On connait ce à quoi l'histoire qui nous a été enseignée impute la colonisation de l'Algérie: ce fameux coup d'éventail donné par le dey d'Alger, en 1827, au consul de France, pour une histoire de blé impayé qui, en réalité, remonte à 1797.
Première de couverture |
Ce sur quoi l'histoire est moins diserte, c'est que, d'abord, la "riposte" à l'incident diplomatique d'Alger n'a été qu'une manœuvre politique pour "rouler dans la farine" le roi Charles X, contraint d'abdiquer alors que l'armée qui aurait pu empêcher sa destitution, éloignée de Paris, était engagée dans la prise d'Alger. Et cette même histoire, davantage moins diserte, n'a presque rien dit sur ce qui a transformé l'expédition punitive de 1830 en colonisation. L'inédit de cette histoire que l'on pourrait assimiler, s'il est permis de faire cette comparaison, à un projet de "goulag" avant la lettre sur la terre algérienne, Michèle Perret nous le révèle à travers un roman, aussi bien fait que ses précédents, qui revisite l'histoire et en éclaire des pans longtemps restés dans l'ombre.
Le 22 février 1848, Paris se soulève contre le roi Louis Philippe.
Quatrième de couverture |
C'est dans ce contexte politique précis, marqué par des troubles sociaux allant s'amplifiant, que naît l'idée de coloniser l'Algérie. Et le 27 octobre de la même année, arrive à Arzew près d’Oran le premier convoi de colons, suivi, plus tard, de 16 autres.
Ces colons, pour la plupart des laissés pour compte, des prolétaires et des petits artisans, sont issus de la masse des déshérités qui n'a cessé de se révolter contre le pouvoir, depuis la première commune de 1792 à celle de 1871. Et les pionniers, ceux du Premier convoi 1848, ne sont que des rescapés de l'insurrection ouvrière matée 4 mois plus tôt, ex-ouvriers des ateliers dissous, et diverses petites gens du "Paris des Misérables"[2]. Opposants ou jugés comme tels, suspects, traqués, la peur aux tripes, ils n'avaient d'autre alternative que fuir ou rester terrés, sous une épée de Damoclès suspendue au dessus de leur tête: le bagne ou la peine de mort. C'est dire que la colonisation de l'Algérie, au départ et chez ceux qui l'avaient conçue, n'était qu'une mesure de sécurité étatique[3]. Elle n'avait d'autre fin que de prémunir la République contre la menace des "fauteurs de troubles", des révolutionnaires réels ou virtuels, en conséquence enrôlés dans une entreprise supposée les menant au Pays de Cocagne, alors qu'en réalité elle n'était destinée qu'à les déporter loin de Paris.
Le Premier Convoi 1848, tel que Michèle Perret nous raconte, restitue à ce moment précis, occulté dans l'historiographie de la colonisation de l'Algérie, ses principaux temps forts. Le premier, placé sous le signe de la tourmente, relate le contexte historique déjà exposé, pour aboutir aux conditions ayant décidé ce "peuple élu" à faire partie dudit convoi. Son cadre spatial est Paris, et le faubourg Saint-Antoine en particulier[4]. Le second, en rapport avec le voyage vers la "terre promise", est placé plutôt sous le signe de l'euphorie. La belle France traversée, la France riche laissée derrière soi puis la traversée de la Méditerranée, cette grande ouverture d'horizons pour des gens qui n'avaient jamais vu la mer ni connu autre ciel que celui de Paris, autorise toutes les promesses, les beaux rêves, les meilleures attentes. Jusqu'au moment où tout le monde tombe des nues.
Ce roman historique est d'autant plus intéressant et attachant qu'il
est écrit par une auteure née en Algérie, qui porte dans le cœur et sur le dos sa maison natale, cette terre sur laquelle elle a vécu, pendant 18 ans, son enfance et sa prime jeunesse. Il ne serait pas interdit de voir à travers le moment d'histoire qu'elle reconstitue, les personnages qu'elle met en scène, les lieux décrits en France et en Algérie, une part d'elle-même, tirée de la vie des siens et de son propre passé, et fondue au creuset de l'épreuve qu'elle romance.
Ce roman historique est d'autant plus intéressant et attachant qu'il
Michèle Perret |
En conclusion, on ne peut qu'être subjugué par cette nouvelle œuvre de Michèle Perret. Même si la nostalgérie[5], finement dosée à travers ce roman, n'égale pas celle qui marque les précédents écrits de l'auteure, le roman n'en est pas dépouillé des résonances intérieures, voire intimes, qui le rendent tout aussi agréable à lire que Les Arbres ne nous oublient pas.
A. Amri
21.02.2020
Notes:
21.02.2020
Notes:
1- Organisation destinée à fournir du travail aux chômeurs parisiens après la révolution de février 1848, qui n'a duré que trois mos.
2- Rappelons ici que Victor Hugo fait d'un point situé entre la Râpée et le Faubourg-Saint-Ouen le lieu où vit Jean Valjean.
3- Il faut remarquer ici qu'une partie des émeutiers arrêtés dans la répression des journées de juin, condamnés à la transportation et n'ayant pu bénéficier de grâce, devront attendre l'exécution de la loi du 24 janvier 1850, votée sous Napoléon III, pour être déportés vers des établissements disciplinaires créés en Algérie. Quant aux graciés, cette même loi de janvier 1850 leur faisait mirer, à travers son article 2, un avenir radieux au bout d'une période de mise à l'épreuve dans des établissements agricoles en Algérie. “Après les trois premières années, ceux qui justifieront de leur bonne conduite pourront obtenir, à titre provisoire, la concession d’une habitation et d’un lot de terre sur l’établissement.”
4- Le choix du Faubourg-Saint-Ouen et la suspicion dont sa population fait l'objet dans ce roman ne sont pas arbitraires. Idéal pour dresser des barricades à cause de l'étroitesse de ses rues, le faubourg a été constamment le principal foyer des révolutions et émeutes parisiennes. Au cours des sanglantes émeutes de juin 1848, pas moins de 65 barricades y ont été élevées, et Les Misérables de Victor Hugo consacrent plusieurs pages à ce haut lieu de résistance parisienne. Au cours des révolutions de 1789, de juillet 1830 et de février 1848, qui s'étaient soldées chacune par la chute d'un monarque, c'est à la population du Faubourg-Saint-Antoine que revient la part déterminante de ces moments historiques.
2- Rappelons ici que Victor Hugo fait d'un point situé entre la Râpée et le Faubourg-Saint-Ouen le lieu où vit Jean Valjean.
3- Il faut remarquer ici qu'une partie des émeutiers arrêtés dans la répression des journées de juin, condamnés à la transportation et n'ayant pu bénéficier de grâce, devront attendre l'exécution de la loi du 24 janvier 1850, votée sous Napoléon III, pour être déportés vers des établissements disciplinaires créés en Algérie. Quant aux graciés, cette même loi de janvier 1850 leur faisait mirer, à travers son article 2, un avenir radieux au bout d'une période de mise à l'épreuve dans des établissements agricoles en Algérie. “Après les trois premières années, ceux qui justifieront de leur bonne conduite pourront obtenir, à titre provisoire, la concession d’une habitation et d’un lot de terre sur l’établissement.”
4- Le choix du Faubourg-Saint-Ouen et la suspicion dont sa population fait l'objet dans ce roman ne sont pas arbitraires. Idéal pour dresser des barricades à cause de l'étroitesse de ses rues, le faubourg a été constamment le principal foyer des révolutions et émeutes parisiennes. Au cours des sanglantes émeutes de juin 1848, pas moins de 65 barricades y ont été élevées, et Les Misérables de Victor Hugo consacrent plusieurs pages à ce haut lieu de résistance parisienne. Au cours des révolutions de 1789, de juillet 1830 et de février 1848, qui s'étaient soldées chacune par la chute d'un monarque, c'est à la population du Faubourg-Saint-Antoine que revient la part déterminante de ces moments historiques.
5- Ce trait humain et quasi commun à tous les auteurs dits pieds-noirs, émerge dans diverses œuvres de Michèle Perret, dont:
- Les arbres ne nous oublient pas, Chèvre feuille étoilée, 2017.
- Terre du vent, une enfance dans une ferme algérienne (1939-1945), Paris, L’Harmattan, 2009.
- D’ocre et de cendres, femmes en Algérie (1950-1962), Paris, L’Harmattan, 2012.
- L'enfance des Français d'Algérie avant 1962, collectif, sous la direction de Leïla Sebbar, Saint-Pourçain, Bleu autour, 2014.
- A l'école en Algérie : des années 1930 à l'Indépendance, collectif, sous la direction de Martine Mathieu-Job, Bleu autour, 201
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