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lundi 29 décembre 2014

A propos de "Tunisie : politique et culture" (par Yves Gonzalez-Quijano)


Ecrit par Yves Gonzalez-Quijano, enseignant-chercheur au Gremmo/Université de Lyon et spécialiste des littérature et  culture arabes, le billet ci-dessous rend hommage à ma modeste personne à travers une appréciation pour le moins sympathique de quelques unes de mes publications sur ce blog et sur Youtube.
Me
rci infiniment Yves !

Au hasard du « ouèbe », cherchant à documenter une vidéo du groupe Al-Rahel al-kabir (الراحل الكبير : « Le grand disparu », c'est le nom du groupe), je suis tombé sur cette source qui disait parfaitement ce que je n'aurais pas forcément su exprimer moi-même aussi bien. Occasion de ne pas remettre indéfiniment un vague projet que j'avais en tête, celui de commencer une sorte de petite « blogothèque » – parfaitement subjective – des sites proches, intellectuellement parlant, de ce que propose Culture et politique arabes. Dans le cas présent, le titre de ce blog ouvert en 2009 suffit à mettre en évidence la proximité. Ahmed Amri a en effet choisi de rassembler les chroniques qu'il a commencé à écrire en 2009 sous le titre Tunisie : politique et culture.
C'est donc en cherchant des vidéos du groupe Al-rahel al-kabir que je suis tombé sur ce billet, qui présente très bien cet ensemble libanais récemment créé (2013). Un groupe qui « retravaille » la tradition musicale arabe en donnant un coup de jeune (plus qu'en révolutionnant à mon avis) la chanson engagée libanaise. Cette « réinterprétation », Ahmed Amri l'explicite fort bien pour ceux qui ne sont pas forcément familiers avec les arcanes de cette culture, en explicitant les sous-entendus des paroles d'une chanson qui a fait grand bruit récemment car elle tourne en ridicule (non sans courage, Beyrouth n'est pas si loin de la « ligne de front ») le dernier « calife » autoproclamé, le tristement célèbre al-Baghdadi. La vidéo, sous-titrée, par Ahmed Amri lui-même si j'ai bien compris, est disponible sur une page qui donne accès à plusieurs autres séquences sous-titrées qui sont autant d'entrées intéressantes dans la culture arabe. Découvrez-là si vous ne la connaissez pas, c'est encore plus drôle quand on a accès aux paroles !



Parmi les séquences précédemment mentionnées, on trouve notamment un petit extrait traduit – il faut dire que l'ensemble doit faire pas loin d'une heure – de l'incontournable Al-Atlâl (الأصلال : « Les ruines »), une chanson d'Oum Kalthoum, tellement présente dans l'imaginaire arabe que Nasser l'a citée lorsqu'il a dû annoncer aux Egyptiens (et aux Arabes) sa défaite, en juin 1967. Ahmed Amri en fait une présentation très centrée sur le « parolier », le poète Brahim Naji, en apportant une foule de détails qui m'étaient pour ma part totalement inconnus.



Moins classiques et totalement d'actualité, je recommande également deux billets écrits peu avant les élections présidentielles en Tunisie. Peu importe en définitive qu'on soit d'accord avec ce qu'il écrit à propos de Moncef « Tartour » Marzouki, son analyse du flirt islamiste de l'ancien président (temporaire), intitulée Quand Marzouki joue le dévot au Croissant, mérite d'être lu, ne serait-ce que parce qu'elle est aussi mesurée que savante, et qu'elle s'appuie notamment, ce qui me paraît essentiel et pourtant si rare, sur une analyse langagière, en l'occurrence l'emploi du mot tâghût (طاغوت) par le président-temporaire-candidat. Je vous laisse découvrir.

Moins développée mais tout aussi passionnante, son analyse du slogan électoral choisi par le même ex-président (Marzouki : arcanes d'un slogan électoral). Un thème auquel quelques-uns des billets de ces chroniques ont été consacrés, mais dans d'autres contextes. Là encore, l'analyse sémantique à laquelle se livre l'auteur est un régal ! Personnellement, j''aurais ajouté un dernier petit commentaire sur la signature du candidat, « Dr Moncef Marzouki », qui laisse présager une rude médecine pour la Tunisie ! Et pour ne pas me contenter de renvoyer au confrère, je signale cet entretien avec Mohammed Ziyed Hadfi, un « communiquant » tunisien professionnel, sur « les affiches électorales ou la quintessence du marketing politique » mis en ligne sur le site Nawaat.

En cette fin d'année, la période est aux cadeaux. Si vous souhaitez en faire, vous pouvez toujours envoyer des suggestions de sites (en utilisant la rubrique "commentaire" sur cette page, ou en me contactant par courriel), histoire de compléter notre « blogothèque » suggestive.

Bonne fin d'année... ou presque.

Yves Gonzalez-Quijano
23 décembre 2014

Source





jeudi 18 décembre 2014

Enjeux de l'élection présidentielle tunisienne


Ce 21 décembre, la Tunisie élira au suffrage universel son premier président depuis la révolution de 2010-2011. Elle choisira entre les deux gagnants du premier tour, le président sortant Moncef Marzouki qui a été élu à titre provisoire, en 2011, par les membres de l'Assemblée constituante, et Béji Caïd Sebsi, vieux routier de la politique, vétéran bourguibiste et président du parti Nidaa Tounes.

A la veille de ce second tour où, malgré des estimations serrées, Sebsi est donné favori,  la Tunisie est incontestablement divisée en deux camps. Chacun a ses enjeux propres et ses appréhensions. D'une part, les islamistes et les partisans de l'ex-troïka rangés derrière Marzouki, qui, redoutant ce qu'ils appellent le taghaouel(1) de Nidaa Tounes vainqueur aux législatives du 26 octobre dernier, espèrent conjurer ce risque en s'adjugeant la première tête de l'exécutif. De l'autre, le camp opposé à ladite troïka où diverses sensibilités allant de la droite libérale à l'extrême-gauche sont réunies, qui, craignant les retombées d'un éventuel bicéphalisme de l'exécutif, appellent de tous leurs vœux la défaite de Marzouki.

Avant d'analyser ces enjeux et ces craintes, il faut d'abord souligner que même si la magistrature suprême en Tunisie n'a plus, constitutionnellement parlant, les compétences qui étaient les siennes sous Bourguiba ou son successeur Ben Ali, le prochain président tunisien aura un poids inestimable dans la réussite ou l'échec de la politique gouvernementale. Sachant que les orientations générales de la défense, les affaires étrangères, la ratification des traités internationaux, l'assurance de la sécurité intérieure de la République, la nomination de Gouverneur de la Banque Centrale et de mufti de la République, la grâce(2), entre autres compétences, font partie des droits régaliens du président. Sachant que celui-ci peut renvoyer des projets de lois adoptés par le Parlement pour une deuxième délibération, soumettre au référendum populaire les projets de lois sensibles liées aux droits et libertés, au statut personnel ou tout projet de révision de la Constitution, sachant enfin que ce président peut assister au conseil des ministres et le présider, on peut deviner ce qui suscite les craintes des uns et des autres en cas d'élection qui mette à la tête du pays le candidat du camp adverse.


En cas de victoire de Béji Caïd Sebsi, la Tunisie ne risque pas de vivre des crises politiques opposant le gouvernement au président de la république. L'entente garantie de facto par l'appartenance des deux têtes de l'exécutif à la majorité épargnera au pays les dissidences du pouvoir, et non des moindres, à redouter d'un éventuel bicéphalisme où la cohabitation se profile difficile, voire impossible. Par contre, si Marzouki est élu, le dualisme installé à la tête du pouvoir ne pourra que contrarier les décisions du gouvernement, avec les risques majeurs que ce dernier aurait à se voir brider, bloquer, voire dissoudre en cas de conflits ou de bras de fer entre les deux têtes de l'exécutif. Le président lui-même ne s'en trouvera pas dans une situation enviable, qui risque d'être condamné à l'isolement s'il se met sur le dos un gouvernement qu'il contrarie de façon abusive et systématique. Et dans un tel cas de figure, il va sans dire que le pays ne pourra que trinquer à son tour.


Cependant, pour les partisans de Marzouki le vrai péril à craindre serait plutôt dans l'accaparement de tous les pouvoirs par la partie adverse. D'autant que celle-ci incarne, à leurs yeux, un avatar de la dictature déchue. Derrière Béji Caïd Sebsi et son parti Nidaa Tounes, les inconditionnels de Marzouki ne voient que les anciens militants ou adhérents du RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique), les azlams(3) de Ben Ali recyclés sous les oripeaux du social-libéralisme bourguibiste. Par conséquent, seule une victoire de Marzouki à la présidentielle pourra dresser un rempart contre le retour de la dictature. C'est en tout cas le cheval de bataille des marzoukistes et de leur candidat depuis le début de la campagne électorale.

En vérité, ce spectre de la dictature revenante qu'agitent inlassablement Marzouki et ses partisans n'a aucun fondement concret. C'est un vieil épouvantail électoraliste qui a déjà servi aux islamistes dans la campagne électorale de 2011. Et l'anathème de taghaoual(1) et d'azlams(3) lancé contre Béji Caïd Sebsi et son parti ne peut duper que les simples d'esprit. Car la réalité de Nidaa Tounes est tout autre que l'image caricaturale et ridicule que tentent de lui coller Moncef Marzouki et ses partisans. Fondé et autorisé en 2012 sous la gouvernance de la Troïka et avec la bénédiction du ministre de l'intérieur islamiste Ali Larayedh qui en a signé le visa d'autorisation, ce parti a pu rassembler en deux ans les diverses sensibilités opposées au régime de la Troïka. Que ce parti compte aujourd'hui parmi ses adhérents beaucoup d'anciens
destouriens et rcdistes, cela est indiscutable. Mais la grande majorité de ses dirigeants, et il n'est que de voir ses comités constitutif et exécutif pour s'en rendre compte, sont d'authentiques opposants à Ben Ali, dont beaucoup sont issus de la mouvance progressiste et des divers courants de la gauche. Ainsi le numéro 2 de ce parti,Taïeb Baccouche, n'est autre que le secrétaire général et l'idéologue de l'UGTT (Union générale tunisienne du travail) entre 1981 et 1985. Ce même leader syndical était, de 1998 à 2011, président de  l'Institut arabe des droits de l'homme. A côté de Taïeb Baccouche, on trouve Boujemâa Remili, militant du Parti communiste tunisien (devenu mouvement Ettajdid puis Pôle démocratique moderniste). On trouve aussi Mohsen Marzouk qui a milité au sein du Travailleur Tunisien (mouvement marxiste-léniniste) puis au sein de la LTDH (Ligue tunisienne des droits de l'homme).  Sans oublier le doyen des défenseurs de droits de l'homme Ali Ben Salem ou le militant et leader syndical Abdelmajid Saharaoui. Quel crédit donner alors aux jeteurs d'anathèmes quand on sait que la plupart de ces militants ont subi la persécution et la prison, soit sous Ben Ali soit sous son prédécesseur, soit sous l'un et l'autre et même sous l'occupant français auparavant?

Mais il faut souligner aussi que ceux qui, malgré ces considérations, accusent Nidaa Tounes d'être l'officine des RCD oublient que le premier parti à avoir recyclé en masse les anciens RCD au lendemain des élections de 2011 n'est autre que le mouvement Ennahdha, ce même mouvement qui soutient aujourd'hui, directement ou à travers son électorat, la candidature de Marzouki. Quant au dénigrement du même ordre ciblant la personne de Béji Caïd Sebsi, il n'en est pas moins dénué de tout fondement. En 1980, Béji Caïd Sebsi a été le premier proche de Bourguiba à avoir eu le courage de prôner le multipartisme. Et il a appelé à la mise en place d'une démocratie qui mette fin à l'hégémonie du parti unique. Sous Ben Ali, le seul reproche qu'on puisse lui faire c'est d'avoir été président 
de la Chambre des députés pour un an et demi. Béji Caïd Sebsi s'est retiré de lui-même de la scène politique en 1991 et n'y est revenu que 20 ans plus tard,  après la révolution du 14 janvier 2011. Et les Tunisiens n'oublient pas que c'est sous la gouvernance de cet homme nommé Premier ministre entre le 27 février et le 24 décembre 2011, sous la présidence intérimaire de Fouad Mebazaa, que leur pays a pu faire ses premières élections libres et démocratiques en octobre 2011.

Par conséquent, le spectre de la dictature revenante à conjurer à travers la réélection de Moncef Marzouki n'est qu'un vulgaire alibi qui ne peut tromper les Tunisiens avertis. Ceux-ci savent que la véritable bataille pour la présidentielle ne se joue pas entre Marzouki et Sebsi, mais entre ce dernier et Ghannouchi. Entre le camp séculier et le camp islamiste. Marzouki dont le parti CPR (Congrès pour la république) n'a remporté que 4 sièges aux législatives récentes, avec 2.4% des voix (contre 86 sièges et 37.86% des voix  pour Nidaa Tounès) ne sert que de prête-nom circonstanciel au mouvement Ennahdha. Sans le report de voix islamistes qui lui a permis de remonter la pente, Marzouki n'aurait pas franchi le premier tour des présidentielles. Et il n'aurait même pas distancé son associé de l'ex-troïka Mustapha Ben Jaafar, classé dixième, qui n'a obtenu que 0.67% des voix.
Les Tunisiens avertis savent que ce qui inquiète Marzouki et ses amis n'est pas le retour de la dictature, celle-ci ayant déjà contre elle un rempart infranchissable, en l'occurrence la nouvelle constitution  adoptée le 26 janvier 2014 et promulguée le 10 février de la même année. Les Tunisiens avertis savent que ce qui inquiète Marzouki et ses amis c'est d'avoir à rendre compte des abus de pouvoir et les crimes politiques (dont les assassinats de Belaïd et Brahmi) qui ont marqué  la gouvernance de la Troîka de décembre 2011 à janvier 2014.

A. Amri
7.12.14


Notes:

1- Mot arabe dérivé de goule et signifiant prendre une stature ogresque, vampirique.
2- Il convient de noter ici que sous les trois ans du mandat provisoire de Moncef Marzouki, les assassinats politiques ou les actes terroristes visant l'armée et la police ont été en partie l’œuvre d'anciens prisonniers graciés. Et beaucoup de ces graciés ont traversé les frontières pour grossir les rangs des jihadistes soit en Irak et en Syrie, soit en Libye.
3- Terme péjoratif qui désigne les taupes, les auxiliaires de l'ancien régime.

vendredi 12 décembre 2014

Ali Ben Salem: un combat pas comme les autres en quelques lignes



Il est né le 15 juin 1931 à Bizerte.

A 7 ans, son père est tué par balles au cours d'une manifestation contre l'occupant français. A 14 ans, il rejoint le maquis et s'engage dans la lutte armée contre cet occupant. A 16 ans, le tribunal militaire français le condamne à mort par contumace pour des actes de guérilla à Bizerte. A 24 ans, alors que la Tunisie est sous régime d'autonomie interne, il est condamné à la clandestinité et à l'exil pour s'être attiré les foudres de Bourguiba et de Ben Youssef réunis, ayant refusé de se ranger derrière l'un ou l'autre. A 30 ans, il a failli laisser la vie dans la bataille d'évacuation de Bizerte, blessé au cou et au dos. A 32 ans, il est condamné aux travaux forcés à perpétuité pour avoir participé à la tentative de complot contre Bourguiba en 1962. Sa femme meurt alors qu'il est en prison et l'administration pénitentiaire l'empêche d'assister à son enterrement. Après avoir purgé 11 ans de bagne, il est gracié avec tous les membres du groupe des insurgés en 1973.
A 46 ans, il cofonde la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH) et milite en son sein pour la libération des prisonniers politiques opposants au régime de Bourguiba.
Sous le régime de Zine el-Abidine Ben Ali, il continue son combat farouche et ne plie jamais. A partir de 1991, il mène plusieurs campagnes contre l'emprisonnement des partisans du mouvement Ennahdha et d'autres pour l’amnistie de tous les prisonniers politiques. En 1998, il participe à la fondation du Conseil national pour les libertés en Tunisie. En avril 2000, alors qu'il est septuagénaire, il est aspergé de gaz lacrymogène et roué de coups dans un commissariat de Tunis. De graves lésions de la colonne vertébrale, un traumatisme crânien et des contusions s'ensuivent, faisant de cette agression un acte de torture en bonne et due forme. En 2002, il s'oppose au référendum amendant la Constitution de 1959 (amendement permettant au président Ben Ali de se présenter une nouvelle fois aux élections présidentielles). En 2003, il fonde avec Radhia Nasraoui l'Association de lutte contre la torture en Tunisie. En même temps, il contribue à la dénonciation de plusieurs affaires de corruption impliquant le président et sa famille.
À partir de novembre 2005, il est soumis à la surveillance quotidienne par une patrouille de police stationnée devant son domicile. On lui interdit de recevoir des visites. On lui coupe le téléphone. On le suit à chaque déplacement.
Le 3 juin 2006, âgé de 75 ans, il est enlevé de son lit par la police et maintenu en détention pour trois jours.
C'est, en quelques mots, le parcours de Ali Ben Salem, doyen des défenseurs des droits de l'homme en Tunisie. On ne le dira jamais assez: ce que ce militant a enduré pour la Tunisie et la démocratie, aucun Tunisien n'en a souffert le centième. En retour, après la révolution de 2010-2011, certains Tunisiens ne sont pas embarrassés de payer d'ingratitude un tel combat.

Contrairement aux islamistes qui ont réclamé à l'Etat des dédommagements et les ont obtenus, Ali Ben Salem n'a rien demandé. Même pas à recouvrer son droit à la couverture sociale et à la retraite. En 2011, quand Moncef Marzouki est devenu président provisoire, apprenant que le militant âgé de 80 ans ne disposait d'aucune ressource matérielle depuis qu'il a té privé de son travail par le dictateur déchu, il lui a accordé une allocation mensuelle de 500 dinars (€250). Mais dès que le président a su que Ali Ben Salem avait des contacts avec Nidaa Tounes (le parti fondé par Béji Caîed Sebsi), il a suspendu l'obole présidentielle.

Le peuple lui a néanmoins permis de prendre sa revanche aux dernières élections législatives. Le mardi 2 décembre 2014, Ali Ben Salem a présidé la première séance du nouveau parlement tunisien, en sa qualité de doyen d'âge des députés élus. Un grand moment d'émotions non seulement pour ce militant hors pair dans l’histoire de la Tunisie, mais pour tout le pays qui a suivi en direct cette plénière inaugurale.



A. Amri
12.12.14

vendredi 14 novembre 2014

Marzouki: arcanes d'un slogan électoral



Dans l'histoire universelle des élections présidentielles, il y a des slogans de campagnes électorales qui ont fait date. On songe à la formule concise  mais emblématique de l'affiche de Mitterrand en 1981: "La force tranquille". Ou à la non moins concise formule poétique de l'affiche d'Eisenhower en 1953: "I like Ike". On peut en citer d'autres non moins mémorables, comme le slogan de l'UMP en France pour les européennes de 2009: "Quand l'Europe veut, l'Europe peut". Celui de Herbert Hoover aux présidentielles américaines de 1929: "A Chicken in Every Pot. A car in every garage" (Un poulet dans chaque casserole, une voiture dans chaque garage). Ou encore le "Yes We Can! (Oui, on le peut !) " de Barak Obama aux présidentielles de 2008. 

Tous ces slogans ont fait des campagnes qui leur sont associées des campagnes victorieuses. Et les publicitaires qui les ont élaborés en ont tiré autant de bénéfices que les bénéficiaires directs dans la sphère politique.

Moncef Marzouki a choisi comme slogan d'affiche: ننتصر... أو ننتصر qu'on pourrait traduire soit par: "Nous vainquons...ou nous vainquons", soit par "On gagne...ou on gagne". Dans les deux versions, ce qui nous intéresse ici surtout c'est de pénétrer le sens de cette alternative qui n'en est pas une. Spirale vertueuse ou cercle vicieux, la  boucle de rétroaction, le choix qui invite le lecteur du slogan à opter pour le bonnet blanc ou le blanc bonnet a quelque chose de pervers ou d'absurdeQue peut-il y avoir dans les arcanes de "أو /ou", conjonction tantôt disjonctive tantôt exclusive, pour doter le terme qui la suit d'un sens que l'explicite ne dit ni élucide ?

Rappelons d'abord que le slogan "On gagne...ou on gagne" n'est pas inédit dans le continent africain. Il a été adopté en Côte d'ivoire par Laurent Gbagbo dans sa campagne pour l'élection présidentielle de 2010. Rappelons aussi que l'ex-président ivoirien a été battu au cours de cette élection, qu'il a refusé de quitter le pouvoir, ce qui a entrainé une crise de plusieurs mois qui a failli conduire à la guerre civile son pays. Réinvestir ce même slogan dans un autre pays du continent, s'il peut dénoter un courage, une absence de superstition chez notre vaillant président provisoire, il peut dénoter aussi une certaine identité continentale de l'esprit démocratique qui fait de Marzouki un suiveur de Gbagbo. 

ننتصر... أو ننتصر Nantassir aou nantissir laisse supposer que le candidat tunisien à sa propre succession fait sienne la devise de César Borgia, quoique Marzouki ait mis à jour la célèbre formule devenue référence du machiavélisme. Ce n'est pas le Aut Caesar, aut nihil « Ou César, ou rien » du Valentinois que cite fréquemment Machiavel dans Le Prince. Mais Aut Marzouki, aut Marzouki « Ou Marzouki, ou Marzouki » qui sera peut-être cité un jour par quelque émule de Machiavel dans un ouvrage ayant pour titre Le Président.

Inclusif ou exclusif, le "أو /ou" se veut dénotatif d'une campagne féroce, sans merci, à la limite performative par quoi Marzouki se proclame d'ores et déjà président. L'alternative de la victoire est la victoire: il n'y a pas de place pour la défaite.

On peut être tenté d'apparenter encore ce slogan, dans ce qui semble se lire en filigrane comme un non-dit, à la célèbre phrase d'Omar Al-Moukhtar:"ننتصر أو نموت nous vainquons ou nous mourons".  Mais si Marzouki peut bien se complaire dans cette analogie qui fait de lui le héros d'une épopée comparable à celles des figures de la résistance maghrébine anti-coloniale, il n'est pas certain qu'il veuille partager lui-même le sort d'Al-Moukhtar, et pour cause. Néanmoins s'il faut qu'on meure pour lui afin qu'on gagne ou on gagne, on présume que le césar tunisien ne dirait pas non. D'ailleurs, à composer dans sa campagne électorale avec les islamistes de tout bord, les salafistes dont plus d'un ne reconnaissent ni la constitution ni la démocratie ni le régime républicain, les LPR (Ligues de protection de la révolution) qui sont à l'islamisme local ce que furent les Chemises noires et brunes au fascisme mussolino-hitlérien, les énergumènes du révolutionnisme ringard tels que Abderrahman Souguir, à s'approprier en la même circonstance une rhétorique jihadiste pour évoquer ses adversaires, Marzouki se place dans une perspective pour le moins suspecte de l'après-présidentielle. Aurait-il des velléités d’emprunter à  l'exemple démocratique gbagboéen dont il a plagié le slogan la rebuffade post-élecorale susceptible de donner tout son sens à On gagne ou on gagne ?



A.Amri
14.11.14

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Quand Marzouki joue le dévot au Croissant


Quand Marzouki joue le dévot au Croissant



En Tunisie comme dans le reste des pays du printemps arabe, taghout طاغوت , pluriel tawaghit طواغيت est un mot très prisé dans la rhétorique islamiste. Et très malfamé aussi dans l'entendement civil. Depuis que les jihadistes ont pris l'habitude d'en user et abuser pour désigner les cibles de leurs actes terroristes, le mot est devenu synonyme des maux qui infectent ledit printemps et ensanglantent ses pays.

Si l'arabe courant privilégie l'emploi de taghia طاغية, pluriel toughat طغاة pour appeler un despote exerçant un pouvoir tyrannique et injuste, la phraséologie islamo-jihadiste utilise plutôt le terme taghout et lui assigne une extension néologiste qui le dévie de son sens premier. Terme du même radical que le précédent, à valeur augmentative, taghout est davantage connoté que taghia; et il signifie un potentat qui exerce un pouvoir satanique, non conforme aux lois de Dieu. Dans le Coran, les occurrences de taghout sont associées à Satan, au sorcier, à l'idole ou à toute autre déité païenne. Le terme signifie aussi par extension le temple des idolâtres. En Tunisie, depuis les premiers actes terroristes visant des soldats, des agents de la police et de la garde nationale tunisiennes, et auparavant des opposants politiques de la Troïka, le terme taghout a acquis un sens nouveau. Lequel élargit son champ sémantique pour le faire couvrir ce que le philosophe français Louis Althusser appelle dans les années 1970 l'Appareil idéologique de l'Etat (1).


Que peut bien signifier dans la bouche d'un soi-disant laïque qui se réclame de la gauche et ancien militant des droits de l’homme(2), en l'occurrence Moncef Marzouki, le mot "taghout" employé au pluriel pour désigner son principal concurrent à la présidentielle et le parti de celui-ci Nidaa Tounes ?

En vérité, il serait malaisé d'imaginer que le candidat à sa propre succession songe à porter en sus du burnous qui lui sied si bien la djobba d'un dévot au Croissant. Cet homme n'est pas le type à se convertir à l'islam radical ni même aux conventions de la piété commune au point d'adopter le discours extrémiste, puritain et takfiriste. Ce serait se méprendre sur le compte d'un homme dont le positionnement de gauche n’a jamais varié en réalité, si ce n'est que l'homme, opportuniste et se prêtant aux compromis qui paient, a dû pactiser avec les islamistes pour arriver au pouvoir.
Comme il ne veut pas céder de si tôt ce pouvoir dont il n'a tiré que la gloriole du Tartour (guignol), et le céder de surcroit à un probable adversaire qui incarne à ses yeux un avatar de la dictature déchue (telle serait sa profonde conviction), il n'a d'autre alternative que de reconduire son pacte avec les islamistes, toutes tendances confondues.
Par conséquent, s'il faut jouer au tartuffe pour racoler l'électorat sur lequel il compte, comme un mal nécessaire, pour succéder à lui-même, il ne doit pas lésiner sur les moyens lui permettant d'être dans les bonnes grâce de tel électorat. Force est pour lui de s'approprier non seulement la phraséologie puritaine et rigoriste de la doctrine qu'il est censé combattre en tant que laïque, mais il doit composer aussi avec "l'avant-garde révolutionnaire" islamiste: les LPR (Ligues de protection de la révolution), les cheikhs salafistes tels que Béchir ben Hassen, les fanatiques et les énergumènes du révolutionnisme tels que Abderrahman Souguir l'ex-garde de Ben ALi, à ses yeux les plus capables de mobiliser dans son rang les ardents ennemis de la laïcité.

Reste à savoir si cette stratégie communicative opportuniste s'avère tout aussi payante de l'autre côté du mur. Les électeurs qui, aux récentes législatives, ont déjà sanctionné l'islamisme et les partis laïques ayant composé avec, ceux qui sont assez prévenus pour ne pas mordre dans cet appât  populiste et véreux, ceux qui en ont assez des agissements des LPR et consort, ceux pour qui la Tunisie ne peut plus parier sur Marzouki pour la sortir du terrorisme, du marasme économique et de l'incompétence diplomatique, ceux qui entendent l'emploi de "taghout" comme une complaisance à l'égard des jihadistes criminels, ceux-là, il n'est pas sûr qu'ils puissent pardonner à Marzouki ce dérapage de langue venimeux.

A. Amri
13.11.14

Notes:

1- Reprise par plusieurs philosophes, sociologues et politiques marxistes tels que Rémy Rieffel, François-Bernard Huyghe, Pierre Bourdieu, l'AIE est une notion qui analyse les modes de production capitaliste et leurs reproduction par l'accroissement du capital, ainsi que le rôle de l'Etat et sa collusion avec la classe bourgeoise dans la consécration de ces modes. L'AIE englobe deux composantes: appareils répressifs d’État (police, tribunaux, armée, les différentes administrations, etc.) et les superstructures idéologiques ( institution scolaire, religion, famille, syndicats, culture, etc.)

2- Élu président de la LTDH (Ligue tunisienne des droits de l'homme) au troisième congrès tenu en mars 1989, Moncef Marzouki a été évincé de la présidence au congrès suivant tenu en février 1994. De cette date-là à ce jour, soit depuis 20 ans, Moncef Marzouki n'est plus affilé à la LTDH.
Par conséquent, le candidat à sa propre succession ment dans sa campagne électorale quand il se targue d'être militant de la LTDH et ardent défenseur des droits de l'homme.


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Marzouki: arcanes d'un slogan électoral


mardi 11 novembre 2014

Marzouki tel que j'ai connu - Par Ahmed Manai

Dr Ahmed Manai se passe de présentation pour ceux qui ont vécu les années de braises tunisiennes, ou en savent l'histoire. Mais s'il faut le présenter quand même, et de façon succincte pour introduire le témoignage ci-dessous, nous dirons que cet agronome et expert international auprès de l'ONU est le premier opposant déclaré de Ben Ali. Pour s'être présenté aux élections d'avril 1989 et avoir transgressé un tel tabou politique, il était devenu l'ennemi public numéro 1 du dictateur déchu. Torturé, emprisonné, traqué en exil, tabassé à maintes reprises par les sbires du palais de Carthage, menacé de mort lui et sa famille, en janvier 1993 il a créé avec Mondher Sfar le Comité tunisien d'appel à la démission de Ben Ali. Un an plus tard, il a publié Supplice Tunisien - Le jardin secret du général Ben Ali, livre dans lequel il a dénoncé la torture et les persécutions ciblant les opposants au dictateur.

Le témoignage ci-dessous, qui paraitra en arabe au journal Akhbaraljoumhouria le vendredi 11 novembre 2014, tout en rappelant les circonstances dans lesquelles Manai a pu connaître de près Marzouki, éclaire la personnalité pour le moins paranoïaque de ce dernier.

Merci à mon ami Dr Ahmed Manaï de m'avoir accordé l'exclusivité de sa publication et sa traduction en français sur ce blog.



Au mois d'octobre 1981, l'ami Dr Abdelhamid Hachem, nommé  Chef du Département de Chirurgie Orthopédique à la Faculté de Médecine de Monastir, m'a rendu visite à ma maison à Ouardanine. Je m'occupais alors des prisonniers du mouvement  de la Tendance Islamique (ndt: acuelle Ennhdha) et je militais activement pour leur défense avec feus Dr Hammadi Farhat, Ali Arnaout et Taieb Kacem.

J'ai demandé à Taieb Kacem s'il connaissait personnellement parmi ses amis quelqu'un pouvant nous aider dans ce qui nous préoccupait. Il m'a recommandé Dr Moncef Marzouki et m'a conseillé de le contacter de sa part. J'ai agi en conséquence et j'ai rencontré Marzouki à la plage Boujaâfar à Sousse.
Nous nous sommes assis pour plus d'une heure; et alors que je lui expliquais l'affaire des détenus et les problèmes de leurs familles, l'homme était absorbé par ses méditations, la face tournée à la mer, à peine conscient de ma présence. Puis, subitement, lui ayant dit que j'allais bientôt partir au Maroc où je travaillais à la B.I (Banque Internationale), il s'est tourné vers moi et m'a dit que son père vivait au Maroc. Puis il m'a demandé si je pouvais lui rendre visite à Marrakech pour lui transmettre une lettre, ce que j'ai accepté.

Tout au long de la décennie des années 80, nous ne nous sommes pas rencontrés beaucoup, deux ou trois fois tout au plus, qui ne m'ont pas permis de garder de lui de bonnes impressions. C'était un homme hautain, grossier, dont le visage ne savait jamais sourire.
En avril 1991, j'ai été arrêté au ministère de l'intérieur et ma famille est restée plusieurs jours dans l'ignorance de mon sort. Ma femme Malika a alors contacté Marzouki en sa qualité de président de la LDH (Ligue des droits de l'homme) et ancien ami. Elle lui a demandé de s'enquérir seulement si j'étais vivant ou mort. Il lui a répondu qu'il y avait des centaines de cas, voire des milliers, comme moi et qu'il ne pouvait rien faire.
Après avoir quitté la Tunisie fin mai, je l'ai rencontré à Paris le 15 juin 1991, en marge d'un colloque organisé au siège de l'Unesco. Il devait y faire une allocution mais il y a renoncé. Et il a refusé de m'adresser même la parole.
Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois par la suite. Dans un symposium organisé par le CEDETIM (Centre d'études et d'initiatives de solidarité internationale), dans un autre organisé par moi personnellement au lendemain de l'annonce de sa candidature pour la présidentielle de 1994. Et j'ai saisi cette occasion pour déclarer mon désistement en sa faveur, comme je l'avais annoncé au mois d'août 1993.
Quand il fut arrêté après son retour en Tunisie,  je crois m'être acquitté de mon devoir de soutien et de sensibilisation à sa cause, moi, feu Ali Saïdi et Mondher Sfar. Nous avons constitué un comité de soutien et dénoncé sa persécution et la persécution de toutes les parties libres. Nous avons fait agir plusieurs organisations des droits de l'homme pour le soutenir et mobilisé beaucoup de journalistes pour faire connaître sa cause. Le défunt Ali Saïdi surtout n'a pas manqué de faire des communiqués chaque fois qu'il apprenait que quelqu'un a harcelé Marzouki au souk ou lui a fait un clin d’œil, ou même qu'un moustique l'a piqué !

Dans les années 1990, il ne se passait pas une semaine sans que je ne téléphone à Marzouki, sachant l'isolement mortel dans lequel il vivait. Quand son téléphone ne répondait pas, c'était à son frère Mokhles que je téléphonais. En contrepartie, jamais une fois il ne m'a téléphoné, pas même quand on m'a agressé le 29 février 1996 et le 14 mars 1997. Il ne m'a même pas contacté pour une simple consolation. L'un de ses partisans devenu plus tard son conseiller m'a appris qu'il lui serait difficile de me téléphoner. Je ne lui en ai pas voulu pour autant et j'ai continué de lui téléphoner et de le rencontrer chaque fois qu'il venait à Paris. En 1999, il a assisté au mariage de mon fils Badis. Et je l'ai présenté à toutes mes connaissances, arabes ou non arabes, comme le candidat de l'opposition aux élections présidentielles.

A la fin de l'année 2000, il m'a envoyé un livre manuscrit et m'a demandé de lui trouver un éditeur. Je m'étais démené à chercher durant un an cet éditeur mais sans succès.
Le 3 janvier 2001, je l'ai contacté par téléphone pour le mettre au courant de ce qui se passait en Tunisie, en particulier les protestations estudiantines dont il ne savait rien. Ce jour-là, il m'a confié quelque chose de bizarre. Il m'a dit que c'était le jour le plus heureux dans sa vie car l'un de ses ex-étudiants l'a contacté et lui a exprimé sa solidarité suite à la mesure arbitraire prise par le gouvernement contre lui. Plus d'un quart de siècle d'enseignement à la faculté de médecine, des centaines de médecins diplômés formés par lui, et un seul lui exprime son soutien !

Je lui ai écrit à plusieurs reprises pour le conseiller en particulier au sujet de son appel à changer le drapeau national, à transférer le siège de la capitale de Tunis à Kairouan et d'autres galéjades sur lesquelles il a fondé son programme politique.
A sa venue à Paris à la fin de 2001, quand bien même j'étais fraichement opéré j'ai été à son accueil à l'aéroport. Et je ne saurais dire tout ce que j'ai fait pour lui car je considère ces actions faites pour notre cause commune.

Trois mois après son arrivé à Paris, Moncef Marzouki s'est envolé à Washington mais en est revenu déçu. A l'époque, les Américains étaient encore satisfaits de Ben Ali et, dans tous les cas, ne pariaient pas sur Marzouki.
En 2003, un colloque s'est organisé à Aix-en-Provence avec la participation de nombreuses composantes de l'opposition tunisienne. Le colloque était parrainé par une organisation chrétienne, à l'exemple de ce qui s'était produit à Rome avec l'opposition algérienne en 1995. Mais le vrai parrain était en fait les Renseignements français qui ont pris en main la restructuration de l'opposition tunisienne. On visait d'abord à faire sortir de son isolement le mouvement Ennahdha pour l'intégrer aux autres factions. Et nommer ensuite à la tête de cette opposition Marzouki. Le colloque a duré trois jours au cours desquels on a délibéré, discuté, manœuvré, puis s'est couronné par une déclaration finale. Toutefois, Ben Jaâfar a refusé de la signer car il ambitionnait lui aussi la présidence et avait peur de la réaction du régime à son retour.
En 2008, Marzouki a signé une lettre adressée à Obama, rédigée par Radhouan Masmoudi,  demandant à l'administration américaine d'intervenir dans le monde arabe pour y instaurer la démocratie.   Cet appel initiait les préparatifs de  ce qui sera appelé le printemps arabe, coïncidant avec l'année où la chaine de télévision Al-Jazeera a ouvert ses portes pour embaucher pêle-mêle les partisans d'Ennahdha.

J'ai rompu tout contact avec Marzouki depuis 2003, et ce pour ses agissements inconsidérés, sa langue de vipère, son égoïsme et son narcissisme outré. De ses innombrables attitudes répréhensibles, je vais citer deux seulement.
La première, c'était après l'avoir reçu à l'aéroport. Nous avons convenu d'un rendez-vous pour lui présenter une amie algérienne, professeure d'économie dans une université parisienne et militante au sein du FFSA (Front des forces socialistes algériennes). Marzouki est arrivé au rendez-vous. Je l'ai salué et prié de s'assoir. Mais il est resté debout. Puis mettant à plat ses mains sur la table, il m'a dit à brûle-pourpoint:" allons, viens avec moi !"
- Où aller, lui dis-je, alors que nous sommes en rendez-vous avec la dame?" Celle-ci était assise à une table voisine.
- Tu vas venir avec moi vers le CPR (Congrès pour la république)".
Très désappointé, je lui ai lancé:" même si tu étais venu pour braconner une prostituée, tu devrais traiter celle-ci avec respect."
Il est parti sur-le-champ alors que je lui rappelais notre rendez-vous avec la dame.
La deuxième, c'était au cours d'un colloque organisé au début de l'année 2003 à Paris. A la fin de la séance matinale, les participants ont quitté la salle des travaux pour le restaurant. Alors que je tenais mon plateau et cherchais une chaise vide, j'en ai vu une à la table occupée par Marzouki. C'était juste en face de lui et j'ai dû y aller m'assoir à contrecœur. Je l'ai salué et nous avons commencé à parler de la situation en Tunisie. A un moment donné, nous avons évoqué la sécurité. Et parlant de la police politique, il s'est mis à baver et postillonner.
Je lui ai dit en toute politesse:" Si Moncef, la sécurité est indispensable dans toute société et sous n'importe quel régime." Il a quitté alors sa chaise, furieux, pris son plateau et est allé s'assoir à une autre table en me disant, rageur: " puisque tu aimes la sécurité, reste là avec ta sécurité !"
Sans doute certains se souviennent-ils comment, le 1er janvier 2012, il a présenté ses vœux de chef d'Etat à tous les corps civils et militaires mais omis le corps sécuritaire. Le lendemain, il a été contraint de se rattraper suite à la vague de protestations.
J'ai tenté, pendant des années, d'inciter Marzouki au dialogue sérieux concernant l'alternative qu'il envisage et de le prévenir contre le danger de penser et d’œuvrer à faire tomber le régime et causer un vide constitutionnel faute d'alternative prête et capable d'assumer les charges de l'Etat. Mais il est resté fidèle à son tempérament turbulent et sa nature révolutionniste, rôle dont il maîtrise le jeu.
Je me suis habitué à ne garder de ceux que j'ai connus, y compris ceux qui m’ont fait du mal, que le bon côté. Mais je suis incapable de trouver ce bon côté chez lui. En lui je n'ai trouvé que l'ingratitude, l'égoïsme, l'arrogance, la langue vipérine et le mensonge.
Parmi ses mensonges, ce qu'il a répandu lui et ses nervis sur moi et mon fils dans son livre noir, en prétendant s'appuyer sur les archives de l'ATCE (Agence Tunisienne de Communication Extérieure).
Je dédie ce papier à certains de ses camarades du parti, de ceux qui sont devenus ministres et conseillers dans son Etat et qui venaient me voir pour se plaindre de leur président, de sa mauvaise conduite à leur égard, ce qui a fait que 4 fondateurs seulement sont restés en 2011 des 31 que comptait le parti à sa fondation en 2001.

mardi 12 août 2014

La tragédie des Yézidis: nouveau témoignage de Vian Dakhil

Ce 5 août 2014, le cri de détresse lancé par la députée yézidie Vian Dakhil dans l'enceinte du parlement irakien a touché des millions d'internautes des cinq continents. Poignant et percutant en raison de sa justesse, de sa force émotionnelle et de l'atrocité du sort réservé par les hordes de l'EIIL aux Yézidis,  cette minorité ethno-religieuse qu'on veut rayer, entre autres composants irakiens, de la mosaïque humaine et culturelle multimillénaire faisant la véritable richesse du peuple de la Mésopotamie. .

L'élan de sympathie suscité par ce cri de détresse ne doit pas faiblir car les Yézidis menacés de génocide ne sont pas au bout de leur calvaire. Alors que nous avons appelé de tous nos vœux une réaction humanitaire énergique et immédiate soit des Nations-Unies soit des Etats occidentaux pour sauver des milliers d'hommes menacés à Sinjar par tous les périls (faim, soif, maladies, massacres...), à l'heure qu'il est les Yézidis coincés au mont Sinjar, en particulier près de 700 familles dans la zone sud de cette région, sont toujours dans l'attente de secours qui ne viennent pas. Le 8 août, des avions américains ont bombardé une position de l'EIIL, et on a cru un moment que c'était le début d'une opération militaire destinée à secourir ces damnés yézidis. Mais il s'est vite avéré que les USA n'ont fait que pilonner une artillerie jihadiste proche de la ville d'Erbil en vue de mettre celle-ci à l'abri de la menace jihadiste. Parce qu'une partie du personnel diplomatique étasunien, et seulement pour cette cause-là, se trouve en Erbil à portée des canons de l'EIIL. On a vu pleurer Obama entendant le cri de Vian Dakhil; on l'a entendu promettre une intervention éminente. Néanmoins, on n'a rien vu de vraiment concret sur le terrain. Même le largage de vivres ou de bouteilles d'eau, louable en soi, ne semble pas avoir bénéficié beaucoup aux sinistrés en raison du relief montagneux de la zone.



Côté arabe, à part les lamentations des médias et l'indignation des citoyens du camp laïque, aucune réaction notable. Comme si ces Yézidis qui vivent parmi nous depuis des millénaires, bien avant les musulmans, les juifs et les chrétiens, ne sont pas des nôtres. Comme si les 72 campagnes génocidaires dont ils ont fait l'objet à travers notre histoire commune ne suffisent pas. Comme si nous n'avons d'autre choix que de nous taire et d'être les complices ou les alliés objectifs de cette 73 ème campagne en cours qui cible le demi million de Yézidis survivants.

A quand une manifestation pour les Yézidis à Tunis, au Caire, en Alger, à Rabat, pour ne citer que quelques capitales et les peuples de leurs pays majoritairement acquis aux valeurs universelles?

A quand un sursaut d'honneur arabe digne de ce nom pour venir en aide à ces frères et sœurs irakiens et syriens, Yézidis et autres, qu'on persécute et massacre au nom de Dieu et en notre nom, et avec la bénédiction de plus d'un politiques nôtres, hélas!?

Quand serions-nous en mesure de comprendre que ce qui se passe en Irak et en Syrie n'est que le prélude d'une tragédie d'envergure universelle si nous ne réagissons pas maintenant et de la manière appropriée pour faire front à la barbarie?

Nous avons appris aujourd'hui que Moncef Marzouki, président de la Tunisie, a demandé  "ses excuses les plus sincères aux populations chrétiennes d’Irak". Mea culpa d'hypocrite et larmes de crocodile, quand on sait la part de responsabilité qu'assument ce président et ses alliés de la Troïka dans la tragédie syro-irakienne. Combien de jihadistes tunisiens ont été enrôlés et envoyés en Syrie et  actuellement faisant partie des hordes daéshistes qui égorgent, violent, pourchassent les chrétiens et non-chrétiens, que ce soit en Syrie, en Irak ou à la porte même du Liban?

Mea culpa d'hypocrite et larmes de crocodile, quand ce président, plus soucieux de redorer son blason à la veille des nouvelles élections que secourir réellement les victimes de l'EIIL, omet les chrétiens de Syrie, les Yézidis, les Chiites, les Turkmanes, les Shabaks, eux aussi lésés par le jihadisme tunisien et l'Etat qui l'a cautionné, et pas moins dignes que nos frères chrétiens d'Irak de nos demandes d'excuses !

Mea culpa d'hypocrite et larmes de crocodile, quand ce président propose aux chrétiens d'Irak "de venir en Tunisie le temps que la situation se calme", alors qu'il devrait mettre en place, dans les pays concernés, un organisme opérationnel et doté de tous les moyens, qui fasse sortir en sécurité et venir en dignité chez nous ces frères opprimés en partie par notre faute. Il devrait faire cela aussi pour ces damnées de Sinjar qui nous interpellent encore une fois à travers un nouveau témoignage de Vian Dakhil, députée au parlement irakien. Autrement, cette tartufferie marzoukienne ne suscite même pas le rire, tellement elle vole bas.




Merci de faire écho à cette tragédie humaine, citoyens du monde, car seule une grande et forte chaine de solidarité pourra sauver les Yézidis.



A.Amri
12 août 2014 


La vidéo dans son intégralité pour les arabophones sur ce lien:


vendredi 20 décembre 2013

Ahmed Manaï: Marzouki est justiciable pour ses crimes en Syrie

Dr Ahmed Manai est assurément le premier opposant déclaré de Ben Ali. Pour avoir créé avec Mondher Sfar le Comité tunisien d'appel à la démission de Ben Ali en janvier 1993, il était devenu l'ennemi public numéro un du dictateur déchu. Torturé, emprisonné, traqué en exil, tabassé à maintes reprises par les sbires du palais de Carthage, menacé de mort lui et sa famille, ce militant dont le cv et la probité sont exemplaires ne peut pas plaire aux nains faisant les potentats qui gouvernent aujourd'hui la Tunisie. Sinon comment expliquer que Le livre Noir de Marzouki tente de trainer dans la boue un tel militant historique intègre?

Le 11 décembre 2013, Dr Ahmed Manaï a accordé une interview à CAP FM Radio dans laquelle il s'est exprimé sur la récente publication de Moncef Marzouki, puis sur la question syrienne et enfin sur la justice de transition.
Concernant ce dernier volet (non traduit ici), Dr Ahmed Manaï est persuadé que la Tunisie devrait s'inspirer de l'exemple sud-africain. Et l'interviewé a rendu un vibrant hommage au disparu Mandela, non sans rappeler qu'à travers l'Irak et d'autres contextes similaires les Arabes se sont révélés plus vindicatifs que conciliants. Et le fait que certains islamistes tunisiens se plaisent à profaner le combat de Mandela en surnommant ce dernier Mandil (serviette) n'est pas de nature à augurer d'une exception tunisienne à ce niveau.
Ci-dessous une traduction partielle de cette interview, couvrant la première moitié (une quinzaine de minutes), laquelle est consacrée au Livre Noir et à la responsabilité de Moncef Marzouki dans l'effusion du sang en Syrie. Dr Ahmed Manaï a été interrogé tour à tour par Hassan Hameli et Soufiene Ben Farhat.



CAP FM:

Tout d'abord, on voudrait connaître votre opinion sur le Livre Noir paru récemment et qui a suscité une grande polémique. Vous-même avez déjà écrit et fait des déclarations au sujet de ce livre. Quelle est votre attitude à ce sujet? S'agit-il d'une manœuvre d'intimidation qui cible les journalistes?

A.Manai:

Avant tout, il faut convenir que cette publication ne mérite pas qu'on l'appelle livre. C'est une compilation d'insanités qui comporte un grand nombre de mensonges. Que telles insanités soient attribuées à des plumes ayant collaboré avec l'ancien régime ne peut que renforcer le discrédit frappant le soi-disant livre. Personnellement, je suis persuadé qu'une grande part de ce patchwork d'inepties est l’œuvre du palais de Carthage.

CAP FM:
Vous avez dit en toutes lettres, Dr. Ahmed Manai, que le contenu du Livre Noir est une fiction tramée par les résidents du palais de Carthage. Vous avez déclaré aussi, à propos des archives de la police politique -et nous y reviendrons, que c'est une bombe à retardement. A votre sens, pourquoi le
Livre Noir serait une fiction tramée par les résidents du palais de Carthage?

A.Manai:
D'abord, en me référant à ce que j'ai lu en premier lieu concernant les personnes défuntes comme feus Mohamed Mzali, Salah Karkar, Ali Saîdi, je dirais que le devoir moral de ceux qui ont publié ces insanités est de respecter la mémoire des morts s'ils les évoquent. Sinon se taire par décence. Mais au lieu de cela, ils ont affublé ces morts de calomnies, de choses ridicules. Alors qu'un grand nombre de ces personnes ont rendu d'éminents services à M. Marzouki, et durant de nombreuses années. Ceci concernant les défunts.
En ce qui me concerne moi-même, permettez-moi de rappeler d'abord ce qu'un opposant en exil peut faire. Globalement des contacts avec des ONG, des médias. Et la rédactions de textes, d'articles, de temps à autre des informations. La réaction du régime, ses réactions plutôt étaient multiformes. L'auteur de ce livre dit que l'action de l'Agence Tunisienne de Communication Extérieure (ATCE) a débuté en 1997, ce qui est inexact. L'ATCE a commencé son travail à partir de janvier 1993. J'ouvre ici une parenthèse pour signaler que je détiens tous les documents publiés par des organisations ou des individus collaborant avec le régime, lesquels documents sont dirigés contre les opposants. Je ne me permettrais pas de polémiquer ici sur la valeur de ces personnes, évaluant positivement ou négativement tel ou tel opposants. Mais, en gros, les publications de l'ATCE sont des attaques visant ces personnes.
Je disais que l'ATCE a commencé son action en 93. Et c'était en France, au lendemain de la création du
Comité Tunisien d'Appel à la Démission du Président Ben Ali que j'ai fondé en association avec Mondher Sfar au mois de janvier 93. L'attaque a commencé aussitôt depuis Paris. Quand il est apparu que ce comité a provoqué une crise diplomatique entre les deux pays. A ce propos, j'ai entre les mains un article écrit par Debré, en ce temps-là correspondant du journal Le Monde à Tunis...

CAP FM:
Michel Debré.

A.Manai:
Ce correspondant a parlé d'une crise suscitée par la création de ce comité. Et l'ATCE a alors publié à Paris un article signé m'assimilant à un fondamentaliste ayant déjà présidé une campagne électorale au Sahel. Quant à Mondher Sfar, on lui a attribué une appartenance à la droite française, en précisant qu'il écrivait à Présent, quotidien à la solde du Front National. C'étaient des attaques de ce genre. Mais il n'y avait pas de basses calomnies faisant état de la débauche d'un tel, comme on en a lu dans ce livre.L'ATCE a poursuivi son action jusqu'en 97. Et ce qui a été publié en 97 à mon sujet et au sujet de Mondher Sfar ce sont des menaces d'agression et d'assassinat. Sfar a été menacé d'être jeté à la Seine. Et ces menaces ont été suivies d'actes, ce que Le Livre Noir ne mentionne pas. Sfar et moi-même avons été agressés deux fois. En ce qui me concerne, j'ai été tabassé le 29 février 1996. Pour Mondher Sfar, c'était en avril 96. La deuxième agression ciblant ma personne a eu lieu le 14 mars 97. Et l'ATCE publiait à la suite de chacune de ces agressions que c'était une chose méritée, qu'il aurait été  souhaitable que de telles agressions se soient soldées par la mort des personnes qui en ont fait l'objet. Mais ces calomnies qui se sont poursuivies et ont ciblé plusieurs personnes s'en tenaient au cadre strictement politique, ne descendaient jamais si bas. A titre d'exemple, on répandait que tel est agent de la CIA et tel agent des Renseignements français.

CAP FM:
Au sujet de la citation de votre nom dans Le Livre Noir, vous avez déjà déclaré que ce sont des insanités. Mais vous avez fait une autre  déclaration, il y a deux jours, qui n'est pas passée inaperçue, dans laquelle vous adressez un message
à Moncef Marzouki, président provisoire, que vous interpellez par ces mots: "patientez, je vous poursuivrai devant la justice pour vos crimes en Syrie."
Pourquoi?

A.Manai:
Sans transition au sujet de cette deuxième affaire, personnellement je tiens M. Marzouki pour responsable en grande partie de ce qui s'est passé en Syrie. Permettez-moi de rappeler que j'ai adressé en mars 2012 une lettre ouverte à M. Marzouki. Je lui ai demandé de faire de son mieux pour garder la Tunisie au dessus de la crise syrienne. "Cette crise, lui dis-je, n'est pas comme vous l'imaginez. C'est une guerre déclarée contre la Syrie." Ma lettre ouverte était assez courtoise. Et c'est naturel: je l'ai écrite en tant que citoyen tunisien soucieux de voir son pays adopter une diplomatie extérieure qui soit à l'image de notre diplomatie traditionnelle. Parce que, en toute franchise, en dépit de la satanisation de l'ancien régime, la politique extérieure de Ben Ali ne s'est pas écartée, dans ses grandes lignes, de la tradition bourguibienne. C'était une politique équilibrée, sans fracas ni problèmes, que ce soit avec nos voisins ou avec les pays lointains.
Au lieu d'une telle diplomatie, ce que nous avons vu à l'endroit de la Syrie c'est l'engagement dans une campagne, une aventure dont l'issue est insoupçonnable. Ce que M. Marzouki ne pouvait imaginer à l'époque c'est que cette guerre contre la Syrie était planifiée et serait destructrice. En mars 2012, quand je lui ai adressé ma lettre ouverte,  le nombre de morts en Syrie était aux environs de 1500.


CAP FM:
Mille cinq cents morts en mars 2012. Actuellement, le chiffre dépasse cent mille.

A.Manai:
Actuellement, le chiffre se situe entre 120 et 130 mille. Je voudrais poser cette question: qui assume la responsabilité d'autant de sang qui a coulé en Syrie durant les deux dernières années?

CAP FM:
Dr Manai, si vous voulez bien expliciter davantage le rapport de cause à effet entre
M. Marzouki et ce lourd bilan de la guerre en Syrie?

A.Manai:
Rappelons que, outre ce que j'ai documenté moi-même, il y a des organisations respectables, en Tunisie ou ailleurs, qui collectent dans l'incognito des informations et documentent les déclarations de M. Marzouki, entre autres, au sujet de la question syrienne, lesquelles déclarations permettent d'en déduire que leur auteur incite les terroristes à aller se battre en Syrie. A cela ajoutez sa réception de leaders suspects d'être derrière l'envoi de jihadistes vers la Syrie...

CAP FM:
Au cours du congrès des soi-disant amis de la Syrie, dont l'initiative revient à la Tunisie.

A.Manai:
Oui. A partir de ce congrès, la Tunisie à travers son président et d'autres personnes a commencé de glisser dans le bourbier syrien. C'est à ce niveau précis que M. Marzouki assume sa responsabilité dans le carnage de ces 120 à 150 mille personnes, conséquence de l'engagement tunisien et de ce congrès des soi-disant amis de la Syrie tenu à Tunis.

CAP FM:
D'après vous, les familles des jeunes tunisiens morts en Syrie pourraient-elles engager des poursuites incriminant des responsables politiques
à ce niveau?

A.Manai:
Bien sûr, bien sûr que oui. Les organisations évoquées documentent, entre autres, les témoignages de ceux qui ont été envoyés en Syrie. Entre parenthèses, M. Soufiene, je me rappelle que vous-même avez été en Syrie en vue de faire rapatrier quelques uns de ces recrues. Il y a sur place en Syrie des organisations qui s'appuient sur les témoignages des captifs, tunisiens ou autres, interrogés et détenus par l'armée syrienne. Parmi les questions cruciales posées à ces captifs: qui vous a recruté(s)? Qui a pris en charge votre voyage en Syrie? Tout cela est dûment documenté. Et d'après ce que je sais, le nom de Marzouki a été très cité dans ces interrogatoires, à côté d'autres noms évidemment.
En conséquence, ces témoignages rendent justiciable M. Marzouki. Mais la responsabilité de celui-ci est davantage grave du fait qu'il est président. Que tel président soit provisoire, que sa légitimité soit caduque ou vaille toujours, ne le décharge pas, qu'on le veuille ou non, de tout ce qui incombe à sa fonction à la magistrature suprême. Juridiquement parlant, en vertu du droit international M. Marzouki, en tant que président de la république,  est le premier responsable des actions faites par les Tunisiens à l'étranger. Et davantage quand ces actions sont des actes de guerre comme c'est le cas en Syrie.
Par conséquent, la responsabilité de M. Marzouki à ce propos est claire. Et elle sera dévoilée au grand jour à l'avenir. Je pense qu'on en saura plus à partir de janvier ou février prochain, quand les enquêtes à ce propos seront rendues publiques et que les procès surtout seront intentés devant des instances internationales et dans les pays habilités encore à faire ces procès, mais aussi devant la justice syrienne et peut-être même la justice tunisienne.




Traduction A.Amri
20 décembre 2013


Pour Dr Ahmed Manaï sur ce blog:

Marzouki s'est tu au moment où il devait parler (par Dr Ahmed Manai)

La liberté d’expression et la responsabilité de l’intellectuel musulman


Lien externe:

http://tunisitri.wordpress.com/


dimanche 23 décembre 2012

Marzouki s'est tu au moment où il devait parler (par Dr Ahmed Manai)

Dr Ahmed Manai se souvient.
A l'occasion de la journée mondiale  des droits de l'homme, la Présidence de la République a organisé une cérémonie en l'honneur des Amis de la Tunisie qui ont tenu tête au régime de Ben Ali. Cet évènement ne s'est pas passé sans susciter une large polémique en raison de l'interdiction d'accès au palais de Carthage qui a frappé Zouheir Makhlouf, secrétaire général de la section tunisienne d'Amnesty International. A quoi ajouter l'exclusion des représentants de l'AMT (Association des magistrats tunisiens) de l'hommage, malgré leur invitation à la cérémonie. Dr Ahmed Manai, président de l'Institut Tunisien des Relations Internationales et qui, dès le début des années 90, fut l'un des pionniers de l'opposition déclarée à Ben Ali,  figurait aussi parmi les absents notoires de cette cérémonie.

Dr Ahmed Manai, auteur de "Supplice Tunisien - Le jardin secret du général Ben Ali", paru en France en 1995, nous a confié un texte relatif à son premier témoignage public contre le régime de Ben Ali, datant du 15 juin 1991, que nous publions dans son intégralité.

Mohamed Ghalleb
21.12.2012



Moncef Marzouki et Ahmed Manai
" Le samedi 15 juin 1991, j'ai été invité à un séminiare intitulé «Monde arabe, les droits de l'homme et le nouvel ordre mondial»,  organisé à Paris par l'Association arabe en France des droits de l'homme. Cette association avait pour président Boutros Hallaq, syrien, et pour secrétaire général le marocain Ibrahim Sayes.
Au début, j'ai longuement hésité à assister au séminaire, certain que si je devais y être je ne m'empêcherais pas de fournir mon témoignage au sujet de ce qui se passait en Tunisie. Un tel acte signifiait la rupture de l'engagement que j'avais pris vis-à-vis du ministère de l'intérieur, condition imposée par les appareils sécuritaires et les services spécialisés que présidait Mohamed Ali Fazouï pour obtenir mon passeport et réintégrer mon travail aux Nations Unies. On m'a demandé de m'abstenir de toute activité et tout témoignage contre le régime; bien plus: on m'a demandé de les informer de toute action hostile au pouvoir. Et pour s'assurer que tel engagement soit respecté par moi, ils ont mis ma femme et mes cinq enfants, y compris Tahar qui a 4 ans, sur la liste des personnes interdites de voyage.
En vérité, à peine une semaine après le début de mon exil le 18 mai 1991, j'ai transgressé l'interdit. J'ai consigné sur trois pages un témoignage que j'ai adressé à quelques organisations de défense des droits de l'homme et certaines de mes connaissances. Cela m'a soulagé moralement et m'a sorti de ma prison intérieure.

Finalement, j'ai vaincu mes hésitations et dépassé mes supputations personnelles. Je suis allé au séminaire en projetant de garder le silence. Ce dessein était probablement motivé par la présence de Moncef Marzouki. Je m'imaginais qu'il allait nous apporter de nouvelles révélations sur le pays.
Le séminaire a été ouvert par le rituel des allocutions de bienvenue et la présentation de l'Association. Puis nous sommes passés aux interventions.
La situation des droits humains dans le monde arabe: droits lamentables, pour ne pas dire inexistants. Il y avait consensus là-dessus. Quant au nouvel ordre mondial, n'en parlons pas. Surtout après l'effondrement de l'URSS, la guerre contre l'Irak et l'hégémonie américaine plus que jamais affirmée.
Feu Hammadi Essid
Ce jour-là, j'ai découvert Hammadi Essid qui était le représentant de la Ligue Arabe à Paris. C'était un homme cultivé par excellence, polyglotte et maîtrisant l'art du dialogue et, au besoin, de la joute. Il l'a prouvé tout au long des années suivantes et jusqu'à sa mort. Continuellement, c'était lui qui excellait et se distinguait dans tous les débats télévisés touchant aux affaires arabes et islamiques.
Moncef Marzouki dont nous avions attendu la parole n'a pas parlé. Et j'ai pris alors conscience de la nécessité d'intervenir, afin que la question de la violation des droits de l'homme ne reste pas une question théorique dont débattent exclusivement les intellectuels, les défenseurs des droits de l'homme et, occasionnellement pour l'éloquence de la tribune, les politiques.
Il y avait dans la salle quelques figures nahdhaouies mais pas un n'a parlé. Dans l'immédiat, je croyais que ce silence était imputable à leur connaissance relative du français. Mais leur mutisme dans les colloques s'est poursuivi alors même que certains d'entre-eux ont obtenu le doctorat. Chez eux le silence était une règle qu'ils ne cessaient d'observer, d'autant qu'ils ont eu toujours des gens pour les défendre sans contrepartie.
Assis à l'écart au fond de la salle, j'ai demandé la parole et parlé longuement et amplement sur ce qui se passait en Tunisie : les arrestations en série et par milliers, les procès, la torture surtout et les dizaines de morts sous la torture . J'ai évoqué aussi mon expérience personnelle. Tout le monde m'écoutait. Et à la fin de mes propos, Hammadi Essid m'a répondu qu'il m'avait entendu et pris acte de mon témoignage. Et qu'il transmettrait.

Profitant de la pause et voyant sortir de la salle Moncef Marzouki, j'ai rejoint celui-ci, lui disant: "Si Moncef, viens, on va causer un peu". Il m'a répondu:" Ils nous regardent!" Il était épouvanté! Je ne sais pas si c'était de me revoir vivant alors qu'il me croyait englouti par le poisson ou noyé dans le gouffre du ministère de l'intérieur et de la sécurité de l’État.
Il est vrai qu'il y avait dans la salle des indicateurs du régime, que je ne connaissais pas à l'époque mais qui me sont devenus familiers par la suite. Monsieur Moncef a continué de marcher et moi le suivant. Il m'a entraîné vers les toilettes situées en face de la salle 4 de l'Unesco. Alors que je l'interrogeais avidement sur les dernières nouvelles du pays, il me répondait avec autant d'avidité:" comment t'ont-ils laissé sortir?"
Un mois et demi avant cette date-là, c'est-à-dire à l'époque où j'étais en arrestation au ministère de l'intérieur (entre le 3 avril et le 8 mai 1991) ma femme Malika a contacté Moncef Marzouki -alors président de la LTDH (Ligue tunisienne des droits de l'homme). Elle l'a informé de mon arrestation et l'a prié avec insistance de faire quelque chose. Elle lui a rappelé notre vieille amitié. Ce à quoi il a répondu que mes semblables se comptaient par milliers. C'était vrai. Et il n'a rien fait, évidemment.
Mais ce que Malika ma compagne a fait ces jours-là et dans les années suivantes, beaucoup d'hommes seraient incapables de le faire. Elle a écrit à de nombreuses organisations de défense des droits de l'homme. Et l'un des paradoxes cocasses à ce sujet, c'est que quand elle a écrit à la Ligue française des droits de l'homme, Robert Verdier, responsable des affaires internationales, lui a répondu que la Tunisie ne relevait pas de leurs compétences mais il transmettrait sa lettre à Dr Moncef Marzouki, président de la ligue tunisienne!
Au début de l'automne 1991, j'ai rencontré ce responsable, et c'était une agréable coïncidence, dans une émission de la radio Mghreb Arabe, consacrée aux droits de l'homme en Tunisie. Il y avait avec nous Karim Azzouz, représentant de l'UTT(Union des Etudiants Tunisiens).
Rentré à la maison ce jour-là et réévaluant mon acte, j'ai compris que j'avais franchi la ligne rouge.
Peut-être avais-je ouvert pour ma famille les portes de l'enfer. C'est ce qui surviendrait une semaine plus tard, quand mon action serait parvenue aux USA. "

Dr Ahmed Manai
http://www.attounissia.com.tn/  
Texte original

Traduit par Ahmed Amri
23.12.2012
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Pour le même auteur sur ce blog: 
La liberté d’expression et la responsabilité de l’intellectuel musulman

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