lundi 22 février 2016

Mohamed Al-Siqilli, pionnier tunisien de la médecine médiévale


Al-Siqilli que l'on traduit par le Sicilien est un surnom commun à de nombreux personnages historiques, tous associés à la période médiévale et ayant chacun plus ou moins contribué à l'âge d'or de la civilisation arabe. Jawhar al-Siqilli, le général fatimide fondateur du Caire, est assurément assez célèbre et se passe bien de présentation. Ibn Hamdis (1056-1133), le poète marqué par la plaie de la Sicile perdue, n'a pas la même notoriété mais il est bien plus vivant dans la mémoire culturelle. D'autres sont très peu connus, tant les références à leur sujet sont rares ou, quand elles existent, avares d'informations. C'est le cas pour Ibn Zafar al-Siqilli (1104 – 1170 ), philosophe et politologue de l'époque normande, Ibn al-Qattaâ al-Siqilli (1041-1121), littérateur et linguiste de la famille des Aghlabides, Ibn al-Birr al-Siqilli (11e), lexicographe et philosophe de la période kalbite, entre autres Siciliens arabes cités dans quelques ouvrages mais très peu documentés sur le web.

Parmi ces oubliés des éditions nationales ou arabes De viris illustribus (hommes célèbres), figure un médecin tunisien du XVe siècle qui mérite une réparation, à notre sens, non seulement pour l'injuste méconnaissance de l'histoire à son égard, mais aussi et surtout pour un outil de diagnostic et une thérapie relevant de son génie médical de pionnier. Et indument attribués à d'autres médecins. Il s'agit de Mohamed al-Siqilli.
On sait très peu de choses sur la vie de l'homme, en raison, notamment, de l'incendie qui a détruit la bibliothèque de la Zitouna en 1535. Toutefois, comme l'indique son patronyme, al-Siqilli descend d'une famille de souche sicilienne. C'est un fait notoire qu'à la fin de l'émirat de Sicile, des milliers de musulmans ont été contraints d'émigrer, les uns à l'intérieur de la Sicile, les autres, beaucoup plus nombreux, vers des pays arabes. Et c'est probablement dans l'une des vagues successives d'exil marquant cette période, peut-être bien au début des années 11601, que s'insère l'implantation en Tunisie des al-Siqilli.

Mohamed al-Siqilli est né à Tunis à la fin du XIVe siècle. D'après Ahmed Ben Miled, auteur de trois livres sur la médecine tunisienne de la période médiévale2, la médecine était une tradition dans la famille des al-Siqilli. Mohamed et son frère Brahim appartenaient à une illustre lignée de médecins dite dynastie des Esseqilly3 . C'est d'ailleurs à cette dynastie que l'école de médecine de Tunis est redevable de l'apport qui lui a permis  d'assurer la relève, quand, à la fin du XIIIe siècle, l'école de médecine kairouanaise a consommé son déclin. Rappelons que la Tunisie, jadis entrée dans l'histoire par la grande porte, est pionnière dans l'enseignement universitaire. Augustin, Apulée, Tertullien, pour ne citer que ces trois noms,  sont sortis de la vieille université de Carthage. De même que plusieurs médecins illustres et auteurs de traités  comme Théodore Priscien, Cassius Felix, Caelius Aurelianus, Vindicianus Afer, Muscio. En 670, alors que la conquête arabe de la Tunisie n'est pas encore terminée, le premier édifice construit à Kairouan, la Grande Mosquée, était à la fois un lieu de culte et une médersa (collège), laquelle deviendra -un siècle plus tard- la deuxième université tunisienne,  après la Zitouna -la plus vieille au monde. Avec Bayt al-Hikma (la Maison de Sagesse) qui forme dès 772 les futurs médecins, astronomes, mathématiciens, pharmaciens, botanistes, l'université de Kairouan acquiert aussi le statut de première université laïque du pays et du monde, bien longtemps avant la Bayt al-Hikma égyptienne. Rappelons enfin que si la Schola Medica Salernitana a acquis, entre le IXe siècle et le XIVe siècle, la notoriété qui valut à Salerne le titre Hippocratica Urbs (Ville d'Hippocrate), c'est avant tout grâce aux sommités médicales de l'école kairouanaise, dont Constantin l'Africain a traduit les traités entre 1070 et 1078. Ce même Constantin que les sources latines des XIe et XIIe ( Léo d'Ostie et Pierre Diacre) présentent comme redevable de son savoir uniquement à l'Orient, en médecine comme dans le reste des sciences qui lui sont attribuées, ne serait que le produit exclusif de l'école ifriqienne.

C'est à la Zitouna, fondée à Tunis en 737, que Mohamed al-Siqilli a fait ses études. Devenu médecin, il a travaillé à l'hôpital hafside Al-Muristan, premier hôpital tunisien fondé dans la capitale, sous le règne du sultan Abû Fâris `Abd al-`Azîz al-Mutawakkil (1393-1434).

En tant qu'auteur, Mohamed al-Siqilli aurait écrit plusieurs traités, dont Prévention des épidémies ( الوقاية من الأوبئة) et Manuel Persique (المختصر الفارسي). Ben Miled cite un troisième traité, à l'état manuscrit, dont le titre translittéré est Mokhtar el Ferissi. S'il ressort de ces traités que la tuberculose et la conjonctivite constituaient le centre d'intérêt de l'auteur, les connaissances et la pratique du médecin, quant à elles, s'étendaient à d'autres pathologies comme les maladies des nerfs et de la tête, l'insomnie et la paralysie hystérique.

En octobre 2010, le médecin tunisien Ridha Limam, qui partcipait au 22e congrès de la Société Internationale d'Histoire de la Médecine (SIHM) tenu au Caire,  a surpris les participants, et ce en soutenant que l'invention du stéthoscope que l'on attribue au médecin français René Laennec ne serait que l’œuvre de Mohamed Al-Siqilli.4
En vérité, dans les cercles universitaires et médicaux tunisiens, cette thèse est connue depuis près de 50 ans, si ce n'est plus. En 1980, Ahmed Ben Miled soulignait qu'« en lisant attentivement le manuscrit d'El Mokhtar el Ferissi de Mohamed Es-Siqilli, on constate que ce médecin diagnostiquait les lésions tuberculeuses par l'auscultation et classait les symptômes du trachome en quatre stades... »5. Mais comment se fait-il que cette présumée connaissance de diagnostic par consultation (c'est-à-dire par ce que nous appelons aujourd'hui stéthoscope) ait pu rester inconnue durant près de 7 siècles ? Ridha Limam impute cette méconnaissance aux destructions subies par les archives tunisiennes et la bibliothèque universitaire de la Zitouna, lors des saccages perpétrés à Tunis par l'armée de Charles Quint en 1535. L'incendie perpétré par les Espagnols est un épisode tristement connu, de même que ses implications scientifiques et culturelles. On ne saurait évaluer au juste ce que la science et le savoir en général ont perdu dans cet acte de vandalisme qui ne s'oublie pas, néanmoins il est certain que les manuscrits irrémédiablement perdus sont nombreux. Les ravages ayant affecté la bibliothèque de la Zitouna furent tels que ce centre culturel, aujourd'hui devenue Bibliothèque Nationale, n'a pu être restauré que trois siècles plus tard. Par ailleurs, d'autres bibliothèques ont été saccagées à Tunis, et divers monuments à Bab El Bhar et Bab Bnet furent également endommagés par cette même armée de Charles Quint. 

Mais malgré les pertes occasionnées par cet incendie, ce sur quoi on peut  s’appuyer pour étayer l'attribution du stéthoscope à Mohamed al-Siqilli ce sont les traités conservés de ce médecin. En particulier le Mokhtar el Ferissi, mais aussi les indices qu'une bonne relecture dynamique de Prévention des épidémies ( الوقاية من الأوبئة) est susceptible de mettre en relief.


Stéthoscope du 19e
Al-Siqilli fut le premier à s'être aperçu que le bacille de la tuberculose peut produire des "grottes" (blessures) aux poumons. Or pour que le diagnostic permette de constater de telles blessures, de l'avis des spécialistes il faut que le médecin dispose soit d'une radiologie (ce qui est impensable ici) soit d'un instrument d'auscultation médiate, c'est-à-dire un stéthoscope. Un archétype médiéval conçu par Al-Siqilli parait assez vraisemblable, l'instrument le plus moderne n'étant somme toute pas assez sophistiqué pour rendre plausible cette thèse. Il n'est que de voir en quoi consiste au juste le premier modèle attribué à René Laennec.



Torpédo
Mohamed Al-Siqilli serait également pionnier dans le traitement par sismothérapie de certaines affectations neurologiques. Cela peut nous surprendre si nous associons ce mot à un appareillage électrique auquel le contexte historique précis de ce médecin ne se prête pas. Al-Siqilli vivait, certes, à une époque où l'électricité n'était pas encore née, mais non sans ignorer pour autant que l'énergie électrique existe, en l'occurrence dans le corps d'un poisson: la torpille. Selon Ahmed Ben Miled, Essikilli traitait " les paralysies hystériques par le torpillage électrique, c'est-à-dire par le poisson torpille bien connu sur les côtes tunisiennes."6 Les mosaïques du musée du Bardo attestent même d'une connaissance qui remonte à l'Ifriqia romaine. Par conséquent, ce que le jargon médical moderne appelle électroconvulsivothérapie, neurosciences, sismothérapie, ne serait pas l'exclusive invention des temps modernes.

Praticien et auteur, Mohamed Al-Siqilli était aussi enseignant. Et en tant que tel, quand il s'adressait à l'apprenant il n'oubliait pas de rappeler au futur jeune médecin les principes déontologiques de base à observer.

« Sache, O mon enfant, écrit-il, qu’il n’y a pas de crime plus abominable que d’abuser des gens, de prendre frauduleusement leurs biens, surtout les malheureux qui souffrent et qui sont sans esprit et sans force. Un pauvre être se sent perdu, il fait appel à ta science pour soulager ses maux, tu l’examines et lui rédiges une ordonnance, des lors il met tout son espoir dans ce morceau de papier et croit que son contenu avec l’aide divine va le guérir ; le pharmacien s’en rapporte aussi à toi et à Dieu et délivre les remèdes. Or, combien ton acte serait criminel si tu agissais à la légère et combien ta responsabilité serait grande !
« A la place du malade, vaudrais-tu qu’on agisse ainsi envers toi, qu’on se joue de ta santé et qu’on escroque ton argent ? Mon enfant, sois scrupuleux et avisé car tes fautes sont les plus graves devant Dieu. Ces paroles sont suffisantes à l’homme de cœur et je n’en dirai pas plus. Qu’elles soient présentes dans ton esprit chaque jour, matin comme soir ne les oublie jamais.»7


A. Amri
22.02.2016


==== Notes  ====
  1. Cette date qui correspond au milieu du règne de Guillaume le Mauvais a été marquée par le début d'un pogrom anti-musulman.
  2. L'école médicale de Kairouan aux Xe et XIe siècles, éd. Jouve et Cie, Paris, 1933
    Ibn Al Jazzar. Médecin à Kairouan, éd. Al Maktaba Al Tounisia, Tunis, 1936
    Histoire de la médecine arabe en Tunisie, éd. Déméter, Tunis, 1980
  3.  « John Libbey Eurotext - L'Information Psychiatrique - La psychiatrie en Tunisie : une discipline en devenir »
  4.  باحث تونسي يؤكد: المكتشف الحقيقي للسماعة الطبية هو الطبيب التونسي محمد الصقلي  Sur Turess
  5. Histoire de la médecine arabe en Tunisie, éd. Déméter, Tunis, 1980; p.17
  6. La psychiatrie en Tunisie : une discipline en devenir
      7. Jean Fontaine, Histoire de la littérature tunisienne par les textes, Volume 2, Tunis, Sahar,‎

samedi 20 février 2016

Des souvenirs avec la mer, je n'en ai pas - Poésie de Mouna Rezgui



à celui qui m'a dit:
je me fais des illusions peut-être
mais c'est ainsi
j'ai mal de toi et je t'aime
il me peine de ne pas avoir
des souvenirs avec la mer
de bon matin il a pris les mouettes
je n'ai pas baptisé ma langue
au sel de son front
je n'ai pas immergé ma main
dans ses fonts baptismaux
je n'ai pas retiré de son vent
un fétu de souffle
je ne l'ai pas accompagné à un zoo
pour voir quelque oiseau encagé
ou,  soupirant, un singe
je suis rentrée de l'amour
tel un rescapé de Tazmamart
distraite et incapable
de traduire par des équations logiques
le génie de mon cœur


Photo Mouna Rezgui

il se retire toujours
comme de son sanglant combat le cerf mâle
décochant vers le troupeau un regard
qui émousse la brutalité de la savane
je ne cesse de me dire
quel feu m'envahira
quand l'herbage de l'oubli
aura conquis les sables de mon nom
dans les villages de tes yeux
alors que ton absence se pavane
pareille à un trait de lumière irisée
à la jonction précise de la mer avec la dure
je me dis par moments que je ne guérirai jamais
ce peut-être ma mauvaise volonté
souvent j'ai l'illusion
de ta voix rauque en éruption
qui détone dedans les murs de mon cœur
puis l'écho limpide qui couvre les arbrisseaux du patio
me voici devant toi impuissante et aphone
fane qui tombe de l'irréductible arbre de ton absence
pourquoi, la mer, as-tu changé de parfum ?
j'aimais à te humer et je ne sais
si je dois feuilleter un livre
ou embrasser un poète ?


Mouna Rezgui
Traduction A.Amri 
20.02.2016 


Quand les médias crachent sur Aaron Bushnell (Par Olivier Mukuna)

Visant à médiatiser son refus d'être « complice d'un génocide » et son soutien à une « Palestine libre », l'immolation d'Aar...