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mercredi 28 février 2024

Repose en paix, Aaron Bushnell ! (Belén Fernández)

 

L’acte ultime de protestation de Aaron Bushnell doit faire honte aux médias occidentaux.

Le dimanche 25 février, Aaron Bushnell, âgé de 25 ans, membre actif de l’armée de l’air américaine, s’est immolé par le feu devant l’ambassade d’Israël à Washington, capitale des États-Unis, dans le cadre d’une révolte aérienne contre le massacre actuellement perpétré par l’armée israélienne dans la bande de Gaza, avec le soutien des États-Unis.


 

Au cours des 143 derniers jours, Israël a tué près de 30 000 Palestiniens dans l’enclave côtière assiégée.

Dans la vidéo enregistrée avant et pendant son auto-immolation, Bushnell déclare qu’il ne sera « plus complice d’un génocide » et qu’il est « sur le point de s’engager dans un acte de protestation extrême – mais comparé à ce que les gens ont vécu en Palestine aux mains de leurs colonisateurs, ce n’est pas du tout extrême ».

Certes, les Palestiniens sont depuis longtemps habitués à mourir brûlés par les armes israéliennes, depuis que l’État d’Israël a entrepris de s’implanter de manière létale sur les terres palestiniennes en 1948.

L’utilisation par l’armée israélienne de munitions au phosphore blanc, qui incinèrent la peau, au cours des dernières années, a sans aucun doute contribué à l’ensemble de l’ « expérience » palestinienne.

Après avoir observé avec pertinence que la complicité des États-Unis dans le génocide des Palestiniens est « ce que notre classe dirigeante a décidé comme étant normal », Bushnell se place directement devant la porte de l’ambassade israélienne – en tenue militaire américaine – et s’asperge d’un liquide inflammable.

Alors qu’il se consume rapidement, il crie à plusieurs reprises : « Libérez la Palestine » [Free Palestine], tandis que le personnel de sécurité lui ordonne de se mettre « à terre ». Un individu particulièrement serviable pointe son arme sur le brasier…

À la suite de l’auto-immolation de Bushnell, le New York Times a annoncé : « Un homme meurt après s’être immolé devant l’ambassade d’Israël à Washington, selon la police » – un candidat sérieux, peut-être, au titre le plus dilué et le plus décontextualisé de tous les temps.

On peut se demander ce que les gens auraient dit en 1965 si le journal américain de référence avait publié des titres tels que : « Une octogénaire de Détroit meurt après s’être immolée par le feu, selon la police – un événement qui n’a rien à voir avec l’opposition de cette femme à la guerre du Viêt Nam ou quoi que ce soit d’autre ».

En ce qui concerne les auto-immolations liées à la guerre du Viêt Nam, rappelons le récit du célèbre historien et journaliste américain David Halberstam sur la mort du moine vietnamien Thich Quang Duc en 1963 à Saigon, dans le sud du Viêt Nam : « Des flammes sortaient d’un être humain ; son corps se flétrissait et se ratatinait lentement, sa tête noircissait et se carbonisait. Il y avait dans l’air une odeur de chair brûlée ; les êtres humains brûlent étonnamment vite… J’étais trop choqué pour pleurer, trop confus pour prendre des notes ou poser des questions, trop déconcerté même pour penser ».

Et si une forme de suicide aussi intense et passionnelle est sans doute déconcertante pour beaucoup, le génocide devrait être d’autant plus effroyable ; comme Bushnell l’a dit lui-même, l’auto-immolation n’est rien « par rapport à ce que les gens ont vécu en Palestine », où les gens savent trop bien à quelle vitesse les êtres humains brûlent.

Dans le cas de Bushnell, l’establishment politico-médiatique américain semble faire de son mieux non seulement pour le décontextualiser, mais aussi pour le discréditer à titre posthume.

Le Time Magazine, par exemple, rappelle que « la politique du ministère de la défense des États-Unis stipule que les militaires en service actif ne doivent pas s’engager dans des activités politiques partisanes » – comme si le fait de contribuer activement à un génocide n’était pas politiquement « partisan ».

En outre, précise le magazine, les règlements militaires américains « interdisent le port de l’uniforme lors de ‘discours publics non officiels, d’interviews’ » et d’autres activités.

Les cendres de Bushnell pourront peut-être être jugées par un tribunal militaire…

Au bas de l’article du Time, les lecteurs reçoivent charitablement les instructions suivantes : « Si vous ou quelqu’un que vous connaissez traversez une crise de santé mentale ou envisagez de vous suicider, appelez ou envoyez un SMS au 988 » – ce qui implique naturellement que Bushnell était simplement la victime d’une « crise de santé mentale » plutôt que quelqu’un qui faisait un action politique très convaincante et provocante en réponse à une réalité politique extrêmement dérangeante sur le plan mental.

En fin de compte, quiconque ne traverse pas une grave « crise de santé mentale » face au génocide qui se déroule à Gaza avec le soutien total des États-Unis peut être classé sans risque dans la catégorie des personnes psychologiquement perturbées.

Bien entendu, les États-Unis ont également perpétré leur propre génocide contre les Amérindiens – un autre phénomène sanglant qui n’a pas été jugé digne d’être diagnostiqué comme une grave perturbation mentale collective ou quoi que ce soit de ce genre.

Selon le récit officiel, si vous pensez qu’il est fou que les États-Unis ou leur partenaire israélien dans le crime commettent un génocide, c’est vous qui êtes fou.

Issu d’une famille d’anciens combattants de l’US Air Force – mes deux grands-pères ont participé au carnage du Viêt Nam – j’ai personnellement été témoin des conséquences psychologiques qui peuvent découler d’un service en tant que bourreau de l’empire.

Aaron Bushnell était destiné à être un rouage de la machine à tuer, mais ses principes lui ont coûté la vie.

En effet, selon un ancien collègue de Bushnell qui a travaillé avec lui pour soutenir la communauté des sans-abri à San Antonio, au Texas, il était « l’un des camarades les plus attachés aux principes que j’aie jamais connus ».

Alors que nous, journalistes, sommes censés être ceux qui disent la vérité au pouvoir, il suffit de dire que M. Bushnell a fait honte aux médias occidentaux.

Repose en paix, Aaron Bushnell.

Belén Fernández 

samedi 9 juillet 2016

L'insatiable feu tunisien

Au pays du jasmin, les suicides se suivent et se ressemblent au quotidien. Et à l'exception des échotiers qui les honorent ici ou là de quelques lignes, ces corbans humains dédiés au feu ou à la corde touchent de moins en moins le citoyen. De plus en plus, la tendance est à laisser mourir qui veut et peut dans l'indifférence quasi totale. Il est à craindre qu'en raison de son étendue, le suicide soit devenu pour les Tunisiens une banalité, un pain quotidien qui n'a d'impact que sur les familles directement concernés par ce malheur.

Le 5 juillet, un homme de 43 ans a été admis en soins intensifs à l'hôpital de Sfax après s'être mis le feu au corps aspergé d'essence, au poste de la Garde nationale d'El Hencha. Le 6 juillet, une jeune fille a tenté de s'immoler elle aussi par le feu à Menzel Tmim. Deux ou trois membres de sa famille qui ont essayé de la secourir se sont fait brûler à leur tour. Le 8 juillet, une jeune fille de 30 ans s'est pendue à Mahdia. Et le même jour, on apprend que le «Bouazizi» d'El Hencha a succombé à ses brûlures.

Depuis Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid -il y a de cela 6 ans, il ne se passe presque plus un jour sans que les médias nous rapportent la triste information d'un suicide au moins ou d'une tentative de suicide dans notre pays. Rien que pour l'année 2015, la moyenne mensuelle de ces tragédies est de 45 cas. Et la tranche d'âge la plus touchée par cet acte de désespoir suprême se situe entre 25 et 35 ans.*

Même si toutes les tragédies se valent dans ce contexte précis, celle de Imed Ghanmi, en tout rappelant le martyre de Bouazizi, mérite un intérêt particulier ici.

Ce 5 juillet, dernier jour de ramadan, les Tunisiens étaient à la veille de l'aïd. Comment, à tel jour surtout, Imed Ghanmi, pourtant âgé de 43 ans, pourtant marié et père de 3 enfants, ait-il pu céder au désespoir et se donner la mort d'une manière aussi spectaculaire ?

Imed Ghanmi
Contractuel dans l'enseignement supérieur et finissant une thèse de doctorat en mathématiques, Imed a perdu tout récemment son emploi à l'université, son contrat et celui de quelque 2600 enseignants dans le même cas ayant expiré avec la fin de l'année universitaire 2015/2016. Après 7 ans d'enseignement à l'INSAT, dont 4 à Mahdia et 3 à  Tunis, cet homme est contraint de travailler comme simple serveur de narguilés dans un café. 
C'est triste mais c'est la condition commune d'un nombre indéterminé de diplômés tunisiens. Que faire d'autre pour assurer le pain et un semblant de décence à sa famille dans ce pays allant de pis en pire,  qui ne fait que régresser, économiquement et socialement parlant, depuis la révolution de 2010/2011 ? 
Imed Ghanmi a une moto et il a dû négocier avec son patron le privilège de devenir son fournisseur exclusif de tabac à chicha («maâssel»). Une fois l'accord conclu, le serveur de narguilés a traversé le pays à moto, se rendant de Bizerte (à l'extrême nord du pays) à Sfax au sud, afin de se procurer au meilleur prix la marchandise. Et il semble qu'il a emprunté à son patron ou à quelque ami l'argent nécessaire pour faire cet achat.

Un professeur d'université déchu, un mathématicien doctorant, l'un de ceux que nous appelons notre élite scientifique, est sommé par le besoin de vivoter d'expédients. Expédients même si le commerce s'effectue dans la transparence et n'a rien de malhonnête. Pendant que des non diplômés, des non instruits, des mafieux, des parasites sociaux de tout bord, parce que pistonnés et jouissant de l'appui de gens corrompus, trouvent le moyen d'accéder à des postes élevés, de toucher des salaires quelquefois inimaginables, faramineux, de réussir et parvenir.

Ce 5 juillet, à 5 heures du matin, alors qu'il rentrait à Bizerte, Imed Ghanmi est arrêté à El Hencha par deux agents de la Garde nationale. Sans le moindre égard pour sa condition sociale ni pour la circonstance de fête, les agents ont d'abord confisqué sa marchandise, abusivement jugée «contrebande». Quand il a contesté un tel abus, on l'a tabassé et sa moto elle-même a reçu sa part de « raclée »  avant d'être confisquée.

Imed a téléphoné alors à l'un de ses amis motorisés vivant à Boumerdès. Et cet ami qui devait initialement le prendre et le déposer à la plus proche gare l'a incité à rester au poste de la Garde nationale. Pour y attendre l'officier chef de poste et tenter de récupérer sa marchandise et sa moto.

Vers 9 heures moins le quart du matin, Imed téléphone à sa femme. Puis il éteint son appareil. Une heure plus tard, sa femme apprend qu'il a été admis
en soins intensifs à l'hôpital de Sfax, après s'être aspergé d'essence et mis le feu à son corps. Ayant subi des brûlures de troisième degré, Imed Ghanmi est mort ce vendredi 8 juillet.

Imed Ghanmi au sit-in des enseignants et assistants contractuels de l'enseignement supérieur
 (janvier 2016 à Tunis)




A. Amri
09.07.2016



* Chiffres établis par l'Observatoire social tunisien (Forum tunisien des droits économiques et sociaux)

Quand les médias crachent sur Aaron Bushnell (Par Olivier Mukuna)

Visant à médiatiser son refus d'être « complice d'un génocide » et son soutien à une « Palestine libre », l'immolation d'Aar...