lundi 22 avril 2013

Tunisie: justice pour tes enfants mal-aimés!


Constitution carthaginoise (5e siècle A.J.C)
Pacte fondamental et Constitution tunisienne
de 1846 et 1857
Alors que l'histoire des textes constitutionnels en Tunisie est marquée de nombreuses poussées révolutionnaires et dates pionnières, le projet de la nouvelle constitution se profile en deçà des espérances pour lesquelles le peuple a consenti des sacrifices et fait une révolution. Si la femme, en vertu de l'article 28, se voit attribuer le statut de "complément de l'homme",  les Berbères, les Noirs, les Juifs, ou ceux que la nomenclature du droit international appelle "minorités", de même que les binationaux, semblent totalement inexistants dans la première mouture de la nouvelle constitution.

Exclusion, racisme, indifférence: ce à quoi les enfants mal-aimés de ce pays ont droit depuis toujours risque d'être reconduit dans la nouvelle Tunisie. Faute d'impulsion constitutionnelle garantissant les droits des minorités.

C'est en 1846 que la Tunisie a aboli l'esclavage. En 1857 qu'elle a proclamé le Pacte fondamental( عهد الأمان). En 1861, elle s'est dotée de sa deuxième constitution, la première ayant vu le jour six siècles av. J.-C., à Carthage1. Au lendemain de la révolution du 14 janvier, la Tunisie est censée aller toujours de l'avant pour assurer l'égalité entre tous les citoyens. Mais pour beaucoup de Tunisiens l'émancipation des esprits peine à suivre l'histoire. Elle est loin, très loin à la traîne. Et on se demande pour combien de temps elle va rester ainsi. Alors que les Noirs, les Juifs, les Berbères sont tout aussi enracinés dans le pays que les lois et les constitutions, que leur histoire est née en Tunisie depuis des millénaires2, nous ne voyons pas beaucoup de Noirs ni Frères minoritaires dans ce pays!
Saadia Mosbah (à gauche) pionnière du combat
égalitaire pour les minorités en Tunisie

Nous les voyons seulement quand le racisme leur donne de la couleur et de la consistance, une matérialité alléchante qui appelle l'insulte, le mépris, l'agression, le meurtre. Et juste le temps que telle lèpre secoue en nous le mur de l'indifférence. Lorsque, grisés de notre chauvinisme ensorceleur, persuadés de notre exception arabo-musulmane, imbus de notre tolérance immunitaire, nous refusons de voir le racisme, celui-ci ne peut que s'estomper naturellement, puisque nous ne voyons plus les Noirs et Frères de minorités qui en pâtissent.

Dans la Tunisie d'aujourd'hui, celle qui se targue de vivre la révolution de la dignité, si  nous interrogeons les statistiques sur le taux des Noirs parmi la population, et c'est vrai aussi pour les autres minorités, ces statistiques font la lippe. Aucune idée! Alors même que les Noirs ne sont pas une poignée, nous ne savons pas quelle fourchette au juste ils représentent dans ce pays3.
Statue de la Kahena
(Kenchela, Algérie)



Les Berbères, nous dit-on, seraient de l'ordre de 5% en Tunisie. Mensonge! Les 5% sont la tranche qui a su résister à l'arabisation, préservant l’essentiel de sa berbérité: langue, coutumes, habitat troglodytique, etc. Et la majorité tunisienne dite arabe, en réalité, c'est la majorité berbère arabisée. Mais tant mieux pour les avocats du 5%! car demain l'on nous dira que nos Berbères ne sont plus que 0%! Et pour retrouver une trace des ancêtres disparus, demain il nous faudra faire des fouilles archéologiques sur tel ou tel site berbère! Si les sites peuvent être conservés.

Les Juifs, nous dit-on, à peine une poignée! Et c'est plutôt rassurant pour la majorité soucieuse de préserver sa cohésion, son tissu social et moral, sa pureté ethnique et religieuse! Mais la modeste poignée risque à son tour d'être un pâle souvenir d'histoire, comme les Berbères. Alors que, n'en déplaise à la majorité et son histoire, les Juifs étaient la communauté de première religion dans ce pays. Et en tant que berbères les premiers maîtres aussi4.

Quand nous interrogeons le paysage politique: est-ce qu'il y a des Noirs ou Frères de minorités qui politiquent? Là, heureusement, fort heureusement, l'on nous dit: oui!

Mais attention! nous précise-t-on, il n'y a que des Noirs.
Parce qu'en terre musulmane, les gens de la dhimma5 sont placés sous la protection des musulmans. Autrement dit, s'ils veulent politiquer, ils n'ont qu'à se faire bouter hors de la terre musulmane!

Des Noirs, tant qu'ils sont musulmans, oui!

Dans l'Assemblée constituante élue le 23 octobre 2011 et comptant 217 députés, il y a bel et bien, pour l'honneur de la révolution, un Noir. "Noir noir", comme le redirait Coluche s'il revenait pour s'assurer de ce que nous disons. Et s'il arrange certains de noter le paradoxe, ce Noir n'est pas de l'extrême-gauche. N'est pas du centre.  Ni de tout autre pôle politique revendiquant la laïcité ou le progressisme. Le seul élu noir au pays du jasmin blanc est du groupe islamiste de la Nahdha.
Gilles Jacob Lellouche,
Union Populaire Républicaine (UPR)

Évidemment, il y aurait beaucoup de gens de bonne volonté -faisant de la politique- pour dire qu'ils ne verraient aucun mal à ce que les Noirs politiquent. Les Juifs aussi d'ailleurs, et il faut rendre cette justice aux forces progressistes tunisiennes, centre et gauche, qu'elles sont libres et ne reconnaissent pas les barrières confessionnelles. Le cas de Gilles Jacob Lellouche à la Goulette, de l'Union Populaire Républicaine (UPR), même s'il est unique ne peut que forcer l'admiration6.

Par conséquent, il serait injuste d'accuser d'inconséquence politique, de racisme, les partisans du progrès. Le mal semble résider ailleurs, chez ceux qui nous gouvernent et la masse électorale qui n'a pas été habituée à voter hors des passages cloutés! C'était vrai durant la période du Parti unique. Et c'est encore vrai de nos jours.

Béchir Chammam,
élu nahdhaoui
Un exemple éloquent à ce propos: aux mêmes élections de 2011 et dans la région voisine du seul député noir du pays7, d'autres listes comptaient des Noirs, le gouvernorat de Gabès -avec celui de Kébilli- étant la zone la plus colorée en Tunisie. Et parmi ces listes colorées celle du Pôle démocratique moderniste (PDM) qu'on croyait capable de faire une bonne percée dans l'électorat local. La tête de liste est une femme, et pas issue de l'espèce d’incognito8, que tout le monde qualifie d'adorable et lui reconnait un respectable C.V de combat. Le deuxième c'est un homme, pas moins respectable ni méritant, noir. Contre toute attente, c'est à peine si ladite liste a obtenu, pour la consolation, une poignée de voix.

Pourquoi là où l'électorat islamiste a pu réaliser l'exploit de faire prodiguer un Noir à la tribune de notre parlement constitutionnel, et n'ayant pas plus de mérite que d'autres candidats, les modernistes, eux, ont été incapables de faire triompher la liste PDM ayant pour tête une femme et numéro deux un Noir?

Au risque de heurter toutes les sensibilités politiques, islamistes et progressistes confondus, je dirais par pur racisme. Derrière l'élu noir de Kébilli, c'est une masse électorale noire qui a voté. Pour la couleur de la peau, et non celle de la liste. Derrière la liste PDM tombée à Gabès, une masse électorale qui aurait sanctionné d'abord un Noir, ensuite une femme en tête de liste. Racisme et phallocratie sont quelquefois à gauche aussi. Car malgré l'histoire commune, malgré une démographie de tradition colorée, la lèpre raciste existe au sud bien plus qu'ailleurs, et de longue date. En-bas comme au plus haut niveau de l'élite9.


C'est en 1846 que la Tunisie a aboli l'esclavage. En 1857 qu'elle a proclamé le Pacte fondamental. En 1861 qu'elle s'est dotée de sa deuxième constitution après celle ayant vu le jour six siècles av. J.-C. à Carthage. Oui, tout cela est beau, magnifique. Néanmoins en l'an 2013, soit près de 170 ans après l'abolition de l'esclavage, en l'an 2013, soit 8 siècles après les textes fondateurs de la vie citoyenne dans ce pays, beaucoup de Tunisiens, hélas! du pied en cap sont dans les fers de la pire des servitudes: le racisme et le fanatisme religieux.

Car depuis que les textes attestent du droit de chaque Tunisien à jouir de ce qui appartient à l’ensemble des citoyens10, beaucoup de Tunisiens attendent encore que la citoyenneté, la tunisienneté, la dignité (à part entière ou même en tranches) leur soient accordées. A part la fierté chauvine pour certains qui ronronnent l'éternelle chanson d'une Tunisie pionnière et progressiste, à part la berceuse des politiques qui nous disent sans arrêt que la Tunisie est à tous les Tunisiens, à part le populisme mensonger qui ne nous endort plus et dont les citoyens ont de longue date soupé, à part enfin le mépris, l'insulte et le racisme à l'encontre des Noirs, des Juifs, des Berbères quand ceux-ci parlent des droits culturels, il ne s'est pas produit grand chose dans ce pays, ni au lendemain de 1846, ni à l'indépendance de 56 ni depuis la révolution du 14 janvier.

Pour tous ceux qui se reconnaissent dans cette catégorisation elle-même raciste -les minorités, c'est le statut quo depuis l'éternité.

Non? Vous pensez que les choses ont quand même évolué un peu depuis?

Vous avez raison!
Avant 1846, on ne disait pas "nègretta", ni "attig", ni peut-être même "kehlouch"! On disait "esclave", certes, mais le mot renvoyait à un référent, une condition humaine, statut social existant. Cela pourrait paraitre caricatural, mais l'esclave jouissait autrefois du même respect redevable à son maître.

Avant et après 1846, et jusque dans les vingt années suivant l'indépendance, le Juif
Bezalel, tunisien même né en Israël
tunisien n'était pas un intouchable. Si pour certains nationalistes zélés et fanatiques le Pacte fondamental de 1856 n'aurait été qu'un texte dicté au Bey de l'époque par les puissances occidentales, il n'en reste pas moins que c'était l'aboutissement d'un combat juif mais aussi musulman, et en définitive combat tunisien, qui a permis à notre pays d'être plus vivable. Les zélateurs oublient le combat de Kheireddine Pacha, oublient Ibn Abi Dhiaf et sa bataille philosophique contre le wahabisme, oublient sa large contribution à toutes les réformes politiques modernisant notre pays, et en ce qui nous concerne directement ici, ce qu'il dit des Juifs tunisiens: « frères dans la patrie ».


Dans la Tunisie luttant pour l'indépendance, ou celle de Bourguiba, on pouvait voir encore des Juifs jouissant de l'estime nationale et assumant pleinement leur citoyenneté et leurs droits politiques. Le cas de Georges Adda n'est pas l'unique. Avant leur départ en France, Gisèle Halimi qui s'était vaillamment battue pour l'indépendance tunisienne et celle de l'Algérie, également  Albert Memmi et tant d'autres encore.

Et puis à la même époque, le Tunisien ne s’embarrassait pas d'entendre chanter Leïla Sfez, Habiba Msika ou Cheikh El Afrit, Raoul Journo, les pionniers de la chanson tunisienne, à un moment où il faisait bon chanter juif-tunisien. Et pas bon chanter musulman.

Issaac: Juif tunisien
et fier de l'être
Et de nos jours?
Black-out, ou presque sur cette mémoire nationale de juifs « frères dans la patrie ». Nous avons oublié, jeté dans les oubliettes une partie de nous qui, elle cependant, ne nous oublie pas! Les Harissa en France pleurent quand ils évoquent leur paradis perdu Tounès. Plus loin que la France, en Israël même, les victimes du sionisme n'oublient pas leur Tunisie. Beaucoup d'oiseaux ayant migré loin de cette terre, dupés par l'appel des rabatteurs sionistes, n'ont jamais oublié leur nid originel11. Comme tant d'autres pas juifs d'ailleurs, que nous appelons indument "roumis" alors qu'ils nous crient: "non!", nous rappellent en toute circonstance leur tunisienneté inaltérable et l'ineffable amour qui les attache à nous.

En 2009, une chanson qui s'appelle Tunisia (voir vidéo ci-dessous), écrite et chantée par un jeune de ceux que nous appelons israéliens, de son nom Bezalel, né en Israël mais ne guérissant pas de l'amour pour sa Tunisie, a permis de révéler quel attachement les juifs ayant émigré de ce pays vers Israël  éprouvent à l’égard du pays dont ils furent transplantés. Depuis sa sortie à ce jour, la chanson n'arrête pas de cartonner en Israël.

Pourquoi ce succès? Comment expliquer un tel engouement pour une chanson à l'honneur d'un pays arabe, et dans un pays que les Arabes, à bon droit, n'aiment pas? D'où Bezalel tient-il son amour pour la Tunisie alors qu'il ne la connait pas, qu'il est né et a grandi dans un pays en guerre avec le monde arabe? Cette nostalgie pour le nid de la mémoire parentale, cet attachement à la Tunisie bu avec le lait maternel, hérité de parents et grands-parents vieillis ou morts de longue date, cette revendication légitime de sa tunisienneté, cette fierté d'être tunisien chez le juif mal-aimé par ses frères de patrie nous interpelle. Seuls les bâtards y resteraient insensibles. Et Bezalel n'est pas le seul, de l'autre côté du mur, pas le seul antisioniste qui nous touche par ce mal du pays. Ils sont nombreux au monde entier.

Isaac découvert à la faveur d'une recherche de documentation pour le présent article, lui aussi né en Israël, ne jure que par la Tunisie. Sur son blog dédié à son pays, il sait à peine écrire en français, mais pour dire l'indéfectible amour à la Tunisie et sa fierté d'être tunisien, il n' a pas besoin de beaucoup de mots ni de mots tout court: les photos de la Tunisie et le drapeau en gif animé sont amplement suffisants.

Retour au racisme tunisien.
Il y a quelques jours je dénichais sur le web un texte écrit par Saadia Mosbah. En même temps que je découvrais une militante jusque-là inconnue pour moi, j'ai découvert l'ampleur de la lèpre raciste dans notre pays. Et c'était pour moi un choc, et non des moindre, d'autant que l'enfant que j'étais n'oublie pas une relation interraciale d'enfance, authentique, entre un Céladon blanc et une Astrée noire12. Je croyais la Tunisie à l'abri du racisme, et Saadia Mosbah, par son témoignage poignant, me faisait chavirer D'autres témoignages tout aussi alarmants,  suscités par l'effet de bombe produit par le texte de cette femme, ont motivé le présent article.

Angelo l'Italien tué par l'homophobie raciste
Quand ils ne s'effacent pas face à notre indifférence, les Noirs, les Juifs, les autres, même les Occidentaux qui viennent chez nous le temps d'une escapade touristique, deviennent la cible privilégiée de la vermine raciste. Il n'y a pas de quoi, en matière de tolérance, réconforter notre fierté nationale, plaider la cause de l'exception tunisienne par rapport au reste du monde arabe! Le glossaire national raciste, toutes éditions confondues, pourrait faire pâlir à ce chapitre les meilleures encyclopédies des langues vivantes au monde. A en juger seulement par le pullulement continuel de mots vomitifs, et toujours évolutifs, chez la vermine raciste nationale.

Moins fréquents mais pouvant dépasser la fiction des films d'horreur quand ils se produisent de temps à autre, des meurtres à caractère raciste13. Avant la révolution, il fallait une bonne décennie pour enregistrer un crime ciblant un étranger, que celui-ci soit occidental ou arabe. Des Algériens qui venaient passer leurs vacances en Tunisie témoignent encore de cette terre d'accueil et de paix qu'ils ne trouvent pas chez eux, ni nulle part ailleurs. Tous les étés, au bord de la mer, au bord des routes,  dans une forêt ou en rase campagne, sur des couchettes à l'intérieur de leurs voitures, ou des nattes étalées tout à côté, à la belle étoile dormaient en famille en toute sécurité.

Conclusion:

Que faire dans ce sens pour sauver une Tunisie déjà assez meurtrie par le fanatisme religieux, entre autres tares de l'obscurantisme? Que faire pour réconcilier ce pays à la fois avec ses enfants, de quelque couleur et confession soient-ils, et ses amis qui n'y viennent que par amour pour sa terre et son peuple partout réputés accueillants? Faut-il baisser la tête, croiser  les bras, hausser les épaules et se taire? Couver le mal en disant que ce n'est pas le moment d'en parler, attendre qu'il empire, sous prétexte que le dos de la révolution est déjà brisé, qui ne supporte pas une nouvelle charge, le fardeau étant intenable? Faut-il se contenter d'en vouloir aux racistes qui, parce que vivant en dehors de l'histoire, retardataires de toutes les guerres, ne veulent pas s'émanciper de l'esclavagisme cérébral qui les tient sous son joug? Peut-on remédier au mal en fustigeant seulement ces éternels esclaves de l'intolérance qui ne veulent pas briser leurs carcans? Est-ce ainsi qu'on pourrait conjurer la peste qui nous donne au quotidien des sueurs et des frayeurs?

Non, assurément pas!
Et si certains espèrent enjuguer le racisme en moralisant, ou insultant les racistes, alors ils se trompent  grossièrement. Ce n'est ni plus ni moins qu'un espoir de pacotille. Parce que le germe de la lèpre n'est pas dans la tête des racistes; il est ailleurs.

Quand les politiques, les médias, les citoyens parlent des objectifs de la révolution  et soulignent que le problème des exclus doit figurer en tête de tels objectifs, pourquoi, curieusement, personne ne fait cas des éternels exclus de toutes les "révolutions": les Noirs et leurs frères catégorisés dans telle ou telle minorité? Pourquoi depuis Carthage et ses troupes africaines à ce jour, la Tunisie ne se tourne vers ses enfants minoritaires ni ne les voit que lorsqu'elle a besoin d'une chair à canon? Et lorsque les canons se taisent, peut-on savoir pourquoi la Tunisie ne veut plus voir ni entendre parler des survivants de sa chair à canon?

De l'indépendance du pays en 1956 à ce jour, combien nous avons eu de ministres, gouverneurs, délégués, omdas qui ne soient pas blancs, de pur sang arabe et musulmans? Combien sont-ils, dans nos administrations (banques, école, hôpitaux, etc), les Noirs et Frères de minorités qui détiennent des postes dirigeants? Enfin à la télé, à la radio, aux journaux de 20h et toute les heures, aux grilles de ramadan et celles de chaban, combien de journalistes, de présentateurs, d'animateurs "égayent" vos soirées par d'autres couleurs , à part le jasmin blanc?

Et puis si vous voulez qu'on aille plus loin encore, et il faut y aller! où est le culte juif dans les programmes de notre télé? où est la langue berbère? la voix des binationaux? la voix d'autres ayants-droit dans les paysage politique et médiatique de l'après 14 janvier? Pourquoi pas à chacune des composantes de notre diversité son "temps à l'antenne"? Quel credo soutenir pour justifier l'injuste exclusion?

Car si nous voulons réellement lutter contre le racisme, œuvrer pour donner à notre Tunisie la raison qui lui permette d'expurger son langage, persuader nos enfants que les Noirs et Frères sont tout aussi tunisiens que les pas Noirs ni Frères, c'est en rendant à chaque minorité son dû, à tous les niveaux évoqués, que nous pourrions espérer y arriver, et défendre alors avec fierté l'exception tunisienne.

Enfin pour lutter contre la violence à l'encontre des étrangers, quand il faut infliger des châtiments exemplaires mérités, quand le pays, avant même les étrangers, y retrouve sa paix, sa sûreté et la fierté d'être une terre de chaleur et d'hospitalité, plutôt une exemplarité qui nous honore tous qu'une complaisance qui déshonore et tue.

A. Amri
19.04.2013


Pour en savoir plus:
Je refuse de voir mon PAYS en noir et blanc (Texte de Saadia Mosbah)
 Pour une Tunisie en couleurs, et non en noir et blanc (Texte de A.Amri)



Notes:

1- Entre -350 et -360, Aristote écrit son livre Politique dans lequel il étudie l’origine, la finalité et le fonctionnement de l’État. Dans la partie touchant à l'étude du fonctionnement des régimes politiques de son époque, le philosophe consacre un chapitre à Carthage, pour le moins flatteur. L'auteur y fait l'éloge de la politique de notre vieil empire et, parlant de sa constitution, il juge celle-ci comme étant "la plus complète". Ci-dessous, presque intégral, le passage qu'Aristote consacre à la Constitution de Carthage.

"Carthage paraît encore jouir d'une bonne constitution, plus complète que celle des autres États sur bien des points, et à quelques égards semblable à celle de Lacédémone. Ces trois gouvernements de Crète, de Sparte et de Carthage, ont de grands rapports entre eux ; et ils sont très supérieurs à tous les gouvernements connus. Les Carthaginois, en particulier, possèdent des institutions excellentes ; et ce qui prouve bien toute la sagesse de leur constitution, c'est que, malgré la part de pouvoir qu'elle accorde au peuple, on n'a jamais vu à Carthage de changement de gouvernement, et qu'elle n'a eu, chose remarquable, ni émeute, ni tyran.
Je citerai quelques analogies entre Sparte et Carthage. Les repas communs des sociétés politiques ressemblent aux Phidities lacédémoniennes ; les Cent-Quatre remplacent les Éphores ; mais la magistrature carthaginoise est préférable, en ce que ses membres, au lieu d'être tirés des classes obscures, sont pris parmi les hommes les plus vertueux. Les rois et le sénat se rapprochent beaucoup dans les deux constitutions ; mais Carthage est plus prudente et ne demande pas ses rois à une famille unique ; elle ne les prend pas non plus dans toutes les familles indistinctement ; elle s'en remet à l'élection, et non pas à l'âge, pour amener le mérite au pouvoir. Les rois, maîtres d'une immense autorité, sont bien dangereux quand ils sont des hommes médiocres; et ils ont fait déjà bien du mal à Lacédémone."


Aristote (Politique)
Traduction française : BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE


2- Si l'origine berbère de la population tunisienne n'a pas besoin de plus d'éclairage ici, il en va autrement pour les Noirs mal servis par les préjugés et l'ignorance de l'histoire. Contrairement aux hypothèses rattachant leur histoire en Afrique du Nord à celle de la traite des Noirs et de l'esclavagisme, la présence noire en Tunisie semble aussi vieille que les premières populations numides. Longtemps avant la fondation de Carthage par des colons phéniciens de Tyr en 814 av. J.-C., vraisemblablement depuis le Néolithique (4500 à 2500 av. J.-C. environ),  il y avait des Noirs sédentarisés au sud tunisien et en Libye, d'autres nomades, plus au nord ou au sud. Il y avait des Noirs même en Europe, en Grèce et à Rome, et ce n'étaient pas des esclaves. D'après l'anthologie de R. Roget et S. Gsell, intitulée Le Maroc chez les Auteurs anciens,  "il semble bien que le pourcentage des Noirs à Rome était bien plus important qu’il ne l’est aujourd’hui, à Paris. Ce qui est, tout de même, important. Et ils y exerçaient des métiers ou professions d’une grande diversité. Ils étaient soldats, lutteurs, boxeurs, acteurs, étudiants, pédagogues, voire écrivains".

(Source: Ethiopiques - Spécial centenaire Contributions de Léopold Sédar Senghor à la revue (1er semestre 2006)
A l'apogée de Carthage, l'essentiel des fantassins composant ses troupes étaient des Noirs. Tite-Live parle de  "11.000 fantassins noirs qu’Hannibal confie à son frère Hasdrubal", sans compter une troupe mixte composée de Noirs, de Puniques et de Maures .

Pour les juifs essentiellement berbères convertis, selon Rachid Benzine  leur présence au Maghreb remonte  à plus de 3000 ans. (Source)


3-Même dans les bourgades, les zones, les ghettos où se concentre une forte densité de Noirs, à Arram, à El Mdou, à l'Alaya, à Mareth, à la Gahbaya, pour ne citer que des villages ou des quartiers dans la ville de Gabès, tout ce qu'on peut savoir sur leurs populations c'est que les Noirs sont deux, trois, cinq fois plus nombreux que les Blancs, ou les seuls "maitres de céans", mais aucun chiffre de statistiques, réellement représentatif ou approximatif, pour guider une investigation rigoureuse dans ce sens.

4- La Kahéna vaincue et tuée, les juifs s'étaient convertis pour la plupart à l'islam. D'autres ont dû fuir vers l'Europe, l'Espagne surtout,  d'où ils seraient pourchassés sous la Sainte inquisition, entre 1481 et 1524, pour revenir vers les pays du Maghreb et reprendre racine dans la terre des ancêtres. Beaucoup de Juifs, toutefois, ont pu rester en Tunisie après la conquête musulmane, conservant leur judéité mais exclus de tout pouvoir politique, placés sous le régime juridique de la dhimma(الذمة ) jusqu'à la proclamation en 1857 du Pacte fondamental.

5- C'est surtout l'avis des conservateurs, et en premier lieu les islamistes qui considèrent que le Coran et la Tradition assignent les non-musulmans en terre d'islam au statut de "gens de la dhimma": gens placés sous la responsabilité des musulmans qui les protègent moyennant un pécule, à condition qu'ils ne contestent pas aux musulmans la prérogative exclusive du pouvoir.
Pour les forces progressistes, les élections du 23 octobre 2011 ont permis à  Gilles Jacob Lellouche, Juif vivant à la Goulette, de faire partie d'une liste de l'Union Populaire Républicaine (UPR).

6- La Tunisie dont la population avoisine les 12 millions d'habitants ne compte plus que quelque 1700 juifs, et par sa candidature aux élections d'octobre 2011 Gilles Jacob Lellouche ne prétendait pas à l'honneur de représenter cette petite communauté. Néanmoins  pour les premières élections libres tunisiennes, il nous fallait un tel acte de courage et de défi. De la part de ce juif mais aussi du parti qui a soutenu sa candidature. Gilles Jacob Lellouche et sa liste sont tombés; et alors? Tant d'autres listes et candidats sont tombés dans ce premier test démocratique. Ce qui compte c'est la symbolique de cette candidature, le droit pour chaque citoyen tunisien de s'impliquer dans les affaires de son pays. Et là-dessus, les laïques, les progressiste ne peuvent que saluer ce premier défi et souhaiter qu'il ne soit pas le dernier.
Depuis la révolte des Zenjs et des Qarmates, il y a douze siècles, et même bien plus avant, le monde arabe n'est pas seulement ce qu'on peut imaginer ni voir à travers l'obscurantisme des intégristes religieux. Il n'est pas non plus ce qu'on peut percevoir depuis la création de l’État hébreu, à travers le fanatisme anti-juif, essentiellement entretenu par le même obscurantisme (pour qui juif et sioniste sont des synonymes, ce qui est faux, un amalgame aberrant). Il est aussi ces hommes et ces femmes qui se battent pour un courant d'alternative humaniste et un monde plus vivable.

7- Béchir Chammam est un élu kébillois.
 
8- Il s'agit d'Amel Hamrouni, chanteuse engagée qui se bat pour la justice et la liberté depuis le début des années 80. Un hommage lui est dédié sur ce blog.

9- Du temps de Bourguiba, la ville d'El-Hamma qui se situe à moins de 20 km de Gabès nous fournit un bel exemple, inénarrable. Il doit dater des années 80, sous le règne déclinant de Bourguiba. Un Noir nommé par l'appareil du Parti unique Délégué de cette ville (l'équivalent d'un sous-préfet) est à peine débarqué, à peine assis à son bureau pour étrenner l'honneur d'administrer les citoyens de sa Délégation, quand il voit entrer, sans frapper, Jallouli Farès. Le pauvre Délégué se lève, tend sa main pour saluer et souhaiter la bienvenue à l'illustre militant du Parti. Il croyait que le grand dignitaire d'El-hamma, figure du mouvement national, ex-président de l'assemblée constituante puis de l'Assemblée nationale, premier ministre de l’Éducation, venait aimablement lui souhaiter la bienvenue et le féliciter de sa nomination. Mais c'était pour un autre motif que Jallouli Farès daignait sortir ce jour-là de sa maison et s'introduire dans le bureau du Délégué. Sans le moindre ménagement, l'homme, pourtant premier licencié en langue et littérature anglaise, premier professeur d'anglais en Tunisie, a fait comprendre au Délégué noir qu'il était persona non grata dans sa ville!  Parce que Noir! Le jour-même, le Délégué a fait ses valises et il est parti.
Textuellement selon ce que tous les habitants d'El-Hamma semblent tenir de source sûre, Jallouli Fares aurait dit au Délégué noir: "écoute, ici les Noirs me disent Sidi (Seigneur). Que devrais-je te dire si, entrant ici, te croisant dans une rue d'El-Hamma ou invité par toi à une réunion ou un meeting, je devais t'appeler? Monsieur? Ce serait illogique, inadmissible!"

10- Voici quelques extraits du Pacte fondamental proclamé en 1857:
" Article 3.
Les Musulmans et les autres habitants du pays seront égaux devant la loi, car ce droit appartient naturellement à l'homme, quelle que soit sa condition.
 Article 4.
Nos sujets israélites ne subiront aucune contrainte pour changer de religion, et ne seront point empêchés dans l'exercice de leur culte ; leurs synagogues seront respectées et à l'abri de toute insulte, attendu que l'état de protection dans lequel ils se trouvent doit leur assurer nos avantages comme il doit aussi nous imposer leur charge.
 Article 8.
Tous nos sujets, musulmans ou autres, seront soumis également aux règlements et aux usages en vigueur dans le pays ; aucun d'eux ne jouira à cet égard de privilèges sur un autre. " Source

11- Claudia Cardinale, à qui nous avons rendu un hommage sur ce blog, n'est qu'un exemple. "Longtemps, on a dit de moi que j'étais la petite fiancée de l'Italie. C'est vrai, je suis d'origine sicilienne, et c'est à Rome que ma carrière s'est envolée. J'avais alors vingt ans... et je ne parlais pas un mot d'italien. Moi, je viens de là où le soleil réchauffe les cœurs et les corps, là où la douceur de vivre n'a d'égal que la perfection des paysages et la chaleur des sourires. Claudia Cardinale n'existait pas encore. J'étais Claude, et j'étais née tunisienne. J'ai sauté dans le train. Celui de Tunis, qui m'amenait de la Goulette à Carthage. Celui de la vie, qui m'a guidée à Monastir, face à la caméra de René Vautier et Jacques Baratier. Hasard ? Destin ? Qu'importe : j'ai toujours aimé prendre le train en marche. Mon train à moi, il m'a permis de traverser les océans. Et puis, souvent, il m'a ramenée chez moi.[...] A dix-sept ans, je suis partie pour Venise. Dans ma valise, j'avais emporté un bikini et un burnous, ce grand manteau typique de mon pays. Le premier m'a rendue célèbre. Sous le second, j'avais caché la Tunisie." Claudia Cradinale - Ma Tunisie (Timée-éditions - France 2009)
Voir sur ce blog Claudia Cardinale ou l'oiseau qui n'oublie pas son nid

12- "Cette petite reine noire que je porte à ce jour dans mon cœur s’appelle Saâda.
Elle n'avait d'autre couronne que la couleur de sa peau. Sûr qu'elle était belle, très même. Mais quelquefois je me disais qu'elle ne l'était pas tant, peut-être, car je ne voyais personne de mes petits camarades masculins me la disputer. Sans doute ne savais-je pas ce qu'est le racisme. Et même si j'ai pu le découvrir, ou en soupçonner quelque chose par la suite, j'ai dû sourdement remercier les racistes d'avoir laissé la reine à celui qui la mérite..."
Pour une Tunisie en couleurs, et non en noir et blanc

13- Juste au lendemain de la révolution du 14 janvier, le prêtre polonais  Père Marek Rybinski, 34 ans, assassiné dans une école religieuse privée de la banlieue de Tunis.
- Juin 2012, un français de 30 ans qui passait des vacances en Tunisie se fait atrocement tabasser par un "ami" puis dépouiller, avant de pouvoir trouver une âme secourable pour le conduire à l'hôpital.
- Le 1er août 2012, on découvre, tué à coups de poignard dans son appartement à  Hammamet, Angelo l'italien.
- 12 Octobre 2012, c'est le corps d'un ressortissant belge tué d’un coup de couteau au niveau du torse.

Le trait commun aux trois meurtres et tabassage: toutes les victimes sont des gays. L'on dira que c'est de l’homophobie, et pas du racisme. Je dirais: pourquoi les homophobes nationaux ne consomment pas tunisien? Il y a des gays aussi chez nous, pourquoi l'homophobie tunisienne
ne s'en prend qu'aux étrangers?


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