mercredi 3 août 2016

Les Chevaliers de la Morale et de la Vertu et notre vie privée

« Suivant le récit d'Abou Daoud, fondé sur l'autorité d'Amasch, qui le tenait de Zaid, on vint trouver Abdallah ibn Masoud et on lui dit: «Voici un homme dont la barbe dégoutte de vin »; sur quoi il répondit : «Il nous a été défendu d'espionner; mais si quelque chose de contraire à l'ordre s'offre à nos yeux, nous devons punir. » Talibi rapporte la même chose d'une manière un peu différente, sur l'autorité de Zaid ibn Wahab, suivant lequel on dit à Abdallahibn Masoud: « As-tu quelque chose à ordonner par rapport à Walid ben Akaba, dont la barbe dégoutte de vin,» et il répondit : «Il nous a été défendu d'espionner; mais si quelque chose de. contraire à Tordre s'offre à nos yeux, nous punissons. » (Walter Behrnauer, Mémoire sur les institutions de police chez les Arabes, les Persans et les Turcs, Impr. impériale (Paris), 1861, p. 6)


Alors qu'il était calife de 634 à 644, Omar ibn al-Khattâb sortait souvent la nuit pour faire un tour d'inspection à Médine, capitale du jeune Empire musulman. Un soir qu'il effectuait cette randonnée de routine, il entendit s'élever d'une maison une chanson gaillarde. Quand il put localiser la source de la voix et s'en approcher de plus près, il a acquis la certitude que celui qui chantait à l'intérieur de sa demeure était ivre. Il décida de s'introduire immédiatement dans la maison pour arrêter et punir le sacrilège, persuadé que le calife qu'il était usait ainsi d'un droit irréprochable et en tout conforme à la charia. Ayant escaladé le mur et poussé une porte, le calife a découvert alors que non seulement le maître de céans était en train de boire, mais il était en plus en galante compagnie. Ivresse et adultère: deux délits cumulés passibles, le premier de quatre-vingts coups de fouet, le second de lapidation jusqu'à ce que mort s'ensuive.

"Ennemi d'Allah! cria le calife. Crois-tu que Dieu puisse te couvrir alors que tu es en train de transgresser Ses lois ?" Ce à quoi l'homme ainsi épinglé répondit:" Commandeur des croyants, ne vous hâtez pas de me condamner pour deux fautes qui, quelle que soit leur gravité, sont circonscrites dans la maison qui m'appartient et ne regardent que ma personne et ma complice. Mais songez plutôt à demander la clémence de Dieu pour vos propres fautes, dont l'impact est beaucoup plus étendu. Car nonobstant votre droiture et votre souci de justice, Commandeur des croyants, vous venez de transgresser en cette nuit et ce lieu trois lois divines, et non des moindres. La gravité de vos fautes en cette circonstance dépasse de beaucoup ce que j'ai commis !"

- Comment cela ? interrogea Omar. L'homme répondit: « le Coran dit: "n'espionnez pas !"(ولا تجسسوا), et vous venez de m'espionner dans l'enceinte de mon domicile. Et d'une ! et de deux: Dieu dit:" entrez dans les maisons par leurs portes !"(وائتوا البيوت من أبوابها), et vous vous êtes introduit chez moi par effraction en escaladant le mur. Et de trois: Dieu dit:" n’entrez pas dans des maisons autres que les vôtres avant de demander de façon courtoise la permission et de saluer leurs habitants (لا تدخلوا بيوتا غير بيوتكم حتى تستأنسوا وتسلموا على أهلها)". Et vous n'avez pas respecté non plus ce commandement divin».

Toutes les sources1 concordent pour affirmer que Omar ibn al-Khattâb, très à cheval sur la question du droit, a reconnu la justesse de cette plaidoirie et acquitté en conséquence l'homme. Abou Echeikh al-Asbahani va jusqu'à dire que Omar est sorti de la maison de ce noceur en pleurant2. Les supposés flagrants délits que le calife a voulu sanctionner par la charia sont devenus, par cette même charia lue d'une manière dynamique, nuls et non avenus, et ce dès que leur constatation s'est révélée en elle-même non conforme au droit à la vie privée et à l'inviolabilité du domicile.

S'il faut rappeler aux musulmans ce fait historique attesté, lequel n'est pas unique -il faut bien le souligners3, c'est que 14 siècles après Omar, les « Chevaliers de la Morale et de la Vertu» islamiques ne savent pas encore ce qu'est une vie privée. Sur ce chapitre précis, hélas, ils ne sont même pas capables de se hausser au niveau de la charia.

Vladimir Veličković (La chute)
Ce lundi 1er août 2016 dans un quartier situé au nord de l'agglomération de Tunis, l'atteinte à l'inviolabilité du domicile et à la vie privée a fait un mort âgé de 21 ans. Un frais bachelier résidant à Menzah VI, quartier aménagé au début des années 1970 avec une part importante d'habitat collectif, a invité dans son appartement sa copine. Il n'a pas fait la nouba. Ni perturbé le moins du monde le repos des voisins. Mais dans sa hâte d'être à l'abri de tout regard indiscret, il a oublié les clés sur la porte. Et n'a pas soupçonné qu'une voisine de palier n'attendait qu'une telle opportunité pour le traîner dans la boue. La femme, selon toute apparence dragon de vertu et voulant faire la "brigadière de mœurs" dans l'immeuble, a enfermé le couple et appelé la police. Quand le jeune homme s'est aperçu du guêpier dans lequel il s'est fait fourrer avec son amie, il a tenté de descendre par la fenêtre afin de rouvrir de l'extérieur la porte. Il voulait surtout épargner à son amie les conséquences fâcheuses d'une interpellation policière. Malheureusement, la tentative lui a coûté la vie. Il a glissé, et tombant à la renverse, il a succombé peu de temps après à une fracture crânienne.



A.Amri
03.08.2016



=== Notes ===

1- Voir Assyouti (السيوطي ), Alaâ Eddin al-Muttaki (علاء الدين علي المتقي), Al-Kharaiti (الخرائطي).

2- Attawbikh wat'tanbih (Blâme et Prévention).

3- Al-Bayhaqi rapporte dans Al-Sunan al-Kubra que le même calife Omar ne s'est pas permis de s'introduire dans la maison de Rabiâ ben Omaya ben Khalaf, alors que celui-ci était en train de faire la noce avec une joyeuse compagnie.

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