vendredi 30 mai 2014

Ils ne passeront pas - Abdeljabbar Eleuch

Abdeljabbar Eleuch(*) a écrit ce poème au milieu des années 1980. Dans le contexte politique répressif relié aux Émeutes du pain et la crise de 1984-1985 opposant frontalement l'UGTT (Union générale du travail tunisien) au PSD (Parti socialiste destourien). Et depuis, comme le No pasarán espagnol de Dolores Ibárruri Gómez, le Len yamourrou tunisien est devenu symbole de la résistance nationale antifasciste.  Mis en musique sitôt sa publication par Nebras Chemmem, le titre est vite devenu un tube de la chanson engagée, chanté d'abord par le groupe Al-Bahth Al-Moussiqui, puis repris ensuite  par la plupart des artistes de la file engagée.

Ils ne passeront pas
mon sang à présent
s'est soudé aux martyrs
Ils ne passeront pas
j'ai déployé ma poitrine
barricade protégeant le mur
Ils ne passeront pas
et s'ils passent quand même
ce sera sur mon cadavre
pas d'alternative
ici je demeure
debout comme la montagne
je dessine de mon sang
la face têtue
de la patrie
et sculpte de l'orgueil
le jour
pas d'alternative
ma poigne de fer
et les camarades ici
sont un un stipe colossal
un palmier phare
et ces yeux amoureux
éclairent l'obscurité
comme le halo d'une flamme

une seule poigne de fer
inlassable
et la terre de l'usine
est à présent enceinte
de braises et jasmin sambac
au gibet des chants
nous pendons la peur
et nous bâtissons et bâtissons
en dépit de ceux qui détruisent

ni le cœur n'a cessé de battre
ni l'encre n'a tari de refus
ni ne s'est émoussé
malgré le siège
l'amour éperdu
pas d'alternative
pas d'alternative
pas d'alternative

ils ne passeront pas
 
Abdeljabbar Eleuch
Traduit par A.Amri
29.05.14


Traduction du même auteur sur ce blog:

Illuminé du nimbe des balles: Hussein Marwa


* Abdeljabbar Eleuch est un poète et romancier tunisien né à Sfax le 27 juin 1960. C'est assurément l'une des plus belles plumes tunisiennes d'expression arabe, auteur de plusieurs recueils de poésie dont Poésies (1988) et Gollanar (1997), ainsi que de nombreux romans dont Chronique de la cité étrange (2000), roman qui lui a valu le prix Comar d'Or (Tunis, 2001), Ifriqistan (2002) et Procès d'un chien (2007) traduit en français par Hédi Khlil (Centre National de Traduction, 2010).

Abdeljabbar Eleuch est également co-auteur d'un ouvrage collectif paru en langue française: Enfances tunisiennes, récits recueillis par Sophie Bessis et Leïla Sebbar (Editions Elyzad, 2011).





vendredi 16 mai 2014

Meriem Yahia Ibrahim: à vous votre religion, à moi la mienne !

Meriem Yahia Ibrahim est une femme médecin soudanaise âgée de 27 ans. Elle est née d'un mariage mixte interconfessionnel, son père étant musulman et sa mère chrétienne. Suite au divorce de ses parents qui a suivi de peu sa naissance en 1987, elle a vécu depuis sa prime enfance sous la tutelle exclusive de sa mère.

En 2012, Meriem a épousé un médecin originaire du Soudan du sud, de confession chrétienne, et a eu de lui un enfant âgé de 19 mois. A l'heure qu'il est, enceinte depuis 9 mois, Meriem attend son deuxième enfant(*). Elle serait sans doute une mère heureuse, une femme comblée, sans le tournant tragique que sa vie a pris malgré elle depuis deux ans. Et dans lequel s'imbriquent les rouages infernaux d'un islam sclérosé et déshumanisé, l'islam et la charia des Frères Musulmans.

En effet, en 2012 la justice soudanaise reçoit un communiqué dénonçant un mariage non conforme à la charia, en l’occurrence celui de Meriem Yahia Ibrahim (que les auteurs du communiqué prétendent connaitre comme une parente musulmane) et son conjoint chrétien. Alors que le mariage d'un musulman avec une chrétienne ou une juive est explicitement autorisé dans le Coran, celui d'une musulmane avec un non musulman, faute de référence coranique tranchant pour ou contre, est interdit par la charia. Mais cela n'a pas empêché des oulémas comme Hassan al-Tourabi, ancien chef des Frères musulmans soudanais, d'émettre une fatwa autorisant tel mariage. Toujours est-il que le rigorisme des législateurs et leur sexisme allant de pair à ce chapitre, le mariage d'une musulmane avec un non musulman reste prohibé dans la plupart des pays musulmans. Et seule la conversion à l'islam du postulant au mariage assure sa légalité à une union de tel ordre.

Quand la justice soudanaise a interrogé à propos de sa confession Meriem, celle-ci a nié avoir été musulmane, affirmant qu'elle est chrétienne de naissance. Ce qui est juste et n'admet aucune chicane, n'en déplaise à l'islam des fanatiques bornés et phallocrates. Meriem a été élevée par sa mère qui, mariée ou divorcée, a conservé sa propre confession et l'a transmise par l'éducation à sa fille. Et à supposer que celle-ci ait abjuré l'islam et se soit convertie au christianisme, quel sens donneraient les intransigeants de la charia au verset:" à vous votre religion, à moi la mienne لكم دينكم ولي ديني"? N'y a-t-il pas là un jugement clair, net et tranchant en faveur de Meriem?

Mais cela n'est pas l'avis des juges devant qui Meriem a comparu depuis août 2013, le fait que cette femme honnête et courageuse a nié être musulmane ne pouvant s'entendre que comme un aveu public d'apostasie.. apostasie de l'islam! En conséquence et au mépris d'un droit universellement reconnu, Meriem se voit jugée conformément à deux articles du code pénal soudanais: l'article 126 relatif au délit d'apostasie et l'article 146 relatif au délit d'adultère. Les peines respectives encourues sont la peine capitale et 100 coups de fouet!

Le 11 mai 2014, la justice soudanaise a accordé à l'accusée un délai de 3 jours pour déclarer son repentir. Si Meriem abjure la chrétienté et atteste qu'il n'est de Dieu qu’Allah et Mohamed est le prophète d'Allah, la peine de mort tombera. Sinon elle n'aura droit qu'au sursis lui permettant d'accoucher et d'allaiter pendant deux ans son bébé.

Ce 15 mai, Meriem a comparu devant un tribunal de Karthoum pour dire son dernier mot. Avant que la sentence ne soit prononcée. "Je suis chrétienne, clame-t-elle malgré tout, et non musulmane!"
- Puisqu'il en est ainsi, lui répond le juge, alors que nous t'avons accordé 3 jours pour te décider à te repentir, tu persistes à rejeter l'islam, nous te condamnons à la mort par pendaison!"

Nous voudrions bien que le juge qui a prononcé ce verdict au nom d'Allah nous éclaire un peu sur le sens exact du verset coranique: "Point de contrainte en religion لا إكراه في الدين".
Bons apôtres de l'obscurantisme qui nous tue, ennemis de la lumière et de la vie, si votre charia applique à la lettre les préceptes divins comme elle le prétend, elle ne pourra qu'acquitter cette femme jugée et condamnée de façon inique, arbitraire, barbare.

A. Amri
16 mai 2014


*- Ce deuxième enfant, une petite fille, vient de naitre en date du 27 mai 2014.


Lien externe:

Prière de signer et relayer la pétition mise en ligne par Amnesty International:
Libérez Meriam Yehya Ibrahim, jeune soudanaise condamnée à mort en raison de sa religion

Quand les médias crachent sur Aaron Bushnell (Par Olivier Mukuna)

Visant à médiatiser son refus d'être « complice d'un génocide » et son soutien à une « Palestine libre », l'immolation d'Aar...