Aux origines, Malte parlait punique. Puis, de la fin du 11e siècle jusqu'au 13e, arabe, et arabe tunisien surtout. C'est à la faveur de la conquête aghlabide initiée vers 870 et terminée au 11e siècle, que cet arabe s'est imposé -on pourrait dire sans difficulté(1), à une population dont la langue d'origine était du même rameau sémitique. Tout comme pour la Sicile musulmane, la conquête normande (1090) n'a pas marqué de façon notoire ni l'arabité de l'administration ni celle de la population (voir à ce propos les travaux de Joseph Aquilina). Il faut attendre les vagues successives d'expulsion des musulmans maltais (dont la première commence vers 1270 et la dernière à la fin du 15e siècle) pour voir le début d'une romanisation qui, sans réussir à saper le substrat arabe du maltais, l'a quand même assez créolisé.
En 1789, Jean-Claude Pingeron (1730-1795) écrit: "Quoique Malthe soit regardée comme une des Isles de l'Europe, à cause de ses relations avec les différens États de cette partie du monde, il n'en est pas moins vrai qu'elle devrait plutôt appartenir à l'Afrique, dont elle est presque aussi voisine que de la Sicile. La Langue de ses habitans est presque la même que celle des Africains, c'est-à-dire , un Arabe corrompu."[2]. Un siècle plus tôt, Jean Thévenot soulignait que "la langue naturelle de l'île de Malte est l'Arabe, mais l'Italienne y est fort commune particulièrement à la ville" [3].
Substrat arabe en maltais
De nos jours, on assiste à un processus similaire (dit "maltisation") qui cible, cette fois-ci, les pays maghrébins. L'usage du francarabe, où alternance codique (ou code-switching) et emprunt lexical se côtoient et se confondent, surtout à travers les médias de télédiffusion, ainsi que la contagion qui s'en répand dans la société maghrébine, n'en sont que les prémices.
Maltisation tunisienne (spécimen)
"Au-delà des problèmes pédagogiques et sociaux qu'il pose, écrit Ahmed Moatassime(4), un choix multilinguistique débridé, notam-ment s'il est dominé par une seule langue étrangère, au détriment de l'arabe, langue officielle et fédératrice, risque de mener à l'impasse. Ce choix pourrait, dans les conditions sociales peu favorables que l'on sait, conduire à un dysfonctionnement cognitif, tout à fait contraire à la "richesse" légitime recherchée. Surtout au niveau de la communication de masse, comme on en voit déjà les prémices à travers le "francarabe" qui contribue à la "pidginisation" de la société maghrébine, voire à sa "créolisation" ou, plus encore, à sa "maltisation". C'est ce qui pourrait se solder par un coût élevé pour de si maigres résultats, sans pour autant garantir à l'élite rescapée un discours national performant, ni d'ailleurs, et encore moins, une communication internationale intégrale qui reste du domaine privilégié de l'anglais."
A. Amri
30.01.2020
Notes:
1- Voir Nathalie Bernardie, Malte: parfum d'Europe, souffle d'Afrique, Cret, Bordeaux III, 1999, p. 343
3- Relation d'un voyage fait au Levant, Rouen, 1664, p. 18.
4- Le Maghreb face aux enjeux culturels euro-méditerranéens, Ed° Wallada (Maroc), 20008, p. 187.