Affichage des articles dont le libellé est petit. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est petit. Afficher tous les articles

lundi 18 janvier 2021

L'arbi aurait-il fait son petit à la langue de Voltaire ?

« - Regarde, dit-il, vois-le aller. Il se nomme Hermann. Ici il doit se nommer Hermann... - Dis-nous si c'est lui, le passant qui t'a fait ce petit ...

Mais la fille disait non. Elle regardait en le voyant à peine, l'homme, qui allait sur le chemin. » (Yves Thériault)  [1]


 

« Petit » est à la fois un substantif, un adjectif et un adverbe dont la première attestation dans la langue française date de la fin du 10e siècle [2]. Mais d'où vient au juste ce mot sur l'étymologie duquel, des tout premiers lexicographes du 17e à ce jour, il n'y a eu ni accord ni certitude ?

Ménage, selon Antoine Alexandre Boniface, le dérive d'un présumé latin putitis, qu'il donne pour diminutif de putus [3]. Quant au sens exact de ce mot, le dicolatin numérique le présente comme synonyme de purus [4]; et si la source mentionne bien que "putus" figure dans le Corpus glossariorum latinorum au sens de "petit garçon"[5], aucune date ni localisation géographique ne sont fournies pour nous permettre de traiter cette inscription épigraphique comme référence de poids en la matière.

Putus dans Corpus glossariorum Latinorum

 

Pour Pierre de Cazeneuve [5], mais également pour le même Ménage (selon Jean Espagnolle [6]), petit se tire du latin  "petilus" (grêle, mince, maigre), étymologie qui ne semble pas satisfaire Espagnolle entre autres, parce que "petilus n'a pas le sens exact de petit, d'humble, et s'il était la souche véritable de petit, l'l aurait persisté dans quelque dialecte"[7].

Plus antérieurement, Jean Nicot [8] et Pierre Borel [9] dérivaient petit d'un présumé hébreu pethi, donné de même sens, mais, sauf erreur de notre part, ce terme dont la translittération semble correspondre à בחור (بَخْوَ) bakhoua, signifierait plutôt "individu".

Diez, en élucubrateur plus tourné vers le celtique et son substrat dans les idiomes romans, s'est distingué par de multiples explorations l'ayant conduit à fouiner dans diverses langues, pour y chercher quelques "indics" susceptibles de conduire à la souche mère de petit. Et ayant réuni cinq mots ayant en commun le radical "pit", comme l'espagnol "pito" (petit bois pointu), le wallon "petion" (aiguille d'abeille, le provençal "pitar" (becqueter), le sarde piticu (petit), un autre wallon "pitic" (nain), le philologue allemand en déduit l'existence d'un radical pit, qui signifie quelque chose de pointu, d’étroit ; d'où le sens de petit [10].

Littré à son tour, comme pour apporter de l'eau au moulin de Diez,  rapporte que "Nonius cite un vieux mot latin petilus qu'il rend par tenuis et exilis et qui se trouvait dans Plaute et dans Lucile; il paraît être de même racine que les mots réunis par Diez"[11]. Et ce fameux géniteur putatif avancé par le fondateur de la philologie romane devient le père presque patent, incontesté, de petit. Ce mot est "le rejeton d'une racine celtique pit, signifiant quelque chose de pointu et mince", dixit Auguste Scheler. [12].

Quant à l’étymologie que le TLFi nous propose, quoique pas aussi alambiquée que celle de Diez, elle s'appuie essentiellement sur une supputation qui fait de petit un vocable « gallo-roman […] dont le type primitif semble être *pettīttus ». Et en guise d'appui à cette thèse, le TLFi invoque un « latin vulgaire pititus, attesté dès 775, issu du bas-latin pitinnus, « petit », et pitullus attesté  chez Antoninus Placentinus, formé sur le radical pitš - (pitchoun*) exprimant la petitesse. » Là-dessus, la source nous renvoie à sa référence : FEW t.8, p.346a et Bl.-W.5, qui, de toute évidence, ne devrait rien apporter de neuf à ce qui est déjà dit [13], sinon que pettīttus et apparentés sont localisés en ancien français (Afr.), en franc-comptois (Frcomt.) et en poitevin (Poit.)

FEW, index.


Sur ce
pettīttus et apparentés, la consultation du dictionnaire FEW (Französisches Etymologisches Wörterbuch)[14] permet de fournir de nombreuses variantes de petit, mais qui conservent toutes la même base consonantique, que ce soit en ancien français ou dans les idiomes régionaux (montbébois, occitan, flamand, wallon...), à savoir "P.T." Et nous reviendrons le moment venu à cet élément pour prouver, noir sur blanc, que petit est issu d'une racine arabe.
Corpus des variantes historiques (anc. fr.) et régionales de "petit" et dérivés


En guise de conclusion à cette revue de thèses philologiques, nous dirons que l'impression la plus partagée, au passé comme aujourd'hui, est que l'étymologie de "petit" n'est pas évidente. "L'origine de ce mot n'est pas bien certaine", lit-on sous la plume d'Antoine Alexandre Boniface [15]. "origine inconnue", souligne à son tour Auguste Brachet [16]. Et cet avis est apparemment partagé outre-Atlantique, si l'on en juge par le free dictionary numérique et sa remarque au sujet du mot: "obscure  origin" [17]. 

Ce qui est regrettable néanmoins, à notre avis, est que pas un seul philologue, du moins autant que puissent le révéler nos recherches en langue française, n'a daigné sortir des chemins battus, confinés dans l'aire géographique gréco-romaine, pour explorer une éventuelle piste arabe. 

Petit.. mot d'origine arabe ? Oui. Absolument. Et c'est d'une évidence insoutenable, à notre sens. C'est tout simplement le mot فتى fata, de sens identique.

- فتى fata (masculin indéfini) [prononciation],فتاة  fatat (féminin indéfini) [prononciation],  فِتْيَان fityen  (pluriel masculin indéfini) [prononciation], فتيات fêtayat  (pluriel féminin indéfini).

Et voici la définition de الفتى al fata, dont la première formulation date de la période préislamique, figurant dans les textes de Maymûn Al-Aʿšā, né en 590 et mort en 629 : "al fata (الفتى) est un garçon dans sa prime jeunesse, à mi-chemin entre l’adolescence et l’âge adulte."[18].

Comparons avec la définition que nous fournit le TLFi, relative à la première attestation du mot en français : Petit : «  qui n'a pas atteint toute sa taille, et par extension jeune » [19].

Que faut-il encore pour rendre plus persuasive notre thèse ? Expliquer au lecteur non averti ce qui a fait du فتى fata arabe « petit » et de son féminin فتاة fatat « petite ». Comment ce « fف   » arabe a-t-il pu devenir « p » ? Il suffit juste de rappeler quelques exemples d’emprunts similaires pour en comprendre le mécanisme : fitron فِطْرٌ (potiron), qafas قفص (cabas), fanid فنيد (alphénic et phénide), foustoq فستق (pistache) foustoq, battikh بطيخ (pastèque)…

Ajoutons que le noyau consonantique des deux mots est le même: [ف. ت.]=[P. T.]. La voyellisation, qui est tributaire de l'accent, a opéré dans l'emprunt au niveau du degré d'aperture du "ا a" (élif bref de la première syllabe "fa فَـ " ) pour le réduire et en faire un "e"[20]; le même processus s'est opéré au niveau de la seconde syllabe "ta تَى" pour réduire davantage l'aperture d'un autre élif bref et en faire un "i". Quant au "t" final de petit, on peut l'imputer soit à la règle de suffixation générative du féminin "te", soit à la racine même du mot arabe où l'on trouve la variante فِتْيَةٌٌ fityaton (arabe classique), فِتْيَة fityat (avec un t muet en arabe moderne) (pluriel masculin de فتى fata), ou encore dans le substantif dérivé فُتُُوٌَةٌ fotowaton ("jeunesse" en arabe classique), فُتُُوٌَة fotowat (avec un t muet, signifiant la même chose en arabe moderne). 

Dernière remarque qui mérite d'être méditée: sur les 106 mots français qui se terminent par "-tite", tels que recense "www.je-rime.com", un seul mot, en l’occurrence "petite", a son masculin en français [21]. 

En guise de conclusion, il convient de rappeler que, pour plus d'un auteur, le français "pute" est rattaché à la même racine, supposée latine évidemment. C'est le cas de Pierre Larousse, qui après avoir avoir défendu la parenté de "pute" et "puta", conclut par ces mots: "Il semble que toute expression désignant une personne du sexe féminin soit fatalement condamnée à dévier au sens de débauchée"[22]. Commentant le mot malfamé dans un vers de Marie de France, Léopold Constans écrit à son tour: "Il ne faut pas confondre put, pute (adjectif), avec le substantif pute, qui signifiait à l'origine jeune fille, jeune servante (du latin puta, jeune fille, putus, jeune garçon), et qui a eu une si fâcheuse destinée"[23]. Enfin, à l'article "pute", le Littré écrit: "Provençal et espagnol puta ; italien putta ; du latin puta, jeune fille, putus, jeune garçon. En italien putta, en portugais puta ont été pris souvent en bonne acception ; dans le plus ancien exemple de l'historique à putain, ce mot ne signifie que jeune fille de service. Par son étymologie, pute n'implique aucun mauvais sens, pas plus que garce ; et il n'a aucun rapport avec l'ancien adjectif put, qui vient de putidus, et qui signifie laid, mauvais, déshonnête."[24]

Nous y reviendrons assurément dans un article prochain. 



Ahmed Amri

15. 01. 2021


Notes:

1- Petit carême de Massillon, Bruxelles, 1851, p. 26. 

2- Passion du N.S. Jésus-Christ et Passion de S. Léger: en langue romane et en vers, Ed° Champollion-Figeac, Paris, 1849, p. 32.

3- Antoine Alexandre Boniface, Manuel des amateurs de la langue française, Paris, 1825, p. 178.

4- http://www.dicolatin.com/FR/LAK/0/PUTIS/index.htm

2- Auguste Brachet, Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, 1868, p. 407

4- http://www.dicolatin.com/FR/LAK/0/PUTIS/index.htm

5- Antoine Alexandre Boniface, opt. cit.

6- Jean Espagnolle, L'origine du français, V. 3, Paris, Leipzig, 1889, p. 72.

7- Le sens exact, glosé en grec μικρός, est jeune. Voir Georg Goetz, Corpus glossariorum Latinorum  a Gustavo Loewe, V. 2, Leipz, 1888, p. 165

8- Gilles Ménage, Dictionnaire étymologique, ou Origines de la langue française, Paris, 1694, p. 572.

9. Antoine Furetière, Dictionnaire universel, V. 3, La Haye et Rotterdam, 1690, p. 111.

10- Friedrich Diez, Etymologisches Wörterbuch der romanischen Sprachen, Bonn, 1878, p. 251.

11- https://www.littre.org/definition/petit

12- Auguste Scheler, Dictionnaire d'étymologie française d'après les résultats de la science moderne, V. 1, Bruxelles et Paris, 1862, p. 256

13- Index du FEW, publié en 2003 sous la direction d'Eva Buchi (ATILF).

14- FEW (Französisches Etymologisches Wörterbuch)

15-  Antoine Alexandre Boniface, opt. cit. p. 178.

16- Auguste Brachet, opt. cit.

17- https://www.thefreedictionary.com/petit

18- سهام فريح، الاعشى ومعجمه اللغوى، جامعة الكويت مجلس النشر, 2001

19- Centre national de ressources textuelles et lexicales (TLFi)

20- En comparant les quatre langues ayant en commun ce mot: angevin: ptit; catalan: petit; créole haïtien: piti; gallo: petit, de  même que les vieilles formes recensées dans le FEW, on constate que la voyellisation de la première syllabe; quand elle ne se conforme pas au segment vocal "pe", adopte soit la forme "pi", "pu", soit assourdit totalement la voyelle pour donner "pt, p't".

21- Je-Rime.com

22- Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, V. 13, Paris, 1866, p. 434.

23- Marie de Compiègne d'après l’Évangile aux femmes, Paris, 1876, p. 62. 

24- Émile Littré, Dictionnaire de la Langue française, Paris, Gallimard/Hachette, 1958, tome VI, p. 632


 

 Articles similaires:

 
Crime dérive de l'arabe jarima de sens identique
Espion: mot qui dérive de l'arabe 

في كلام منسوب للدكتورة نوال السعداوي

 

 

Quand les médias crachent sur Aaron Bushnell (Par Olivier Mukuna)

Visant à médiatiser son refus d'être « complice d'un génocide » et son soutien à une « Palestine libre », l'immolation d'Aar...