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vendredi 12 décembre 2014

Ali Ben Salem: un combat pas comme les autres en quelques lignes



Il est né le 15 juin 1931 à Bizerte.

A 7 ans, son père est tué par balles au cours d'une manifestation contre l'occupant français. A 14 ans, il rejoint le maquis et s'engage dans la lutte armée contre cet occupant. A 16 ans, le tribunal militaire français le condamne à mort par contumace pour des actes de guérilla à Bizerte. A 24 ans, alors que la Tunisie est sous régime d'autonomie interne, il est condamné à la clandestinité et à l'exil pour s'être attiré les foudres de Bourguiba et de Ben Youssef réunis, ayant refusé de se ranger derrière l'un ou l'autre. A 30 ans, il a failli laisser la vie dans la bataille d'évacuation de Bizerte, blessé au cou et au dos. A 32 ans, il est condamné aux travaux forcés à perpétuité pour avoir participé à la tentative de complot contre Bourguiba en 1962. Sa femme meurt alors qu'il est en prison et l'administration pénitentiaire l'empêche d'assister à son enterrement. Après avoir purgé 11 ans de bagne, il est gracié avec tous les membres du groupe des insurgés en 1973.
A 46 ans, il cofonde la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH) et milite en son sein pour la libération des prisonniers politiques opposants au régime de Bourguiba.
Sous le régime de Zine el-Abidine Ben Ali, il continue son combat farouche et ne plie jamais. A partir de 1991, il mène plusieurs campagnes contre l'emprisonnement des partisans du mouvement Ennahdha et d'autres pour l’amnistie de tous les prisonniers politiques. En 1998, il participe à la fondation du Conseil national pour les libertés en Tunisie. En avril 2000, alors qu'il est septuagénaire, il est aspergé de gaz lacrymogène et roué de coups dans un commissariat de Tunis. De graves lésions de la colonne vertébrale, un traumatisme crânien et des contusions s'ensuivent, faisant de cette agression un acte de torture en bonne et due forme. En 2002, il s'oppose au référendum amendant la Constitution de 1959 (amendement permettant au président Ben Ali de se présenter une nouvelle fois aux élections présidentielles). En 2003, il fonde avec Radhia Nasraoui l'Association de lutte contre la torture en Tunisie. En même temps, il contribue à la dénonciation de plusieurs affaires de corruption impliquant le président et sa famille.
À partir de novembre 2005, il est soumis à la surveillance quotidienne par une patrouille de police stationnée devant son domicile. On lui interdit de recevoir des visites. On lui coupe le téléphone. On le suit à chaque déplacement.
Le 3 juin 2006, âgé de 75 ans, il est enlevé de son lit par la police et maintenu en détention pour trois jours.
C'est, en quelques mots, le parcours de Ali Ben Salem, doyen des défenseurs des droits de l'homme en Tunisie. On ne le dira jamais assez: ce que ce militant a enduré pour la Tunisie et la démocratie, aucun Tunisien n'en a souffert le centième. En retour, après la révolution de 2010-2011, certains Tunisiens ne sont pas embarrassés de payer d'ingratitude un tel combat.

Contrairement aux islamistes qui ont réclamé à l'Etat des dédommagements et les ont obtenus, Ali Ben Salem n'a rien demandé. Même pas à recouvrer son droit à la couverture sociale et à la retraite. En 2011, quand Moncef Marzouki est devenu président provisoire, apprenant que le militant âgé de 80 ans ne disposait d'aucune ressource matérielle depuis qu'il a té privé de son travail par le dictateur déchu, il lui a accordé une allocation mensuelle de 500 dinars (€250). Mais dès que le président a su que Ali Ben Salem avait des contacts avec Nidaa Tounes (le parti fondé par Béji Caîed Sebsi), il a suspendu l'obole présidentielle.

Le peuple lui a néanmoins permis de prendre sa revanche aux dernières élections législatives. Le mardi 2 décembre 2014, Ali Ben Salem a présidé la première séance du nouveau parlement tunisien, en sa qualité de doyen d'âge des députés élus. Un grand moment d'émotions non seulement pour ce militant hors pair dans l’histoire de la Tunisie, mais pour tout le pays qui a suivi en direct cette plénière inaugurale.



A. Amri
12.12.14

jeudi 18 avril 2013

Pour une Tunisie en couleurs, et non en noir et blanc



Saadia Mosbah, voix qui monte des viscères de notre pays, pardonne-moi de n'avoir pu t'entendre plus tôt.


Le mot chien, assure Aristote, ne mord pas. Ni n'aboie d'ailleurs, nous rappelle Gérard Genette."Mais, souligne ce même auteur, rien n'interdit à quiconque d'opiner au contraire, et de tendre l'oreille ou garer les fesses".1

Les Tunisiens sont-ils racistes? Voilà un "chien" qui risque de faire tourner les talons à bien de prévenus alertes ! Rien qu'à soupçonner les supposés d'une pareille interrogation, plus d'une sainte nitouche dirait: "quoi ? nous racistes ? A Dieu ne plaise !"

Saadia Mosbah

Ceux que la question pourrait étonner, persuadés de l'exception tunisienne à ce propos, se trompent.
Nous ne sommes pas immunisés contre cette gale. Ni contre tant d'autres formes d'intolérance, toutes indignes des hommes authentiquement libres, authentiquement hommes. Dans la Tunisie bourguibienne puis benalyenne, il était de bon ton de nous auto-encenser et nous complaire dans une certaine image de marque nationale qui nous flattait. Qui flatte encore l'écrasante majorité du peuple, au vu des mobilisations citoyennes que suscitent les périls menaçant nos acquis, nos valeurs progressistes dont certaines datent de Carthage. Nous disions, nous disons toujours que les Tunisiens, produit de  multiples brassages de populations et de cultures dont leur terre n'a jamais cessé d'être le creuset, sont de nature ouverts. La position géographique du pays, son histoire et sa civilisation multimillénaires auraient vacciné ses habitants contre les virus susceptibles de menacer leur cohésion.
 
Hélas, la réalité n'est pas tellement conforme à cette image. La révolution qui pâtit depuis deux ans d'un fascisme religieux nous a révélé combien l'idéal est encore très loin du réel. Faut-il mettre davantage en lumière le fossé qui nous sépare de ce à quoi nous aspirons en parlant encore de racisme ? Beaucoup, à tort, estiment que ce n'est pas le moment d'en rajouter. Nous en avons déjà assez, dit-on, avec le salafisme jihadiste, péril qui angoisse tous les Tunisiens, plus urgent, prioritaire. Nous voyons renaître en plus, dans certaines zones oubliées par le développement, une forme de régionalisme qui nous inquiète, quand, au nom de la décentralisation, une partie des Tunisiens se dresse contre une autre, ou contre le reste des Tunisiens. Nous avons vu aussi et voyons encore réapparaitre des haines, des dissensions qu'on croyait révolues, des heurts sanglants entre douars, tribus, archs, pour un pouce de terre sur quoi untel, de tel sang, a indûment empiété.  Bref, nous dit-on, il ne faudrait pas rajouter au fardeau déjà assez lourd, sous peine de voir le dos de la jeune révolution brisé sous tant de charges.

Mais le bel alibi ne tient pas, qui tombe à faux dès qu'on rappelle les objectifs de la révolution. Car la chanson qu'on répète, le slogan cher aux révolutionnaires, le son de cloche partout repris, les jérémiades continuelles au nord comme au sud, ne sont-ils pas justement pourquoi le peuple a consenti des morts et fait une révolution?
Quand on monte ici et là en créneau pour rappeler les laissés-pour-compte, pourquoi en exclure les éternels exclus de toutes les "révolutions"? A-t-on vu un ministre noir, ou même son ombre, dans les différents gouvernements qui ont succédé à la chute de Ben Ali ? Combien y a-t-il de députés noirs dans notre Assemblée constituante? Combien de Noirs gouverneurs, délégués, directeurs dans telle ou telle administration nationale ?

Le racisme n'est pas seulement le mépris manifesté, articulé, le regard arrogant, hautain, l'insulte sous-entendue ou proférée en toutes lettres, qu'une race, à travers des individus ou des groupes de sa couleur, se permet à l'encontre d'une autre. Il n'est pas non plus seulement dans l'agression physique qui cible une couleur différente, une peau non partagée, quand la haine exacerbée franchit le pas qui l'ôte à toute compression, la rend littéralement palpable. Mais il y a pire: le racisme latent, invisible, muet: l'indifférence. Et l'exclusion qui s'ensuit sous toutes ses formes.

Dans la Tunisie souffrant de ce mal qui nous intéresse ici, tout combat contre le racisme qui ne commence pas par apporter les soins appropriés à l'indifférence et à l'exclusion est voué à l'échec. Nous croyons avoir fait une révolution pour tous les Tunisiens, alors que nous sommes en réalité encore loin de l'avoir faite cette révolution. Il est temps, grand temps, de nous demander ce que la prétendue révolution de la Dignité a donné aux Noirs tunisiens.

De 1846, date à laquelle notre pays a aboli l'esclavage, à l'heure de cet article, en passant par l'indépendance de 1956, que sont au juste dans leur pays les citoyens noirs? Peut-être des hommes émancipés, encore faut-il que tout le monde soit d'accord là dessus, ce qui n'est pas toujours évident quand notre langage, miroir de l'inconscient, révèle que beaucoup d'entre nous sont encore à l'âge des esclavagistes2. Peut-être, voire assurément, ces citoyens sont-ils une bonne chair à canon. Et à charbon dans l'ère des auto-immolations par le feu. Là-dessus, il n'y aurait pas beaucoup de marge pour la chicane. Mais quand les canons se taisent, et depuis le temps qu'ils se sont tus, depuis que la radio et la télévision ronronnent la douce chanson d'une Tunisie pour tous les Tunisiens, les Noirs, personne ne les voit réellement lotis dans cette Tunisie. On les estompe loin derrière nous. Plus loin que les déshérités de Sidi Bouzid, plus morts que les martyrs de la révolution, exclus comme tant d'autres ayants-droit sur le papier qui crèveront probablement tous, eux et leur postérité, avant que la révolution ne songe à les consoler d'une belle épitaphe !

A preuve, cette constitution dont on ne cesse de débattre depuis l'âge de Noé, les papiers encrés et sur-encrés, les projets, les amendements, toute cette paperasse et les années passées à les élucubrer, y a-t-on consacré une ligne, une seule, la plus petite mention qui soit pour dire quelle place les Noirs ont dans notre constitution ?

Le vrai racisme tunisien réside essentiellement à ces deux derniers niveaux. Le jour où la Tunisie relèvera le front, et découvrant la poitrine avec fierté, donnera le sein à tous ses enfants sans distinction de race, de confession ni de couleur politique, le racisme comme langage, attitude ou pensée, tombera de lui-même, sera caduc, pâle souvenir d'un passé vieux et lointain.


Saâda, première merveille de l'âge candide

Tout petit, pour être né dans une contrée presque hors de l'écoumène, une zone rurale perdue au sud tunisien, la première fois que j'ai vu un Noir c'était à l'âge de six ans.

Je ne savais encore rien des pyramides de Memphis, rien des jardins suspendus de Babylone. De l'ébène dont on vante partout le bois et le beau poli, je ne savais rien. Ni n'avais entendu parler de Saba et Balkis sa reine. Et je ne soupçonnais pas, à cet âge tendre, qu'il pût y avoir dans l'univers une beauté tout aussi enchanteresse que la première merveille dénichée par mes yeux dans ce monde. Une merveille que l'école m'avait révélée en même temps que les lettres de l'alphabet et les figurines du maître. Une camarade de classe de mon âge, avec qui je partageais le pupitre en bois, le banc d'écolier. Avec qui je partagerais aussi pour un bout de temps les olives noires, les figues sèches, les dattes. Les châtiments du maître aussi, en toute équité mérités, et supportés avec délice tant qu'ils étaient partagés. La retraite battue, quand tous les petits se disputaient l'honneur de franchir le premier la cour de l'école vers la sortie, pour ma première merveille découverte comme pour moi- l'honneur et le bonheur étaient d'être constamment à la traîne. Afin de partager encore, rentrant chacun à sa maison, un bout de chemin commun et les dernières miettes du goûter qui nous restaient.

Cette petite reine noire que je porte à ce jour dans mon cœur s’appelle Saâda.


Elle n'avait d'autre couronne que la couleur de sa peau. Il est certain qu'elle était belle, très même. Mais quelquefois je me demandais si je ne m'étais pas trompé; je me disais qu'elle n'était peut-être pas aussi belle qu'elle me paraissait, car je ne voyais personne de mes petits camarades masculins me la disputer. Sans doute étais-je trop candide encore pour deviner ce qui les éloignait de Saâda. Je ne savais pas encore ce qu'est le racisme. Et même si j'avais pu le découvrir, ou en soupçonner quelque chose par la suite, je ne pense pas que cela ait pu me déplaire ou susciter ma colère. Au fond de moi, consciemment ou non, j'aurais plutôt sourdement remercié les racistes d'être insensibles à la beauté de Saâda. Pour le bonheur « égoïste » de celui qui l'a tant aimée. Et qui n'aurait pas souffert que sa petite reine pût enchanter d'autres yeux que les siens.

J'ignore ce que Saâda est devenue aujourd'hui, si elle est encore en vie ou n'est plus de ce monde. Mais chaque fois que la mémoire remonte à la source de l'affection, c'est Saâda qu’elle rencontre à tous les carrefours, avec toujours un reste de goûter qu'elle vient partager avec moi.

Et quel doux émoi quand la mémoire rappelle le meilleur des offrandes partagées !
Deux mains voisines sur le pupitre, là au milieu, à un centimètre plus bas que l'encrier de notre vieille école du buvard et de la plume. Deux mains côte à côte, à plat posées !

Quel enchantement pour nos yeux surplombant de telles mains, à voir chacune s'éblouir de ce que l'autre lui donnait ! Dix doigts alignés, un pouce de chaque côté, au milieu les deux auriculaires: nous ne savions même pas à quoi la forme conique ainsi faite ressemblait. Jusqu'au jour où le maître nous a surpris !

Si le maître ne dicte pas, ne voit rien, s'il ne fait pas les cent pas entre les rangées, pour les mains ainsi étalées c'est presque un moment d'ivresse mystique, une étreinte d'épidermes, la fusion entre ces petites mains elles-mêmes, la chair à deux couleurs avec le bois. Impossible de les séparer. De réprimer le courant qui les unit. Impossible de les détacher de leur support auquel elles semblent soudées. Impossible de trouver entre elles une fissure, si minime soit-elle, pour y glisser l'oreille d'une feuille, d'un buvard.

Et ce magnétisme étrange, ce tropisme candide invincible, n'a rien de pervers. Rien de ce que pourrait suggérer une lecture savante, le regard d'un adulte imbu de son savoir analytique, de sa science infuse ou des armes de la psy.

Elle et moi n'avions que six ans. S'il pouvait y avoir quelque chose de libidinal dans ce jeu d'enfants candides, ce ne pourrait-être que de la sensualité sublimée, édénique -je dirais. L'enchantement pur de deux peaux qui s'épient, bien plus par la vue que par le toucher en soi, dans le bain d'un fluide mystique et imparable. Et le bonheur des yeux venait de la magie de ces couleurs disparates mais unies, qui se valorisent réciproquement par le contraste leur, et de ce même contraste se complètent au lieu de s'opposer, s'attirent au lieu de se repousser.  

Plus tard tout au long de ma vie, quand dans la rue, dans un commerce, un square, je vois un couple mixte, outre le doux frisson, irrépressible que cette union heureuse me procure, je me sens baigné, baignant dans l'éternel fluide qui les unit. Le même bonheur édénique perçu par nous deux il y a une éternité. Et je me sens  heureux pour ce couple, heureux pour les petits que nous étions, l'un et l'autre généreux, d'avoir osé sentir en bas âge ce que les racistes, leur vie durant, seront incapables de sentir. C'est au creuset de la différence que la beauté sublime se fait, croît, grandit et jouit le plus intensément de la vie.

Quand le maître a découvert notre jeu, l'année était presque finie. Nous reçûmes, les mains dans la même étreinte, dix coups de baguette. Étaient-ils douloureux ? je ne m'en souviens plus. Mais je me rappelle que ce fut à tel prix que nous avons appris comment dessiner, en bas âge et à deux mains, un cœur humain !  
 
J'ignore ce que Saâda est devenue, si elle se souvient encore de moi au cas où elle serait encore de ce monde, mais moi je ne l'ai pas oubliée. Ni ne suis près de jeter les reliques que je conserve d'elle dans ma mémoire. Car c'est à leur lumière que, grandissant, j'ai appris l'amour de l'humanité. Je dois à ma petite camarade de six ans ma stature d'homme libre, ma fibre d'enfant de tous les continents. Ce que j'ai transmis à mes enseignés et mes enfants. Ce que j'écris ici. Elle est constamment dans ma peau, dans mon pouls comme le crépitement d'une fine grêle de feu, dans chacun de mes combats pour le triomphe de l'humanisme. Et dans le sourire de chaque Noir où que je le rencontre, dans la chaleur de sa poignée de main où que je la reçoive, dans l'étreinte du frère noir où qu'il me reconnaisse des siens.

Saadia, petite sœur, pardonne que je ne t'aie pas revue plus tôt !

Et si je projette sur ton visage, sans embarras aucun, la tendresse que je ressens pour Saâda, c'est que "revoir" n'est pas seulement un jeu de rhétorique pour moi, n'est pas qu'un verbe au sens figuré, mais une perception réelle, authentiquement ressentie.


Reina Saba, chanteuse centrafricaine
C'est seulement aujourd'hui que j'ai déniché ta photo, lu ton texte, et repensant à l'heureux enfant qui, à travers Saâda, puis les frères du continent et ceux de la planète, t'avait aimée alors qu'il n'avait que six ans, j'ai décidé de t'écrire ce mot.

Pour te dire ce que j'ai souffert, et dieu sait ce que j'ai souffert, fier tunisien et pas moins africain que le plus noir du continent, en lisant ce texte où tu clamais haut l'amour de ton pays, le nôtre. Tout en faisant, juste et si fort, le procès de ce racisme monstrueux qui nous donne des sueurs et des frayeurs.

Se peut-il, Saadia, que la Tunisie éponyme de l'Afrique, l'Ifriqia dont les premiers dieux tutélaires sont le Saturne africain et sa parèdre la non moins africaine Tanit, puisse être si méconnaissable?

Se peut-il que le premier pays arabe à avoir aboli l'esclavage, y précédant même une légion de pays occidentaux censés plus rapides sur les voies pionnières (Suède, France, USA, la plupart des pays d’Amérique latine, la Russie, l'Espagne) puisse être à ce point raciste?

Se peut-il que le pays de Barg Ellil (Eclair de la nuit), pays qui riait, pleurait et s'émerveillait entier quand j'étais jeune, les samedi soir ne dormait jamais tant qu'il n'ait suivi le dernier épisode du feuilleton radiodiffusé, dont le héros est noir et esclave, puisse à ce point devenir "noir et blanc"?

Quand j'ai lu ton texte, Saadia, comme toi j'ai eu honte. Non d'être tunisien mais pour la Tunisie qui ne mérite pas qu'on la prostitue ainsi, qu'on la gangrène, que le fanatisme religieux des uns, le racisme primaire des autres, l'intolérance inadmissible des uns et des autres, la rabaissent à nos propres yeux, aux yeux du continent et dans le concert des nations.

Ni notre religion ni nos lumières ne justifient cette haine qui s'empare d'une partie de nous-mêmes pour la dresser contre l'autre. Nous ne voulons pas de cette lèpre que nous condamnons où qu'elle puisse flétrir un pays, que nous n'acceptons pas de voir parmi nous flétrir le nôtre. Notre pays, constamment au confluent des civilisations, aux quatre vents ouvert depuis la source du temps, beau aux yeux du monde en raison de sa capacité à parler Orient, Occident, Nord et Sud, tout en restant tunisien, ne peut pas permettre à la vermine raciste, pas plus qu'à l'obscurantisme dont la vermine se nourrit, de le souiller.

Notre peuple est le produit de mille et un brassages d'hommes et de sangs. Berbères, Puniques, Romains, Arabes, Turcs. Il y a des milliers d'ans, sur cette terre et pour cette terre le sang versé pour défendre Carthage, ou étendre ses frontières, ne se disait jamais noir, ou pas noir.  Dans l'histoire de Tacite et la mémoire du peuple, c'est le sang carthaginois. Pour repousser les premières vagues de la conquête islamique, pour prendre le flambeau du conquérant ensuite, pour bâtir toute l'histoire qui a permis à notre pays d'étendre vers d'autres pays et d'autres continents l'islam, pour reconduire enfin l'histoire à l'indépendance, au milieu du siècle dernier, puis  à la révolution du 14 janvier, les Noirs et pas noirs se sont toujours appelés Tunisiens, blessés ou morts, et jamais combattants de telle race ou de telle confession.
C'est pourquoi, Saadia, quand j'ai lu ton texte, comme toi j'ai eu honte. Et c'est peu dire, trop peu dire que j'ai eu honte. J'ai eu, et j'ai encore, envie de hurler pour vomir ma colère, mon indignation, mon refus de souscrire à ces actes racistes qui profanent notre Tunisie.

Puisse ce cri de dignité atteindre les cœurs malades et réanimer en eux, plus noble et digne de notre Tunisie, l'amour de l'humanité !

Merci du fond du cœur pour ton texte,
Saadia

Je sais que l'essentiel je l'ai passé sous silence, ou pas à fond traité: où est ma Saâda, elle et son frère, dans le paysage télévisuel, cinématographique, politique ? Pourquoi nous n'aurions pas notre Obama ? Je ne dirais pas Angela Davis parce que toi, pour notre fierté, tu la réincarnes parfaitement.
Et puis où sont les autres Tunisiens ? les non-musulmans d'abord:  juifs, chrétiens, athées ?
Où sont aussi les bi-nationaux tunisiens?

La lutte continue. Ensemble nous ouvrirons bientôt des brèches dans ce mur à détruire, et le plus tôt possible. Parce qu'il procède non pas seulement du même racisme, de la lèpre même, mais de son germe fondamental, la graine du racisme.

Ahmed Amri
18.04.2013 




=== Notes ===

1- Gérard Genette, Mimologiques : Voyage en Cratylie, Seuil, coll. « Poétique », Paris, 19761, p.7


2- "Loussif" (de الوصيف al-wassif, esclave) et "kehlouche" (de akhal, de kohl كحل [khôl] collyre noir, avec connotation péjorative) ne sont que deux petits exemples d'un glossaire raciste tunisien qui révèle combien nous sommes en retard par rapport au progrès revendiqué.

Au même sujet sur ce blog:

Tunisie: justice pour tes enfants mal-aimés!

dimanche 3 mars 2013

Majda Roumi dans le plus bel épitre d'amour que jamais Tunisien n'ait reçu

C'est trop peu dire que les mots traduits sur ce support vidéo, prononcés depuis Beyrouth par Majida El Roumi,  sont un hommage, beau et éclatant, au peuple tunisien qui l'aime et qu'elle aime.

Trop peu dire que c'est une étreinte d'amour, au lendemain de l'assassinat de Chokri Belaid, dédiée depuis les côtes libanaises aux "Aigles indomptables, rois des sommets escarpés", perchés sur les rocs de Carthage, les dignes héritiers du passé phénicien commun, petits enfants de Didon et d'Hannibal.

Trop peu dire!...

Et les mots ne pourraient que claudiquer ainsi à l'infini avant d'en dire peut-être quelque chose d'approximatif à travers ce qui suit.

C'est une lettre d'Amour, et avec un grand "A",  marquée au sceau de Cupidon, estampillée aux traits du jeune archer, écrite à l'encre chaude et cursive d'un cœur livré à nu. Cœur de la diva chouchoute des millions, née sur la scène de Carthage en 1980, qui pétille de ses vers et sa verve, de sa coupe à-ras-bord pleine et fleurant bon le nectar libanais, dictant à la télé qui la relaie, puis au scribe qui boit, trinque et vous le rapporte tel quel, le plus bel épitre d'amour que jamais Tunisien, de quelque rang ou sang soit-il, n'ait reçu de sa Leyla ou Dulcinée !


" La Tunisie surplombe l'univers, à partir de sa baie vitrée avancée dans les domaines culturel et artistique, de par ses valeurs universelles, qui en révèlent la richesse tout autant que l'importance. Il sera très difficile, et c'est peu dire, pour ceux qui tentent d'assombrir cette vitrine, de parvenir à leurs fins[...]  Le peuple tunisien est un génie titanesque: il ne reviendra pas à la bouteille dont il s'est libéré. Ils ne pourront pas mettre à la basse-cour un tel génie.

Quand Bouazizi est mort, le peuple tunisien a fourni une attestation, et des plus émouvante, par quoi il s'est engagé à défendre la liberté. Ce qui est survenu par la suite, c'est la magouille des nations combinant pour chiper les marrons tirés du feu. Ces rapaces extérieurs ne pouvaient laisser les Tunisiens agir et choisir à leur guise.
Les Tunisiens, tels que j'ai connus, sont difficile, trop difficile à remettre en fiole, et faire accepter qu'on remette dessus le bouchon[...] Quelles que soient l'épreuve, l'adversité, ces tribulations et leur durée, la longueur du tunnel et sa noirceur qu'il lui faudra traverser, le peuple tunisien, peuple artiste, instruit, pour qui le ticket de théâtre prime sur le pain à manger, ce peuple d'aigles, rois des sommets, habitués aux sommets, ils ne pourront pas l'apprivoiser! Ils ne pourront pas lui rogner les ailes, faire de lui une volaille de basse-cour. Jamais ils n'y parviendront. C'est dans sa nature à ce peuple, il n'est pas du tout domesticable!

La Tunisie est mon amie de toujours. C'est la compagne de mon parcours artistique. La première fois que j'ai chanté, en 1980, c'était en Tunisie. Je m'en souviens bien, très bien même.
A mes amis, mes bien-aimés avec qui j'ai vécu des nuits inoubliables en Tunisie, à ceux qui, et c'est viscéral, vivent dedans moi, dans mon cœur, de sorte que tout ce qu'ils endurent comme souffrances, je le partage avec eux, à ces fleuristes horticulteurs du Beau, où qu'ils manifestent leur désaveu aux aberrations faites en leur nom, où qu'ils s'attroupent pour écouter un poème arabe, ou écouter dévotement une chanson, ou chanter eux-mêmes en chœur, je leur dis:" l'amour est réciproque." Ce sont eux qui nous ont ouvert en premier les portes de la Tunisie, aux pires moments de nos années de braise, les années de la guerre civile au Liban, et ils ont fait leur,  et au delà de tout ce qu'on peut imaginer, la cause libanaise, à l'exemple de ce public dont l'image est tatouée dans ma tête, qui s'était levé, cinq minutes durant, cinq minutes pour un tonnerre d'applaudissements inoubliables, le jour où j'ai chanté à Carthage pour les enfants de Cana.

Aujourd'hui à mon tour, je voudrais leur rendre la pareille et leur dire:" ma voix est à votre disposition!" S'ils veulent que je chante sur la rue, sur une ligne de feu ou à Carthage, Carthage où toutes les fois que son théâtre m'a accueillie, c'était avec 15 mille sur les gradins, dont les belles grappes chantant en chœur, et du cœur, avec moi.
A ceux-là je dis: en tout lieu et tout moment, ma voix est à leur disposition, si cela peut briser le cerceau de feu qui les entoure."

Propos de Majida Al Roumi, chanteuse libanaise.
Traduits par A. Amri
03.03.2013


Les props de Majida Al Roumi dans leur intégralité:
Vidéo traduite en français

jeudi 14 février 2013

La fête de l'amour dans mon pays - Hafez Fares



Je sirote mon café
sur le pavé de l'univers
les gouttes ont la saveur
du désir qui perlait
l'an passé
et cette fête-ci de l'amour
les ronces barbelées
me barrent le chemin
Tawq Al-Hamama(1) est apeuré
sur la tête enturbannée
d'Ibn Khaldoun(2)

 Sur fond d'image de la statue d'Ibn Khaldoun 

à Tunis, le poème dans sa langue originale





Ibn Khaldoun
chevauchant le temps
quitte les étriers
et descend
les pieds ensanglantés
il demande aux assis:
pouvez-vous m'indiquer
le chemin de Novruz?(3)
c'est que le martyr
m'a recommandé le Printemps

Hafez Fares
14.02.2013

Traduction A.Amri
14.02.2013

NDT:

1- Tawq Al-Hamama (Le Collier de la colombe) est un traité sur l'amour écrit par Ibn Hazm (994-1064). Léon Bercher, orientaliste qui a traduit de nombreux textes arabes, en dit que "de toutes les productions littéraires traitant de l’amour, le Tawq est la meilleure et la plus intéressante."

2- Ibn Khaldoun (1332-1406) est un historien, philosophe, diplomate et homme politique maghrébin né à Tunis, considéré comme le précurseur de la sociologie moderne, auteur de Les Prolégomènes (Muqaddima), entre autres œuvres, qu'il a conçu comme une Introduction à l'histoire universelle.

3- Novruz, célébré tous les 21 mars dans de nombreux pays du sud-est européen, de l'Asie et du Moyen-Orient, correspond au premier jour du printemps. Une journée internationale lui est consacrée depuis 2009, en vertu de laquelle le 21 mars devient fête célébrant les valeurs de l'amour et de la paix.



Quand les médias crachent sur Aaron Bushnell (Par Olivier Mukuna)

Visant à médiatiser son refus d'être « complice d'un génocide » et son soutien à une « Palestine libre », l'immolation d'Aar...