lundi 14 février 2011

La caravane passe

Provocateur et parfois insultant, Pierre Piccinin, professeur d'histoires et de sciences politiques à l'École européenne de Bruxelles I, écrit sur Facebook ce qui suit:

Égypte: la présidence est exercée par le Conseil supérieur des Forces armées; l'équipe gouvernementale mise en place par le président Moubarak avant sa retraite pour sa résidence de Charm el Cheik reste en place; c'est elle qui assurera la "transition démocratique"; l'armée a commencé à dégager la place Tahrir et a procédé à l'arrestation discrète de plusieurs leaders des manifestants.

Vive la révolution! lol



Ce n'est pas très sympathique de jouer pour nous la Cassandre à chaque fois, Pierre. Au lendemain de la fuite de Ben Ali, alors que le monde entier saluait la victoire du peuple tunisien, que la rue -à Tunis ou à l'intérieur du pays- ne désemplissait pas encore, tu nous faisais entendre ce même son de cloche, cette même note dissonante. Et en fait, ce n'est pas tant la dissonance en soi qui me paraît insultante et provocatrice: c'est le temps choisi et surtout le ton. Comme si Égyptiens et Tunisiens n'avaient pas réalisé déjà quelque chose qui vaille qu'on cite, un exploit, et non des moindre, pouvant justifier leur fierté, comme si la chute de Ben Ali puis celle de Moubarek n'autorisaient aucun espoir pour les millions d'Arabes qui les avaient appelées de tous leurs vœux et les ont à bon droit fêtées un peu partout dans le monde, comme si l'impact psychologique de ces deux révolutions sur les peuples qui s'y reconnaissent, qui se sont d'ores et déjà libérés, ne compte pas, comme si, enfin, une révolution ne peut avoir de sens que si elle balaye instantanément et d'un seul trait l'héritage de tant et tant d'années de dictature et d'oppression.
J'oubliais de mentionner aussi que tu contestais à la révolution tunisienne même l'appellation. Je présume que la contestation vaut aussi pour l'Égypte.

Voilà contre quoi je m'élève au juste quand je faisais état de cette dissonance révoltante. Et n'invoque pas d'autorité intellectuelle, Pierre, pour te permettre cette provocation, à mon sens, déplacée. Un universitaire qui se respecte se doit un minimum d'objectivité dans ses propos s'il se veut crédible. Le vocabulaire péjoratif très connoté (post en date du 18 janvier), l'intention dévalorisante et pour le moins méprisante, ôtent toute prétention à la rigueur d'un discours supposé analytique.

Quant à cet épouvantail islamiste que brandissent traditionnellement Adler, BHL et Finkielkraut, entre autres, autant je comprends l'angoisse de ces "maîtres penseurs" et de leurs disciples (parce que le sionisme, c'est certain, vient de perdre deux alliés notoires, voire deux agents fidèles dans la région, sans compter ce qui va s'ensuivre) autant je trouve ridicule chez les nôtres (et je voudrais que ce possessif s'entende dans un sens plus politique que communautaire) cette angoisse d'un avenir confisqué par les islamistes.
Je suis persuadé que nous sommes en retard d'une guerre, les amis. Depuis la chute de l'Irak, la gauche bouge autour de nous et évolue à pas de géant, dépassant les vieux clivages et les querelles de chapelle: lisez Chomsky, Bricmont, Collon, Boniface, Paul-Eric Blanrue... Méditez les alliances de Hugo Chavez et ses voisins dans l'Amérique latine avec l'Iran, le Hezbollah, le Hamas, la Turquie. L'islam politique est devenu pièce maîtresse dans la résistance contre le sionisme et l'impérialisme, et ce n'est pas tout: que ce soit en Égypte ou en Tunisie, les vieilles images stéréotypées au sujet de ces barbus vivant et pensant dans les limbes du Moyen âge ne sont plus valables. Plus de 63% des dirigeants au sein du Hezbollah sont des femmes. Toute la gauche libanaise et les chrétiens réunis autour de Michel Aoun sont alliés avec le Hezbollah. En Palestine, les dernières révélations faites sur Aljazeera plaident plus que jamais pour la légitimité représentative du Hamas.Et quiconque parie encore sur Abbas et consort pour libérer la Palestine ou une partie se trompe.
Mais souligner ceci ne veut pas dire que nous avons déjà fourni aux islamistes une procuration pour nous gouverner en Tunisie ou en Égypte. C'est seulement reconnaître à une tranche de notre société le droit à la vie politique. Il n'y a pas plus d'extrémistes chez nous qu'ailleurs. Il y a seulement des peurs amplifiées, surfantasmées, dont une bonne part importée ou greffée à la faveur de nos vieilles dictatures, peurs que nous devons conjurer ensemble en réapprenant à cohabiter et en disant à ceux qui alimentent la division pour faire perdurer leur règne que nous en avons assez! nous voulons prendre notre destin en main. Et nous en sommes capables, rassurez-vous.
Dites-vous seulement que l'islamisme n'aurait pu prospérer dans notre région sans l'existence d'Israël. Le vrai mal, le diable que toutes les forces vives du monde, arabe ou autre, doivent pointer du doigt est bien celui-là, et non les Frères musulmans d'Égypte ou les Nahdhaouis de Tunisie.
Parce que la terreur réelle n'est pas ni ne doit être chez nous: elle est et doit être ailleurs, à Washington, à Tel-Aviv, dans les officines sionistes où qu'elles puissent avoir pignon sur rue, en rapport avec les promesses de ce printemps arabe pour l'avenir de nos peuples, et parallèlement pour nos rapports de force avec Israël.
Voilà ce qu'il faut prendre en compte avant toute chose; la menace islamiste ce sont les thèses et les alibis des dictateurs déchus. Et de ceux qui pourraient suivre parce que, n'étant pas à bonne école comme l'est Pierre, je suis optimiste. Quoiqu'on en dise et médise, la révolution arabe ne fait que commencer.
A bon entendeur..salamalec!

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