mercredi 27 août 2014

Al-Rahel Al-Kabir: Les dits de la dérision contre Baghdadi et ses abadies





Al-Rahel Al-Kabir الراحل الكبير est une troupe musicale libanaise qui a vu le jour au début de l'année 2013. Quoique ce nom (qui signifie littéralement "Le Grand Disparu") puisse suggérer une dédicace votive, un hommage à un cher défunt comme on pourrait de prime abord y songer, en réalité il a un tout autre sens. S'il y a quelque dédicace funéraire  dans cette enseigne artistique peu commune, c'est -par dérision- à l'honneur d'un disparu non regretté, un mort plutôt réprouvé à qui la troupe ne voue ni pieuse pensée ni le moindre culte.
Selon Khaled Sabih (journaliste, compositeur et parolier membre de cet ensemble) le disparu concerné ici est " le patrimoine dans ce qu'il a de rigide et contraignant". C'est l'âme musicale classique, momifiée, étriquée et considérée à tort comme un élément fondamental de l'émergence d'un artiste. Telle défunte, Al-Rahel Al-Kabir ne se revendique pas de sa lignée ni ne veut en sacraliser l'héritage. Il veut se défaire de cette momie juchée sur la poitrine des créateurs, l'enterrer sans regret pour doter les potentialités artistiques arabes d'une nouvelle dynamique. Par conséquent, l'ambition de la troupe est de révolutionner la musique arabe à travers des formes, des contenus et des techniques émancipées du cachet traditionnel et sclérosant.

Certes, cette ambition ne signifie pas un rejet en bloc de l'art contesté. A preuve: depuis sa création il y a un an, la troupe a repris de nombreuses chansons du patrimoine oriental, libanais et égyptien en particulier. Dont des titres de Cheikh Imam père de la chanson engagée arabe. Néanmoins, comme on pourrait en juger à travers le répertoire du groupe qui compte actuellement une douzaine de titres, le rythme mélodique oriental, les préludes instrumentaux longs et lassants, les notes languissantes, entre autres traits de cette âme classique, semblent bannis du style moderniste revendiqué par cette troupe. Dans ce même esprit de rénovation, les chansons reprises par la troupe ont subi un relooking à travers de nouveaux arrangements. Il faut souligner aussi que le tarab ( émotion poétique et musicale) n'est plus considéré comme un concept clé de la musique arabe chez cette troupe. Même si l'esthétique n'en est pas pour autant reléguée au dernier plan, dans les soucis de la troupe elle n'est pas primordiale. Du moins ne doit-elle jamais primer sur la force du message, en l’occurrence engagé, du groupe.

Ci-dessous une illustration sous-titrée en français.
Le tout nouveau titre de la troupe Al-Rahel Al-Kabir, intitulé "Madad Sidi (Votre baraka, Maitre/Monseigneur !)", est un pamphlet incendiaire au ton très virulent dédié à Monseigneur Abou Bakr al-Baghdadi Calife de l'EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant) et Commandant des Croyants de l'Euphrate à l'Océan.. plaise à Allah qu'Il rallonge sa barbe !

"Madad", mot arabe dont l'étymologie signifie "secours, assistance guerrière, pourvoi en troupes fraîches d'une armée en guerre", quand il est employé dans une apostrophe [Madad Untel !] équivaut à une prière dévote, une imploration généralement adressée à une autorité religieuse, particulièrement le Prophète ou ses compagnons, laquelle signifie: "Ô toi untel, intercède en notre faveur auprès de Dieu !" ou encore: "comble-nous de ta baraka!"

La chanson parodie des litanies dédiées au Prophète ou encore, comme c'est le cas chez les soufis, à des maîtres de la mystique musulmane élevés au rang des saints. La rythmique caractérisée par un tempo rapide et le leitmotiv "madad, madad sidi" ne sont pas sans rappeler le mouvement de certaines noubas, l'ambiance typique à la transe soufie.

Pour ce qui est des paroles, ce sont les dits de la dérision contre la déraison de Baghdadi et ses abadies, la satire mordante contre les califoutraques de ces temps maudits.





A.Amri
27.08.2014

mardi 12 août 2014

La tragédie des Yézidis: nouveau témoignage de Vian Dakhil

Ce 5 août 2014, le cri de détresse lancé par la députée yézidie Vian Dakhil dans l'enceinte du parlement irakien a touché des millions d'internautes des cinq continents. Poignant et percutant en raison de sa justesse, de sa force émotionnelle et de l'atrocité du sort réservé par les hordes de l'EIIL aux Yézidis,  cette minorité ethno-religieuse qu'on veut rayer, entre autres composants irakiens, de la mosaïque humaine et culturelle multimillénaire faisant la véritable richesse du peuple de la Mésopotamie. .

L'élan de sympathie suscité par ce cri de détresse ne doit pas faiblir car les Yézidis menacés de génocide ne sont pas au bout de leur calvaire. Alors que nous avons appelé de tous nos vœux une réaction humanitaire énergique et immédiate soit des Nations-Unies soit des Etats occidentaux pour sauver des milliers d'hommes menacés à Sinjar par tous les périls (faim, soif, maladies, massacres...), à l'heure qu'il est les Yézidis coincés au mont Sinjar, en particulier près de 700 familles dans la zone sud de cette région, sont toujours dans l'attente de secours qui ne viennent pas. Le 8 août, des avions américains ont bombardé une position de l'EIIL, et on a cru un moment que c'était le début d'une opération militaire destinée à secourir ces damnés yézidis. Mais il s'est vite avéré que les USA n'ont fait que pilonner une artillerie jihadiste proche de la ville d'Erbil en vue de mettre celle-ci à l'abri de la menace jihadiste. Parce qu'une partie du personnel diplomatique étasunien, et seulement pour cette cause-là, se trouve en Erbil à portée des canons de l'EIIL. On a vu pleurer Obama entendant le cri de Vian Dakhil; on l'a entendu promettre une intervention éminente. Néanmoins, on n'a rien vu de vraiment concret sur le terrain. Même le largage de vivres ou de bouteilles d'eau, louable en soi, ne semble pas avoir bénéficié beaucoup aux sinistrés en raison du relief montagneux de la zone.



Côté arabe, à part les lamentations des médias et l'indignation des citoyens du camp laïque, aucune réaction notable. Comme si ces Yézidis qui vivent parmi nous depuis des millénaires, bien avant les musulmans, les juifs et les chrétiens, ne sont pas des nôtres. Comme si les 72 campagnes génocidaires dont ils ont fait l'objet à travers notre histoire commune ne suffisent pas. Comme si nous n'avons d'autre choix que de nous taire et d'être les complices ou les alliés objectifs de cette 73 ème campagne en cours qui cible le demi million de Yézidis survivants.

A quand une manifestation pour les Yézidis à Tunis, au Caire, en Alger, à Rabat, pour ne citer que quelques capitales et les peuples de leurs pays majoritairement acquis aux valeurs universelles?

A quand un sursaut d'honneur arabe digne de ce nom pour venir en aide à ces frères et sœurs irakiens et syriens, Yézidis et autres, qu'on persécute et massacre au nom de Dieu et en notre nom, et avec la bénédiction de plus d'un politiques nôtres, hélas!?

Quand serions-nous en mesure de comprendre que ce qui se passe en Irak et en Syrie n'est que le prélude d'une tragédie d'envergure universelle si nous ne réagissons pas maintenant et de la manière appropriée pour faire front à la barbarie?

Nous avons appris aujourd'hui que Moncef Marzouki, président de la Tunisie, a demandé  "ses excuses les plus sincères aux populations chrétiennes d’Irak". Mea culpa d'hypocrite et larmes de crocodile, quand on sait la part de responsabilité qu'assument ce président et ses alliés de la Troïka dans la tragédie syro-irakienne. Combien de jihadistes tunisiens ont été enrôlés et envoyés en Syrie et  actuellement faisant partie des hordes daéshistes qui égorgent, violent, pourchassent les chrétiens et non-chrétiens, que ce soit en Syrie, en Irak ou à la porte même du Liban?

Mea culpa d'hypocrite et larmes de crocodile, quand ce président, plus soucieux de redorer son blason à la veille des nouvelles élections que secourir réellement les victimes de l'EIIL, omet les chrétiens de Syrie, les Yézidis, les Chiites, les Turkmanes, les Shabaks, eux aussi lésés par le jihadisme tunisien et l'Etat qui l'a cautionné, et pas moins dignes que nos frères chrétiens d'Irak de nos demandes d'excuses !

Mea culpa d'hypocrite et larmes de crocodile, quand ce président propose aux chrétiens d'Irak "de venir en Tunisie le temps que la situation se calme", alors qu'il devrait mettre en place, dans les pays concernés, un organisme opérationnel et doté de tous les moyens, qui fasse sortir en sécurité et venir en dignité chez nous ces frères opprimés en partie par notre faute. Il devrait faire cela aussi pour ces damnées de Sinjar qui nous interpellent encore une fois à travers un nouveau témoignage de Vian Dakhil, députée au parlement irakien. Autrement, cette tartufferie marzoukienne ne suscite même pas le rire, tellement elle vole bas.




Merci de faire écho à cette tragédie humaine, citoyens du monde, car seule une grande et forte chaine de solidarité pourra sauver les Yézidis.



A.Amri
12 août 2014 


La vidéo dans son intégralité pour les arabophones sur ce lien:


jeudi 17 juillet 2014

Hommage à Ahmed Matar


"Je n'écris pas de la poésie; c'est la poésie qui m'écrit. Je voudrais bien me taire pour mieux vivre. Mais ce que j'endure me fait parler." Ahmed Matar

Selon des sources électroniques relayées par Oasis FM, le poète irakien Ahmed Matar serait décédé ce 17 juillet 2014 à Londres, à l'âge de 60 ans. Mais il semble que cette information est mensongère. Et nous souhaitons en avoir la confirmation au plus tôt.
Né dans la banlieue de Bassorah en 1954, Ahmed Matar a commencé à écrire la poésie alors qu'il était collégien âgé de 14 ans. Engagé depuis sa prime jeunesse, il connut la prison puis l'exil à deux reprises à cause de ses écrits. Une première fois au milieu des années 70 quand il fut contraint d'aller vivre et travailler au Koweït, puis en 1986 quand, expulsé avec son ami le caricaturiste palestinien Néji Al-ali, il alla s'installer en Grande Bretagne.

En modeste hommage à ce grand poète insoumis qui, où qu'il a vécu, n'est jamais resté à l'écart des problèmes politiques et sociaux des peuples arabes, ci-dessous deux poèmes traduits par l'auteur de ce blog. (A.Amri - 17 juillet 2014)


Pamphlet contre le tartufe Karadhaoui















 

Il revient à la charge
l'émetteur de fatwas

baver tout son soûl
sur l'honneur des femmes
excepté la quatrinité sacrée
ma mère, ma sœur
ma fille, ma femme
est halal

halal et sanctifié ici-bas
tout acte terroriste
à condition que ce ne soit pas moi
qui y passe de vie à trépas

que les maisons habitées
soient dynamitées
c'est du jihad
cent pour cent saint
pour autant que mon toit
à moi
en sorte sauf et sain

la vertu chez moi
une chenille qui se tord
selon les tribulations de la vie
et l'étoile sous laquelle
tel ou tel est né

quand loin de moi
elle tombe avec fracas
sur tel ou tel infortuné
l'épreuve m'engage
bouche cousue
à ne pas lever le nez
si elle percute mon nez
ma voix tonne et tempête
à grand fracas

Ainsi donc
à la guise d'une telle vertu
je ponds vendredi une fatwa
que samedi je ravale
si les bottes du plus fort
me la renvoient au panier

la modération en islam
c'est fifty-fifty
les délits
simultanément
on les consent et interdit

tels actes sont jugés impies
si le gros pis
de ma chamelle pie
s'en tarit
sinon pieux et zélés
s'ils drainent plus de jus
à ma chamelle et son pis

lui le mufti
a émis ses fatwas
et moi à mon tour
j'émets les miennes
le vice est dans l'ivraie
non dans le bon grain
la laideur
au cœur du sculpteur
et non dans la pierre
à sculpter
votre pondeur de fatwas
c'est la bombe et son poseur
n'accusez pas son consultant
pris dans la toilé d'araignée

par conséquent
nous sommes voués
à la destinée du troupeau
à l'abattoir alignés
écartelés entre les hachoirs
des sentences de mort
et les bottes de nos bourreaux

Et l'islam même en deviendra athée
si l'on ne musèle à temps ce mufti!

Ahmed Matar
Traduction A.Amri


23.01.2013

Entretien avec l'espoir



Hier j'ai contacté l'espoir
"Est-il possible, lui dis-je,
que l'exquis parfum puisse s'extraire
de l'oignon
et du hareng salé?"
- Oui, qu'il a dit.
- Est-il possible
que dans un foyer
inondé de pluie
le feu puisse s'allumer?
- Oui-da! qu'il a dit.
- Est-il possible
que de la coloquinte
on puisse distiller du miel?
-Assurément! qu'il a dit.
- Est-il possible
de mettre la terre
dans les anneaux de Saturne?
- Bah oui, qu'il a dit.
Oui-da! assurément!
car tout est probable!
- Alors, dis-je,
un jour assurément
nos potentats arabes
rougiront de honte."

L'espoir me dit alors:
"Si cela se produit
viens cracher à ma figure!"

Ahmed Matar
Traduction A. Amri

19.02.2013
 
 
 
Poèmes traduits du même auteur:
Abbas, fourbis ton arme !
 
Au sujet de Ahmed Matar:

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