« Suivant le récit d'Abou Daoud, fondé sur l'autorité d'Amasch, qui le tenait de Zaid, on vint trouver Abdallah ibn Masoud et on lui dit: «Voici un homme dont la barbe dégoutte de vin »; sur quoi il répondit : «Il nous a été défendu d'espionner; mais si quelque chose de contraire à l'ordre s'offre à nos yeux, nous devons punir. » Talibi rapporte la même chose d'une manière un peu différente, sur l'autorité de Zaid ibn Wahab, suivant lequel on dit à Abdallahibn Masoud: « As-tu quelque chose à ordonner par rapport à Walid ben Akaba, dont la barbe dégoutte de vin,» et il répondit : «Il nous a été défendu d'espionner; mais si quelque chose de. contraire à Tordre s'offre à nos yeux, nous punissons. » (Walter
Behrnauer, Mémoire sur les institutions de police chez les Arabes, les Persans et les Turcs, Impr.
impériale (Paris), 1861, p. 6)
Alors qu'il était calife de 634 à 644, Omar ibn al-Khattâb sortait souvent la nuit pour faire un tour d'inspection à Médine, capitale du jeune Empire musulman. Un soir qu'il effectuait cette randonnée de routine, il entendit s'élever d'une maison une chanson gaillarde. Quand il put localiser la source de la voix et s'en approcher de plus près, il a acquis la certitude que celui qui chantait à l'intérieur de sa demeure était ivre. Il décida de s'introduire immédiatement dans la maison pour arrêter et punir le sacrilège, persuadé que le calife qu'il était usait ainsi d'un droit irréprochable et en tout conforme à la charia. Ayant escaladé le mur et poussé une porte, le calife a découvert alors que non seulement le maître de céans était en train de boire, mais il était en plus en galante compagnie. Ivresse et adultère: deux délits cumulés passibles, le premier de quatre-vingts coups de fouet, le second de lapidation jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Alors qu'il était calife de 634 à 644, Omar ibn al-Khattâb sortait souvent la nuit pour faire un tour d'inspection à Médine, capitale du jeune Empire musulman. Un soir qu'il effectuait cette randonnée de routine, il entendit s'élever d'une maison une chanson gaillarde. Quand il put localiser la source de la voix et s'en approcher de plus près, il a acquis la certitude que celui qui chantait à l'intérieur de sa demeure était ivre. Il décida de s'introduire immédiatement dans la maison pour arrêter et punir le sacrilège, persuadé que le calife qu'il était usait ainsi d'un droit irréprochable et en tout conforme à la charia. Ayant escaladé le mur et poussé une porte, le calife a découvert alors que non seulement le maître de céans était en train de boire, mais il était en plus en galante compagnie. Ivresse et adultère: deux délits cumulés passibles, le premier de quatre-vingts coups de fouet, le second de lapidation jusqu'à ce que mort s'ensuive.
"Ennemi d'Allah! cria le calife. Crois-tu que Dieu puisse te couvrir alors que tu es en train de transgresser Ses lois ?" Ce à quoi l'homme ainsi épinglé répondit:" Commandeur des croyants, ne
vous hâtez pas de me condamner pour deux fautes qui, quelle que soit
leur gravité, sont circonscrites dans la maison qui m'appartient et ne
regardent que ma personne et ma complice. Mais songez plutôt à demander
la clémence de Dieu pour vos propres fautes, dont l'impact est beaucoup
plus étendu. Car nonobstant votre droiture et votre souci de justice, Commandeur des croyants, vous
venez de transgresser en cette nuit et ce lieu trois lois divines, et
non des moindres. La gravité de vos fautes en cette circonstance dépasse
de beaucoup ce que j'ai commis !"
- Comment cela ? interrogea Omar. L'homme répondit: « le
Coran dit: "n'espionnez pas !"(ولا تجسسوا), et vous venez de
m'espionner dans l'enceinte de mon domicile. Et d'une ! et de deux: Dieu
dit:" entrez dans les maisons par leurs portes !"(وائتوا البيوت من
أبوابها), et vous vous êtes introduit chez moi par effraction en
escaladant le mur. Et de trois: Dieu dit:" n’entrez pas dans des maisons
autres que les vôtres avant de demander de façon courtoise la
permission et de saluer leurs habitants (لا تدخلوا بيوتا غير بيوتكم حتى
تستأنسوا وتسلموا على أهلها)". Et vous n'avez pas respecté non plus ce
commandement divin».
Toutes les sources1
concordent pour affirmer que Omar ibn al-Khattâb, très à cheval sur la
question du droit, a reconnu la justesse de cette plaidoirie et acquitté
en conséquence l'homme. Abou Echeikh al-Asbahani va jusqu'à dire que
Omar est sorti de la maison de ce noceur en pleurant2. Les supposés flagrants délits que le calife a voulu sanctionner par la charia sont devenus, par cette même charia lue d'une manière dynamique,
nuls et non avenus, et ce dès que leur constatation s'est révélée en
elle-même non conforme au droit à la vie privée et à l'inviolabilité du
domicile.
S'il faut rappeler aux musulmans ce fait historique attesté, lequel n'est pas unique -il faut bien le souligners3, c'est que 14 siècles après Omar, les « Chevaliers de la Morale et de la Vertu»
islamiques ne savent pas encore ce qu'est une vie privée. Sur ce
chapitre précis, hélas, ils ne sont même pas capables de se hausser au
niveau de la charia.
Vladimir Veličković (La chute) |
A.Amri
03.08.2016
=== Notes ===
1- Voir Assyouti (السيوطي ), Alaâ Eddin al-Muttaki (علاء الدين علي المتقي), Al-Kharaiti (الخرائطي).
2- Attawbikh wat'tanbih (Blâme et Prévention).
3- Al-Bayhaqi rapporte dans Al-Sunan al-Kubra que le même calife Omar ne s'est pas permis de s'introduire dans la maison de Rabiâ ben Omaya ben Khalaf, alors que celui-ci était en train de faire la noce avec une joyeuse compagnie.