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dimanche 6 mars 2022

Supposez qu'un jour de ramadan, quelque ami de coeur vienne vous proposer à midi des gâteries

 

Une vieille légende de la Tunisie beylicale raconte qu'un étudiant de la Zitouna, tourmenté par un cas de conscience qu'il ne put résoudre, décida un jour de consulter le plus docte de ses cheikhs pour lui demander conseil.

"Vénérable cheikh, dit-il, supposez qu'un ami de cœur vienne un jour de ramadan vous proposer des gâteries: serait-il haram d'y croquer à belles dents, et halal de bouder contre son ventre?" Et le cheikh, très versé dans la casuistique, lui répondit: "Quoique ce soit haram de rompre le jeûne avant le coucher, si l'ami de cœur vient de lui-même vous proposer à midi des gâteries, sans peur hâtez-vous d'en jouir! Et dites-vous que pour avoir réjoui l'ami et le cœur au modeste prix d'une petite entorse à la vertu, Dieu ne vous en voudra pas demain d'avoir "troué" ramadan."
 
Une autre vieille légende littéraire, persane cette fois, raconte qu'à l'âge de 60 ans, le poète, philosophe et mystique Hafez (1325-1390) s'est enfermé dans un cercle qu'il a tracé pour s'y tenir éveillé pendant 40 jours. Ayant réussi à ne pas fermer l’œil tout au long de cette période, il serait parvenu à franchir la "quatrième dimension", voyageant dans le temps pour rencontrer Farid Attar, un autre poète mystique persan mort près de 180 ans plus tôt, qui fut, au sens mystique, l'un des amis de cœur de Hafez. Au cours de cette rencontre surnaturelle, Attar aurait offert à Hafez une coupe de vin spirituelle qui lui a permis d'atteindre la Conscience cosmique.

Cette "coupe spirituelle", quoique je n'aie pas atteint la Conscience cosmique pour la mériter moi-même, je crois en trouver la substance, la saveur, l'essence de bouquet, dans "Rupture de jeûne", un poème de ghazal où le mystique Hafez semble avoir appuyé avant la lettre la casuistique de notre cheikh zitounien.

Mais avant de vous laisser vous imprégner de ces arômes exquis, permettez-moi de revenir au cas de conscience précédemment évoqué, pour le remettre dans son juste contexte.

Le cheikh zitounien n'aurait probablement pas été consulté sur ledit cas s'il n'avait pas fait auparavant de l'étudiant en question, intelligent, vertueux mais beau comme un diable, son enfant de course. C'est ainsi que les maîtres du bon vieux temps récompensaient leurs bons étudiants. Et cet enfant de course ne se contentait pas d'aller au souk pour faire les emplettes demandées, mais devait aussi livrer le couffin chargé à Madame la femme du cheikh. Il faut dire que de tels services, rendus sans la moindre rémunération par de fervents disciples à leurs sidis, étaient considérés comme de grands actes de piété.
 
Au début, le jeune étudiant a dû s'acquitter honorablement de sa tache, sans problèmes. D'autant que la première fois qu'il frappa à la porte du domicile de son maître, cette porte fut à peine entrebâillée. Une main gantée de noir s'était tendue. Le couffin en fut vite happé. Et la porte se referma aussitôt. La deuxième fois, cependant, l'étudiant put voir, à travers une porte ostensiblement moins discrète, moins jalouse, la femme en robe de chambre, mais pas son visage, si ce n'étaient deux superbes yeux fardés de khol, parce que la femme était niqabée. Et il put entendre sa douce voix qui se confondait en remerciements et priait Allah d'ouvrir devant l'aimable taleb les portes de la béatitude. La troisième fois, comme si Allah avait entendu un peu ces prières, la porte s'ouvrit à deux battants. Et quelle ne fut la surprise du jeune homme de voir que la maîtresse de céans, sans doute parce que la journée était caniculaire, était déniqabée et portait un cafetan d'intérieur des plus coquet. Et comme la femme, affable, souriante, le priait d'introduire le couffin dans la cuisine, prétextant d'un vilain mal de reins qui l'empêchait de porter des choses lourdes, le serviable étudiant ne put que s'exécuter, non sans être imprégné, sitôt le seuil franchi, de senteurs suaves, le parfum le plus exquis répandu par la chevelure dénouée de la femme, allié aux nuages d'encens qui montaient d'une cassolette. Inutile de dire que le pauvre étudiant, intelligent et ayant lu Ibn Kathir et Cheikh Nefzaoui, se remémora aussitôt l'inénarrable épisode qui raconte par quel subterfuge l'imposteur Moussaïlima a conquis la non moins imposteuse Sajah!
 
Bref, quand les intentions séductrices de la femme n'étaient plus cachées, se trouvant dans une situation pour le moins embarrassante et qui méritait d'être soumise à l'examen de son maître, le jeune étudiant consulta celui-ci et obtint la réponse évoquée ci-haut. Ne me demandez pas quel parti prit le taleb à l'issue de cette consultation. Il y a ellipse à ce propos dans l'histoire -faisant partie du patrimoine oral tunisien- qui s'arrête juste ici.

Voici, à présent, "Rupture de jeûne" de Hafez:      

"Quand la rose, le vin et l’ami sont à toi,
le roi du monde est ton esclave, ce jour-là.

N’éclairez pas notre assemblée à la chandelle
la face de l’ami, pleine lune, se passe d’elle !

Le vin est incontestablement halal selon notre loi
toutefois il devient haram si tu n'es pas là !
 
Quand la rose, le vin et l’ami sont à toi, le
roi du monde est ton esclave, ce jour-là.

J’écoute la voix du roseau, celle du luth, 
et je cherche des yeux le rubis de tes lèvres 
et la coupe de vin qui circule entre nous.

Pourquoi répandre du parfum ici, chez nous,
quand nous embaume l’odeur de ta chevelure ?

Ne parle pas du goût du candi, ni du sucre, 
car ma bouche est sucrée au goût de tes lèvres !

Tant que gît, dans mon cœur en ruine, mon chagrin, 
je prends toujours ma place au coin du temple ancien.

Que parles-tu de ma réputation infâme, 
car c’est cette infamie-là qui fait mon renom ?

Et que demandes-tu, à propos de mon nom,
puisque j’ai honte d’avoir un renom infâme ?

Nous sommes vagabonds, ivrognes, libertins et voyeurs
mais qui ne l’est pas, dans cette ville ?

Hâfez, ne sois jamais sans amour et sans vin :
voici la rose, voici le jasmin: le jeûne va finir."
 
 


"Rupture de jeûne" (extrait) de Hafez, chanté par la vocaliste et maître de la musique iranienne Shakila
 
 
 
 
 
Ahmed Amri
06. 03. 2022  
 
 
 
 
 
 
 

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