samedi 30 avril 2016

Un brin de muguet pour toi

Lys de mai, lys des vallées, clochette des bois, convallaria majalis, muguet, zinbaq el-wadi en arabe [زنبق الوادي = lys des vallées]: quel que soit son nom, dans les cultures de nombreux peuples dont ceux de la Méditerranée, cette liliacée est fétichisée. Emblème de régénération, on lui attribue des pouvoirs propices à la chance, au bonheur et à l'amour.

Le muguet embaume et distribue des saluts
Quand tu souris, j'en cueille brins et clochettes
et de ton éclat le soleil a la berlue
1

Gibran Khalil Gibran





Aux sources du nom

Selon le mythe grec
, le muguet a été créé par Apollon, dieu du djebel Parnasse. Et d'après une version à laquelle un mythomane non grec a ajouté du sien, voici la genèse du muguet.

Prévenant pour les neufs grâces, muses protectrices des arts, qui n'avaient sandales, babouches ni brodequins, Apollon leur coryphée emboucha par un jour de garbin, et à l'heure du kief, un cor de mer, gros comme un oliphant. Et de bout en bout bourré de μόσχος [muskos]. Le cor pointé vers Ouranos, fier comme une pipe indienne, Apollon souffla dedans par trois fois. Le cri d'un éléphant en rut n'aurait pas autant zébré d'émoi l'éther qui, quelque part étendu au frais entre Gaïa et Ouranos, piquait son clebard2. Il en sursauta et maudit le bougre de dieu qui sonnait son cor à une heure indue. Zeus lui-même, qui prenait l'apéro avec Léto chez les Lotophages, en fit la moue. Et le legmi dans son broc, tantôt suc d'ambroisie, en moins de rien devint guinguet, plus aigre que la pisse du chameau !

«
Que chaque pouce foulé du pied doux, ronfla Apollon en agitant sous les basques de l'empyrée sa chibouque de Grand Sachem, et tous les sentiers où s'égarent mes exquises muses, excepté le désert d'Arabie, soient de muguet tapissés !» 

Et le muguet fut.

Des cristaux musqués
jaillis du cor telle une giboulée de grêle séminale, et kifkif l'essaim de confettis retombant du ciel pour noyer de fleurs blanches le djebel Parnasse, naquit la belle liliacée qui porte, hellénisé et corrompu, le nom dérivé de l'arabe «مسك misk, musc»3.


Morale: chaque fois que les Grecs nous débitent un mythe4, c'est un peu comme la teinture au triste renom des Hézami !5 Il y a dessous un maquignonnage certain, une manigance comparable à la teinture des ânes !


 Muguette-moi m'amour !
 
Au moyen âge, en pays d'Oc surtout, il était de bon ton de mugueter au mois de mai. Le «libre courtisement»6 avait une lune, tout comme, de nos jours, le miel des jeunes mariés. Et les jeunes filles, avec le consentement parental et les recommandations de «ne pas monter des chevaux fougueux», en profitaient pour faire des queues aux zéros. En arbi, remplir leurs tirelires. Et les plus coquettes leurs khazines

En fait, chaque jeune fille nubile se choisissait un fiancé, et huppé de préférence, pour la lune des muguets. Un fiancé pour la mugueter, cela va de soi. Et la règle veut que
la fiancée d'une lune, contre chaque baiser échangé,  reçoive de l'heureux friponné une pièce sonnante et trébuchante. Manne médiévale qui permettait aux jeunes filles d'enrichir leur dot.

Y a-t-il un rapport entre le
«cor gicleur de musc» et cette curieuse chaleur de mai frappant le pays d'Oc ? Je serais tenté de dire oui7

Maman en veut aussi

Oui, car avec le temps, le sang chaud de ce mai généreux et éphémère, initialement circonscrit, a gagné d'autres veines. Et des veinardes autres qui, pas satisfaites qu'on les laissât transir loin de mai et son muguet, voulaient elles aussi qu'on les muguetât, et bien mieux que les pucelles si possible !
8 Ainsi le
«libre courtisement» a-t-il évolué pour permettre aux femmes mariées de recevoir, avec la bénédiction des «tendres époux», et tout au long du mois de mai, les hommages de leurs amants!9

Bals du muguet

A l'âge du
«libre courtisement» (qui n'est pas révolu mais a pris d'autres formes), succéda, en France et dans le reste de l'Europe, un autre âge pas moins gai: celui des «bals du muguet».
Organisé le soir de chaque 1er mai, le
«bal du muguet» était réservé aux jeunes, et leurs parents n'avaient pas le droit de les accompagner. Le blanc, symbole de la pureté, était porté par toutes les filles. Les garçons, quant à eux, avaient un brin de muguet piqué à leur boutonnière10. 
 
Fête du travail et brin de muguet

 
"Pour la mentalité moderne, cette fête [du 1er mai] conserve en partie le mythe de la régénération et de l'amélioration du bien-être collectif, mythe commun à toutes les sociétés traditionalistes."
11


Le 1er mai 1886, une grève en faveur de la journée de travail à 8 heures est observée à Chicago
et donne lieu à une grande manifestation ouvrière, deux jours plus tard, qui est durement réprimée par la police. C'est à partir de cette épreuve de force devenue emblème de la répression étatique pour les anarchistes que le 1er mai est né. En 1889, la 2e Internationale Socialiste, réunie en France  pour célébrer le centenaire de la révolution, décide de faire du 1er mai jour d'action ouvrière internationale.12


Toujours à Paris, en 1890 le 1er mai ouvrier français est marqué par le port d'un triangle rouge à la boutonnière. Quelques ans plus tard, le triangle est remplacé par la fleur d'églantine. Puis à partir de 1907 celle-ci est remplacée par le brin de muguet.13
 
.


William Garcin, violon & Pascal Perrier, piano



Ahmed Amri
30.04.2016




 



=== Notes ===

1- Traduit par moi-même:
عبــقـت زنبقة الوادي     وقد أهدت سلاما
فأضــاء الطـيـب     إذ حملته منك ابتساما

Source: adab.com


2- Piquer une romance, piquer un chien, piquer son chien, piquer sa plaque: dormir (argot).
Voir: - Dictionnaire Argot-Français & Français-Argot, Par Georges Delesalle, Paris, 1896, p.218
- Dictionnaire de la langue verte par Alfred Delvau, Paris, 1867, p.375





3-
Muguet, mugueter, muguetterie, mugot, musqué, mugade, mugate, muscat, muguette, muscade, muscadelle, muscadette (pâtisserie), muscadier, muscadin, muscardin, muscardine, muscari, muscarine, muscat, muscone et Muscadet (nom de vin) -et j'en oublie sûrement d'autres, dérivent tous de la racine arabe trilitère «m s k  م س ك».  Et c'est grâce à la puissance de tir dans le souffle d'Apollon que ces mots ont acquis droit de cité dans le fond gréco-latin !

4- Rose, satyre, sarriette, anémone, crocus (curcuma), safran), nénuphar, pour ne citer que ces noms de plantes, ont été tous affublés de mythes grecs.


5- Les Hézami (en arabe الحَزِمْ) qui composent l'une des souches-mères de la population gabésienne étaient réputés autrefois par le vol des ânes. Sitôt dérobé, l'âne changeait de robe. De noir il pouvait devenir alezan, ou vice versa, grâce à l'art achevé des Maîtres teinturiers ! Et ainsi tripoté, il se revendait sans problème au souk, le lendemain. Il n'était pas rare que l'acquéreur d'une bourrique fraichement maquignonnée rachetât la même perdue par lui la veille.

6- Le roman de
Jeanne Bourin adapté en feuilleton télévisuel en 1983, mérite un détour pour l'éclairage de cette expression:  La Chambre des dames, La Table Ronde, 1979.


7-  Il ne sera pas indécent de rappeler ici d'où vient au juste le musc: d'une glande à l'abdomen du chevrotain, ou cerf porte-musc mâle,  qui se développe au moment du rut.
Pour en savoir plus, voir:

Œuvres complètes de Buffon, volume 9, Bruxelles, 1830, p.205/206

8- En 1655, parait à Lyon un ouvrage de morale et de piété traitées en vers burlesques, et le thème y trouve sa place à travers un octosyllabe dont l'extrait ci-dessous:

Toujours dans la muguetterie,
Piaffer, et rire, et sauter,
Se divertir, se contenter;
Être toujours mieux ajustée,
Pour être la mieux muguetée,
User de poudre de senteurs,
Se faire des Adorateurs;
Se regarder dans une glace,
Au carrosse avoir toujours place
Pour s'en aller au promenoir
A des galants se faire voir,
Toujours belle et toujours riante,
Toujours leste, et toujours fringante,
C'est à quoi vous avez pensé,
Pendant le temps qui s'est passé...


Le Faut-mourir, et les excuses inutiles qu'on apporte à cette nécessité, Lyon, 1707, p. 18, par Jacques Jacques.L'auteur, selon une réédition préfacée par Claudine Nédélec,  est un apothicaire devenu chanoine, natif et résident d'Embrun

9- Voir René Nelli, qui a beaucoup travaillé sur le thème de l'amour courtois dans le cadre de l’Occitanie médiévale, et évoqué le libre courtisement dans son livre Le Languedoc et le Comté de Foix, le Roussillon, Gallimard, 1958

10- Le Muguet de la chance au premier mai sur marieetsonmonde.canalblog.com


11- Traité d'histoire des religions, Mircea Eliade, Payot, 1996, p.264, cité in Les Runes: écriture sacrée en Terre du Milieu, Par Julie Conton, Mémoires du Monde, 2012, p. 365

12- L’Intégrale - L'histoire du 1er mai sur Europe1.



13- Ibid.





Au même sujet sur ce blog:
 
Aux racines du mot tabac 

Mythémologie: hanche et racines arabes à la pelle

Grinta: d'où vient ce mot italien de plus en plus en vogue dans la bouche des Tunisiens ?

Chômer, holocauste, cautère, calme, caustique: le grec n'a été que le passeur de l'étymologie arabe commune de ces mots 

Esclave: c'est à l'arabe es-saqlab que le français doit son mot

Robe: le mot dérive de l'arabe, et non d'un étymon germanique

Opportunité: l'étymologie populaire et la véritable origine du mot

Electricité: quand le prestige du verbe veut que la racine arabe soit occultée

Complot:d'où vient ce mot dont l'origine suscite des interrogations ?

Crime dérive de l'arabe jarimade sens identique

C'est l'arbi qui a fait son petit à la langue de Voltaire

Espion: mot qui dérive de l'arabe ech-cheyifa de sens identique, via l'ancien françaisespie et l'espagnol espia

Marathon, téléthon: la racine que le fenouilhellène ne saurait couvrir

Accise, assise, excision: mots français,racines arabes        

Gêne, gêner: deux dérivés arabes, et nonfranciques

Des secrets philologiques de secret, secrétaireet secrétaire d'Etat

Etymologie: quelle en est l'étymologie ?      

Espèces, chèque, carte, aval, crédit: d'où viennent ces mots ?             

Escroc, c'est le es-sariq arabe romanisé     

Escorte: voyage du mot de l'arabe ausiculo-arabe puis à l'italien, au français et à l'anglais      

Rendre et dérivés ne sont pas de souche latine      

Cabaret: racine arabe et nomenclature orientale       

Quand "scène" et dérivés seront-ils relogés dans leur sakéna arabe ?

D'où viennent l'occitan "caça" et ses dérivés français ?       

Faut-il en schlaguer le dico français ?      

"Refuser": un verbe qui refuse l'incertitude de Littré et l'ingéniosité de Diez       

Le dromadaire: il blatère grec ou arbi ?     

Dégage, dégagisme.. et les mystes de laphilologie        

De deux mots il faut choisir le moindre       

Au clair du grand jour, mon amie Hélène

في كلام منسوب للدكتورة نوال السعداوي







Quand les médias crachent sur Aaron Bushnell (Par Olivier Mukuna)

Visant à médiatiser son refus d'être « complice d'un génocide » et son soutien à une « Palestine libre », l'immolation d'Aar...