"Après 9 heures de marche, 1200 m de dénivelé, et des températures avoisinant moins 50 degrés, nous avons atteint le sommet. Je dis "nous", parce que vous êtes tous dans mon cœur quand je grimpe".
Il a 26 ans. Il est tunisien. Et c'est par ces mots poignants adressés à son pays depuis le sommet de l'Aconcagua (6962m), la plus haute montagne d'Amérique du Sud, que Tahar Manai nous a offert, le 17 décembre dernier, un nouvel exploit qui fait notre fierté. Certes, l'actualité politique nationale et les batailles électorales qui ont accaparé, durant deux mois, l'intérêt des médias ont quelque peu éclipsé cet évènement, passé inaperçu pour la plupart des Tunisiens. Néanmoins la belle bataille de Tahar Manai pour "l'ascension d'une nation" (nom de son projet visant à atteindre en mai 2015 le sommet de l’Everest: 8848m) et sa récente conquête de l'Aconcagua, la plus haute montagne d'Amérique du Sud, qui s'est couronnée par cette éloquente photo sur le sommet dédiée à la patrie, n'en perdent rien ni de leur mérite ni de l'euphorie qu'elles nous procurent en ce temps de grâce. Pour le pays sorti victorieux de sa première épreuve d'alternance démocratique, le défi "ascension d'une nation" tombe fort à propos, qui acquiert un sens bien plus qu'emblématique. Au delà de la réponse littérale à Abou Alkacem Echebbi interpellant dans les années 1920 ses compatriotes: ومن لم يرم صعود الجبال يعش أبد الدهر بين الحفر (Qui n'aime point escalader les monts / Traine à jamais dans les crevasses). c'est l'expression d'une volonté patriotique nôtre aspirant à faire de ce pays géographiquement petit un pays grand par ses hommes, qui se traduit à travers cette performance alpiniste. Le jeune Tahar Manai qui se prépare à attaquer l'ultime phase de "ascension d'une nation" pour réaliser son rêve, à savoir être le premier Tunisien à vaincre le sommet de l'Everest, est d'ores et déjà un grand. Son courage, sa ténacité, sa persévérance nous rappellent, dans un contexte de défi différent mais non moins tunisien, l'antécédent carthaginois devenu légendaire: la traversée des Alpes par Hannibal. Dans quatre mois, nos yeux seront braqués sur le sommet de l'Himalaya. Et nous verrons, inch'Allah, l'emblème tunisien flotter sur le mont d'Everest, le point montagnard le plus élevé au monde, à plus de 8000 d'altitude.
Rappelons en quelques mots le parcours de ce combattant des hauteurs, qui s'apprête à conquérir le toit du monde.
Au début des années 1990, Tahar devait avoir deux ou trois ans tout au plus, quand son père, premier opposant déclaré à Ben Ali, a été arrêté pour subir, pendant 15 jours, les pires tortures dans les cachots du ministère de l'intérieur. A sa libération, ce père a pu s'envoler vers Paris mais le régime l'a empêché de se faire accompagner par sa famille. Celle-ci sera contrainte de fuir clandestinement la Tunisie quelques mois plus tard, en grande partie à pied, à travers les frontières algériennes, avant de pouvoir rejoindre à son tour la France. Bien que pourchassés et harcelés jusque sur le sol de leur pays d'exil, les petits Manai (Badis, Bochra, Tahar, Amira) ont brillé chacun dans son domaine, honorant par leur réussite aussi bien leurs parents que leur pays.
C'est à 12 ans que Tahar devient mordu d'alpinisme, à la faveur d'une découverte en colonie de vacances du Mont-Blanc. La montagne la plus élevée d'Europe le rappellera, dix ans plus tard, pour en faire l'ascension. C'était en 2010, au moment précis où commence la révolution tunisienne. Et Tahar a dédié cette première conquête alpiniste à sa patrie, en plantant le drapeau tunisien au sommet du Mont-Blanc. En août dernier, dans le cadre de ses préparations pour
"l'ascension d'une nation", il est reparti gravir une deuxième fois, solitaire et sans guide, le Mont-Blanc. Ni le vent soufflant à plus de 90 km/h ni la température de -25° ne l'ont empêché de réussir sa montée et de planter, comme à l'accoutumé, le drapeau pour lequel il se bat depuis 5 ans.
A travers ce modeste hommage au jeune Tahar, je tiens à saluer le lion à qui nous devons ce lionceau: Dr Ahmed Manai. Tel père tel fils; et l'un et l'autre font à bon droit notre fierté. Je tiens à saluer aussi Bochra, la sœur du champion, qui, il y a un an, m'écrivait ces mots: " Si Ahmed, je viens de sécher des larmes à la lecture de ce texte... je ne l'avais jamais vu. Merci. (Rectification, je termine mon doctorat!)"
Bochra venait de découvrir alors un modeste hommage que je lui rendais en 2012 à travers le billet ci-dessous publié sur Facebook:
"Pour certains, l'exil est une longue errance dans une sorte de no man's land qui touche aux confins de la mort. Une rude épreuve qui conduit tôt ou tard à la perte de ses repères, de son identité, de sa peau. Pour ceux-là l'exil est synonyme pour le moins de déracinement.
Pour d'autres, même s'il y a déchirures, souffrances, quelles que soient les embûches semées sur le chemin et la terre d'exil, il n'est pas permis de mourir ni de faiblir le moindrement ni surtout de troquer sa face et son épiderme pour le seul confort d'assurer sa survie. Bochra Manaï est de cette race-là.
Elle était tout juste fillette quand, dans les années 90, au plus fort des années de braise, elle a quitté la Tunisie pour se réfugier en France, suivant avec le reste de la famille son père, Dr Ahmed Manai, contraint de fuir l'oppression de Ben Ali.
Alors même que la hargne dictatoriale et les brigades de la terreur (de la mort plutôt) poursuivaient son père jusque sur le sol français, Bochra a su affronter tous les défis pour faire valoir ses mérites de combattante tunisienne en exil.
Après de brillantes études en France, elle franchit l'Atlantique, visant plus haut, prépare et obtient au Québec un doctorat en études urbaines. Et la brillante académicienne qu'elle est, en cela comme au reste pas moins méritante que son père, n'a jamais été ni en France ni au Québec au dessus de la mêlée qui concerne l'avenir de son pays."
A.Amri
04.01.15
Sur ce blog au sujet de Ahmed Manai:
Il a 26 ans. Il est tunisien. Et c'est par ces mots poignants adressés à son pays depuis le sommet de l'Aconcagua (6962m), la plus haute montagne d'Amérique du Sud, que Tahar Manai nous a offert, le 17 décembre dernier, un nouvel exploit qui fait notre fierté. Certes, l'actualité politique nationale et les batailles électorales qui ont accaparé, durant deux mois, l'intérêt des médias ont quelque peu éclipsé cet évènement, passé inaperçu pour la plupart des Tunisiens. Néanmoins la belle bataille de Tahar Manai pour "l'ascension d'une nation" (nom de son projet visant à atteindre en mai 2015 le sommet de l’Everest: 8848m) et sa récente conquête de l'Aconcagua, la plus haute montagne d'Amérique du Sud, qui s'est couronnée par cette éloquente photo sur le sommet dédiée à la patrie, n'en perdent rien ni de leur mérite ni de l'euphorie qu'elles nous procurent en ce temps de grâce. Pour le pays sorti victorieux de sa première épreuve d'alternance démocratique, le défi "ascension d'une nation" tombe fort à propos, qui acquiert un sens bien plus qu'emblématique. Au delà de la réponse littérale à Abou Alkacem Echebbi interpellant dans les années 1920 ses compatriotes: ومن لم يرم صعود الجبال يعش أبد الدهر بين الحفر (Qui n'aime point escalader les monts / Traine à jamais dans les crevasses). c'est l'expression d'une volonté patriotique nôtre aspirant à faire de ce pays géographiquement petit un pays grand par ses hommes, qui se traduit à travers cette performance alpiniste. Le jeune Tahar Manai qui se prépare à attaquer l'ultime phase de "ascension d'une nation" pour réaliser son rêve, à savoir être le premier Tunisien à vaincre le sommet de l'Everest, est d'ores et déjà un grand. Son courage, sa ténacité, sa persévérance nous rappellent, dans un contexte de défi différent mais non moins tunisien, l'antécédent carthaginois devenu légendaire: la traversée des Alpes par Hannibal. Dans quatre mois, nos yeux seront braqués sur le sommet de l'Himalaya. Et nous verrons, inch'Allah, l'emblème tunisien flotter sur le mont d'Everest, le point montagnard le plus élevé au monde, à plus de 8000 d'altitude.
Rappelons en quelques mots le parcours de ce combattant des hauteurs, qui s'apprête à conquérir le toit du monde.
Au début des années 1990, Tahar devait avoir deux ou trois ans tout au plus, quand son père, premier opposant déclaré à Ben Ali, a été arrêté pour subir, pendant 15 jours, les pires tortures dans les cachots du ministère de l'intérieur. A sa libération, ce père a pu s'envoler vers Paris mais le régime l'a empêché de se faire accompagner par sa famille. Celle-ci sera contrainte de fuir clandestinement la Tunisie quelques mois plus tard, en grande partie à pied, à travers les frontières algériennes, avant de pouvoir rejoindre à son tour la France. Bien que pourchassés et harcelés jusque sur le sol de leur pays d'exil, les petits Manai (Badis, Bochra, Tahar, Amira) ont brillé chacun dans son domaine, honorant par leur réussite aussi bien leurs parents que leur pays.
C'est à 12 ans que Tahar devient mordu d'alpinisme, à la faveur d'une découverte en colonie de vacances du Mont-Blanc. La montagne la plus élevée d'Europe le rappellera, dix ans plus tard, pour en faire l'ascension. C'était en 2010, au moment précis où commence la révolution tunisienne. Et Tahar a dédié cette première conquête alpiniste à sa patrie, en plantant le drapeau tunisien au sommet du Mont-Blanc. En août dernier, dans le cadre de ses préparations pour
"l'ascension d'une nation", il est reparti gravir une deuxième fois, solitaire et sans guide, le Mont-Blanc. Ni le vent soufflant à plus de 90 km/h ni la température de -25° ne l'ont empêché de réussir sa montée et de planter, comme à l'accoutumé, le drapeau pour lequel il se bat depuis 5 ans.
A travers ce modeste hommage au jeune Tahar, je tiens à saluer le lion à qui nous devons ce lionceau: Dr Ahmed Manai. Tel père tel fils; et l'un et l'autre font à bon droit notre fierté. Je tiens à saluer aussi Bochra, la sœur du champion, qui, il y a un an, m'écrivait ces mots: " Si Ahmed, je viens de sécher des larmes à la lecture de ce texte... je ne l'avais jamais vu. Merci. (Rectification, je termine mon doctorat!)"
Bochra venait de découvrir alors un modeste hommage que je lui rendais en 2012 à travers le billet ci-dessous publié sur Facebook:
"Pour certains, l'exil est une longue errance dans une sorte de no man's land qui touche aux confins de la mort. Une rude épreuve qui conduit tôt ou tard à la perte de ses repères, de son identité, de sa peau. Pour ceux-là l'exil est synonyme pour le moins de déracinement.
Pour d'autres, même s'il y a déchirures, souffrances, quelles que soient les embûches semées sur le chemin et la terre d'exil, il n'est pas permis de mourir ni de faiblir le moindrement ni surtout de troquer sa face et son épiderme pour le seul confort d'assurer sa survie. Bochra Manaï est de cette race-là.
Elle était tout juste fillette quand, dans les années 90, au plus fort des années de braise, elle a quitté la Tunisie pour se réfugier en France, suivant avec le reste de la famille son père, Dr Ahmed Manai, contraint de fuir l'oppression de Ben Ali.
Alors même que la hargne dictatoriale et les brigades de la terreur (de la mort plutôt) poursuivaient son père jusque sur le sol français, Bochra a su affronter tous les défis pour faire valoir ses mérites de combattante tunisienne en exil.
Après de brillantes études en France, elle franchit l'Atlantique, visant plus haut, prépare et obtient au Québec un doctorat en études urbaines. Et la brillante académicienne qu'elle est, en cela comme au reste pas moins méritante que son père, n'a jamais été ni en France ni au Québec au dessus de la mêlée qui concerne l'avenir de son pays."
A.Amri
04.01.15
Sur ce blog au sujet de Ahmed Manai: