Les trois amis passent la journée et une bonne part de la soirée à boire. Vers 22h et quelque, ils quittent le bar. Taoufik tient son veston sur un bras et se dirige vers un tabac. C'est à ce moment-là qu'une voiture de la police s'arrête à sa hauteur.
La patrouille est à la recherche d’un individu qui aurait volé à l’arraché un sac et, voyant que Taoufik titube, ivre, deux policiers descendent, l'embarquent et la voiture disparaît. Ses amis ne réagissent pas, croyant à un contrôle d’identité routinier. Taoufik n'a pas été menotté et les agents n'ont fait usage d'aucune brutalité. Pourquoi un contrôle à bord du fourgon et pas sur place? La police dira:"en raison d'une certaine tension dans la rue".
Taoufik Amri ne reviendra pas pour raccompagner ses compagnons de route et de soirée, ni ne répondra au téléphone, ni ne donnera le moindre signe de vie.
Et la police nantaise, pendant des jours et des jours, contactée aussi bien par les amis de Taoufik que par la femme de celui-ci, Française, a nié avoir interpellé l’intéressé. Sous la pression médiatique, la police a dû revenir sur ses déclarations par la suite pour reconnaître que l’interpellation a bel et bien eu lieu, mais en précisant que Taoufik a été relâché peu de temps après, à quelques mètres seulement du lieu où il fut embarqué. La police ajoute à ces déclarations que Taoufik El-Amri a été embarqué parce qu’il n’avait pas de papiers sur lui (ce qui était faux) et qu’il n’était pas ivre (ce qui était encore faux). Par ailleurs, entre police et témoins les horaires de l’interpellation ne concordent pas : minuit selon la police, entre 22h et 22h30 selon les compagnons de Taoufik. Un troisième témoin, commerçant nantais du centre-ville, aurait confirmé l’horaire soutenu par les compagnons de Taoufik. Quoiqu’il en soit, cette interpellation n’a été enregistrée sur aucune main courante. Quant à savoir pourquoi, seule la police nantaise serait en mesure d’en fournir l’explication (1).
21 jours après cette interpellation, on retrouve le portefeuille du disparu avec sa carte d’identité et sa carte bancaire, quelque part à proximité du canal Saint-Félix, à Nantes (2) . Et quelques heures plus tard, ce que tout le monde appréhendait déjà s’était confirmé : on retrouve le corps de Taoufik noyé dans ce même canal, repêché sous une péniche. Alors que l’AFP rapporte qu’il n’y avait pas de trace de violence apparente sur le corps du défunt, le ministère public, par la voix de Stéphane Autin fait état d’ecchymoses sur les bras. Cette même source révèle en plus l’absence d’eau dans les poumons(3) , ce qui, aux yeux des avertis, exclut l’hypothèse de la mort par noyade.
L’autopsie conclut à une mort par hydrocution, liée à une imprégnation alcoolique : un taux d’alcoolémie de 3.7 grammes au moment de sa mort. Mais à ce jour, aucune information médico-légale additionnelle ne permet de confirmer "la mort par hydrocution". Et trois policiers ont été suspendus de leur fonction pour « faux témoignage » et « délaissement » mais ces policiers ont été laissés en liberté sous contrôle judiciaire.
Le 7 février 2007, dans le cadre de l’enquête sur cette mort on apprend qu’un SDF a été mis en examen pour coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort -sans intention de la donner- de Taoufik.
Bouc émissaire ou à bon droit suspect, le SDF avait été pris en charge dans la nuit du 22 au 23 novembre, trempé et tremblant de froid, par les pompiers. Le SDF avait chuté quelque part dans un cours d’eau, mais de là à avoir rencontré Taoufik Amri ou s’être disputé avec lui, il le niera tout au long de l’enquête. En fait, le seul élément plus ou moins pondérant dans cette mise en examen semble découler des contradictions du SDF sur le lieu de sa chute : la Loire d’abord, puis l’Erdre, avant de reconnaître être tombé dans le canal Saint-Félix. Forcément, la thèse d’une altercation avec le disparu deviendrait dans ces conditions plausible.
Quant au fait que cette accusation contredise le rapport des légistes qui n’avaient alors « pas relevé de traces de violence, de blessures, de perforations ou de plaies » sur le corps du défunt, cela ne semble pas avoir été pris en considération par la police nantaise.
Toujours est-il que, le 9 avril 2008, le parquet de Nantes a mis hors de cause le SDF cité et réclamé par contre le renvoi devant la correctionnelle des 3 policiers incriminés pour faux témoignage et délaissement.
Et enfin, en date du 26 février 2009 le tribunal de Nantes a condamné ces 3 policiers pour les délits précités à 4 mois d’emprisonnement avec sursis.
La partie civile comme les accusés ont fait appel.
Un an et neuf mois après, le jugement en appel est de nouveau renvoyé aux calendes..nantaises! Prévu pour le mardi 14 septembre dernier, le procès a été reporté en raison de l'absence de l'un des avocats des policiers prévenus.
Notes:
(1) Les déclarations invraisemblables des trois représentants des forces de l'ordre, leurs faux témoignages constituent une preuve, et non des moindres, de l’implication de ces agents dans la mort de Taoufik.
(2) Ces papiers ont été remis à la police de Nantes par M. Guy Samson qui aurait déclaré les avoir trouvés à proximité de sa péniche le 23 novembre 2006. Il y a lieu de se demander ici pourquoi ce monsieur a conservé tels papiers durant 18 jours alors que la disparition de Taoufik était amplement médiatisée (sur la presse locale et nationale comme sur les chaînes de TV)
(3) Conférence de presse de M. Stéphane Autin du 14/12/2006.
- Les délits incriminés dans le code pénal français
* Le faux témoignage
Art. 434-13: "Le témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire agissant en exécution d'une commission rogatoire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende.
Toutefois, le faux témoin est exempt de peine s'il a rétracté spontanément son témoignage avant la décision mettant fin à la procédure rendue par la juridiction d'instruction ou par la juridiction de jugement".
Art.434-14: "Le témoignage mensonger est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100000 euros d'amende :
1° Lorsqu'il est provoqué par la remise d'un don ou d'une récompense quelconque ;
2° Lorsque celui contre lequel ou en faveur duquel le témoignage mensonger a été commis est passible d'une peine criminelle"
Extrait du Code pénal français – Section 2
Article 223-3
Le délaissement, en un lieu quelconque, d'une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende.
Article 223-4
Le délaissement qui a entraîné une mutilation ou une infirmité permanente est puni de quinze ans de réclusion criminelle.
Le délaissement qui a provoqué la mort est puni de vingt ans de réclusion criminelle.