mercredi 8 mai 2013

Au gré du flux - Par Tounès Thabet


Photo Saadia Mosbah
Longtemps, beaucoup de Tunisiens imaginaient que le racisme est un mal qui ne s'accommode pas du "tempérament national". Longtemps, ces Tunisiens imaginaient que la Tunisie a quelque chose de cubain en matière de tolérance et de fraternité interraciale.
Et puis tout récemment, ces Tunisiens se font dessiller les yeux sur une réalité diamétralement opposée à leur croyance. Un témoignage de Saadia Mosbah leur révèle que le racisme est la soupe quotidienne des Noirs tunisiens. D'autres témoignages suivent et l'ampleur de la peste se révèle au delà de ce qu'on pourrait imaginer.

La réaction de nombreuses plumes ne se fait pas attendre. Dont Tounès Thabet, auteure de l'article ci-dessous, que je remercie de m'avoir prévenu à ce sujet dont j'ignorais moi-même la gravité. ( Ahmed Amri - 8 mai 2013)

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Le racisme, réalité bien amère
«Personne ne vient au monde en haïssant une autre personne à cause de la couleur de sa peau, de son passé ou de sa religion. Si les gens peuvent apprendre à haïr, on peut leur enseigner à aimer, car l’amour nait, plus naturellement,, dans le cœur de l’homme que son contraire. » Nelson Mandela

Quand le discours haineux remplit l’espace de son tintamarre et s’attaque à une communauté qui a du mal à se défendre contre des propos injurieux et avilissants, on s’interroge sur le silence de nos gouvernants qui refusent d’entendre les revendications des citoyens à part entière. Les plaintes se multiplient, les protestations aussi car le temps de l’omerta est révolu. L’unique acquis de cette révolution est la libération de la parole. Les murs du silence ont été brisés et, désormais, les personnes de couleur noire feront entendre leurs voix.  

Le terme de « minorité » à connotation péjorative et dépréciative, en lui-même, est une insulte à l’égard de citoyens égaux à la majorité à laquelle ils appartiennent de plein droit. Cette discrimination est restée tabou pendant des décennies à cause du sort qui était réservé à la population noire, trop souvent, issue de milieux modestes,  privée d’éducation, de l’accès à la scolarisation pour des raisons économiques, surtout. Mais, même ayant acquis des diplômes, certains n’ont pas pu occuper des postes de responsabilités alors qu’ils en ont les compétences. Vivant, souvent, géographiquement, à part dans certaines villes et quartiers, cette communauté continue à endurer un racisme déclaré ou latent. Il suffit de voir, sur les réseaux sociaux, les insultes et les injures dont sont victimes ceux qui militent pour la cause de la population noire.


Notre langue suinte ce racisme hérité des générations antérieures à travers des termes et expressions dégradantes et discriminatoires extrêmement blessantes  pour les victimes de la marginalisation. Certains  ne réalisent pas la portée de ces termes trop banalisés, devenus transparents pour ceux qui les utilisent, mais si avilissants pour ceux à qui ils sont destinés.
Nombreux sont ceux qui sont dans le déni du racisme, aussi bien les victimes qui refusent de voir les faits et ne réalisent pas la gravité de ce phénomène, que les autres qui persistent à croire qu’il n’existe aucune discrimination vis-à-vis de cette population. Certains réagissent même de manière violente en accusant ceux qui en parlent de « mensonge », de « dramatisation ». D’autres vous regardent, étonnés d’apprendre que dans une région du sud, il existe un cimetière pour les noirs ou que sur certaines cartes d’identité figure des références racistes qui devraient disparaitre. D’autres, enfin, découvrent la souffrance d’enfants, dans la rue ou à l’école,  face au rejet et à la discrimination.


Face à ce phénomène indéniable et indignant, des associations se battent, depuis quelques années, afin de faire entendre la voix de la population noire : informer, faire prendre conscience de la gravité de ce phénomène, s’indigner, protester, condamner les faits racistes… Parmi elles : «  M’NEMTY » qui se mobilise particulièrement, présidée par Saadia Mosbah, militante acharnée pour cette belle Cause qui se bat avec d’autres membres, non moins enthousiastes et déterminés que cette dame au beau sourire, au verbe percutant et à la volonté inébranlable. On recueille les plaintes des victimes de ce racisme pernicieux, on mobilise et on convainc, on soulève des questions… Saadia croit à ce Rêve merveilleux d’un pays où les citoyens seraient égaux sans distinction de couleur. Engagée dans cette lutte, elle se bat pour inscrire, dans le projet de la Constitution, le principe de lutte contre toute forme de discrimination et la pénalisation des actes racistes, une loi antiracisme qui protégerait les victimes et leur permettrait de se défendre contre les maltraitements qui se banalisent. Un combat parmi tous les autres, non moins important dans cette Tunisie en devenir. Un combat pour le droit à la citoyenneté à part entière, pour le droit au respect, à l’estime et à la dignité. Un combat contre l’humiliation qui engendre l’auto humiliation. «  Une loi ne pourra, jamais, obliger un homme à m’aimer, disait Martin Luther King, mais, il est important qu’elle lui interdise de me lyncher. »


Ce combat engagé par les concernés, mais qui ne l’est pas ? Un combat pour réconcilier un pays écartelé par des divisions douloureuses et qui doit protéger les plus faibles, car ils sont chez eux. Saadia Mosbah déclare qu’il est vital d’éduquer les jeunes générations et de leur apprendre l’amour de l’autre différent. Il est temps de se dire les vérités tues avant qu’elles ne deviennent vénéneuses.

Tounès THABET

Mercredi 08 mai 2013

Cet article a été publié au journal le Temps en date du 08.05.2013. Merci du fond du cœur à Tounès Thabet de nous avoir autorisé à relayer le quotidien le Temps sur ce blog. 






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