse jusqu'au bout de capituler, préférant une mort de brave, debout, à une éventuelle survie dans le déshonneur ou la servitude. A sa capture, sa décapitation et l'envoi de sa tête en trophée au calife Abd al-Malik en Syrie, plutôt que d'honorer le vainqueur et son histoire, se profilent aujourd'hui comme le plus beau diadème couronnant le combat de la Kahéna, qu'aucune histoire, ou
historiographie, de conquérant ne peut altérer.


5- Aroua la kairouannaise

L'un des acquis majeurs du CSP promulgué le 13 août 1956 est l'abolition de la polygamie. Il ne faut pas pour autant croire que le combat pour la monogamie soit l'apanage des réformateurs tunisiens du 19e, ou comme le propagent les apôtres de l'islamisme, l’œuvre des "suppôts de l'occidentalisation en terre musulmane" tels que Bourguiba et consorts.
A ce titre, ce que les juristes et historiens ont convenu d'appeler Contrat kairouannais montre bien que les Tunisiennes n'ont pas attendu ni la révolution française, ni la colonisation de même nationalité, ni les Lumières supposées importées pour dire non à la ploygamie.
 Arwa Al Kairawania (Aroua la kairouannaise), née à Kairouan au 8e siècle, est devenue célèbre pour avoir imposé, grâce au
Aroua
pouvoir de son charme comme monnaie d'échange, certes, mais non sans sa liberté et sa volonté de briser les traditions, la monogamie au calife abasside Abou Jaafar Al Mansour. On ignore dans quelles circonstances ce calife a connu Aroua, mais tombé amoureux d'elle et demandant sa main, il n'a pu obtenir celle-ci qu'à la condition inexorable de s'engager qu'il ne serait jamais polygame. Et c'est ce qu'il a fait en définitive, pour la gloire de celle dont le nom est associé au "contrat de mariage kairouannais", lequel est devenu une dérogation à la charia, appliquée, comme condition préalable au consentement, chaque fois qu'une femme la réclame.


6- Aïcha Manoubia

Nous avons cité l'imam Ali Ibn Abou Taleb qui recommande aux hommes de prendre soin de la femme, celle-ci étant "mineure d'esprit et de foi." Une autre citation attribuée à cet imam explique que la minorité absolue de la femme est imputable au fait que celle-ci a été créée d'une côte d'Adam et que telle côte est tordue! Morale: quoique vous fassiez pour tenter de promouvoir la créature issue de l'imperfection, vous ne pourrez rien contre l'imperfection originelle.
Pourrait-on imaginer que nonobstant ce dogme émanant du cousin et gendre du Prophète, au 13e siècle et sans antécédent, ni suivant si ce n'est dans 
l'abbaye de Thélème telle que décrit Rabelais, une femme soit la cheftaine religieuse d'une société musulmane, qu'elle vive, fasse ses prières et dorme au milieu des hommes, et sans niqab ni voile? Peut-on imaginer, qui mieux est, que telle femme ait le statut du vicaire de Dieu sur terre?
A notre connaissance, cela ne s'est produit nulle part ailleurs qu'en Tunisie, il y a de cela 8 siècles. Et la femme qui a réussi à produire ce fait singulier dans l'histoire s'appelle Lalla Manoubia.

Lalla, ou Saida, est l'équivalent tunisien de Notre-Dame. Manoubia est un toponyme qui renvoie au lieu de naissance. De son vrai nom Aïcha Manoubia (1180-1257), cette soufie assimilée à une sainte est née à Mannouba, localité située à 7 km à l'ouest de Tunis. D'après la hagiographie qui lui a été consacrée, elle était d'une beauté sans pareille. "La plus belle créature de Dieu", selon Mohamed Balhi Nayal(1), de sorte que quiconque la regarde subit fatalement sa "fitna"(2)! Mais Lalla Mannoubia était exceptionnelle surtout par son intelligence, sa curiosité scientifique et sa haute culture. Fille d'un cheikh, et bien que de milieu modeste, elle doit à son père l'instruction préliminaire (Coran et Tradition) ainsi que l'initiation au mysticisme musulman. Le reste, elle en fera l'acquisition en battant les chemins qui mènent à tous les maîtres et tous les saints (3). Armée d'un savoir encyclopédique en matière  scientifico-théologique
Lalla Manoubia
,
maitrisant les hadiths et les sciences de la jurisprudence islamique, elle a pu  conquérir l'imamat, au sens scolastique du terme mais aussi de la présidence de la prière, une dignité traditionnellement inaccessible aux femmes.  Reconnue par son maître Abou Hassan al-Chadhili comme « Pôle des pôles » (sommet des dignités dans la hiérarchie soufie), elle est nommée à la tête d'un ordre portant son nom ( la Chadhiliyya). Elle acquiert ainsi le droit non seulement d'enseigner aux hommes, mais de prier avec eux dans les mosquées. Et par souci de préserver cette liberté et ces privilèges inconciliables avec la vie d'épouse, elle refuse de se marier, va jusqu'à se révolter contre l'autorité de son père à ce sujet. Et refusant de se faire entretenir ou tirer le moindre profit pécuniaire de sa dignité religieuse, c'est en filant de la laine et la vendant qu'elle assure sa subsistance. A sa mort en 1257, toute la ville de Tunis suit son cortège funèbre. Le mausolée qui lui est dédié au cimetière El Gorjani est resté à ce jour un lieu de pèlerinage.


7- Aziza Othmana

Dans les exemples précédents, nous avons vu plus d'un cas de combat politique féminin nationaliste. Mais que ce soit dans le passé ou aujourd'hui, la Tunisienne ne se bat pas seulement contre le conquérant venu d'ailleurs, ni seulement contre la phallocratie pour faire valoir ses seuls droits de femme. Elle se bat aussi sur le front social, contre la pauvreté, l’exclusion, les traditions ségrégationnistes et racistes.  A cet égard, on ne peut pas exhumer ce passé féminin glorieux sans citer
l'illustre princesse Aziza Othmana (1606-1669).

Appartenant à la
Aziza Othmana
dynastie beylicale des Mouradites, cette femme est célèbre
surtout pour son dévouement au peuple et ses œuvres de bienfaisance. Sensible à la condition des humbles où qu'elle pût les voir, elle a  fait de nombreuses actions pour révolutionner les rapports avec ses serviteurs, ou du moins rendre ces rapports plus humains. Ainsi refusa-t-elle d'accomplir sans toutes ses servantes le pèlerinage à la Mecque. Et avant de mourir, elle a affranchi tous ses esclaves, puis  donné la totalité de ses propriétés terriennes, près de 100 000 hectares de vergers, à des œuvres caritatives. L'Etat et le pays lui doivent aussi l'hôpital qui porte son nom à Tunis: hôpital Aziza Othmana.



Nabiha Ben Abdallah
8- Nabiha Ben Abdallah

A ces icônes des luttes féminines appartenant au passé lointain de la Tunisie et toutes entrées dans la légende, il faut ajouter aussi celles qui, tout en étant contemporaines et dont certaines continuent de vivre encore et se battre à ce jour, sont moins connues, ou moins célèbres, que les "aïeules" précitées. Il faut dire que beaucoup de ces femmes, malgré leur mérite dans les mouvements national et féministe tunisiens, ont été gratifiées par l'oubli, voire le rejet ou l'oppression après l'indépendance. L'histoire officielle, celle qu'on enseigne dans l'école publique, celle que citent les médias, est frappée d'amnésie à l'encontre des femmes et des hommes qui contrarient le pouvoir.    
Nabiha Ben Abdallah(1919-2009) fait partie de ces noms qu'on a tenté de gommer de la mémoire collective tunisienne. Infirmière et assistante sociale, cette femme était à la fois une militante indépendantiste et une figure de proue du mouvement féministe tunisien. A dix-sept ans, elle adhère à la première association féminine du pays, l’Union Musulmane des Femmes de Tunisie (UMFT). A dix-neuf ans, elle a le privilège de soigner avec son mari, médecin et non moins militant qu'elle, les victimes des heurts sanglants  marquant la journée du 9 avril 1938.  Leur maison à Halfaouine étant proche du lieu de la fusillade, le couple a transformé pour la circonstance son patio en salle d'hôpital de guerre(4).Pendant la deuxième guerre mondiale, Nabiha Ben Abdallah a eu  l'honneur d'héberger durant deux ans Adrienne Montégudé, communiste française recherchée par la Gestapo. En 1944, une autre association féminine ayant vu le jour, l’Union des Femmes de Tunisie (UFT), cette association étant liée au Parti Communiste Tunisien (PCT), Nabiha Ben Abdallah y adhère, l'UMFT lui paraissant trop inféodée au Néo-Destour pour servir authentiquement la femme.
Elue Présidente de l'UFT en 1952,
Nabiha Ben Abdallah restera à la tête de cette association jusqu'à sa fusion, ou sa dissolution au profit de l’Union Nationale des Femmes de Tunisie (UNFT), en 1963. La jugeant officine du Destour et incapable de prendre ses distances par rapport au pouvoir, Nabiha Ben Abdallah  quitte peu de temps après l'UNFT. Mais sauf les dix dernières années de sa vie marquées par l'état maladif, elle n'a jamais quitté la scène politique.   


9- Tawhida Ben Cheikh

Dans la presque totalité des domaines professionnels conquis par la femme, la Tunisie fait figure de pionnière par rapport au monde arabe et au continent africain. Pilote d'avion, de bateau, de voiture de course. Chauffeur de bus, de taxi, de train ou de poids lourd. On ne compte plus ces places de pionnière arabe que la Tunisienne s'est adjugées dans les domaines professionnels. Pas plus qu'on ne peut compter un seul corps de métier qui soit resté du domaine masculin exclusif.

Parmi ces pionnières qui font la fierté nationale, Tawhida Ben Cheikh
(1909-2010),
première jeune fille bachelière en Tunisie (1928) et première femme du monde arabe à exercer la médecine (1936). Elle doit être aussi la première tunisienne musulmane à franchir la mer pour faire des études universitaires en France, habitant d'abord à la Cité internationale universitaire de Paris, puis hébergée pendant cinq ans par la famille Burnet dont le fils est médecin à l'Institut Pasteur de Tunis et sa femme camarade d'université de Tawhida.
Tawhida Ben Cheikh
Diplômée pédiatre puis gynécologue, à son retour à Tunis elle exerce
la médecine privée, les autorités françaises contrôlant les services hospitaliers publics ne lui ayant pas permis de travailler dans les hôpitaux. Ce n'est qu'à l'indépendance du pays en 56 que cette médecin a pu intégrer le service public, nommée directrice du centre de maternité à l'hôpital Charles-Nicolle, puis présidente d'un service du mê ordre à l'hôpital Aziza Othmana. Les Tunisiens lui doivent "la révolution du planning familial", initiée sous sa direction depuis le début des années 70. En tant que militante féministe, Tawhida Ben Cheikh a créé en 1936 et dirigé la revue féminine Leila.

10- Majida BoulilaSi les femmes du nord tunisien ont pu profiter de conditions plus propices pour s’offrir des places sous le soleil en tant que figures historiques du combat nationaliste ou féministe, il n'en reste pas moins que leurs sœurs au sud et dans le reste du pays ne se sont pas contentés de jouer le rôle de comparses ou figurantes dans les combats pour l'indépendance et ceux pour la dignité féminine. Des centaines et des milliers de femmes se battaient déjà incognito, au pied des djebels abritant leurs maris, frères ou pères fellagas. Nombreuses celles qui furent arrêtées, torturées, blessées, parce que conjointes ou proches de membres de la guérilla montagnarde, dont Taous, la première femme de Lazhar Chraïti.
Mais il y a aussi les militantes du Néo-Destour dont plus d'une a été martyre du combat politique pacifique. C'est notamment le cas de Majida Boulila
, née Majida Baklouti (1931-1952).
Figure du mouvement national et symbole de
Majida Boulila
l'émancipation féminine sfaxienne sous le régime du protectorat français,
Majida Boulila a été d'abord parmi les rares jeunes filles du sud tunisien à avoir pu faire des études secondaires dans une école française. Bien qu'aux années 50 le déplacement de Sfax à Tunis ne soit pas des plus aisé, en tant que militante féministe Majida Boulila a maintes fois fait le trajet pour assister à des meetings organisés à la capitale par l'UFMT (Union des Femmes Musulmanes Tunisiennes). A 19 ans, elle a fondé la cellule destourienne féminine Arrabdh dans le faubourg du même nom à Sfax. Puis le premier noyau régional de la Jeunesse Féminine Destourienne. Arrêtée  par les autorités coloniales françaises alors qu'elle est enceinte de sa deuxième fille, elle a été  placée en détention dans le camp pénitencier de Téboursouk. Le 4 septembre 1952, transférée à l'hôpital régional de Sfax pour l'accouchement, elle a succombé à une hémorragie du post-partum. 

11- Bchira Ben Mrad

On ne peut rendre hommage aux symboles du féminisme tunisien sans citer l'avant-gardiste du militantisme associatif féminin, la première dame à qui les Tunisiennes doivent un cadre de combat organisé.
Bchira Ben Mrad (1913-1993) est la
Béchira Ben Mrad
fondatrice de la première organisation féministe tunisienne, l'Union musulmane des femmes de Tunisie (UMFT), créée en 1936. Bien que non dotée de visa jusqu'en 1951 malgré toutes les démarches faites à cet effet, l'UMFT a largement contribué à la mobilisation des femmes autour des revendications qui sont les siennes, où la condition de la femme et celle de la Tunisie allaient de pair.
Comme tout combat pionnier au monde, il a fallu beaucoup de courage à cette femme pour se faire entendre: 15 femmes sur 1500 invitées répondaient à son premier appel pour une réunion préparant la création de l'association. Une semaine plus tard, c'étaient 50 femmes. Puis des centaines et des milliers.
Bchira Ben Mrad
était aussi l'une des premières plumes féminines du pays, et ses écrits dans de nombreux périodiques et journaux étaient essentiellement investis dans le combat féministe: droit de scolarisation pour les filles, droit de travail pour la femme, refus du partage des tâches qui assigne la femme aux fonctions domestiques, droit pour la femme de choisir son mari, etc. Cette militante était constamment harcelée par la gendarmerie française qui l'a arrêtée et détenue à plusieurs reprises.
Présidente de
l'UMFT jusqu'en 1956, date de sa dissolution, Bchira Ben Mrad a été, hélas, écartée de toute activité politique depuis l'indépendance, victime du totalitarisme bourguibien qui voulait faire de toute ONG une officine du Destour(6). 12- Asma Belkhoja

Une autre victime de ce même totalitarisme:
Asma Belkhoja (1930-2011). Cette
Asma Belkhoja
figure de combat féminin s'est engagée dans les luttes féministes alors qu'elle a juste 13 ans. Adhérant en 1943 à la première association féminine tunisienne (UMFT), elle s'est illustrée également par ses combats syndicaliste et nationaliste, qui  côtoyait incessamment le leader syndical Farhat Hachad. En 1952, elle est arrêtée avec de nombreux militants syndicaux et condamnée à 18 mois de prison. En 1958, elle participe à la fondation de l’UNFT (Union nationale des femmes tunisiennes) dont elle sera la première présidente. Suite à l'immixtion du Parti (Destour) dans les affaires de l'association et la nomination de Radhia Haddad à sa tête, en signe de protestation Asma Belkhoja se retire de l'UNEFT et de la vie publique.


13-  Radhia Haddad Radhia Haddad (1922-2003) militante féministe et présidente
Radhia Haddad
de l’Union nationale des femmes de Tunisie durant quinze ans est vraisemblablement la première militante anti-voile en Tunisie. En 1946, mariée et prenant part à une réunion politique organisée à la maison par son beau-père, elle décide de répudier le voile et crée et préside  l'organisation féminine Les Amies des Scouts. Première femme députée après l'indépendance de la Tunisie, elle est aussi la première à accéder à cette dignité en Afrique et dans le monde arabe.
Radhia Haddad est également de celles et ceux qui ont pâti de la dictature du Parti (Destour). Au lendemain du congrès de ce parti en 1971, en tant que dissidente du groupe Ahmed Mestiri elle a été écartée du Parti, destituée de sa fonction de députée et poursuivie pour dans une affaire de "détournement de fonds" montée de toute pièces pour sanctionner sa dissidence(7).


Gisèle Halimi
14- Gisèle Halimi

Qu'il soit féministe ou nationaliste, le combat des femmes tunisiennes n'a pas été du ressort exclusif des musulmanes. Pas plus que le combat masculin d'ailleurs, Georges Adda étant une figure significative à ce propos.
Ainsi peut-on citer aussi parmi les femmes juives la franco-tunisienne
Gisèle Halimi (1927). Avocate, militante féministe et politique, elle est la première avocate à entrer au barreau de Tunis en 1949. Elle a milité pour l'indépendance tunisienne, mais aussi algérienne, dénoncé les tortures commises par l'armée française et défendu devant la justice les militants du MNA (mouvement national algérien).
Alors même qu'elle a choisi de s'installer en France au lendemain de l'indépendance, l'attachement de cette femme à la Tunisie et au Maghreb reste indéfectible comme en témoignent ses écrits:
Djamila Boupach (1962), Le lait de l'oranger (1988) et la Kahina (2006).

15- Sophie Bessis

Une autre figure de ce même combat:
Sophie Bessis (1947). Historienne et journaliste franco-
Sophie Bessis
tunisienne, elle a été rédactrice en chef de l'hebdomadaire Jeune Afrique et du Courrier de l'Unesco pour une longue période. C'est en tant que plume de contre-pouvoir bourguibiste qu'elle a contribué à servir la Tunisie. Outre les nombreux articles consacrés à la Tunisie, elle est l'auteur d'une biographie d'Habib Bourguiba coécrite avec Souhayr Belhassen, parue en France en 1988 et demeurée censurée en Tunisie jusqu'en 1990.



Souhayr Belhassan
16- Souhayr Belhassen

Pour clore cette liste qui ne fait qu'aborder de façon sommaire le combat fémini tunisien, la liste étant inépuisable,
un hommage à Gabès à travers sa fille Souhayr Belhassen (1943).
Diplômée en droit de l'Université de Tunis puis de l'Institut d'études politiques de Paris, journaliste et défenseuse des droits de l'homme,
Souhayr Belhassen a été correspondante de Jeune Afrique et de l'agence de presse Reuters pendant une vingtaine d'années. Parallèlement, elle s'est  engagée dans le combat pour la défense des droits de l'homme au sein de la LTDH (Ligue tunisienne des droits de l'homme). Elle a participé à l'écriture de Habib Bourguiba, biographie en deux volumes (coécrite avec Sophie Bessis). En 2007, elle est élue à la tête de la Fédération internationale des droits de l'homme.

Conclusion


A l'heure où s'achève cet article, la femme tunisienne manifeste à Tunis et dans le reste du pays en vue de faire tomber un gouvernement réactionnaire et fasciste pour qui la "femme est un complément de l'homme", et non un être humain ni un citoyen à part entière. La femme qui se bat en Tunisie aujourd'hui, sous la bannière de la révolution, est de la même lignée qui a donné à ce pays Elyssa, la Kahéna, Aroua la Kairouannaise, Saida Mannoubia et toutes les icônes des luttes féminines, citées ou restées incognito dans le cadre restreint de cet article, et immortalisées au fil des générations dans le panthéon  de la mémoire nationale.
Gageons qu'un pays comme le nôtre avec des traditions de résistance citoyenne millénaire sortira encore victorieux  du combat qui l'oppose aux ennemis du progrès et de la démocratie!

A. Amri
11 août 2013


Notes:

1- Débarquée sur les côtes de l'actuelle Tunisie, Elyssa a négocié avec un seigneur local l'achat d'un terrain en vue d'y construire Carthage. « Tu auras autant qu'il en pourrait tenir dans la peau d'un bœuf, et pas un empan de plus», lui répondit le seigneur. Et à la stupéfaction de ses compagnons, Elyssa accepte. Ayant délimité le terrain nécessaire à son projet, la "mineure d'esprit et de foi" a ordonné à ses hommes de découper en fines lanières la peau du bœuf, de sorte que ces lanières jointes couvrent l'étendue du terrain sans dépasser toutefois celle de la peau fixée par le vendeur.

2- in الحقيقة التاريخية للتصوف  La Vérité historique du soufisme.
3-Envoûtement, séduction et les errements qui en résultent.
4- Elle fut surtout disciple de Sidi Bou Saïd et Abou Hassan al-Chadhili.
5- Nabiha Ben Abdallah a eu aussi l'honneur de travailler avec Frantz Fanon pendant son séjour  à Tunis (1957-1961).
6- Il semble que derrière l'écartement de
Bchira Ben Mrad il y aurait des désaccords entre celle-ci et Radhia Haddad, une autre figure du militantisme féministe qui connaitra une ascension après l'indépendance, avant d'être disgraciée à son tour 20 ans plus tard.
7- En vérité, se trouvant en court d'argent pour régler un achat, Radhia Haddad a emprunté 118 dinars à la trésorerie de l'UNFT dont elle est présidente. Cet emprunt n'ayant pas été consigné dans la main courante de l'association, la mafia politique de Mohamed Sayah en a profité pour en faire une affaire de détournement de deniers publics.

Quand les médias crachent sur Aaron Bushnell (Par Olivier Mukuna)

Visant à médiatiser son refus d'être « complice d'un génocide » et son soutien à une « Palestine libre », l'immolation d'Aar...