dimanche 2 février 2020

"Mec": un mot venu d'Arabie

 « Est-ce que tu ne te déciderais pas, [...], à venir avec nous à la ville de Sennâr ? Tu y trouveras honneur et bien-être. Notre mek (roi) est homme à main ouverte, qui ne regarde ni à l'argent, ni à l'or... » (Mohammed ebn Omar el Tounsy) [1].

Le mot français « mec » est attesté pour la première fois en 1821, comme terme d'argot marseillais, sous l'orthographe "mecque", au sens de "chef". Historiquement, il a eu de nombreuses variantes orthographiques telles que : mek, mèke, mecck, meq, mèque, meck, mecq, meg [2]. Et de nombreux sens aussi, d’après Gaston Esnault citant Ansiaume (forçat à Brest, 1861): « Dieu, roi, maître, chef, patron, surnom de Vidocq » [3].

Quoique la forme comme les sens historiques plaident de façon pertinente pour une dérivation de l'arabe soudanais
مَكٌّ mek (roi), forme contractée de l'arabe malik (de sens identique), le TLFi et consort ne daignent même pas citer comme simple hypothèse l'étymologie arabe. Celle-ci, pourtant, après avoir été citée une première fois par Maxime Du Camp en 1879 [4], est jugée des plus plausible par Albert Dauzat en 1931 [5]. Il est ridicule de faire dériver mec de « mégot », de « maquereau », de « mais que » ou de « mesque » (motif), alors que « mek » au sens de roitelet nubien est attesté en anglais dès 1790 sous la plume de James Bruce [6], et en français depuis 1791 via la traduction de ce même auteur par P. F. Henry [7].  La traduction de Mohammed ebn Omar el Tounsy, cité en exergue, nous fournit de nombreux passages où le terme "mek" est cité pour désigner des roitelets soudanais [8].

Mec: le mot venu d'Arabie
« Mek » , ou sa racine مَلِكٌ malik, répond à tous les sens réunis du mot français indiqués par les lexicographes de l'argot. Attribut divin chez les musulmans, d’où le prénom عبد الملك Abd al Malik (esclave de Dieu), le titre royal du souverain (malik) et les titres honorifiques de chef et maître. 

Rappelons également que si Eugène François Vidocq – probablement vers la fin du 18e s., ou le début du 19e s.- avait été surnommé « le mek », c’était surtout à la faveur du respect que lui valut sa notoriété auprès des gens du milieu . Et il serait impensable que l’on aille chercher un sens à tel respect dans les mots « maquerau », « mégot », « mais que » ou « mesque ». D'autant que Balzac lui-même assigne à "meg" le sens de Dieu.


A. Amri
02.02.2020

 Notes:

1- Voyage au Darfour, trad. Perron, Paris, 1845, pp. 12- 13. 
2- Définition de : mec, www.languefrancaise.net/Bob/282
3- Opt. cit.
4- Maxime Du Camp, Paris : ses organes, ses fonctions et sa vie jusqu'en 1870, V. 3, G. Rondeau, 1869, p. 18.
5- Revue de philologie française et de littérature, V. 43 à 46, F. Vieweg, 1931, p. 72
6- Travels to discover the source of the Nile, in the years 1768, 1769, 1770, V. 4, Londres, 1790, p. 527.
7- Voyage en Nubie et en Abyssinie, T. 7, Paris, 1791, p. 104.
8-  Mohammed ebn Omar el Tounsy, opt. cit., pp. XLIX, 13, 35, 70.

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samedi 1 février 2020

"Refuser": un verbe qui refuse l'incertitude de Littré et l'ingéniosité de Diez


« Si la langue de Voltaire, suivant Voltaire lui-même, est une gueuse fière à laquelle il faut faire l'aumône, la langue arabe, au contraire, semble la donner. » Pierre Dupuy [1].

 
Le verbe français "refuser" date de 1100 à 1150. On présume qu'il
est issu du provençal refuser, refudar, refuidar (de sens identique). Littré le juge toutefois "mot incertain" [2]. Et Diez veut que le verbe français soit issu d'une confusion entre le latin "refutare" et "recusare"[3][4]. Sans doute par allergie à l'arabe, Diez n'a même pas songé à signaler l'analogie, pourtant plus que frappante, entre le français "refuser" et l'arabe "رفض rafadha" (de sens identi-que), dont l'égyptien tire sa variante dialectale "رفز rafaza". Or le radical arabe est bien plus pertinent que le produit amalgamé de cette cohobation philologique faite par Diez. Rappelons que Littré qualifiait celle-ci de "conjecture ingénieuse, sans être tout à fait sûre". Rappelons aussi que ce même Littré dit ne pas comprendre d'où vient le "h" de l'espagnol "rehusar" (refuser) et le "s [z]" du français que le latin n'a pas. Selon toute apparence, la même allergie évoquée au sujet de Diez semble avoir fait oublier à Littré deux règles de vocalisation mentionnées à la fois par Dozy et Lammens. La première,  le "ف f"  arabe se permute quelquefois, autant dans l'orthographe espagnole que celle du français, avec le "h". En espagnol, on en voit l'illustration à travers des mots tels que الفستق [al fostoq] alhocigo [pistache], الفندق [al fondoq] alhondiga [fondouk],قفيز [qafiz] cahis, [cahis]... En français,فردة [ferda] hardes [voir aussi farde, fardeau], et فرس [faras] haras.

La seconde, le " ض/ظ/ذ dh" arabe (qui se prononce à peu près comme l'anglais "th" [father, mother, this...] se permute avec le "z": حافظ [hafidh], hafiz [inspecteur]; النظم, [an-nadm], anazmes, ضابط [dhabit], zabit [inspecteur de police],  نظام[nidham], nizam, مؤذن [moueddhin] muezzin...

Comparez avec l'occitan "refusar", "refudar", "refuidar", le roumain "refuza", l'italien "rifiutare", l'anglais "refuse". 

A. Amri
01.02.2020

Notes:

1- Le nouvel Anacharsis dans la Nouvelle Grèce, ou L'Hermite d'Épidaure, V. 1, Paris, 1828, p. 302. 
2- Dictionnaire de la langue française, T. 2, Paris, 1869, p. 1552. 
3- « refuser », dans Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, 1872–1877
4- « refuser », dans TLFi, Le Trésor de la langue française informatisé, 1971–1994


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