lundi 27 septembre 2010

Autopsie d'un ectoplasme dissout



Il est des supplices, des passions que nous ne soupçonnons pas dans ce monde saturé d'écrits et de dits, et jamais assez dit ni écrit quand même. Ces abcès increvables de la parole renvoyée à sa gorge, saucissonnée en travers du gosier, quand ils en viennent à imploser sous la plume d'un auteur de talent, injustement méconnu, donnent un écrit qui a tout pour ravir les fins gourmets des nourritures spirituelles.

Dissolution d'un ectoplasme est le procès qu'intente Denis MARULAZ à la société de l'édition. Un procès en bonne et due forme contre "l'hermétisme du Milieu du Livre", avec ses réquisitoires, ses plaidoyers, ses pièces à conviction, ses témoins et sa sentence finale. Accablante : "La métaphore universelle veut que le poète confie ses mots au vent ensemenceur. A moi, il ne reste qu’à couler les miens dans mon cercueil de vase et de limon. Puisque la société des hommes a décidé que tel se conjuguait notre destin d’inexistence."

Julien Terreneuve, la soixantaine passée, est découvert un jour dans la plus haute des déchéances. Crasseux, puant, esseulé et végétant à l'état d'ectoplasme dans sa piaule, au milieu de ses livres inédits, ses morts-nés, et ses immondices.
Dans un monde où les institutions encadrent partout les hommes, se trouvant en aval de la déchéance comme en son amont pour mieux réussir l'œuvre "désintéressée" de réinsertion, on fait ce qu'on peut pour s'acquitter de son devoir. On charge une travailleuse sociale, Marie-Françoise, de réapprendre à Terreneuve à vivre et d'assurer un suivi de tel réapprentissage.

C'est ainsi que s'ouvre ce procès. Aux mille et une questions que le lecteur-spectateur se pose et pose à Terreneuve par le biais de cet ange gardien Marie-Françoise, le mort-né et père de morts-nés oppose un silence des plus éloquent.
A quoi bon dire quand vous n'avez pas d'oreilles? car Terreneuve avait été condamné à la déchéance et voudrait y sombrer pour être voix sans oreilles. Son silence, parole en grève, cri de protestation et arme autant d'autodéfense que d'autodestruction, fait le procès de ceux qui n'écoutent plus les rêveurs, les utopistes, les poètes, les artistes. Quand le silence se tait, c'est au tour de la poésie, un peu hermétique pour le commun des hommes, aérée et spacieuse pour les initiés, de relayer et d'appuyer ce procès dramatique.

"Il ne leur manquait plus
qu’à me souder
les lèvres
pour que je sois
vaincu
terrassé
muet."


Poète, dramaturge, nouvelliste, artiste total, Denis MARULAZ n'aurait écrit
Denis Marulaz
que pour échapper à la mort dans la vie ingrate, asphyxiante, de l'éducateur qu'il fut dans une structure d'accueil et de soins pour personnes toxicomanes. Aux années d'apnée à l'éducation, il a tenté de substituer une régénération dans "l'eupnée de l'écriture", si l'on peut dire. Mais dire, écrire ne valent pas sans l'écoute primordiale et salutaire qui les valorise et leur donne un sens. L'écrit n'est pas soliloque ni monologue ni aparté, il est dialogue (avec le lecteur) ou n'est pas.
Or quand le talent est profané par les commerçants du discours, quand les mercantiles du livre vous rognent les mots parce que "cette année le thème est: Et toi ton toit?", quand ils apposent à vos lèvres un scellé, une fin de non recevoir, vous vous rendez compte alors que les maux et leur homonyme sont désormais pour vous synonymes. Et, qui pis est, preuve irréfragable de votre cogito d'inexistence.

Si une telle inexistence et son cogito sont les vôtres, vous êtes alors un ectoplasme. Vous avez beau être poète et noble, votre déchéance vous somme de la consommer. Même le procès que vous intentez à la fratrie de l'édition devient alors absurde. A moins qu'il puisse vous servir peut-être de testament.

"...C’est cela, le destin des hommes ? De bosser comme des esclaves anonymes, de pondre des gosses et de s’enfermer chacun dans sa bulle bien confortable ? Vous vous contentez de cette existence débile, programmée et aseptisée de la naissance à la mort, vous êtes des potiches, des soldats de plomb, des nains de jardins ! Vous vous tenez où l’on vous pose, vous faites ce qu’on vous dit, comme on vous dit, vous n’avez plus de regard, vous êtes un troupeau qui se laisse guider aveuglément pourvu qu’on lui donne sa ration de bonheur quotidienne et égocentrée ! Sachez qu’il y a des gens qui ont besoin de respirer un autre oxygène, qui ont besoin de baigner leur visage au vrai Soleil, d’ouvrir les yeux sur des horizons dont vous n’imaginez même pas la profondeur, de s’abreuver à des sources jaillissantes de Conscience qui n’ont rien de commun avec vos flaques d’eau boueuse. Sachez qu’il est des gens qui transpercent de leur regard les apparences trompeuses du Monde et qui ne trouvent comme sens à leur vie que d’observer, de décrypter, de comprendre, d’apprendre et de DIRE, de dire, de dire, de dire… de révéler à la vue de tous les rouages de la « Machine à décerveler » et la magnificence des autres Mondes possibles. Mais votre société n’en a que faire, de ces énergumènes ! Entre le boulanger, le plombier, le curé, le serreur de boulons, le médecin et l’architecte, la D.R.H. et le trader, Ha Ha Ha ! Le Trader ! quelle place voulez-vous qu’une société sérieuse accorde à des gambergeurs de l’utopie et de l’inaccessible? Hein ? Je vous le demande !"

J'écorne ici, comme je l'ai fait à maintes pages ailleurs, la tragédie mentale de Denis MARULAZ.
J'ai copié-collé je ne sais plus combien de citations, croyant écrémer à chacun de ces passages et phrases ainsi élus la pièce. Mais arrivé à la dernière page, évaluant ce que je pouvais transvaser comme eau, caséine et lactose dans le restant de l'œuvre, je m'aperçois que la terrine est presque à sec. Il n'y a rien dans le texte de cet auteur qui ne soit pure crème.

A. Amri
27.09.2010.

Le blog de
Denis MARULAZ : espace où il fait bon errer et se perdre.

2 commentaires:

denis Marulaz a dit…

Merci infiniment, Ahmed, pour ton soutien à ma pièce.
Tes mots me vont droit au cœur et je me sens plus fort, ce soir, pour la poursuite du chemin englué de nuit.
Denis Marulaz

Faustine a dit…

oui, vous avez raison, Monsieur Ahmed Amri, je suis allée sur le blog de Denis Marulaz, j'ai lu son oeuvre. J'y retournerai bien volontiers ! Faustine

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