samedi 1 octobre 2011

Le vote utile pour servir la démocratie

Près de 50 listes électorales vont se disputer bientôt dans la circonscription de Gabès les 7 sièges attribués à la région dans l'assemblée constituante. Ailleurs, le nombre de listes est presque le même, si ce n'est plus(1), et les sièges variant selon le nombre d'habitants.
Les enjeux sont énormes pour la région comme pour le pays. C'est la première fois depuis l'indépendance que le peuple, en quête de havre de salut pour sa révolution, est appelé à élire ses représentants de façon démocratique et transparente. Espérons que la démocratie que nous appelons de tous nos vœux, sans quoi la période de transition sera longue et pénible, sortira victorieuse de ce scrutin. Nous voulons une Tunisie pluraliste et engagée sur la voie de la prospérité et du progrès. Une Tunisie où la justice, les droits de l'homme et les libertés civiles soient souverains. Une Tunisie où l'identité arabo-musulmane ne soit soumise ni à la négation soi-disant laïque ni aux enchères et tutelles des partis politiques. Une Tunisie où cohabitent toutes les croyances, d'où soit bannie toute forme d'exclusion, religieuse, politique ou sociale.
Mais nous savons que les ennemis de la révolution ne désarment pas. Nous savons aussi que les ennemis du progrès sont à l'affût de l'opportunité qui ferait basculer le pays sous leur houlette. Notre "utopie", notre rêve, le monde meilleur, vivable, pour lequel les martyrs sont tombés ne nous sera pas offert sur un plateau d'or. Il ne nous sera pas concédé par les urnes si nous ne le méritons pas. D'où la nécessité pour les défenseurs de ce projet, les partisans de ce rêve, les progressistes où qu'ils soient d'être vigilants.

Si certains observateurs internationaux considèrent qu'en Tunisie « le curseur de la révolution est au centre gauche »(2), la plupart des Tunisiens, quant à eux, semblent complètement déboussolés face à tant de prétendants au pouvoir. Compte tenu du grand nombre de listes candidates, du désarroi des électeurs dont 74%, à en croire un sondage datant de juillet dernier(3), ne savent pas encore pour qui voter et plus de 50% ne savent rien sur les partis politiques en compétition, personne ne peut prévoir le taux approximatif de participation dans ces élections, ni quelles couleurs seraient plus distinctes dans le futur panorama politique national.
Il n'est caché pour personne qu'un taux élevé d'abstentions sera fatal à la démocratie. D'autre part, celle-ci risque de pâtir davantage de la division des forces progressistes et des luttes intestines au sein de la gauche. Situation qui, indiscutablement, ne peut que conforter leurs adversaires. Ceux-ci étant plus disciplinés et polarisés tablent à la fois sur la mobilisation de leurs partisans et sur l'éparpillement de la gauche pour récolter une majorité relative ou absolue. L'émiettement prévisible de la masse électorale de gauche, voire du centre, et nous ne le dirions jamais assez, donnera aux urnes plus de voix inutiles qu'utiles.
Dans des élections à un seul tour (à deux tours, ça serait différent) cet émiettement ne profitera qu'aux ennemis de la démocratie. Et il est de notre devoir de mettre en garde contre ce danger aux incalculables retombées. Étant réel et pas fantasmé, il devrait hanter à bon droit tout citoyen conscient et responsable. Pour le conjurer, deux imprudences à ne pas commettre:

- Un: l'abstention parce qu'elle sera synonyme de vote sanction contre les représentants des forces progressistes; dans l'autre camp, sans préjuger, il n'y aura pas d'abstentionnistes.
- Deux: la voix "blanche" donnée à une liste ne bénéficiant d'aucune assise populaire, synonyme elle aussi de vote indirect en faveur de la réaction.

En conséquence, le mot d'ordre qui doit être le nôtre: vote utile, vote utile, vote utile.
La moindre voix accordée sans ce principe risque d'être fatale aux défenseurs des valeurs républicaines et progressistes.

A bon entendeur.. !

A.Amri
01.10.2011

1- A l'échelle nationale, plus d'une centaine de partis -pour la plupart inconnus ou ercédistes reconstitués sous de nouveaux labels- sont engagés dans ces élections. On dénombre 63 listes candidates à Bizerte, à majorité "indépendantes".

2- C'est l'avis de Nicolas Dot-Pouillard, chercheur à l’International Crisis Group, lequel a publié plusieurs rapports sur la Tunisie. (D'après Le Monde Diplomatique - Octobre 2011)
3- Sondage réalisé par Sigma Conseil le 24 juillet dernier.

dimanche 4 septembre 2011

Le droit d'aimer

Le politique est-il libre d'aimer qui il veut?
Entre la soumission au poids des traditions, lui interdisant une liaison jugée dangereuse, et
au risque de compromettre son avenir politique, la révolte contre le conformisme bien-pensant qui pérennise de telles traditions, Amr Hamzawi a fait son choix.

Le cœur et le politique ont leur raison que la raison et la politique n'ont pas.


C'est en substance ce message que l’académicien et politique égyptien Amr Hamzawy a voulu transmettre à ses compatriotes, en faisant de sa liaison avec une femme du milieu artistique
une affaire publique.

Professeur de sciences po à l'Université de Berlin puis à l'Université du Caire, chercheur et ex-directeur de la fondation Carnegie pour la Paix Internationale, écrivain(1) et collaborateur à plusieurs journaux, Amr Hamzaoui est aussi depuis quelques années, une vedette de télé. A la faveur de sa quasi omniprésence aux tribunes et journaux télévisés, il a acquis l'image d'un académicien arabe ayant pignon sur rue. La rigueur et la pertinence de ses analyses politiques, que ce soit sur des questions locales ou internationales, lui ont assuré un charisme médiatique peu commun. Pendant la révolution égyptienne, cette popularité n'a pu qu'aller croissant. Membre du comité des sages et du front de la révolution, dans l’Égypte nouvelle où le processus révolutionnaire n’est pas près de se terminer, il ne se contente plus de son rôle médiatique et de son statut d’académicien. Ayant décliné un porte-feuilles dans le gouvernement de Chafik, il semble davantage intéressé par les défis et les enjeux de l'après-transition. Déjà, il a fondé avec des amis le parti Masr Al Hureyya (Egypte-Liberté), tendance libérale. Et certains observateurs voient en lui un bon candidat aux futures présidentielles en Égypte.


Cependant, le
bon candidat semble avoir fait récemment un faux pas. En se liant à une femme du milieu artistique, ce que ses proches, au sein de la famille et du parti, jugent compromettant pour son avenir politique.

Âgé de 44 ans, Amr Hamzaoui est divorcé d’une allemande dont il a deux enfants. A la mi-ramadan dernier, alors qu'il est en voiture en compagnie de Besma Ahmed Darwiche, chanteuse et actrice de cinéma, l’homme et son amie se font braquer en plein centre du Caire par une bande de
baltagias(2). Les agresseurs les dépouillent de leur argent, s’emparent de la voiture et prennent la fuite. Les victimes déposent alors une plainte. Et le fait n'échappe pas aux échotiers cairotes. Depuis les rumeurs d'une liaison amoureuse ne cessent de se propager. En un premier temps, Hamzawi a démenti catégoriquement ces rumeurs. Puis dans un volte-face politisé, il a confirmé la liaison en lui consacrant un éditorial du quotidien Eshorouk dont il est directeur.

D'aucuns diraient:" mais où est le problème, si l'homme et la femme s'aiment déjà?"

En fait, ce n'est pas tant le statut professionnel de la femme qui semble peser le plus ici, même s'il y a toujours et partout des gens qui y trouveraient à redire(3). Ce sont surtout les origines confessionnelles de l’artiste, pas conformes à un certain puritanisme local, qui gênent le plus l'entourage familial et politique de l'homme. Descendante d'une famille juive, Besma Ahmed Darwiche a beau être musulmane depuis deux générations(4), beau être impliquée dans la vie politique de son pays, aux yeux de l’Égyptien bien-pensant, et pas nécessairement que dans les milieux islamistes, elle serait
une intouchable.


Le 18 août dernier, les lecteurs du journal égyptien Eshorouk sont surpris par l'éditorial pour le moins inouï du quotidien. La plume qui les a habitués aux analyses politiques a rompu ce jour-là avec le contenu et la forme de ses écrits. Sous le titre
Je doute et à grand renfort d'anaphores et d'interrogations, Amr Hamzawi plaide son droit d'aimer, loin de toute tutelle familiale ou politique. A travers cet article dont nous traduisons ci-dessous quelques extraits, l’homme politique estime que les libertés qu’il défend sont indissociables de celle qui consiste à choisir la personne à aimer et la compagne de sa vie. En s'adressant à l’opinion publique de son pays, l’auteur entend dénoncer non seulement une forme d'intolérance dont il pâtit lui-même dans sa vie privée, mais un certain puritanisme politique dont la démocratie ne peut s'accommoder. Ni l'islam d'ailleurs(5)."Peut-on respecter un homme qui prône le respect de chaque humain dans le choix de l'orientation et des détails de sa vie privée et professionnelle [...] puis s'écarte de ses convictions dès qu'il est soumis lui-même à des pressions de sa famille ou de la société, concernant des décisions personnelles? J'en doute.
Peut-on respecter un homme qui prône le droit de choisir, revendique ce droit pour sa société et ses concitoyens puis, quand il doit en faire lui-même l'exercice, se révèle lâche et incapable? Et pourquoi? par prévoyance d’un rôle public ou politique, dans une société où la majorité ne tolère pas qu'un militant politique approche une dame du milieu artistique ou médiatique! et ce parce que ce milieu baigne dans les lumières propices aux rumeurs! J'en doute.

Peut-on respecter un homme qui prône le droit de choisir, qui croit que la littérature, l'art, la musique sont ce qu'il y a de plus profond dans le domaine de la créativité humaine, ce qu'il y a de plus expressif et apte à célébrer ledit droit, puis se dissocie de son sentiment d'amour sincère quand la personne aimée est une femme de lettres, une artiste ou musicienne? Et pourquoi? par crainte d'être mal vu par certains de ses proches, en famille ou dans la société! J'en doute.

[...]Peut-on respecter celui qui prône le droit de choisir alors qu'il est incapable d'affronter les pressions familiales et sociales exercées sur lui, pressions lui réclamant de désavouer son amour pour la dame de son cœur, soit pour le travail de celle-ci qu'il trouve lui-même respectable et merveilleux, soit pour les origines juives de l'un de ses descendants[...]? J'en doute [...]

Et en guise de conclusion, l'éditorialiste écrit:
"Je ne m'inquiète pas pour un rôle public ou politique qui soit assis sur les vestiges de ma personne réconciliée avec elle-même. Je ne regrette pas une éventuelle perte de ce rôle, tant que l'alternative pouvant éloigner le spectre de cette perte ne serait que la duperie de mon humanisme et l'abjuration de mon amour pour une femme extraordinairement belle et respectable [...]"

A. Amri
04.09.2011

04.09.2011
1- Principales publications:
- Between Religion and Politics, with Nathan Brown (Entre Religion et Politique, avec Nathan Brown)- 2010
-المستقبل العربي المعاصر مناظرات حول الديمقراطية والإسلام السياسي والمقاومة (L'avenir arabe contemporain: débats autour de la démocratie, de l'islam et de la résistance) - 2010
- Political Actors in the Arab World, with Marina Ottaway and Michele Dunne (Les acteurs politiques dans le monde arabe, avec Marina Ottaway et Michele Dunne) -2009
- Zeitgenössisches Arabisches Denken: Kontinuität und Wandel (Pensée arabe contemporaine: continuité et changement) - Verlag des Deutschen Orient-Instituts, 2005
- Human Rights in the Arab World: Independent Voices, coedited with Anthony Chase, (University of Pennsylvania, 2006)

2- On lui a proposé un porte-feuilles dans le gouvernement de Chafik mais il l' décliné.

2- D'origine turque, le terme baltagi (plur. baltagias) signifie intimidateurs. Depuis les heurts à place Tahrir au Caire entre révolutionnaires et partisans de Moubarek, le terme semble avoir conquis sa place dans les dicos des médias non arabes.

3- Sans vouloir donner à croire que le contexte et les personnages sont partout les mêmes, en France, pourtant pays de grandes traditions libérales, Paul-Éric Blanrue et Chris Laffaille n'ont pas ménagé Sarkosy épousant Carla Bruni. Les auteurs ont consacré un livre de 155 pages à cette liaison entre une libertine romanesque et un président divorcé : Chronique d'une liaison dangereuse (Editions SCALI).

4- Il faut souligner ici que, bien avant sa conversion à l'islam, le grand-père maternel de l'artiste, Youssef Darwiche, était une grande figure de la gauche égyptienne. Licencié en droits, il fut le fondateur du Parti communiste égyptienne et connut la prison à plusieurs reprises. En 1947, il s'est converti à l'islam tout en poursuivant sa lutte politique. Dès la fondation de l'état hébreu, il était connu pour son combat antisioniste et son soutien sans nuance à la cause palestinienne.
D'autre part, il est regrettable que ceux qui jettent traditionnellement l'anathème sur les artistes féminins, s'en prenant à Besma Ahmed Darwiche pour des rôles osés à l'écran, ne s’embarrassent pas d'établir un lien entre telle audace artistique et ce qu'ils appellent sang corrompu et corrupteur des juifs.

5- L'une des épouses du Prophète, en l’occurrence Safia Bent Hay Ibn Akhteb صفية بنت حيي بن أخطب était juive. Et on raconte que le Prophète, entendant l'une de ses épouses s'enorgueillir de son ascendance et sa parenté avec lui en présence de Safia, dit à celle-ci: "réponds-lui:"comment pourrais-tu être plus généreuse que moi alors que mon mari est Mohamed, mon père est Haroun et mon oncle est Moïse?" Sachant que Haroun, le père de cette épouse, est mort combattant le Prophète et les musulmans.
Par ailleurs, le prophète a épousé aussi une chrétienne, Maria la Copte ماريا القبطية, que Muqawqis (le caucasien) qui était à la fois patriarche melkite d'Alexandrie et gouverneur byzantin d'Egypte lui a offerte avec sa sœur Syrine comme esclaves. L'islam ne tolérant pas de s'unir à deux sœurs en même temps, le Prophète a gardé pour lui Maria et offert sa sœur à son poète Hassen Ib Thabet Al-Ansari. De cette union est né un garçon appelé Ibrahim, mort à peine âgé de 18 mois.


Quand les médias crachent sur Aaron Bushnell (Par Olivier Mukuna)

Visant à médiatiser son refus d'être « complice d'un génocide » et son soutien à une « Palestine libre », l'immolation d'Aar...