mardi 14 octobre 2014

A la recherche d'un mendiant tunisien - par Amr Abdelhamid

Quand ils parlent de leur pays, surtout à l'intérieur, les Tunisiens ont rarement l'occasion de se montrer élogieux. Il y a toujours mille et une choses qui ne vont pas. Et quand la politique est de la partie, le plus chauvin comme le moins ne manqueraient jamais de prétexte pour renchérir et accabler en toute circonstance le pays.
Fort heureusement, cette vision si réductrice de la Tunisie n'est jamais corroborée par les  étrangers qui y viennent du Nord comme du Sud. Et en livrent souvent des impressions pour le moins flatteuses.

En témoigne l'article ci-dessous écrit par 
Amr Abdelhamid, homme de médias égyptien.
 
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J'avoue que mon premier voyage en Tunisie a longuement tardé. J'avais envie de faire la visite de ce pays depuis le départ, à la gare Sidi Bouzid, du train de printemps arabe en fin de décembre 2010. J'ai maintes fois projeté d'y aller. Mais il y avait toujours un contretemps qui m'en empêchait.

Et finalement, j'y suis parti et j'y ai passé cinq jours entiers, me déplaçant entre la capitale Tunis, le village enchanté de Sidi Bou Saïd et Carthage, sa riveraine pittoresque.

Les impressions que j'en ai gardées sont celles d'un homme qui y avait fugué pour oublier la politique et ses palabres, et non celles d'un homme de médias.


A la célèbre avenue Habib Bourguiba, j'ai scruté les visages des gens assis aux terrasses des cafés sur les deux bords. Des centaines de jeunes des deux sexes, des hommes, des femmes, des enfants, des étrangers. A les voir si nombreux, on penserait qu'ils se sont donné rendez-vous pour se voir à la même heure. Tandis que à voir sur l'allée piétonne séparant les deux voies de l'avenue de nombreuses patrouilles de police, de la statue Ibn Khaldoun à la place 14 Janvier, on a le sentiment d'être, en tout instant, en sécurité.

Mais quelle que soit l'importance de ce sentiment, on ne peut le comparer à un sentiment plus merveilleux qui fait défaut au touriste dans les rues du Caire: le sentiment de vie privée. Flâner ici et là sans avoir à se faire agacer par des importuns, si le touriste est un homme, ou par des harceleurs s'il s'agit d'une femme âgée entre 12 et 62 ans !
La plupart des Tunisiennes et des étrangères sont "branchées", habillées à la mode. Néanmoins on ne voit nulle part ni n'entend acte ou parole de harcèlement.

"Peut-être que ce constat ne s'appliquerait qu'au centre de la capitale, me suis-je dit, en raison des forces de l'ordre déployées à proximité du ministère de l'intérieur et de l'ambassade de France". J'ai gardé cette réserve et je me suis dirigé vers le Vieux Marché qui rappelle  Khan El Khalili au Caire. Là, les venelles sont étroites et s'étendent de Bab B'har à la vieille mosquée la Zitouna. Des boutiques étalent ce qui peut affrioler les visiteurs de la Médina: mosaïques, poteries, curiosités artisanales, parfums, confiseries, etc. La plupart des marchands ne se retournent même pas à votre passage, comme si votre présence ne les intéresse pas, quand bien même vous vous arrêteriez pour tourner et retourner à votre guise leurs marchandises. Si un marchand pressent que vous avez réellement envie d'acheter quelque chose, et seulement dans cette condition-là, il vous propose alors ses conseils. Mais de manière pudique et avec civilité. Et sans jamais courir après vous si vous repartez sans rien lui acheter. Ici, vous êtes libre de flâner, de vous arrêter, de vous assoir à l'intérieur d'un café au style européen ou un autre populaire. Et à la Médina comme à l'avenue Bourguiba, c'est le même constat.

Sidi Bou Saïd
Je me suis dit alors:" rien ne peut objectiver le sentiment de vie privée autant qu'une course dans un taxi." J'ai décidé d'aller à Sidi Bou Saïd. Un village perché en douceur sur une colline qui surplombe la Méditerranée. Regarder la mer d'une telle hauteur est une volupté indicible. J'ai arrêté un taxi et je me suis engouffré dedans. On a déclenché le compteur. L'auto-radio diffusait une chanson de Amr Dhiab. A la faveur d'un appel que j'ai reçu du Caire, le chauffeur a compris que je suis égyptien. Mais il ne s'est  permis de causer avec moi que lorsque je l'y ai incité. Je me suis enquis de la situation du pays, des préparatifs aux élections présidentielles. Il m'a répondu sur le ton d'une personne plutôt satisfaite. On ne pourrait espérer mieux, dit-il, quand on voit ce qui se passe chez nos voisins les Libyens. Il ne s'est plaint ni de la hausse des prix des carburants, de la flambée des prix en général, ni du décès de sa tante. Il n'a parlé ni du coût de la rentrée scolaire ni de l'échéance de taxi tombant mal à propos. Et il n'a pas abusé de mon statut de touriste pour garder la monnaie quand je l'ai payé. Ce n'était pas, là, un taxi d'exception en Tunisie. C'était la conduite communément observée que j'ai constatée durant ce séjour, faisant appel aux services de 4 à 5 taxis au quotidien.
Carthage: site archéologique

Sur les sites archéologiques de Carthage, j'ai été frappé par la propreté et l'ordre qui règnent partout. J'ai vu la résidence de notre ambassadeur sur le rivage de la mer, avoisinant d'un côté avec la Méditerranée, de l'autre avec ce que la civilisation romaine a "offert" à l'humanité. Je me suis exclamé en invoquant le Prophète, pour ne pas avoir l'air d'envier l'heureux ambassadeur !

Dans la périphérie du Musée de Carthage, il n'y avait pas la trace d'une poubelle. Il n'y avait pas non plus un quelconque arbitraire dans les rapports avec les visiteurs. Je n'ai pas vu de marchands ambulants. Par contre, il y avait de nombreux kiosques, mais alignés de manière ordonnée et proposant des souvenirs qu'on achèterait en toute spontanéité. Je n'ai pas vu des types qui vous extorquent en vous proposant des services que vous n'avez pas requis. Et personne ne vous aborderait de manière intruse dans votre promenade pour vous lancer comme un robot:" Bonne année, Pacha!"
Durant cinq jours, j'ai été heureux de ne pas entendre cette formule rituelle en Egypte, qu'on entend six mois avant l'Aïd et six mois après. Pour l'obole à en tirer par ses diseurs ! Je n'ai entendu que: " joyeux Aïd !" Un souhait sincère et désintéressé.
Tunis - La Médina

Encore une fois, je me suis dit:" est-ce que je me trompe dans mes constations? Est-ce que je suis injuste à l'égard de mon pays en le mettant dans une telle comparaison?"
Peut-être ! mais nonobstant l'amertume de l'Egyptien pour son pays, c'est le sentiment fort d'avoir à bon droit de telles impressions qui l'emporte toujours sur toute tentation de nuancer. C'est du moins ce que j'ai acquis durant ce voyage.

Tout marche en Tunisie comme j'aurais voulu que ce soit en Egypte ! Normalement à tout le moins. Sans tout le superflu qui devient source d'ennuis, d'énervement, de tensions. Et je me suis rappelé l'expression "la Tunisie comme réponse!"

Les Egyptiens ont répété cette expression quand les Tunisiens s'étaient révoltés contre Ben Ali. Et l'ont réitérée encore quand les dirigeants du mouvement Ennahdha (branche tunisienne des Frères Musulmans) se sont conduits de manière intelligente à leur accession au pouvoir. Ils ont tiré profit des erreurs de leurs frères en Egypte, ne perdant pas la raison lorsque les Tunisiens ont investi la rue pour contester la façon dont le chef de gouvernement islamiste a géré le pays.

Au dernier jour de mon séjour en Tunisie, je me suis assis dans un café et j'ai demandé une confiserie tunisienne. J'ai été surpris de constater que ce qu'on m'a servi suffirait amplement à satisfaire trois personnes. Au moment de m'en aller, j'ai hésité un moment pour laisser le reste de l'assiette. Puis j'ai décidé de l'emporter à la "take away". Mon intention était de donner ce reste au premier mendiant croisé dans la rue. Et là, nouvelle surprise pour moi ! J'ai découvert que durant les cinq jours passés en Tunisie, je n'ai vu nulle part des mendiants. Est-ce logique?

J'ai voyagé dans pas moins de 50 pays. Et même dans certains appartenant à ce qu'on appelle premier monde, j'avais l'habitude de rencontrer des nécessiteux faisant la manche à l'entrée des stations du métro ou sur les places publiques. Néanmoins, tout en étant certain qu'il devrait y avoir des mendiants à Tunis, pour l'honnêteté je n'en ai pas vu un durant mes promenades quotidiennes dans son centre ou dans son vieux marché.
    
Alors que le taxi me conduisait à l'aéroport de Tunis-Carthage, veillant à ce que le chauffeur ne m'entende pas, j'ai dit en guise d'adieu à Tunis:  " heureuse cité où les mendiants et les harceleurs n'ont pas droit de cité!"  



Amr Abdelhamid
Traduction A. Amri
14 octobre 2014



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jeudi 2 octobre 2014

Julien Bernard Jalal Eddine Weiss et l'ensemble musical Al-Kindi

"Voué depuis vingt ans à la musique arabe savante, le quintette Al-Kindi a non seulement perpétué cette tradition mais a introduit quelques subtiles innovations dans son interprétation avec les arrangements judicieux de Julien Weiss. Ce qui reste la manière la plus intelligente de garder vivant un art multiséculaire(...) Sheikh Habboush chante d'une voix captivante hymnes religieux et autres évocations qui mènent l'adepte à l'extase. La psalmodie devient plus intense quand elle est au centre de rituels de transe qui passent du murmure à la véhémence spectaculaire du chant des corps et s'achève dans la plénitude." (Libération – Janvier 2004)


Un jour de l'an 1983, alors qu'il se promène incognito dans la ville syrienne d'Alep, un grand musicien européen s'arrête devant une mosquée. Non pas tant pour admirer sa belle architecture orientale ni les somptueux arabesques  qui ornent sa façade. Mais plutôt pour écouter dans un profond recueillement de belles voix qui en sortent. Sans être accompagnées d'instruments, ces voix chantent à l'intérieur du lieu de culte musulman. Et enchantent le musicien, alors âgé de 48 ans. Elles ont sur lui un pouvoir si saisissant qu'il s'approche de la porte pour mieux s'imprégner d'une telle douceur. Puis, sans trop savoir comment, il est irrésistiblement entrainé vers l'intérieur.

Ce qu'il voit alors le subjugue davantage. Pendant que des cheikhs assis en demi-cercle psalmodient du
dhikr (chant liturgique), au milieu de tel croissant soufi des derviches tourneurs pirouettent à l'infini sur le talon du pied droit. Bras déployés de part et d'autre du long tarbouche sur la tête renversée vers l'arrière, la paume de la main droite dirigée vers le ciel, celle de la main gauche vers la terre, ces derviches ont l'air de cueillir d'une main la grâce divine et la transmettre de l'autre vers la terre.  Pendant que les amples jupes coniques semblent  les emporter comme un ouragan dans leur vertigineux tourbillon  giratoire.  

C'est le prélude d'une grande et belle histoire d'amour entre Julien Bernard Weiss, un musicien français de renommée mondiale passionné de musique arabe, et l'univers spirituel du Moyen-orient à travers le soufisme, la mystique musulmane.

Trois ans plus tard, le musicien français qui a élu domicile en Syrie, se convertit à l'islam et se rebaptise Julien Bernard Jalal Eddine Weiss (Jalal Eddine par amour du grand mystique persan Jalal Eddine Erroumi). En même temps, il fonde son Takht Sharqi (ensemble oriental traditionnel) constitué du qânun (cythare sur table à cordes pincées), du Ud (luth oriental), du Ney (flûte en roseau) et du Riqq  (petit tambourin à cymbalettes). L'ensemble a pour nom Al Kindi, par hommage au génie encyclopédique du savant arabe portant ce nom, qui était à la fois philosophe, mathématicien, médecin, musicien, physicien, astronome...

Tout en dirigeant cet ensemble musical, Julien Bernard Jalal Eddine Weiss s'est consacré durant plusieurs années à l'étude des traités musicaux des Grecs antiques, mais aussi et surtout des Arabo-musulmans. comme Al-Kindî, Al-Farabî, Avicenne, ainsi que d'autres théoriciens, turcs, byzantins et même occidentaux. En même temps, sa passion du qânun (cithare arabe trapézoïdale à cordes pincées munie de résonateurs en peaux de poissons) le pousse à développer les performances de cet instrument pour le rendre capable d'accompagner n'importe quelle musique, que celle-ci soit orientale ou occidentale.

A travers le chant liturgique ci-dessous dédié à la "Mère des Cieux" (Marie la Vierge), on peut admirer non seulement Julien Bernard Jalal Eddine Weiss en tant que virtuose de la cithare arabe, mais aussi l'interprétation de l'ensemble musical qui revalorise à la fois les instruments orientaux et la musique savante, qu'elle soit sacrée ou profane. Sans compter cette valeur culturelle ajoutée, ou plutôt restituée à l'islam, laquelle montre combien le respect des autres religions est une valeur fondamentale de son message. N'en déplaise à ceux qui, zélotes de l'islamisme ou de l'islamophobie, ne lésinent pas sur les moyens pour rendre impertinente une telle valeur.



Ci-dessous la traduction du chant interprété par Sheikh Hamza Shakour, composé de deux vers de Umayya Ibn Abī ṣ-Ṣalt, poète hanifiste mort en 626, et l'ode d'Ibn Arabi datant du 13e.

En votre religion il est un signe du Dieu de Marie
Qui vous renseigne sur le serviteur Jésus fils de Marie

je professe l'amour
en quelque chemin ses montures s'engagent
car l'amour est ma religion et ma foi


autrefois je désavouais mon ami
si sa religion n'attenait à la mienne
mais à présent mon cœur
à toute image est receveur
il est tantôt prairie pour gazelles
tantôt pour moines leur monastère
aux idolâtres il est leur temple
comme aux mahométans
la Kaaba de leur circumambulation
il est les tables de la Torah
et les pages compilées du Coran
 

je professe l'amour
en quelque chemin ses montures s'engagent
car l'amour est ma religion et ma foi



A. Amri
2 octobre 2014













dimanche 28 septembre 2014

Le devoir de mémoire: pourquoi pas?

C'est leur sourire solaire, à la croisée des chemins, qui m'a guidé. Leur front polaire et l'ascendant du sang par quoi leurs veines vertes ont irrigué les roses de l'amour m'ont décidé à faire ce choix.

Tous les trois sont morts debout.


L'avocat, l'ingénieur et le député avaient, tous les trois, de quoi se la couler douce. Mais, tête haute et front polaire, ils se sont refusé tout compromis de conscience. Et à la postérité de la postérité, l'histoire le dira et redira: ils étaient ce qu'il y a de plus intègre comme militants de la révolution tunisienne.

Tous les trois ont laissé qui une veuve et des orphelins, qui un père et une mère dont il fut le bâton de vieillesse, qui des pupilles de l'école publique devenues après lui sans soutien.

Chacun de ces trois martyrs a honoré de son vivant, et de manière infaillible et admirable, l'engagement intègre pour la justice et la démocratie. Et le ralliement inconditionnel à la cause des pauvres, des exclus sociaux et des laissés-pour-compte. C'est-à-dire ceux qui ont été les artisans de notre révolution et ses premiers perdants.

Tous les trois, des années après leur martyre, leurs assassins courent toujours. Et peuvent profiter en tout moment de l'impunité pour revenir à la charge.

Belaid, Brahmi, Belmufti: tous les trois ont la même initiale patronymique.

Et contre les donneurs de baies, ce B donneur de sang et de beauté doit avoir plus d'ascendant sur l'oreille citoyenne que toutes les belles promesses électorales des populistes mythomanes !

Dans le labyrinthe électoral national où les candidats aux législatives et présidentielles sont presque plus nombreux que le peuple, moi modeste citoyen signataire de ce papier qui n'ai jamais été frontiste, aujourd'hui j'ai choisi l'honneur de la mémoire et son devoir.

J'ai choisi cette étoile polaire à trois branches, et seulement cette étoile-là, pour m'éclairer le jour du scrutin.
C'est mon vote-sanction contre ceux qui s'engagent dans la surenchère électorale et la désunion pour nous "servir", contre ceux qui n'ont tiré aucune leçon des précédentes élections et des tribulations qui s'ensuivent à ce jour, contre ceux que nous avons essayés et qui nous ont mordus, contre ceux qui ont fait de la Tunisie une aire de terrorisme, de zizanies sectaires et d'obscurantisme, contre ceux qui rêvent de restaurer le régime déchu, contre les opportunistes aux basses ambitions hantés par la seule obsession du pouvoir, contre les arrivistes de tout bord, les candidatures de mauvais aloi et les mauvais plaisantins. Moi modeste citoyen signataire de ce papier qui n'ai jamais été frontiste, en mon âme et conscience je suis persuadé que c'est le seul vote utile pour le peuple qui a consenti tant de sacrifices et, à ce jour, n'a tiré de la révolution que d'amers déboires, des frustrations allant croissant, des deuils qui se suivent sans répit, et mille fois plus de misères et de désillusions.

En mon âme et conscience, c'est le seul choix honorable par quoi je puisse m'acquitter d'une part de mon devoir à l'endroit des martyrs, de leurs familles, épouses, enfants, parents. Et de la justice à rendre aux disparus et leurs ayants droit comme au peuple tant bafoué et tant trahi.

Belaid, Brahmi, Belmufti: voilà mon unique repère de vote utile aux législatives comme aux présidentielles !




A. Amri
10.09.14

Quand les médias crachent sur Aaron Bushnell (Par Olivier Mukuna)

Visant à médiatiser son refus d'être « complice d'un génocide » et son soutien à une « Palestine libre », l'immolation d'Aar...