dimanche 20 mars 2016

Constantin Afer: fugitif ou captif de bonne guerre? - IV


                                                      
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Si de Carthage on se souvient


Commençons par celui que le sénat romain a élevé au dessus du dédain frappant sa race: Magon. "Après la prise de Carthage, raconte Pline, [notre sénat] donna les bibliothèques de cette ville aux princes africains, mais, par une exception unique, il décida que les 28 livres de Magon seraient traduits en latin. Pourtant Caton avait déjà composé son traité. La tâche fut confiée à des gens instruits dans la langue punique; celui qui y prit la meilleure part fut D. Silanus, personnage de noble naissance"31. A propos de D. Silanus à qui Pline attribue "la meilleure part" de traduction, remarquons qu'il s'agit en fait de Cassius Dionysus d'Utique: un autre enfant de la Tunisie, ou de l'Ifriqia, pour respecter la nomenclature médiévale. Remarquons aussi que ce traducteur qui maîtrisait le grec, mais pas le latin, n'a pas suivi scrupuleusement le texte punique dans la traduction qu'il a faite de Magon. Selon toute vraisemblance, il a essayé d'helléniser le Carthaginois, et ce à la demande du sénat romain, en condensant d'une part l'encyclopédie magonienne et en y ajoutant « un bon nombre d'indications et de préceptes puisés dans des auteurs grecs»32. La façon avec laquelle cette œuvre a été traduite, aux environs de 60 av J.-C., sera imitée mille cent ans plus tard par Constantin l'Africain, notamment en ce qui concerne les œuvres refondues dans le Pantegni. Et s'il parait assez vraisemblable que Constantin l'Africain n'ait pas agi de son propre chef pour s'attribuer des œuvres dont il ne fut que traducteur, s'il est établi que les touches helléniques maquillant le Pantegni et son expurgation de tout indice d'arabité ne sont pas non plus l’œuvre directe de Constantin, que dire alors ? La tradition initiée par les Romains en matière de malhonnêteté intellectuelle, et l'allergie à tout ce qui sente le barbare, cette belle tradition-là ne fut pas l'apanage de l'ère païenne. Elle eut de beaux jours encore à l'ère chrétienne, et sous la couverture des plus pieux. 
             
Des cendres de Carthage et de cette même Afrique dont étaient sortis Magon et son traducteur, sortiront plus tard Perpétue et Félicité, Saint-Augustin, Cyprien de Carthage, Térence, Apulée, Tertullien, les trois papes Victor Ier,  Gélase Ier et Saint Miltiade, Donatus de Carthage, Félix de Carthage, Fulgence de Ruspe...
Sortiront aussi les médecins Théodore Priscien, Cassius Felix, Caelius Aurelianus, Vindicianus Afer, les poètes, grammairiens, ou polygraphes comme Sulpice Apollinaire de Carthage, Alypius de Thagaste, Martianus Capella, Lactance, Aurélius Victor, Minucius Félix, Priscien de Césarée, Dracontius, Fronton, Flavius Macrobe, Marcus Manilius, Arnobe l'Ancien, Eutychius Proculus, Sextus Julius Africanus, Aurelius Victor, Cassius Dionysius, Quintus Gargilius Martialis...

Et la liste est interminable: il n'est que de relire l'histoire pour s'en assurer33.                     


Tous ces personnages que nous venons de citer, coiffés de noms latins ou latinisés, sont de la même souche, du même sang, de la même Afrique dont Constantin le toubib tire ses racines. Tous ces Africains ont été, à divers degrés, précepteurs, maîtres, professeurs, les uns d'empereurs romains34, d'autres de toute la Rome païenne, d'autres encore de l'Occident et de l'Orient chrétiens, d'autres enfin de l'humanité entière. Et si nous les citons ici, ce n'est pas seulement par réaction d'orgueil à une fausse idée qui dénature l'histoire. Ce n'est pas non plus à seule fin de réhabiliter cette même histoire aux yeux de nombreux amnésiques africains, car l'amnésie n'est pas à reprocher exclusivement à un bord. C'est pour donner  également une idée sur la contrefaçon historique qui se perpétue encore de nos jours, au niveau même des fragments d'identité qui s'enseignent et se publient sur ces personnages.

Peut-on imaginer que tous ceux qui sont nés en France entre 1940 et 1944, c'est-à-dire sous l'occupation nazie, soient désignés comme Allemands dans les registres d'Etat civil ? Est-il admissible qu'un seul Français ayant statut de personnage public, pour être né sous l'occupant nazi, doive être affublé dans un manuel d'histoire, sur une page électronique ou dans tout autre document, de la nationalité allemande ? La question se passe évidemment de réponse. Peut-on nous expliquer alors par quels principe, droit, morale, éthique, ce qui est inadmissible à l'endroit des Français puisse être admis à l'endroit de Saint-Augustin et ses frères africains ? Si cette assimilation pouvait s'expliquer par une quelconque piété envers la mémoire de ces hommes dont plus d'un n'a cessé de crier de son vivant qu'il était africain, voire punique, telle piété serait alors incongrue. Indécente. Risible. Pour le moins qu'on puisse en dire.

Bien des siècles avant Bologne

Quand Constantin l'Africain est mort en 1087, l'université italienne de Bologne, la plus vieille d'Europe, n'était pas encore née. Et si elle naît quand même en 1088, cet évènement saillant dans l'histoire de l'enseignement en Europe  n'est pas sans rapport avec l'étincelle prométhéenne apportée par Constantin à l'école de Médecine de Salerne. Et qui fut tirée des deux universités les plus vieilles au monde, toutes deux ifriqiennes et toujours en vie dans l'actuelle Tunisie .

A la naissance de Constantin en 1020, certes l’université de Carthage n’était plus qu’un souvenir, mais le flambeau de son génie ne s’était pas éteint pour autant. Il fut passé de longue date aux universités de Tunis et de Kairouan. Ces deux pôles universitaires, distancés de 150 km seulement, étaient des plus florissants au monde musulman.

La Zitouna est fondée en 737 de l'ère chrétienne. Certaines sources électroniques font de l'université turque de Haran (dont il ne reste aujourd'hui que des ruines) la première au monde. Et curieusement, en 1998 le Livre Guinness des records35 attribue ce premier rang à la marocaine la KaraouiyineEn vérité, tout cela est faux, archi-faux ! Le fondateur de Haran est le calife abbasside Haroun ar-Rachid. Quand la Zitouna fut fondée, ce calife n'était pas encore au pouvoir ni même né36. La Zitouna précède d'un demi siècle au moins la feue université abbasside de Haran. Quant à l'université de Fès, dont le nom seul aurait dû inciter les éditeurs de Guinness Book à revoir leurs sources d'information,  elle n'a été fondée qu'en 877, soit 140 ans après la Zitouna. Et si l'université marocaine s'appelle Karaouiyine, c'est que sa fondatrice, Fatima al-Fihriya, tunisienne, est originaire de Kairouan. 


Chronologie des fondations universitaires
Originaire de Kairouan aussi le pouvoir politique fondateur de la 5e université au monde musulman:  Al-Azhar du Caire, construit en 970 37. Par conséquent, à ce chapitre précis du mérite historique, non seulement l'Ifriqia est pionnière dans la fondation d'universités sur son sol national, et avec une large avance historique sur le reste des pays, mais elle a patronné, de surcroit, des fondations universitaires, et des plus vieilles, au delà de ses frontières géographiques. 
  
C'est dire combien le voyage vers l'Asie prêté à Constantin l'Africain et ses 40 ans d'exil en quête de savoir paraissent tenir bien plus de la fabulation et de l’affabulation que de la vraisemblance historique. 

Pendant près de 13 siècles, la Zitouna n’a cessé de rayonner, autant sur le pays qui l’abrite, c'est-à-dire la Tunisie actuelle, que sur l’ensemble du Maghreb. Religion, droit, grammaire, rhétorique, histoire, sociologie, y avaient leurs chaires de maitres autorisés38. Comme la géologie, l'astronomie, la médecine, la musique...Et parmi les savants sortis de cette  université, on compte même des érotologues dont plus d'un a acquis une célébrité universelle39.

Il n’est que de citer Ibn Khaldoun, Yahya Ibn Khaldoun, Ahmadal-Tifachi, Ibn Arafa, Mohamed Essikilli, Abderrahmane At-Thaalibi,  Albelhamid Ben Badis, AhmedTijani, Abdallah Tijani, Mohamed Tahar Ben Achour, Abdelaziz Thâalbi, Tahar Haddad, Aboulkacem Echebbi,  Abou El Kacem Saâdallah, Muhammad Ben Arafa, entre autres figures historiques formées par cette université.
              

Le second pôle, l’université de Kairouan, est aussi l'un des plus anciens au monde, le 2e après la Zitouna. Bien que plus réputé en son temps que le premier, notamment pour son école de médecine,  le pôle kairouanais a connu des hauts et des bas. Fondé en 772, il a atteint son apogée entre les IXe et XIe siècles, c’est-à-dire à l’époque qui englobe la vie de Constantin l’Africain. Pendant ces trois siècles, Kairouan était l’un des plus grands centres de la civilisation musulmane. Sa médersa (collège) est assurément antérieure à celle de la Zitouna, la Grande mosquée de Kairouan ayant été fondée dès 675. Ensuite, le transfert du pouvoir politique vers Tunis, faisant de Kairouan la deuxième ville du pays alors qu'elle fut la capitale, a dû avoir des incidences sur le rayonnement culturel de Kairouan. Alors que la Zitouna ne pouvait que profiter du reclassement de la ville qui l'abrite, l’université kairouanaise a pâti de cette nouvelle situation. Tunis qui prospérait à tous les niveaux détournait vers son université autant les étudiants que  les bons enseignants autrefois polarisés par Kairouan. Mais la deuxième université ifriqienne  ne cessa pas pour autant de former des générations de savants, de médecins, d'astronomes et de clercs, dont la renommée n'envie rien à celle des générations zitouniennes.40
                      
L'université de Kairouan est aussi, et c'est le fil du tapis dans cet article, le tremplin qui a propulsé Constantin l'Africain dans le ciel de sa légende. Une bonne part de ce qui fait la moelle du Liber Pantegni a été extraite du génie médical kairouanais. Trois médecins  dont l'un est le fondateur de l'école de médecine de Kairouan figurent parmi les auteurs plagiés dans le Pantegni. Et pendant quarante ans, leurs écrits et tous ceux traduits en latin par Constantin l'Africain ont été donnés comme les œuvres originales du maitre de l'Orient et de l'Ocident. Le premier de ces auteurs, Ishaq ibn Omran, a écrit un traité magistral sur la mélancolie, aujourd'hui conservé à Munich. Le deuxième, Ibn AlJazzar,  est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont le fameux Viatique du Voyageur. Le troisième, Abu Yaâqub Ishaq ibn Sulaiman, ou Isaac Israeli, est l'auteur de six traités médicaux et trois philosophiques.

Telle est la vérité sur l'école africaine dont, apparemment, les maitres ne fussent pas assez instruits.

"Une vision bornée de l'histoire nous a imposé d'en localiser les sources non loin de chez nous, dans l'aride péninsule hellénique et sur les misérables rives du Tibre. Les Européens réduisent volontiers les origines de leur culture aux cantons athéniens et romains. C'est là une appréciation erronée; elle nous a été inspirée par des partis pris confessionnels et politiques. Il n'est guère douteux en effet que les historiens de l'Eglise catholique romaine, seuls maîtres durant plus de mille ans des archives de l'antiquité, en ont orienté l'interprétation pour la plus grande gloire de l'Occident européen."

 Pierre Rossi, La Cité d'Isis: histoire vraie des Arabes (Nouvelles Ed° Latines, 1976)



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                                                                                                        ....A suivre 






Ahmed Amri20 mars 2016







==== Notes ====


31- Stéphane Gsell, Histoire ancienne de l'Afrique du nord, tome 4 (Paris, 1924), p.4

32- Ibid. p.5

33-A ce propos, je recommanderais à la fois la lecture de Paul Monceau qui a consacré 7 volumes à la littérature carthaginoise depuis les origines jusqu'à l'invasion arabe, auxquels s'ajoute un huitième consacré à Apulée: vol. 1, vol. 2, vol. 3, vol. 4, vol. 5, vol. 6, vol. 7. Et celle de Stéphane Gsell et son Afrique du Nord en 8 volumes: vol. 1, vol. 2, vol. 3, vol. 4, vol. 5, vol. 6, vol. 7, vol. 8.

34- Lactance a été précepteur de Crispus, Sulpice Apollinaire maître de Pertinax, l'esclave Térence maître de ses maîtres, puis de l'aristocratie romaine qui l'a affranchi (voir l'hommage que lui rend Diderot dans Mélanges de littérature et de philosophie, édition de Jacques-André Naigeon, vol. IX. Paris, 1798). 

35- The Guinness Book Of Records, Published 1998, p.242.  

36- Haroun ar-Rachid est né en 763 et devenu calife en 786.

37-  Entre 969 et 973, l’Égypte était province de l'Ifriqia fatimide. Le calife Al-Muizz, né à Mahdia, avait pour capitale Al-Mansouria (aujourd'hui en grande partie ensevelie), distante d'un mile seulement de Kairouan. Al-Muizz et son général Jawhar avaient reçu tous deux leur instruction à l'université kairouanaise. Et cette université avait probablement contribué de son génie à l’œuvre du bâtisseur fatimide. La capitale égyptienne refondée entre 969 et 973 devait s'appeler initialement Al-Mansouria: hommage à la fois au père du calife et à la capitale fondée par ce père en 947. Un contretemps força Al-Muizz de choisir un autre nom; et ce fut al-Cahira (le Caire). On raconte à ce propos que des astronomes avaient mis au point un système ingénieux  permettant d'observer le ciel afin de déterminer le moment propice au démarrage de la construction. Une alarme devait se déclencher à un jour "j", correspondant à une phase "p" de Mars, pour autoriser les maçons à commencer leurs travaux. Mais des corbeaux s'étant posés sur les cordes portant les clochettes de l'alarme, celle-ci déclenchée, la construction a débuté plus tôt que le moment fixé: Mars (al Qahir) était alors au zénith. D'où al-Qahira (la Victorieuse), et non Al-Mansouria (La Soutenue-pour-être-victorieuse), afin de ne pas s'attirer des ennuis avec l'astre à son zénith ! ( The New Encyclopedia of Islam Par Cyril Glassé,Huston Smith, New York, 1989; p. 96).
Pour l'Université Al-Azhar, le choix du nom est un hommage à Fatima, fille du Prophète, que les musulmans surnomment Ezzahra (La Fleur, ou La Fleurie). Les Fatimides étant chiites, ce toponyme (comme La Mahdia en Tunisie) est marqué du sceau de l'allégeance à l'imam Ali.

38-Outre le zitounien sûr Ahmad al-Tifachi (1184-1253, il y a lieu de croire que ِCheikh Nefzaoui dont sa Prairie Parfumée a été écrite aux environs de 1420 est également zitounien.

39- Les philologues qui s'intéressent aux emprunts lexicaux ne nous disent pas si les mots licence (du latin licentia) et ijaza [ إجازة] dont la traduction littérale est licence ont une parenté étymologique. L'ijaza, que Anne-Marie Moulin définit comme étant "l'autorisation d'exercer sur la foi de l'enseignement reçu d'un maître" (Le Médecin du prince: Voyage à travers les cultures (Odile Jacob, 2010), semble remonter dans l'histoire arabe à l'époque du Prophète. Même si l'autorisation écrite, le diplôme en due forme, a dû attendre le 8e siècle (fondation des premiers mouristans (hôpitaux)
pour enter en vigueur, nous savons que le médecin du Prophète Al-Hareth Ibn Khalada a formé des infirmières, dont l'une est devenue ophtalmologiste attitrée par la suite, afin que ces femmes puissent être autorisées à sortir avec les guerriers et assister ceux-ci en cas de blessure. Cette formation sanctionnée par un droit réservé à quelques élues, institutionnalisait d'ores et déjà le diplôme. Ensuite et dès les premières conquêtes islamiques, l'ijaza est devenue incontournable pour ceux qui devaient émettre des fatwas. Avec les hôpitaux puis les universités, la permission d'exercer ou d'enseigner va requérir désormais un papier portant le sceau des maîtres et attestant des compétences du licencié. Compte tenu de ces considérations, le mot licence (comme tant d'autres mots arabes latinisés par traduction littérale puis passés aux langues romanes) est un pur arabisme assimilé par calque. A ce titre, n'en déplaise aux philologues qui tentent de couvrir le soleil par le crible (ce mot est à son tour tiré de l'arabe gharbel غربال qui a donné grabeau et grabeler), licence est un emprunt lexical à l'arabe.

40- Quelques noms illustrant les cadres formés par l'université de Kairouan
(nous avons puisé l'essentiel des informations composant cette note dans l'article de Hamadi Mokdadi: Kairouan :Source de richesses, de savoir et de savoir-faire!  : 

-Yahya al-Kilani (828 - 901): élève d'al-Karraz et auteur du premier livre de «Hisba» (mathématiques financières) écrit au Maghreb.
- Shuqran Ibn ALI (802): auteur d'un livre sur les partages successoraux intitulé «Hisab Alfaraidh».

- Abou Sahl al-Kairaouani (922-996 - Kairouan): juriste et  l'une des grandes figures du droit  malikite. il est l'auteur de Al-Risâla ou L'Épître, considéré comme le troisième ouvrage de référence du malikisme après Al-Muwatta de l'imam Mâlik ibn Anas et la grande Al Mudawwana de l'imam Sahnoun. Il a écrit aussi un livre intitulé «AL kitab fi Elhisab Alhindi» ( الكتاب في الحساب الهندي /Le Livre de l'arithmétique indienne), un troisième de géométrie trigonométrique, ainsi qu' un grand traité d'astronomie.
- Nassim Ibn Yacoub al-Kairaouani (ْXe - Kairouan- Caire): astronome de confession judaïque parti avec les Fatimides au Caire en 973 Ap. JC. Il est le beau-père de Samuel ibn Nagrela, le grammairien, poète, et talmudiste andalous du XIe.
- .AL outaki al-Ifriqi (mort en 955  au Caire): astronome et enseignant, il a quitté Kairouan en même temps que les Fatimides.
- Yacoub Ibn Kiliss (? -990), savant universel né à Bagdad, originellement de confession judaïque. s'est converti à l'islam au lendemain de son arrivée à Kairouan en 973.
-Aboul Hassan Ali ibn Abi lrijâl ( ?- 1أبو الحسن علي ابن أبي الرجال ( 034, plus connu en Occident sous son nom latinisé Haly Abenragel), auteur de Kitāb al-bāri' fi akhām an-nujūm (Le livre complet sur le jugement des étoiles) qui a été traduit par Yehuda ben Moshe our Alphonse X de Castille en 1254. Il est aussi l'auteur de Collection des Commencements et des Fins ( جامع المبادئ والغايات) dont la traduction française par Sédillot sous le titre Traité des instruments astronomiques des Arabes a été publiée en 1834.
 - Abou Attayeb Abdelmonim ibn Brahim al-Kindi [ أبو الطيب عبد المنعم بن إبراهيم الكندي1043], mathématicien, ingénieur et grand géomètre, le meilleur de son époque  dans ce domaine précis. Il avait l'ambition de relier par un canal Kairouan à la mer, et son plan était réalisable mais la mort ne lui a pas permis de le faire aboutir.
- Ibn Sufyan al-Sadfi (Xe): poète et astronome né à Kairouan et mort à Bagdad, il fut de l'élite proche du calife El Mansour (984-996).
- Abou Es-salt (1067 - 1134); astronome, médecin, chimiste, poète, et auteur d'un grand nombre de titres, il est qualifié de Génie rare de son temps dans les disciplines aussi bien scientifiques que littéraires. D'origine andalouse, il part vers la trentaine en Egypte, et quelque dix ans après, il s'installe en Tunisie, à Mahdia. Alors qu'il était en Egypte, il fut emprisonné par les Zirides pour son échec à extraire de la mer un bateau naufragé: il aurait conçu un système de treuils et de poulies ingénieux dont la réalisation a coûté cher au vizir qui l'avait chargé de la mission de secours, mais le système, d'abord prometteur, a lâché à la dernière minute. Parmi ses œuvres, on peut citer Le Livre des médicaments singuliers [كتاب الأدوية المفردة ], Promotion de l'esprit en matière de logique [كتاب تقويم الذهن في المنطق  ], L'Epitre égyptienne [ كتاب الرسالة المصرية ], Mémoire pratique pour l'usage de l’astrolabe [كتاب رسالة عمل بالإسطرلاب  ], Préambule au sujet des mérites des Sanhaji [ كتاب الديباجة في مفاخر الصنهاجة ], Anthologie de la poésie moderne [ كتاب الحديقة في مختار من اشعار المحدثين]...
- Abou Jaâfar al-Hassib al-Kairaouani, surnommé Al-Ahdib [le Bossu]: on sait très peu de choses sur ce mathématicien qui a vécu dans la 2e moitié du IXe et écrit un livre intitulé Le Parfait (ou L'Intégral) «al-Kamel الكامل», lequel a reçu,  cinq siècles plus tard, les meilleures éloges de Ibn Khaldoun.
- Abou Almajd Ibn Outaya ( -1031). Il était l'un des secrétaires d'Etat au temps des princes Zirides. Il a écrit une épître intitulée Maqala fi Aldharb oua Alkisma ( مقالة في الضرب والقسمة Essai sur la multiplication et la division), de grande utilité pédagogique,  conçu comme un complément au livre d’Al Kamel d'Abou Jafer Al Hassib.
Aboulkacem ibn Ahmed ibn Mohamed al-moûtel al-Balaoui al-Kairaouani alias Barzelli ( أبو القاســــم بن أحمد بن محمد المعتل البلوي القيرواني الشهير بالبرزلي)-(1337-1438), auteur de Universel de jurisprudences (جامع مسائل الأحكام لما نزل من القضايا بالمُفتين والحكام   ), plus connu sous le nom de Les Fatwas de Brazelli.






Constantin Afer: fugitif ou captif de bonne guerre? - III


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En vérité, même si la formulation varie d'un auteur à l'autre, même si l'euphémisme des deux premiers voile ce que nous paraphrasons par incompétence pédagogique, les trois auteurs ont traduit chacun à sa façon le supposé que véhicule la rhétorique de Pierre Diacre. Et l'idée bien-pensante que ces plumes ont ainsi formulée, contrairement à ce qu’on pourrait le croire, ne jaillit pas directement de leur cru. Elle sourdait déjà dans les textes latins de Léo d’Ostie et Pierre Diacre. Et davantage en-amont, aux sources-mêmes de la culture romaine depuis les vieilles guerres puniques. L'histoire, à commencer par celle que nous transmet le témoignage de Pline, nous rappelle avec quel dédain déconcertant le sénat romain a traité les bibliothèques puniques après la destruction totale de Carthage. De tous les livres qui, après dix jours d’incendies, de saccage et de pillage, n’ont pu être consumés par le feu, un seul titre fut jugé digne d'être conservé, traduit et
Hannibal
transféré à Rome. Des milliers d'ouvrages selon toute vraisemblance, des trésors de savoir dont personne aujourd’hui ne peut estimer la valeur et le volume, ont été offerts aux alliés de circonstance, les princes numides. La Rome victorieuse qui a rasé en entier Carthage, encore grisée de sa victoire mais pas tout à fait guérie du démon punique, ne pouvait autoriser que celui-ci renaquît de quelque façon de ses cendres. Transmettre à la postérité romaine les bibliothèques non brûlées de Carthage, c’était non seulement reconnaître à l’ennemi annihilé un génie, une culture, une civilisation, mais compromettre d’une certaine façon la conjuration du démon qu'on voulait parfaite. Ce que la doxa sénatoriale romaine ne pouvait admettre. Malgré l’exception honorant Magon.     
                    
Et parce que la survie, ne fût-ce que pour quelques siècles, du génie agronomique de Carthage23 à travers le fameux Traité d'agriculture de Magon, nous a révélé ce que l’humanité a perdu avec Carthage et ses bibliothèques, il n’est pas rare de voir de temps en temps un Romain, ou son spectre, se rebiffer contre l’apostasie qui prête à l’Afrique un génie ! De nos jours encore, une certaine intelligentsia occidentale imbue de sa filiation avec la romanité ne pardonne pas à Antoine de Rivarol (1753-1801) l’irresponsable hypothèse qu’il se plaisait à formuler et développer en son temps. « Si  Carthage avait triomphé de Rome…». Même Victor Hugo malgré son 19e siècle libéral, républicain, laïc, humanitaire, et malgré le regret qu’il ne cachait pas, évoquant le triste « monde perdu », semble donner plus de raison à l’implacable Rome qu’aux «esprits qui aiment à sonder les abîmes»24, allusion à ce provocateur défunt au moment où lui-même n’était pas encore né. Contre la bien-pensante intelligentsia de son temps et le bon sens occidental, Rivarol soutenait que « si Carthage avait triomphé de Rome, l’Europe aurait été éclairée huit ou neuf cents ans plus tôt»25. A peine deux siècles plus tard, cette pensée sulfureuse qu’on croyait dissipée dans les nuages de l’oubli émergeait de nouveau, sous la plume d’Anatole France. Et quoique attribuée à l’un de ses personnages, diluée dans un registre romanesque, la phrase sonnait comme une apostasie: « le jour le plus funeste de l'histoire » est « le jour de la bataille de Poitiers, quand, en 732, la science, l'art et la civilisation arabes reculèrent devant la barbarie franque »26                        
  
Si l’intellectuel du 19e, à travers un auteur comme Figuier, interprète de la sorte le raccourci narratif évoqué, que dire alors du lecteur moyen qui ignore l'histoire et, partageant une bonne part des convictions communes et des préjugés transmis de père en fils, n'a pas l'armature suffisante pour passer au crible ce qu'il lit ?
 

Mais rien qu’à évoquer l’Afrique comme dans le fragment cité, Figuier lui-même avait-il assez de connaissances historiques pour ne pas se laisser piéger par ce nom ? Et Malgaigne savait-il à son tour à quoi rime le double complément de lieu « né à Carthage, en Afrique » ?      
                      
Il est certain que ni l’un ni l’autre ne savaient que l’Afrique27 était à Carthage ce que l'Hexagone est à la France. Sans cette bourde révélatrice de leur défaut de cuirasse, l’un aurait évité cette construction tautologique qui consiste à redire Carthage par Afrique, et l’autre n’aurait pas cherché à éviter ce qui devait lui paraitre comme attelage, au sens rhétorique du terme, s’il coordonnait Carthage et Asie. D'où la phrase : « il quitta l’Afrique, et se rendit en Asie ».

Dans les textes latins de Pierre Diacre, de Léo d’Ostie, ou de Matthaeus Ferrarius, relatifs à la vie de Constantin l’Africain, comme dans les récits des voyageurs et géographes arabes du Moyen-âge, l’Afrique [Ifriqia] désignait l'actuelle Tunisie, dont les frontières s'étendaient vers le sud comme vers l'ouest sur une bonne partie du Maghreb. Dans les textes plus anciens (Pline, Tite-live, etc.),  c’est toujours Carthage, ou ce qui s’appelait, depuis la fin des guerres puniques, la province d’Afrique annexée à l’empire romain. Mais jamais encore le continent africain qui, tout en étant polyonyme, devait attendre le 16e pour se faire découvrir par une poignée (et le terme est bien pesé!) de l'élite éclairée européenne28. Et s’adjuger par la suite le nom jusque-là exclusif à l’Ifriqia. Par conséquent, c’est dans les limites géographiques de ce territoire-là, tantôt restreint à la Tunisie médiévale tantôt étendu au Maghreb actuel, qu’il faut entendre le sens exact du surnom l’Africain [Africanus], donné à plusieurs personnages historiques29 dont notre Constantin. Par ailleurs, quand Pierre Diacre ou d’autres auteurs médiévaux parlent de Carthage ou de Babylone dans un contexte comme celui qui nous intéresse ici, il ne faut pas se méprendre non plus sur le sens exact de ces mots. Carthage désignait Tunis, et Babylone30 Bagdad.
Cela dit, le fond des griefs à faire au biographe de Constantin l’Africain, et davantage aux historiens qui ne se donnent pas la peine de relire l'histoire, ne porte pas sur des détails de cet ordre. Ce sont plutôt ces raccourcis qui, du premier auteur aux lecteurs-auteurs (en l'occurrence Figuier ou tout autre auteur imitant sa démarche), ricochent et produisent un sens auquel le blanc initial, certes, se prête, mais ne s'y prête qu'à la faveur d'une lecture hâtive et complaisante, d'un parti pris idéologique et civilisationnel, d'un mensonge historique qui se perpétue depuis la nuit des temps.

Nous avons démontré à travers l'exemple précédent comment un mot aussi anodin que Afrique, employé dans un contexte qui n'est pas le sienpeut être révélateur d'une certaine méconnaissance de l'histoire. Mais nous n'avons presque rien dit sur l'étendue réelle de cette méconnaissance. Si le nom de Carthage pouvait éclipser encore, au 11e siècle, celui de Tunis, au 19e comme au 11e, à notre sens, on devrait se souvenir également de quelques Carthaginois dont les noms, à ce jour, ne se prêtent pas facilement à l’oubli.






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Ahmed Amri
20 mars 2016 


==== Notes =====

23- Ce génie a fait la prospérité de Carthage mais aussi son malheur. L'argument de la figue sur quoi se serait appuyé Caton pour décider le sénat romain à soutenir son Delenda Est Carthago (il faut détruire Carthage) n'a rien de caricatural ou de bizarre comme le pensent certains historiens dont Pline. Lisons ce que Diodore de Sicile raconte, rapporté par Stéphane Gsell: "A la fin du IVe siècle, quand les soldats d'Agathocle, ayant débarqué à l'extrémité du Cap-Bon, se dirigeant vers Carthage, un spectacle digne d'admiration se déroula sous leurs yeux: belles demeures appartenant à la noblesse punique, vignobles, olivettes, vergers, prairies pleines de moutons, de bœufs, de chevaux..." .(Stéphane Gsell, Afrique du Nord, Vol. 4 (Paris, 1913-1929), p.5) Carthage détruite, l'Afrique est devenue grenier de Rome. Et ce grenier, comme la verdure qui , plus tard depuis la conquête musulmane, a valu à la Tunisie le surnom de Khadra (Verte), sont d'abord le produit d'une mise en valeur carthaginoise de l'Ifriqia.

24- Œuvres complètes de Victor Hugo, Vol.I, Paris, 1845; p.642

25-  La citation est reconstituée d'après ce qui est rapporté par plusieurs auteurs dont Michel Angelo Lanci (Dissertazione su i versi di Nembrotte e di Pluto nella Divina commedia di Dante, Rome, 1819; p.21) et Joseph-Alphonse Esménard, La Navigation, Paris, 1805; p.52.

26- Anatole France, La Vie en fleur, 1922; p. 230

27- Africa, en punique aussi bien qu'en arabe, dérive de la même racine trilitère frk (séparer). Par conséquent lorsque les Arabes s'attribuent l'étymologie, ils n'ont pas tort. Lorsque les philologues occidentaux attribuent l'origine du mot aux Phéniciens, ils n'ont pas tort non plus. Une colonie de Tyr séparée, le sens du mot s'y prête de par la racine sémitique évoquée. Mais là où la philologie ne voit que du grec ou du latin, elle se goure forcément, ou elle tente de gourer.


28- Longtemps, très longtemps, l'Afrique a été à la fois polyonyme et de géométrie variable. Elle s'est appelée Eskhatie, Koryphe, Hespérie, Orllygie, Ammonide, Ethiopie, Cyrène, Ophiuse, Libye, Kephénie, Aérie. Nous devons cette longue liste à Etienne de Byzance, qui la doit à son tour à Alexandre Polyhistor (D'Avezac, Esquisse générale de l'Afrique et Afrique ancienne, Paris, 1844). Le dernier nom que dut porter le continent avant d'être désigné par Afrique fut Cafrerie. Ce dernier, d'abord employé par les Arabes pour désigner les contrées des Cafres (kouffars كفار), c'est-à-dire infidèles, qu'on distinguait de l'Ifriqia déjà musulmane, a été repris plus tard par les Européens pour désigner les contrées noires. Du portugais, le terme est passé au français, puis aux autres langues romanes.  De la première attestation du mot Afrique sous la plume du poète romain Ennius (2 siècles avant notre ère) à l'encyclopédie grecque Souda qui date de la fin du IXe, la seule Afrique reconnue sous ce nom est Carthage, ou ce que les Arabes appelaient depuis la conquête de la Berbérie Ifriqia.
Ce n'est que depuis la Cosmographia de Affrica, publiée à Venise sous le titre Description de l'Afrique, de Léon l'Africain, que le sens du mot Afrique commence à s'élargir pour désigner d'abord l'Afrique du Nord, et ensuite cette partie plus l'Afrique subsaharienne.  

29- A titre indicatif, quelques exemples: Julius Africanus, Paetius Africanus, Sextus Africanus, Victor Africanus, Léon Africanus...


30-
Si Carthage a pu renaître dans l'Afrique romaine, avec la conquête arabe c'est Tunis qui devient la métropole puis la capitale de l'Ifriqia. Quant à Babylone, dès les premiers siècles de notre ère elle n'était plus que des ruines. Et c'est Bagdad qui deviendrait la capitale de la Mésopotamie et de l'empire abbasside. 


Quand les médias crachent sur Aaron Bushnell (Par Olivier Mukuna)

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