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Photo Amel Hamrouni |
Quand elle évoque son parcours artistique, c'est Oyoun Al-Kalam ou Al-Bahth Al-Moussiqui qui priment en toute circonstance sur le patronyme et le prénom siens. Quand on lui attribue un titre, un succès,
une performance sur un plateau de télévision, c'est tout juste si elle ne se fâche pas! A cause de ce tropisme mécanique
, injuste, maladroit, qui détourne le mérite collectif au profit de sa modeste personne! Car, et elle rectifie sur-le-champ, c'est le titre de Oyoun Al-Kalam, le succès d'Albahth Al-Mousiqi, la performance du groupe!
Il y a en elle un tel respect de cette dimension identitaire partagée, un tel sens de l'honnêteté intellectuelle -l'honnêteté tout court- qu'elle refuse tout hommage qui ne soit pas à l'honneur du groupe auquel elle appartient. Alors même que ce groupe n'est plus qu'un duo depuis 2004, tel souci demeure inchangé chez elle.
Mais comment persuader alors de sa maladresse et son impertinence le maudit tropisme mécanique
si, à travers un hommage comme celui qui suit, il se révèle irrémédiable? Nous y reviendrons.
Aux origines du texte ci-dessous, il y avait un désir, vieux et quasi obsessionnel, de rendre hommage à l'ensemble Al-Bahth Al-Moussiqi qui, outre sa contribution à l'éveil d'une conscience nationale progressiste et révolutionnaire, a donné à la ville de Gabès une bouffée d'oxygène inappréciable. Inappréciable et inespérée, d'autant que la pollution chimique asphyxiant la région semblait affecter par une forme de contagion sournoise la vie culturelle même. Mais au moment précis où le désir est né, des dissensions internes ont fracturé l'ensemble une première fois en 95. Et de nouveau en 2004. Certains membres ont pris une retraite anticipée. D'autres se sont attelés à la relance de l'ensemble. Tandis que deux cartes maîtresses de la troupe dispersée, la Dame de cœur et le Valet de carreau
! ont crée leur propre ensemble, le duo Oyoun Al-Kalam.
Revenons à la question posée précédemment au sujet de ce tropisme mécanique
incurable! Comment le persuader de sa maladresse et son impertinence?
Lui rappeler que l'arbre ne peut cacher la forêt? Ce serait tout aussi absurde qu'interpeller en pleine nuit un non-voyant pour lui dire:" bougre d'aveugle, regarde où tu mets ta canne!"
L'émotion esthétique a ses lois que la raison dialectique n'a pas. C'est à sa rencontre en 1962 avec Ahmed Fouad Nejm et l'étroite collaboration du duo, auquel s'est jointe la compagne du poète Azza, que Cheikh Imam doit l'éclat de ses nom et renom. Et pourtant l'arbre a fini par éclipser la forêt. Dans l'ombre de Marcel Khalifa, qui se souvient de l'ensemble Al Mayadeen? Qui distingue assez nettement l'imperceptible Oumaïma? Dans l’Église d'Orient, sous l'aura des saintes icônes byzantines Dieu même n'est-il plus qu'un pâle figurant?
A. Amri
09.01.2013
Enfance et études
Amel Hamrouni est née à El Hamma de Gabès, le 7 avril 1961, d'un père infirmier et d'une mère employée des PTT. Le jeune couple s'était marié 4 ans plus tôt et avait travaillé au Nord-Ouest du pays, au Kef d'abord, à Siliana ensuite puis au Makthar où leur premier enfant, Khaled, est né.
A l'âge d'un an, Amel quitte El Hamma, avec ses parents mutés à Gabès, pour s'installer à Aïn Slem, chez ses grands parents parentaux. "
C'était l'éden de mon enfance, ces 4 années passées chez la grande famille, le temps que mes parents finissaient la construction de notre maison à Cité El Mansourah".
En 1966, la famille Hamrouni s'installe dans sa nouvelle maison. Amel et Khaled auront trois autres membres dans leur fratrie: Ilhem, Hallouma et Khalil.
De 1966 à 1972, les études primaires à l'École Ben Attia. Puis les années collège à Sidi Marzoug. En 1975, début du second cycle au lycée mixte de Gabès:"
le mythologique, pas celui d'aujourd'hui ! le lycée qui comptait 4500 élèves avant d'être scindé en 2 lycées". Bachelière en 1979, elle prépare un diplôme à l’École nationale d'administration (ENA). En 1984, l'énarque est nommée dans les services du ministère des finances tunisien.
Carrière artistique
Depuis les années 1980, Amel Hamrouni s'est engagée sur cette voie peu frayée par la gent artistique, féminine surtout, de la chanson du combat. Et contre vents et marées, censure des médias et froideur des promoteurs artistiques, elle(1) a réussi non seulement à sortir ce genre de son enclave traditionnellement élitiste à l'intérieur du pays. Mais aussi à lui donner des ailes pour faire rayonner la chanson arabe engagée au delà des frontières nationales.
Irréductible voix de la révolution et du progrès, que ce soit sous le règne allant sur son déclin de Bourguiba ou, à son apogée dictatoriale, de son successeur Ben Ali, Amel Hamrouni n'a raté aucun temps fort des luttes sociales nationales. De la révolte du pain en 83 à celle du Bassin minier en 2008, puis la révolution du 14 janvier, sa voix et voie n'ont cessé d'être intimement soudées à cette belle épopée tunisienne en action. Tantôt levier moral dans les intermèdes des luttes, tantôt catalyseur dans les mêlées, quand la rhétorique politique s'essoufflait ou perdait tant soit peu sa force de persuasion, c'était dans le répertoire de cette artiste que le combat puisait l'essentiel de son credo mobilisateur(2).
"
Je me suis engagée dans le combat politique, dit-elle,
poussée par mon désir de participer à l’éveil démocratique et à la construction d’une société égalitaire." (
Le Temps, 14 janvier 2012)
Soldate défricheuse incontestée, à bon droit pionnière de son sexe dans la chanson nationale engagée, c'est peu dire qu'Amel Hamrouni a prêté sa voix à la gauche tunisienne, au peuple plutôt(3), quand les partis, la presse, l'opinion politique opposante étaient sous le bâillon. C'est sa vie qu'elle a donnée, les plus belles années de sa jeunesse, aux luttes sociales tunisiennes, en même temps qu'aux idéaux progressistes et valeurs humaines universelles.
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Fadhel Sassi, Jamila Bouhired, Dalal Maghrebi:
quelques icônes, et non des moindres,
des luttes historiques arabes | | | |
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Voix chaude et cristalline, féminine quoique grave, Amel Hamrouni chante à juste titre pour ceux qui n'ont pas de voix(4).
L'artiste révolutionnaire, quel que soit le mode d'expression qu'il emprunte pour traduire son art, est sommé d'honorer comme il se doit ce qualificatif. Loin du populisme cher à certains politiques. "
En incarnant autant que possible la conscience vive du peuple. En se hissant autant que peut se faire à hauteur de ses aspirations légitimes"(5). S'il ne se cabre pas, ou pas assez, pour les masses laborieuses qui peinent au fil des saisons, et ne touchent que le salaire de la misère, tel artiste ne porte du révolutionnaire que l'épithète usurpée, les pâles oripeaux. S'il n'écoute pas les plaintes sourdes qui montent de l'enfer(6), la prière de l'humble mère dédiée avec le seul dinar qu'elle a, en menue monnaie, à son fils, la détresse de cette même mère à qui la raison d'Etat confisque
foie et bâton de vieillesse(7), s'il ne rappelle pas aux légataires du martyr son testament(8), s'il boude les cris justes du terroir et ceux non moins justes des peuples frères ou des indignés où qu'ils soient sur cette terre(9), on n'a que faire de tel courtisan du peuple et son pseudo art!
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Avec le principal leader de la révolte
du Bassin minier, Adnan Hajji |
Amel Hamrouni a chanté et chante, sans ride aucune dans la voix, pour ces déshérités et laissés-pour-compte que le pouvoir local, l'ordre colonial, le nouvel ordre mondial et l'ancien, et sa télé à chacun, ne voient pas. Elle chante pour
les damnés de la terre. Non sans enchanter aussi, et cela n'a rien de paradoxal, les mélomanes de quelque bord soient-ils. L'esthétique, même quand l'artiste se produit avec un seul musicien, un seul instrument, n'est jamais absente de sa scène. Les textes de ses chansons(10), parce que beaux et percutants, assument une bonne part de cette dimension incontournable dans l'expression artistique. La musique tout autant. A quoi ajouter cette formidable puissance d'interprétation qui donne à la mélodie son point d'orgue, cette capacité à synchroniser les modulations de la voix avec les inflexions de l'âme, du cœur, de l'inconscient. Voix restituant sa force d'émotion originelle à chaque mot, à chaque poème: voilà ce qui complète le tout et couronne la dimension esthétique. N'ayons pas peur des mots, des expressions que d'aucuns puristes de la gauche marxiste jugeraient équivoques: cette dame a de la classe. Et c'est peu dire!
En 1987, elle est lauréate du prix «
RFI Musiques du Monde ». Cette distinction honorait à travers sa voix non seulement son groupe Al-Bahth Al-Moussiqi, mais aussi son pays, et pour la 2è année consécutive. En 1986, le lauréat était Zine Essafi. Et, jamais deux sans trois, en 1988 c'est Mohamed Bhar qui sera honoré à son tour par ce prix.
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Le poète Adam Fethi |
A ce propos précis, il faut rendre à Amel Hamrouni cette justice qu'elle n'est pas qu'une voix de la révolte, consciencieuse et politisée. Jeune (et je ne voudrais pas insinuer qu'elle ne l'est plus!) elle avait tous les dons et les ingrédients pour prétendre à la gloire d'une star du show-business. Timbre vocal gorgé de féminité, charisme physique abstrait de tout clinquant de style et de fausse beauté, formation musicale des plus solide, présence scénique, culture de l'énarque, et j'en passe. Mais damnée de politique et tête brûlée, elle a choisi de s'investir, diraient certains, dans ce genre plutôt pas gras et ingrat.
Tant mieux pour ses fans dont l'humble auteur de ces lignes est, au fil des ans, un inconditionnel! tant mieux pour l'Art qu'elle ennoblit avec mérite autant qu'elle s'en ennoblit elle-même! Si la chanson engagée pouvait élire sa diva, on ne verrait pas qui puisse prétendre à l'honneur du titre avec un mérite incontestable à part cette dame!
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Al-Baht Al-Moussiqi, Khemaïes Bahri,
Nebrass Chammam | |
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On ne peut rendre hommage à cette militante infatigable et grande artiste sans citer en même temps Al-Bahth Al-Moussiqi (ar. Recherche musicale), la troupe qui fut associée à sa découverte par le public dans les années 80. De la troupe et Amel Hamrouni, je ne saurais dire qui a fait l'âge d'or de l'autre. Œuvre réciproque ne serait pas injuste. Il n'en reste pas moins que les nostalgiques du bel âge vous diraient que depuis qu'Amel s'en est séparée, Al-Bahth Al-Moussiqi n'est plus ce qu'il était.
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Oyoun Al-Kalam: hymne identitaire
des résistances arabes
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Quoiqu'il en soit, avec sa nouvelle troupe Oyoun Al Kalam (ar. les Yeux des Mots)(11) comme avec
Al-Bahth Al-Moussiqi, Amel Hamrouni a su conserver, inaltérable, le pouvoir de ses chansons-tracts. Et intacte, la chaleur de la voix épaulant le tract.
Saluons ici trois musiciens à qui la chanteuse doit l'essentiel de son répertoire: Nebrass Chammam, Khaled Hamrouni et Khémaïes Bahri.
La couleur politique
Amel Hamrouni a adhéré au PCOT (Parti Communiste des Ouvriers Tunisiens) dès sa création en 1986. Le PCOT n'a jamais été autorisé tant que Ben Ali fut au pouvoir. Ce n'est que le 18 mars 2011 qu'il a été légalisé.
En 1986, Tawhid Azouzi, compagnon d'Amel Hamrouni, est arrêté et incarcéré une première fois. Il sera incarcéré une seconde fois avec Khémaïes Bahri en 1991.
A partir de 1995, Amel Hamrouni n'est plus tout à fait adhérente au PCOT mais elle reste solidaire du parti et des militants, y voyant sa véritable famille politique.
Après la révolution de 2010-2011, Amel Hamrouni est candidate du Pôle démocratique moderniste (PDM) pour la circonscription de Gabès et tête de liste à l'Élection de l'Assemblée constituante tunisienne de 2011.
Conclusion
Le mot de la fin, c'est Amel Hamrouni en personne qui l'écrit:" Pour ce qui est de notre expérience actuelle, c'est l'histoire d'un duo, d'une tendre amitié, de chemins parcourus ensemble, parfois
péniblement, qui me fait avancer main dans la main avec
Khmaies. Honnêtement, sans lui je ne sais pas si j'aurais été capable
de revenir sur scène. Je voudrais tellement, par honnêteté
intellectuelle, que l'on sache que Oyoun Al-Kalam est la troupe d'un duo qui espère avoir le temps de réaliser plein de belles chansons
encore ..."
A.Amri
06.01.2013
Sur ce même blog, voir aussi:
Notes:
1- Autriche, Belgique, France, Algérie, Cameroun: quelques jalons dans ce champ de rayonnement international que la culture tunisienne doit à la chanteuse.
2
- Le répertoire d'Amel Hamrouni compte une bonne quarantaine de chansons dont les plus célèbres sont
Héla, Héla ya matar (
Hourra, hourra, pluie), prix de la meilleure composition issue du patrimoine (Radio France Internationale 87),
El Bsissa (La bsissa (cocktail de céréales aromatisées et richement nutritif)), Nachid Al-Ardh (Hymne de La terre), Guevara Etin (Guevara est de retour), Ennada (
La rosée), Ya ommi la tibki (
Maman, ne pleure pas),
Len yamorrou (
Ils ne passeront pas), Sabra...
D'aussi loin que je me souvienne, que ce soit dans les locaux de l'UGTT ou de la LDHT, dans les facs ou tout QG de la résistance civile, ce sont les cassettes puis les CD de cette artiste et de Cheikh Imam qui ouvrent les grands meetings politiques ou précèdent les manifestations.
3-
"Le peuple plutôt" parce que tout au long de la période antérieure à la révolution du 14 janvier, il y avait le pouvoir d'une part, l'opposition de l'autre. Les clivages idéologiques et partisans entre les forces politiques de l'opposition ne vont apparaître et peser réellement qu'après la chute de la dictature.
4- Sous la dictature du parti unique ou tout au long des années de
braise, -est-il besoin de le rappeler? ils se comptaient par millions ces citoyennes et citoyens
condamnés pour la raison de l’État à l'aphasie.
5- Amel Hamrouni,
Labes, Attounsia Tv, 05.01.2013.
6- Pour les vieux militants, l'enfer c'était Réjim Maâtoug et sa prison.
7-
Foie (kebd en tunisien) est une appellation affectueuse que les parents utilisent pour appeler ou désigner leurs enfants.
L'immortelle
Bsissa, écrite par feu Belgacem Yagoubi, chef-d’œuvre à tous les niveaux artistiques, donne de l'étoffe et de la résonance à la détresse de cette mère qui voit débarquer chez elle l'
omda, sbire de la dictature, venu arrêter son fils pour délit d'opinion.
8-
Ya Chahid, écrite par Lazhar Dhaoui pour sa troupe et reprise par A. Hamrouni et Al-Bahth Al-Moussiqi.
9- On note ici de nombreuses chansons dédiées à la cause palestinienne et la reprise de l'Internationale, version Al-Bahth Al-Moussiqui.
10- Depuis 1973 à sa mort, Cheikh imam -maître de la chanson arabe engagée-
n'ouvrait ses concerts qu'avec ces vers composés 3 ans plus tôt par
Ahmed Fouad Nejm à la prison Al-Qanater (gouvernorat de Qalyubiya, à 25 km du Caire). Avec le temps, ce sont tous les
disciples d'Imam de par le monde arabe qui ont fait à leur tour de ce
poème la "fatiha" de leurs concerts et l'hymne identitaire des
résistants (cliquer sur la photo ci-haut pour lire le texte).
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Quelques titres du duo Oyoun Al-Kalam (sous-titrage français)