Quand
vous envoyez au TLF une requête au sujet de l'origine du mot "calame",
voici ce que les
Gardiens du Trésor vous disent: du latin "calamus" qui
dérive lui-même du grec "kάλαμος" [kalamos]. Et l'histoire s'arrête là.
Ou plutôt là commence l'histoire. Car au-delà de kalamos, il n'y a rien à
part la nuit chtonienne dont est sorti le jour grec. Duquel est sorti
ensuite l’œuf originel de l'univers.1
Calame
Au clair du soleil, mon amie Hélène Feu grand-père a prêté son vert roseau A ta feue mamie pour écrire un mot Et son qalam depuis devint hellène
C'est que de haute Grèce feue mamie Et sur les dos amis mangeant sa laine En trempant le mirliton dans son encre Le vit si baveux qu'elle en fit son ancre Y mouillant de vie à très bas l'ami
Hélène de Troie feue sa légataire Mordue de houkas et tout feu lascif Du qalam fit calumet pour son kif Et leur kief aux copains célibataires
Athéna à Roma abdicataire Et païens aux chrétiens avec ferveur De la phragmite2 encor dans sa verdeur Le roseau devint chaume des nattaires3
Puis chaumière4 au bonheur des cœurs qui s'aiment Au Sang du Sauveur c'est son chalumeau Le pape le tète comme un chameau Et nul de ses ouailles ne l'en blâme
Du qalem dérivèrent calamide Calamidon et puis calamité Calmar et tant de kelmas usités Se ramifiant kifkif les arabides Dites haut khamsa dans l’œil du jaloux Sinon le roseau n'aura plus de jus Et mamma Romaine plus de verjus Ni de mots pour nourrir ses morfaloux
Du sarrasin Qalam naquit Kalamos Son fils Calamus donna à ma mère Flopée utérine à Chaume et Chaumière5 Tous baptisés couvée de l'Omphalos
Et pas un ne se souvient de Kadmos ?6 Oubliés Alpha, Béta et leur maître Qui à l'écrit initia le parlêtre ? Pas chic ce novice ingrat jusqu'à l'os !
C'est que les Gardiens de notre Trésor Plus fiers que le beau coq de leurs ancêtres Ne souffrent pas que les murs de notre aître Au dehors révèlent nos mines d'or
A. Amri 15.05.2016 ===Notes===
1-
Pourquoi ce nombrilisme qui se complait dans la fausseté et le mensonge
? On peut trouver une esquisse de réponse dans les propos de Pierre
Rossi:"Une vision bornée de l'histoire nous a imposé d'en localiser les
sources non loin de chez nous, dans l'aride péninsule hellénique et sur
les misérables rives du Tibre. Les Européens réduisent volontiers les
origines de leur culture aux cantons athéniens et romains. C'est là une
appréciation erronée; elle nous a été inspirée par des partis pris
confessionnels et politiques. Il n'est guère douteux en effet que les
historiens de l'Eglise catholique romaine, seuls maîtres durant plus de
mille ans des archives de l'antiquité, en ont orienté l'interprétation
pour la plus grande gloire de l'Occident européen." ( Pierre Rossi, La Cité d'Isis: histoire vraie des Arabes (Nouvelles Ed° Latines, 1976))
2- Alors que le radical de ce mot, natte, proviendrait, selon toute vraisemblance, de mattarius qui a donné matelas (de l'arabe matrah مطرح),
le TLF se complait comme toujours à user de ses "euphémismes" habituels
afin de nous persuader qu'il n'y pas trop d'arabe en français ! Natte,
nous dit-il en citant ses références d'autorité, c'est sémite,
phénicien, hébreux. Tant mieux pour la France et le français !
3-
Du grec ancien φραγμίτης, phragmites (« poussant sur le bord [de l’eau]
»), dérivé de φράγμα, phrágma (« enceinte »). Remarquez que l'arabe horma signifie enceinte.
4- Contrairement aux connotations liées à "chaume", chaumière désignait au 19e des maisons luxueuses, comme en témoignent Balzac ( Modeste Mignon,1844, p. 13) et Hugo(Le Rhin,1842, p. 387). 5- Le corpus que j'ai pu reconstituer comprend 40
dérivés de calamus. Il peut y avoir d'autres mots sur l'origine
desquels j'ai des doutes: calamine et ses dérivés semblent venir de
cadmea (et ceui-ci de Cadmus (grec Kadmos) évoqué dans ce texte). Voici
la liste: calame,
calamagrostidées, calamariées, calamédon, calamées, calamide,
calamifère, calamiforme, calamule, calamistré, calamistrer, calamistrum,
calamite, calamité,
calamiteusement, calamiteux, calamophyles, calamar, calmar, calmaret,
calemar, calumet, chalumeau, chalumer, chalumet, chalumeur, chalumiste,
chaume, chaumine, chaumière, chaumet, chaumier, chaumeret, chaumé,
échaumer, chaumis, chaumis, échaumage, déchaumage, déchaumeuse, lapsus
calami. 6-
En vérité, ceux qui se souviennent de Cadmus sont surtout des
historiens ou des philologues incapables de s'infliger cette blessure
narcissique qui consiste à reconnaître à l'Orient un quelconque rôle
civilisateur de l'Occident. Ainsi, Juan Bautista Erro et José Antonio
Conde, à titre d'exemple, considèrent nulles et sans valeur ce que
Hérodote, Diodore et Pline, entre autres, nous apprennent sur l'origine
de l'alphabet grec. Selon ces deux auteurs espagnols, le grec tire ses
origines non du phénicien mais du basque (voir Alphabet de la langue primitive de l'Espagne (Madrid, 1806), p.18).
«Prestige du verbe, orgueil de soi, volonté de surélévation :
lorsque nous avons prononcé le mot Occident, nous avons tout dit, comme
si l’Occident était autre chose que la pente déclinante de l’Orient.»
Pierre Rossi1
« Is Rose a semetic or an aryan word ? »
Max Müller
Tel est le titre d’un article publié le 2 mai 1874 par la British Academy des Humanités et des Sciences sociales. Max Müller y répondait à un message très court -mais fort courtois- qui lui a été adressé par l'orientaliste britannique et professeur d'arabe à l'université de Cambridge, William Wright. Celui-ci ayant constaté que l’auteur allemand considérait à tort que le mot « ورد ward » est indo-européen, a jugé bon de signaler cette « légère erreur » et de rétablir l’origine correcte du mot. Voici la traduction du corps de sa lettre: « J'espère que le professeur Müller voudra bien m’excuser de corriger une légère erreur dans laquelle il est tombé. Verd, rose en turc, n'est pas persan, c'est-à-dire mot aryen, mais arabe, c'est-à-dire mot sémitique... » ."2
Auteur de plusieurs monographies sur les littératures arabe et syriaque, et de la célèbre Wright's Grammar3,
WilliamWright parlait en connaissance de cause, et croyait rendre
service à Max Müller en le corrigeant. Mais Müller ne l'entendait pas de
cette oreille. Une semaine à peine plus tard, il répondait à son
contradicteur par une longue lettre qui commençait ainsi: "Il y a peu de
mots, je crois, sur lesquels l'aryen, le sémitique, et même les érudits
hamitiques se sont battus avec autant d'insistance que le nom de Rose.
Mais si le professeur Wright est vraiment lui-même convaincu que le
corps de Patrocle appartient à l'armée sémitique, et non pas à l'Aryen,
je l'espère, il nous donnera ses raisons".4
Le
grief formulé à demi-mot à l'encontre de Wright et le ton, mi-narquois
mi-amer, sur lequel Müller le formulait, nous permettent de comprendre
l'une des lois fondamentales qui régissent la «mythémologie». J'appelle de
ce nom barbare5
une pseudo-philologie au service d'un orgueil doxique, ce «prestige du verbe» qui honore les coqs de la philologie, et déshonore la
science. Si l'art étymologique, selon Falconet, "est celui de
débrouiller ce qui déguise les mots, de les dépouiller de ce qui, pour
ainsi dire, leur est étranger, et par ce moyen les amener à la
simplicité qu'ils ont tous dans l'origine"6, l'art «mythémologique» est tout le contraire. Tissé de mensonges et de mythes, nourri de haine à l'endroit de l'Autre et de sa culture, cet art,sous
un discours apparemment objectif, déguise de manière savante les mots, les
affuble de ce qui ne leur appartient pas. Parce que les instincts racistes incoercibles y ont voix au chapitre, la «mythémologie»ne s'embarrasse pas de latiniser, helléniser, romaniser le plus arabe des mots. Par «allergie aux thèses non indo-européennes» selon l'expression de Salah Guemriche.7
Comprendre
la réaction de Müller dans ce contexte précis c'est saisir les
fondements de cette allergie. Aux yeux de Max Müller, s'il ne convient
pas à un Occidental, fût-ce pour un idéal scientifique des mieux fondé,
de «profaner» la mémoire de Patrocle8,
c'est que la rose est imbriquée dans un système mythologique complexe
qui innerve d'une certaine façon la doxa de l'Occident, ou ce que Pierre
Rossi appelle «prestige du verbe, orgueil de soi, volonté de surélévation ».
Comment admettre l'arabité de ward sans brouiller
l'hypertexte tissé autour de ses dérivés rhódon, wrodion,
rose, etc.? Dès que le mot rose se détache du fond gréco-latin et se rattache à une racine arabe, tout ce qui s'est greffé dans
l'inconscient culturel occidental sur ce mot à partir d'un nombre
astronomique de récits, à commencer par ceux transmis du grec, s'en affecte fatalement. Chloris,
Aphrodite, Dionysos, Apollon, les Grâces, tous associés au mythe de la
rose, risquent de devenir anémiques si le mot s'avère, ou plutôt s'avoue, arabe.
Ne
nous a-t-on pas tant débité sur la rose redevable de sa naissance à
Chloris, déesse des fleurs, qui l'a faite jaillir du corps inanimé d'une
nymphe, Aphrodite lui ayant donné la beauté, Dionysos ayant déposé
entre ses pétales du nectar dont elle tire son parfum; les trois Grâces
l'ayant comblée en lui donnant le charme, l'éclat et la joie; et
Apollon, enfin, l'ayant couronnée Reine des Fleurs ?9
Il y a aussi toute la littérature stratifiée dans l'inconscient de l'élite,
aussi bien allemande qu'occidentale en général, au sujet du personnage
homérique, ami et amant d'Achille. L’Iliade mais aussi, indirectement,
Les Amours de Leucippé et Clitophon, roman d'Achille Tatius10, ont
construit un large réseau de symboles s'articulant sur la rose, et
associé à l'évocation de Patrocle. C'est un énorme édifice de mythes et
de fantasmes construit là-dessus. Et le moindre doute jeté sur l'origine
de l'étymon en question, ward, entrainerait fatalement des avaries pouvant mettre à faux les fondements dudit édifice.
Comment défendre, à titre d'exemple, le très poétique vers
Warda et son ward
homérique évoquant la fille du matin, l'aurore aux doigts de rose11, ou Éos en robe de safran, si rose et safran s'avèrent arabes ? Comment interpréter les mythes de Crocus si crocus s'avère arabe ? Comment soutenir les fantasmes liés aux nymphes et à la nymphomanie si nénuphar s'avère arabe?12Ces étymons auquel le grec est redevable des prémisses de ses mythes ne sont pas faciles à digérer.
Sans doute est-ce là la raison qui explique pourquoi Littré a honoré rose d'une racine «sanskrite». Sa devise a dû être: des deux «mots» il faut choisir le moindre ! «Rose: bourguignon
reuse ; wallon, rôz ; provençal, espagnol et italien rosa ; du latin rosa ;
ancien persan, vrada, sanscrit vrad, se courber, être flexible.»13
Courbons-nous autant que faire se peut et soyons flexibles pour admettre le bon sens de Littré. Le vrad sanskrit qui
signifie «se courber, être flexible» cadre mieux avec la rose et son parfum aryen que le «ward» arabe qui signifie simplement «rose» !
Si nous consultons le dictionnaire en ligne du TLF
pour voir quelle racine il nous propose en la matière, nous constatons
qu'il nous gave de citations documentant la partie historique. Mais il
n'y a presque rien à se mettre sous la dent sur l'étymologie, à part
ceci: «Emprunté au latin rosa « rose (fleur), rosier ». Nous pouvons nous demander pourquoi le TLF opère un «recul»
par rapport à Littré et se borne au latin. Ce n'est pas nécessairement
parce que le passage du grec rhódon au latin rosa puisse poser quelque
problème, les métaplasmes ayant toujours marqué la plupart des emprunts.
Mais parce que les linguistes ont acquis la certitude que le rhódon
grec n'est ni sanskrit ni persan. Michel Masson qui a consacré une
minutieuse étude à cette question, s'il n'a pas explicitement désigné
l'arabe comme source du nom grec de rose a néanmoins attribué celui-ci à
"une langue sémitique".14
Pour
conclure, rappelons que d'autres noms de fleurs, soit directement
empruntés à l'arabe soit dérivés de racines arabes, sont également
affublés de fausses étymologies15.
Il y a aussi un grand nombre de plantes dont les noms, d'origine arabe,
sont attribués en français et d'autres langues romanes au grec ou au
latin16.
8-
Personnage de l’Iliade, l'un des guerriers grecs de la guerre de Troie,
cousin et ami intime d'Achille. Les deux personnages sont devenus un
symbole des relations pédérastiques. Et sans aller jusqu'à prêter à
Müller une "sensibilité" à ce côté précis du personnage, je crois que
s'il n'admet pas que "le corps de Patrocle appartienne à l'armée
sémitique", c'est qu'il n'est pas indifférent à cet aspect du mythe.
Cela ne doit pas occulter, bien sûr, tout le côté mythologique associé à
la rose, notamment dans les évocations homériques de l'aurore.
16-Dont anémone, muguet, nénuphar(pour le TLF, l'arabe n'est qu'une courroie de transmission: l'arabe nainūfar, nīnūfar, nīlūfar, du persan nīlūfar, lui-même emprunté au sanskrit nīlōtpala), suzanne,camélia (la fleur a été introduite en Europe par le botaniste Jiří Josef Camel. Après
la mort de ce botaniste, le naturaliste suédois Carl von Linné a donné
à la fleur le nom qu'elle porte à ce jour. Camel (en latin Camellus) du
grec ancien κάμηλος, kámêlos, emprunté à l'arabe jamêlجمل [chameau]), capucine (capucin, capuche, capuchon, cappucino, du latin tardif capa, de l'arabe cobbaâ قبعة [coiffe, calotte, béret] : le mot latin caput est une translittération de l'arabe qafa قفا. Le français cap /chef est issu de l'arabe القب qui signifie la même chose: chef, seigneur, roi et tête), crocus,géranium (de l'arabe gurnûqi غرنوقي géranium, de gurnûq غرنوق grue), guimauve(du radical latin classique malva « mauve », du grec ancien μαλάχη, malakhê, de l'arabe ملوخية mloukhiya. Mauve est l'un de 80 mots empruntés à l'arabe, qui désignent des couleurs), hysope, hibiscus (forme corrompue de l'arabe khubiz خبيز qui signifie la même chose), jacinthe, marguerite (de l'arabe مرجان morjen [corail]), œillet(diminutif de œil, de l'arabe عين ayn qui a donné le celtique eyne, l'anglais eye, les toponymes français Aïn), rhododendron (de l'arabe ward dont le pluriel woroudon a donné le grec ancien rhódon et l'éolique wrodion)...
Mokhtar, de l'arabe اختار ikhtara (choisir), de خير khayr (bienfait), est un prénom masculin qui signifie littéralement "élu / choisi"1. Il s'apparente au turc muchtar (qui signifie "maire/ élu"), mot que les relations des voyageurs ont introduit en français dans la 2e moitié du 17e s., attesté une première fois sous l'orthographe de "muctar"(1680), qui signifie "l'«élu allumeur de lampes » engagé au service d'une mosquée", d'où muctariat (1680), (office, charge de ces "falotiers"), puis sous les variantes "muktar"(1830),"muchtar"(1857), et dès 1930 "mokhtar", au sens de maire.
En
règle générale, le destin d'un «élu » ne peut qu'être enviable. Mais
ce n'est pas le cas du « Mokhtar/ Elu » qu'interpelle à travers son «
poème oral » Taieb Bouallegue. Ce Mokhtar ne fait penser ni à l’Élu de
Dieu ni à quelque Elu de Nation. Aux antipodes de l'un et de l'autre,
il est le Mokhtar d'une histoire badine, coquine, qui se joue de lui et
de sa bonne foi. Il est le dindon que cette coquine farcit à chaque
jour, et de balles, cela va de soi, pour convertir son « sang halal » en
argent liquide, et sa chair en charbon de bois entretenant l'ardeur des bûchers
printaniers. Bref, ce Mokhtar est l'hostie humaine d'une grande débauche
sacrificielle à laquelle se livrent les rentiers de tout bord du Printemps arabe.
Et ils te donnent le choix
Ils te persuadent de leurs bonnes intentions
A la croisée des chemins
Et de mille sentiers
Et si les pas se perdent dans l'obscurité
Ils te troquent la sécurité contre la liberté
Et tu te trouves Mokhtar
En décembre et janvier
Dans la nécessité de choisir
Entre la glace et l'eau
Tu t'es noyé Mokhtar
Dans l'excès de bonne foi
Et ils te donnent le choix
Entre sept vipères qui rampent
Et des fauves noctambules affamés
Le vendeur et l'acheteur logent à la même enseigne
Et le bourreau endosse l'habit de la victime
Alors que la victime expiatoire c'est toi
Toi que terrasse l'amour d'une patrie verte et pucelle
Et tu te trouves Mokhtar
Dans cet univers saugrenu désemparé
Comment l'alliance a-t-elle pu se faire
Pour qu'ils nagent ensemble à la surface de l'eau ?
Tu t'es noyé Mokhtar
A force de bonne foi
Et ils te donnent le choix
Sunna et Turcs frères ?
Ou bien l'Iran: chiisme et persanisme ?
Sinon l'abattoir des axes russe et américain
Et toi leur hostie,
Et tu leur paies en-sus un tribut
Toi des peines sur des montagnes de peines
N'ayant ni terre libre ni bouchée digne
Et tu te trouves Mokhtar
Jour et nuit dans les supplices
Couché sur le bûcher
et sur le bûcher rouvrant les yeux
Tu es brûlé Mokhtar
A force de bonne foi
Pauvre de toi, de quelle mort tu meurs ?
Égorgé d'un couteau l'autre
Ton sang coule halal au nom de la religion
Et viré en mandats, renfloue des comptes bancaires
Au lieu d'une marée vers la Palestine
C'est le raz-de-marée siono-barbaro-naphtien
Et tu passes Mokhtar
Un nom dans un journal télévisé
Et une scène pas assez claire
Dans une problématique fiqhienne
Et tu t'es noyé Mokhtar
A force de bonne foi
Et tu capitules, tu te résignes,
Comme si c'était le mektoub
Tu apostasies ces révolutions
Tu en fais pénitence
Et tu te mets à faire le procès de leur cœur en panne
A cause du tohu-bohu de situations et d'instances
Ainsi pour faire repentir un jeteur de toubs2 Il lui faut une prison et une maison de correction
A ce point Mokhtar
L'honneur et le déshonneur sont devenus synonymes
Le parcours s'est allongé, a viré
Puis s'est embobiné comme un serpent3 Et il a sangloté
Son rêve s'est envolé
Se sont volatilisées la sécurité et la liberté
Ah, que n'aurais-tu, Mokhtar,
Entouré de clôture ce parcours
Pour prévenir le vent, les pluies
Et choisi une autre voie ! Les révolutions, Mokhtar,
Ne se font pas toutes sur de bonnes intentions
Taieb Bouallegue Traduit
par A. Amri
11.06.2016
Qui est Taieb Bouallegue ?
«Je
suis un poète de ce pays, originaire de Tébourba, ville à une
trentaine de kilomètres à l'ouest de Tunis. Je n'ai d'autre bien en ce
monde que la poésie. J'écris la qasida dans la langue parlée, imitant
en cela mes prédécesseurs: Belgacem Yakoubi, Kamel Ghali, Abdeljabbar
Eleuch, Adem Fethi, Ali Saïdane et bien d'autres dont l'expérience a
épousé le projet de l'art alternatif. Aussi ne pourrais-je me voir que
de la même lignée et sur la même ligne. J'ai entamé cette expérience
avec le groupe Oyoun Al-Kalam, le duo Amel Hamrouni et Khémaïes Bahri,
et je la reconduis avec ce même duo. Cela a donné de nombreuses œuvres
dont Al-Bahia [l'Exquise], Anfas [Souffles], Wattan wa in ken [Patrie, même si...], Nesj Khayal [Trame d'imaginaire], Ward qbilna [Des roses, on en a reçu], Ya
souta [Ô sa voix], Baâth al-kalam [Quelques propos]. En gardant le même esprit, je tente de vivre
d'autres expériences comme ma rencontre avec le professeur de luth
l'artiste Isan Laribi autour de certaines créations: Fi-essijn min
barra [En prison de l'extra-muros], texte écrit en 2008 et dédié aux prisonniers du Bassin minier,
Sektat ellil [Silence de la nuit] et d'autres textes, ou encore ce qui va paraître bientôt
avec Mohamed Bhar. Pour les publications, mon recueil Nesj Khayal [Trame d'Imaginaire]en
est à ses touches finales. J'attends seulement l'opportunité de le
publier. Enfin, ma hantise de l'alternatif: poésie, musique, mot,
phrase, est une forme de rêve d'une alternative nationale juste. »
A. Amri 11.06.2016
==== Notes ====
1- Il faut remarquer que ce prénom est l'un des quelque 200 noms-attributs du Prophète. Il a le même sens que Mustapha. 2- Ce mot, défini par Charles Brosselard (Les inscriptions arabes de Tlemcen, in Revue africaine, Alger, octobre 1859, p. 196) comme « grosse brique cuite au soleil », est attesté en français 9 ans plus tôt que le mot adobe(de mêmes racine et sens), emprunté à l'arabe الطوبattoub (par la voie de l'espagnol) en 1868, et n'en serait pas moins digne de figurer au dictionnaire français. On le rencontre dans de nombreux auteurs comme Louis Piesse (1862), Jean Chalon (1877), Mathéa Gaudry (1921),Jean Despois (1940), Madeleine Rouvillois-Brigol (1975), Joëlle Deluz-La Bruyère (1988)... Sous la plume d'Isabelle Eberhardt (1908), "toub" revient quasiment comme un leitmotiv.
D'autres variantesdu même mot sont attestés en français, comme "tôb" (1862), "tolb" (1877), "thôb" (1881), "tob" (1922). 3- Serpent : (1100 « reptile à corps cylindrique, très allongé, dépourvu de membres ») n.m. du lat. serpentem, de serpens « serpent », participe présent du verbe serpĕre (« ramper, se traîner par terre »). Comparez le verbe latin ainsi que les substantifs catalan serp, corse sarpe, maltais serp, occitan sèrp, roumain șarpe (signifiant tous serpent) avec l'arabe سَرَبَ saraba, verbe qui signifie à la fois « courir », « avancer », « marcher », « glisser, se mouvoir », « couler », « pénétrer dans son gite » [en parlant d’une bête sauvage]. De la racine arabe dérivent مسرب « mesrab » (sentier), مسارب « meçarab » [du serpent] (traces laissées par ce reptile), « sarab »(mirage, "ainsi appelé", précise Al Khalil, "parce qu'il donne l'impression de courir", سرب « serb » (eau qui coule + repaire, antre de bête sauvage), insaraba [en parlant d'une bête sauvage] (s'engouffrer dans une tanière)... Hermann Möller, qui a remarqué l'analogie des racines trilitères latine [s-r-p] et arabe [s-r-b] (sans toutefois explorer la large gamme des dérivés arabes), rattache le latin serpère à un substrat pré-indo-européen. ======== Pour le même poète sur youtube webamri =========
Une erreur de frappe a altéré l'orthographe de "néanmoins" une
première fois, le copier-coller trois fois de suite juste après. Merci
de votre indulgence.
Rabiâ ibn Ameur Attamimi, alias Meskin ad-Drami, est un poète arabe mort en 709. Il n'est pas assez connu, et surtout beaucoup moins que son « Dis à la Belle vêtue de khimar noir ». Alors que ce poème écrit vers la fin du VIIe est célèbre dans tout le monde arabe, que des millions -pas nécessairement lettrés- devraient savoir par cœur l'essentiel de sa version chantée1, son auteur, lui, est pour le moins méconnu. Surtout loin de la sphère des littéraires.
Né à Koufa en Irak, Rabiâ ibn Ameur Attamimi a vécu sous le califat des Omeyyades. Il faut remarquer qu'en son temps non plus, le poète ne fut pas assez connu sous son véritable nom. Il était souvent désigné par un surnom, un sobriquet pas assez flatteur: Meskin ad-Drami. Pourquoi ce sobriquet ? Selon Al-Asmai2, le poète est tombé amoureux de l'une de ses cousines, et quand il a demandé la main de celle-ci à ses parents, la fille a dit non. Elle le trouvait très noiraud et peu argenté. Dès que cette sèche éconduite se fut répandue, Rabiâ ibn Ameur Attamimi s'appela malgré lui Meskin ad-Drami: le « mesquin » des Drami3. Il dut porter ce surnom comme une nouvelle flétrissure. Et cela ne l'a pas laissé indifférent, qui le fit réagir en maintes circonstances par des vers bien tournés, vers où l'amertume le dispute à la fierté, voire la révolte.4 « Dis à la Belle vêtue de khimarnoir » est le chant de cygne, à
mon sens, de Meskin ad-Drami. Quand le poète a composé ce poème devenu vite célèbre, cela faisait longtemps qu'il s'était retiré du monde, ayant quitté la cour de l'émir d'Azerbaïdjan5 pour se faire anachorète et ne s'intéressant plus à la poésie. L'un de ses amis, qui était commerçant de tissus, le fit toutefois renouer avec la poésie pour une raison fort singulière. Le marchand, en mauvaise passe, songeait à mettre la clé sous la porte en raison de la mévente qui frappait sa marchandise. Il avait un stock considérable de voiles noirs, importés d'Irak, et il ne réussissait pas à en vendre un seul, les femmes du pays les boudant pour des voiles à couleurs chaudes qu'il n'avait pas. Meskin ad-Drami a alors ôté sa burda d'ermite et pris son calame. Il a composé pour le secours de son ami un poème à vocation publicitaire avant la lettre, et l'a confié à un chanteur, un de ces achougs6 de l'Azerbaïdjan dont l'art survit à ce jour, qui se chargea de le mettre en musique, avant d'en faire une large diffusion par le biais de sa voix ambulante. A travers des vers écrits à la 2e personne, Meskin ad-Drami donne l'impression d'interpeller une femme réelle qui l'a soumis à l'imparable magie de sa fitna, et dévoyé le chaste ermite qu'il était. Et quand on cherche où réside au juste ce pouvoir redoutable et fatidique, on s'aperçoit que le poète l'attribue implicitement au voile noir. Celui-ci n'est plus une simple pièce vestimentaire qui couvre la tête; il devient le signe distinctif d'un port qui charme, d'une coquetterie qui désarme, et n'épargne même pas ceux qui se vouent à Dieu ! Bref, on voit que le poète arabe, au 7e siècle, savait parfaitement fourbir les armes aujourd'hui en vogue chez les publicitaires.
Selon Kitab Al-Aghani7, quand ce poème s'est répandu, la légende qu'il véhiculait faisant croire que Meskin ad-Drami a apostasié l'ermitage pour l'amour de « la Belle au khimar noir » a vite produit l'effet escompté. En peu de temps, le marchand d'Azerbaïdjan est devenu la qibla des « femmes à la page ». Il a liquidé toute la marchandise invendue. Et il a commandé à ses fournisseurs en Irak une nouvelle cargaison. Tandis que le voile noir, du jour au lendemain, est devenu le fétiche de toute femme, toute femme soucieuse de se faire voir et valoir.
Dis à la Beauté vêtue d'un khimar noir Qu'as-tu fait d'un ermite en dévotion confit ? Il retroussait pour la prière ses habits Quand à la porte de la mosquée il t'a vue Tu lui as subtilisé certitude et foi Le livrant à la déroute désemparé Belle, redonne-lui sa prière et son jeûne Ne le tue pas pour l'amour de Jésus et de Mohamed Sabah Fakhri interprétant le poème
Traduction A.Amri
08.06.16
=== Notes ===
1- Composée de 8 vers, 4 en arabe; le vers arabe classique étant constitué de deux hémistiches égaux, la traduction de ceux-ci donne 8 vers en français.
Je suis Meskin pour celui qui m'a méconnu Celui qui me connait reconnait l'éloquent أنا مسكين لمن أنكرني ولمن يعرفني جدّ نطق
- Que je sois surnommé Meskin ne m'ôte pas l'honneur d'être de haute naissance et bouclier des miens
إن أدع مسكينا فإني ابن معشر
من الناس أحمي عنهم وأذودُ
- Je fus appelé Meskin, quelle impertinence ! Quoique je veuille bien être mesquin* d'Allah سميت مسكينا وكانت لجاجة وإني لمسكين إلى الله راغب
(* - Mesquin, emprunté à l'arabe مسكين meskin [pauvre], est à prendre ici au sens déconnoté de pauvre, démuni, humble. Mesquin d'Allah est ici synonyme de pauvre de Dieu, faqir d'Allah.
5- Ayant participé à la révolte qui a soulevé Koufa contre Al-Mokhtar Athaqafi, quand ce dernier a réussi à mater le soulèvement, Meskin ad-Drami a pris la fuite et rejoint la cour de Mohamed ben Omar ben Ottard ad-Drami, émir d'Azerbaïdjan.
6- Les achougs, en Turquie, en Russie, en Azerbaïdjan, sont ce que furent les troubadours en Occident chrétien médiéval.
pour sa grâce opérante au jour de circoncision je fus harnaché d'une burda transparente et de chéchia empanaché puis s'amorça une pantomime ouvrant l'ère de ma honte
Ahmed Matar
on fendit ma burda sur mes parties intimes et l'on égorgea mes parties intimes le sang gicla dans mon giron
et de toutes parts exubérante la joie cria bénissant la fontaine de sang mabrouk ! mille mabrouks ! et que la grâce demain comble de même la langue !