vendredi 30 mai 2014
vendredi 16 mai 2014
Meriem Yahia Ibrahim: à vous votre religion, à moi la mienne !
Meriem Yahia Ibrahim est une femme médecin
soudanaise âgée de 27 ans. Elle est née d'un mariage mixte
interconfessionnel, son père étant musulman et sa mère chrétienne. Suite
au divorce de ses parents qui a suivi de peu sa naissance en 1987, elle
a vécu depuis sa prime enfance sous la tutelle exclusive de sa mère.
En 2012, Meriem a épousé un médecin originaire du Soudan du sud, de confession chrétienne, et a eu de lui un enfant âgé de 19 mois. A l'heure qu'il est, enceinte depuis 9 mois, Meriem attend son deuxième enfant(*). Elle serait sans doute une mère heureuse, une femme comblée, sans le tournant tragique que sa vie a pris malgré elle depuis deux ans. Et dans lequel s'imbriquent les rouages infernaux d'un islam sclérosé et déshumanisé, l'islam et la charia des Frères Musulmans.
En effet, en 2012 la justice soudanaise reçoit un communiqué dénonçant un mariage non conforme à la charia, en l’occurrence celui de Meriem Yahia Ibrahim (que les auteurs du communiqué prétendent connaitre comme une parente musulmane) et son conjoint chrétien. Alors que le mariage d'un musulman avec une chrétienne ou une juive est explicitement autorisé dans le Coran, celui d'une musulmane avec un non musulman, faute de référence coranique tranchant pour ou contre, est interdit par la charia. Mais cela n'a pas empêché des oulémas comme Hassan al-Tourabi, ancien chef des Frères musulmans soudanais, d'émettre une fatwa autorisant tel mariage. Toujours est-il que le rigorisme des législateurs et leur sexisme allant de pair à ce chapitre, le mariage d'une musulmane avec un non musulman reste prohibé dans la plupart des pays musulmans. Et seule la conversion à l'islam du postulant au mariage assure sa légalité à une union de tel ordre.
Quand la justice soudanaise a interrogé à propos de sa confession Meriem, celle-ci a nié avoir été musulmane, affirmant qu'elle est chrétienne de naissance. Ce qui est juste et n'admet aucune chicane, n'en déplaise à l'islam des fanatiques bornés et phallocrates. Meriem a été élevée par sa mère qui, mariée ou divorcée, a conservé sa propre confession et l'a transmise par l'éducation à sa fille. Et à supposer que celle-ci ait abjuré l'islam et se soit convertie au christianisme, quel sens donneraient les intransigeants de la charia au verset:" à vous votre religion, à moi la mienne لكم دينكم ولي ديني"? N'y a-t-il pas là un jugement clair, net et tranchant en faveur de Meriem?
Mais cela n'est pas l'avis des juges devant qui Meriem a comparu depuis août 2013, le fait que cette femme honnête et courageuse a nié être musulmane ne pouvant s'entendre que comme un aveu public d'apostasie.. apostasie de l'islam! En conséquence et au mépris d'un droit universellement reconnu, Meriem se voit jugée conformément à deux articles du code pénal soudanais: l'article 126 relatif au délit d'apostasie et l'article 146 relatif au délit d'adultère. Les peines respectives encourues sont la peine capitale et 100 coups de fouet!
Le 11 mai 2014, la justice soudanaise a accordé à l'accusée un délai de 3 jours pour déclarer son repentir. Si Meriem abjure la chrétienté et atteste qu'il n'est de Dieu qu’Allah et Mohamed est le prophète d'Allah, la peine de mort tombera. Sinon elle n'aura droit qu'au sursis lui permettant d'accoucher et d'allaiter pendant deux ans son bébé.
Ce 15 mai, Meriem a comparu devant un tribunal de Karthoum pour dire son dernier mot. Avant que la sentence ne soit prononcée. "Je suis chrétienne, clame-t-elle malgré tout, et non musulmane!"
- Puisqu'il en est ainsi, lui répond le juge, alors que nous t'avons accordé 3 jours pour te décider à te repentir, tu persistes à rejeter l'islam, nous te condamnons à la mort par pendaison!"
Nous voudrions bien que le juge qui a prononcé ce verdict au nom d'Allah nous éclaire un peu sur le sens exact du verset coranique: "Point de contrainte en religion لا إكراه في الدين".
Bons apôtres de l'obscurantisme qui nous tue, ennemis de la lumière et de la vie, si votre charia applique à la lettre les préceptes divins comme elle le prétend, elle ne pourra qu'acquitter cette femme jugée et condamnée de façon inique, arbitraire, barbare.
A. Amri
16 mai 2014
*- Ce deuxième enfant, une petite fille, vient de naitre en date du 27 mai 2014.
Lien externe:
Prière de signer et relayer la pétition mise en ligne par Amnesty International:
Libérez Meriam Yehya Ibrahim, jeune soudanaise condamnée à mort en raison de sa religion
En 2012, Meriem a épousé un médecin originaire du Soudan du sud, de confession chrétienne, et a eu de lui un enfant âgé de 19 mois. A l'heure qu'il est, enceinte depuis 9 mois, Meriem attend son deuxième enfant(*). Elle serait sans doute une mère heureuse, une femme comblée, sans le tournant tragique que sa vie a pris malgré elle depuis deux ans. Et dans lequel s'imbriquent les rouages infernaux d'un islam sclérosé et déshumanisé, l'islam et la charia des Frères Musulmans.
En effet, en 2012 la justice soudanaise reçoit un communiqué dénonçant un mariage non conforme à la charia, en l’occurrence celui de Meriem Yahia Ibrahim (que les auteurs du communiqué prétendent connaitre comme une parente musulmane) et son conjoint chrétien. Alors que le mariage d'un musulman avec une chrétienne ou une juive est explicitement autorisé dans le Coran, celui d'une musulmane avec un non musulman, faute de référence coranique tranchant pour ou contre, est interdit par la charia. Mais cela n'a pas empêché des oulémas comme Hassan al-Tourabi, ancien chef des Frères musulmans soudanais, d'émettre une fatwa autorisant tel mariage. Toujours est-il que le rigorisme des législateurs et leur sexisme allant de pair à ce chapitre, le mariage d'une musulmane avec un non musulman reste prohibé dans la plupart des pays musulmans. Et seule la conversion à l'islam du postulant au mariage assure sa légalité à une union de tel ordre.
Quand la justice soudanaise a interrogé à propos de sa confession Meriem, celle-ci a nié avoir été musulmane, affirmant qu'elle est chrétienne de naissance. Ce qui est juste et n'admet aucune chicane, n'en déplaise à l'islam des fanatiques bornés et phallocrates. Meriem a été élevée par sa mère qui, mariée ou divorcée, a conservé sa propre confession et l'a transmise par l'éducation à sa fille. Et à supposer que celle-ci ait abjuré l'islam et se soit convertie au christianisme, quel sens donneraient les intransigeants de la charia au verset:" à vous votre religion, à moi la mienne لكم دينكم ولي ديني"? N'y a-t-il pas là un jugement clair, net et tranchant en faveur de Meriem?
Mais cela n'est pas l'avis des juges devant qui Meriem a comparu depuis août 2013, le fait que cette femme honnête et courageuse a nié être musulmane ne pouvant s'entendre que comme un aveu public d'apostasie.. apostasie de l'islam! En conséquence et au mépris d'un droit universellement reconnu, Meriem se voit jugée conformément à deux articles du code pénal soudanais: l'article 126 relatif au délit d'apostasie et l'article 146 relatif au délit d'adultère. Les peines respectives encourues sont la peine capitale et 100 coups de fouet!
Le 11 mai 2014, la justice soudanaise a accordé à l'accusée un délai de 3 jours pour déclarer son repentir. Si Meriem abjure la chrétienté et atteste qu'il n'est de Dieu qu’Allah et Mohamed est le prophète d'Allah, la peine de mort tombera. Sinon elle n'aura droit qu'au sursis lui permettant d'accoucher et d'allaiter pendant deux ans son bébé.
Ce 15 mai, Meriem a comparu devant un tribunal de Karthoum pour dire son dernier mot. Avant que la sentence ne soit prononcée. "Je suis chrétienne, clame-t-elle malgré tout, et non musulmane!"
- Puisqu'il en est ainsi, lui répond le juge, alors que nous t'avons accordé 3 jours pour te décider à te repentir, tu persistes à rejeter l'islam, nous te condamnons à la mort par pendaison!"
Nous voudrions bien que le juge qui a prononcé ce verdict au nom d'Allah nous éclaire un peu sur le sens exact du verset coranique: "Point de contrainte en religion لا إكراه في الدين".
Bons apôtres de l'obscurantisme qui nous tue, ennemis de la lumière et de la vie, si votre charia applique à la lettre les préceptes divins comme elle le prétend, elle ne pourra qu'acquitter cette femme jugée et condamnée de façon inique, arbitraire, barbare.
A. Amri
16 mai 2014
*- Ce deuxième enfant, une petite fille, vient de naitre en date du 27 mai 2014.
Lien externe:
Prière de signer et relayer la pétition mise en ligne par Amnesty International:
Libérez Meriam Yehya Ibrahim, jeune soudanaise condamnée à mort en raison de sa religion
mardi 13 mai 2014
Pourquoi la mer rigole-t-elle?
"Ils m'ont intercepté sitôt mon retour de Damas et m'ont expédié.. mais doucement ! non pas vers l'une des prisons gouvernementales connues et encombrées de détenus, mais vers les hôpitaux pour fous. L'Hôpital psychiatrique d'Al-Abassia ! L'essentiel est que je suis sorti de cet hôpital par miracle, mais plutôt comme une épave humaine, si ce n'est pire ! Je suis sorti pour la rue, pour la faim, le dénuement, la clochardise, la perdition et le tabassage dans tous les postes de police[...] Je suis sorti pour tourner en rond comme un chien pourchassé, sans refuge et sans mes deux enfants et ma femme. Et je suis resté gelé, assiégé, arrêté et loin des domaines de mon activité comme dramaturge, metteur en scène et comédien. Loin des domaines de l'édition en tant que poète, critique, zajaliste1 et parolier !"
Extrait d'une lettre envoyée à Youssef Idris2
Le pourquoi du pourquoi
"Pourquoi la mer rigole t-elle?" est le titre d'une chanson égyptienne devenue populaire dans l'ensemble des pays arabes depuis que Cheikh Imam l'a intégrée à son répertoire en 1978. Bien que le titre soit l'un des vieux succès de la chanson arabe alternative, le contexte biographique dans lequel le poème a vu le jour n'est pas assez connu. Quand et par qui fut-il interprété d'abord comme chanson ? Et quand et pourquoi Cheikh Imam l'a-t-il reprise ? Le propos de cet article est d'éclairer l'histoire de cette chanson.
C'est en 1974 que le poète, critique et dramaturge égyptien Najib Srour a écrit البحر بيضحك ليه (La mer pourquoi elle rigole). Il s'agit d'un chant soliste ouvrant sa pièce de théâtre منين أجيب ناس (Où trouverais-je des gens?). Et sa musique originale a été composée par Mohamed Cheikh.
La chanson comme la pièce de théâtre3 à laquelle elle appartient (sorte de tragédie lyrique qui traite de la période post-nassérienne à travers le mythe d'Isis et Osiris réécrit et réactualisé) dénoncent le mal-vivre du peuple égyptien tout autant qu'elles traduisent les hantises et les affres existentielles de l'auteur. La pièce a été écrite en deux semaines alors que Najib Srour était interné dans un hôpital psychiatrique.
Extrait d'une lettre envoyée à Youssef Idris2
Le pourquoi du pourquoi
"Pourquoi la mer rigole t-elle?" est le titre d'une chanson égyptienne devenue populaire dans l'ensemble des pays arabes depuis que Cheikh Imam l'a intégrée à son répertoire en 1978. Bien que le titre soit l'un des vieux succès de la chanson arabe alternative, le contexte biographique dans lequel le poème a vu le jour n'est pas assez connu. Quand et par qui fut-il interprété d'abord comme chanson ? Et quand et pourquoi Cheikh Imam l'a-t-il reprise ? Le propos de cet article est d'éclairer l'histoire de cette chanson.
C'est en 1974 que le poète, critique et dramaturge égyptien Najib Srour a écrit البحر بيضحك ليه (La mer pourquoi elle rigole). Il s'agit d'un chant soliste ouvrant sa pièce de théâtre منين أجيب ناس (Où trouverais-je des gens?). Et sa musique originale a été composée par Mohamed Cheikh.
La chanson comme la pièce de théâtre3 à laquelle elle appartient (sorte de tragédie lyrique qui traite de la période post-nassérienne à travers le mythe d'Isis et Osiris réécrit et réactualisé) dénoncent le mal-vivre du peuple égyptien tout autant qu'elles traduisent les hantises et les affres existentielles de l'auteur. La pièce a été écrite en deux semaines alors que Najib Srour était interné dans un hôpital psychiatrique.
La mer, pourquoi elle rigole
quand je descends, coquetant,
pour remplir les gargoulettes ?
la mer est en colère
elle ne rigole pas
parce que l'histoire n'est pas drôle
la mer, sa plaie est incurable
et notre plaie à nous
ne s'est jamais cicatrise
entre toi et moi
des murailles et des murailles
et je ne suis ni un titan ni un oiseau
j'ai un luth à la main
causeur et audacieux
et je suis devenu en amour
une légende
(Najib Srour, traduit par A.Amri)
quand je descends, coquetant,
pour remplir les gargoulettes ?
la mer est en colère
elle ne rigole pas
parce que l'histoire n'est pas drôle
la mer, sa plaie est incurable
et notre plaie à nous
ne s'est jamais cicatrise
entre toi et moi
des murailles et des murailles
et je ne suis ni un titan ni un oiseau
j'ai un luth à la main
causeur et audacieux
et je suis devenu en amour
une légende
(Najib Srour, traduit par A.Amri)
Supplicié du souvenir
Psychiatrique ?
Avant d'aborder les circonstances de cet internement, un retour en arrière est nécessaire pour comprendre à la fois l'homme et les rouages politiques qui l'ont brisé.
Srour collégien |
En 1956, âgé de 24 ans, Srour obtient un diplôme de l'Institut Supérieur des Arts dramatiques. Et deux ans plus tard, une bourse d'études à l'étranger pour la poursuite d'un 3e cycle à Moscou. C'est un miracle que les Renseignements égyptiens n'aient pas disqualifié le candidat à la mission universitaire pour affinités avec le marxisme-léninisme.
Communiste circonspect
La mission arrive à Moscou en 1959. Dès qu'il a fini les formalités d'inscription à l'université, Srour a tout fait pour s'entourer de solitude, évitant autant que possible toute fréquentation des participants à la mission. Il était convaincu que tous ceux qui ont bénéficié d'une bourse d'Etat comme lui, triés sur le volet, étaient vaccinés, immunisés, contre l'utopie internationaliste et l'idéal égalitaire. De sorte qu'aucun d'eux ne ne pouvait être digne de confiance pour lui découvrir sa couleur politique. Ce climat de suspicion, qui régnait également entre les autres missions arabes, le mettait lui aussi, aux yeux de beaucoup d'étudiants communistes, dans le même camp sentant le roussi, c'est-à-dire nassérien et panarabiste. Quand il pouvait laisser de côté la circonspection, parlant à des rouges déclarés, ceux-ci ne manquaient pas de lui demander -non sans de bonne raisons- comment il a pu échapper à la vigilance des Renseignements. S'il était authentiquement rouge, lui dit-on, il devrait le dire haut et sans plus tarder. En somme, on le défiait à une "ordalie". Et s'il refusait de s'y soumettre, ce serait donner raison à ceux qui jugeaient suspect son communisme. Il a fini par accepter, malgré les tracas prévisibles pour le membre de mission qu'il était, l'épreuve de sa probité politique.
Ordalie rouge
Cette épreuve s'est déroulée au lendemain de l'échec en 1961 de la RAU (République arabe unie). Najib Srour était fraichment marié avec Sachas Kursakova, jeune moscovite qui préparait une licence de lettres. Dès 1958, le communiste qu'il était avait critiqué l'union déclarée entre l’Égypte et la Syrie, qu'il jugeait improvisée. Et l'échec de de la RAU ne pouvait que le renforcer dans ses convictions de marxiste-léniniste. Au moment où le pouvoir au Caire comme à Damas persécutait de plus en plus les communistes, Srour estima le temps opportun de couper court à toute équivoque au sujet de son opinion politique. C'était le moment, ou jamais, de montrer que ce qu'il avait dans les veines, c'était du sang rouge, et pas du jus de navet ! Il s'illustra à l'université par un acte osé et retentissant, qui lui a valu l'estime des camarades. Profitant d'un congrès de solidarité avec le peuple cubain organisé à l'université de Moscou, il a pris la parole, en s'emparant de force d'un micro, pour lire un manifeste contre "le système dictatorial et répressif égypto-syrien". Il eut droit à une salve d'applaudissements du côté de ceux qui ne doutaient plus de la probité du camarade. Mais les retombées de l'acte sur le délégué boursier de l’État étaient désastreuses. Le pouvoir nassérien ne lui a pas pardonné un tel "acte de félonie". Il a gelé immédiatement sa bourse, déclaré nul son passeport, l'a radié de la liste de délégation et demandé à l’État soviétique son extradition.
Cette demande d'extradition, si elle avait été satisfaite, l'aurait conduit directement à la prison après les sévices physiques, et il aurait peut fait son deuil de sa femme. Heureusement pour lui, c'était cette jeune femme et les nombreux camarades qu'elle avait mobilisés pour son soutien, qui ont empêché les autorités soviétiques d'exaucer la demande du pays ami. Néanmoins, ces autorités ont contraint le "camarade fougueux" à s'éloigner de Moscou. Et Srour a déménagé sans sa femme vers une autre ville où il s'est fait inscrire dans une nouvelle université.
C'est à partir de ce moment que, loin de Sacha et hanté par les affres de la nécessité, que Srour a commencé à boire. La Vodka et autres boissons alcooliques, acquises à tarif étudiant, lui permettaient à la fois de noyer ses peines et de se procurer un peu de chaleur, en compensation de celle qu'il trouvait à Moscou auprès de Sacha.
Arabe offensé
L'étudiant à Moscou |
Quelques jours plus tard, déprimé et accablé de dettes, Najib Sroura a quitté l'URSS pour la Hongrie. L'un des réfugiés politiques égyptiens dans ce pays lui avait trouvé un emploi à la radio de Budapest. Sa jeune épouse,Sasha Kursakova, était restée à Moscou pour terminer sa licence.
Grâce et disgrâce
En 1964, grâce à un article de presse écrit par Raja Annakash et publié dans Al-Joumhourya (La République), article dont le titre est "Tragédie d'un artiste égyptien à Budapest", Najib Srour est autorisé à rentrer avec sa famille en Égypte. Il est nommé professeur à l'Institut Supérieur des Arts dramatiques. Il publie son épopée en vers Yassine et Bahya qu'il avait commencée à Moscou et terminée à Budapest. Il produit de nombreuses pièces de théâtre et les joue avec sa troupe en plusieurs villes d'Egypte. Tout semble annoncer un avenir heureux et prospère. Mais en 1966, au bout de deux ans d'enseignement, on juge que le professeur d'art dramatique est moins socialiste que communiste, plus internationaliste que panarabiste. Et il est licencié.
Il frappe à toutes les portes, écrit, s'écrie pour faire cesser l'injustice. Mais on ne l'écoute pas. On essaie quand même de récupérer son génie en lui proposant d'écrire pour la télévision. On veut des comédies de divertissement, quelque chose comme le théâtre du boulevard, des mélodrames et des vaudevilles qui feraient oublier aux Égyptiens leur quotidien sans attrait, leur misère de chaque jour.
Najib Srour, pourtant dans l'extrême nécessité, refuse ce qu'il juge "chantage". Il est engagé, et le théâtre a pour mission d'éduquer le peuple, non de lui servir d'opium. "La mission du théâtre, dit-il, est être un instrument révolutionnaire qui contribue au processus du changement social en faveur des classes opprimées".
Mouches bleues
Il a dû vivoter quelque temps de son métier de comédien avant d'émigrer vers la Syrie où il a travaillé
Srour professeur et dramaturge |
De retour en Égypte, ses écrits, sa poésie6 et l'ensemble de son œuvre théâtrale, sont censurés. Et par dessus cette mise sous le bâillon, il est interné de force, "pour soins", dans un hôpital psychiatrique jusqu'en 1972. Redoutant le pouvoir de son discours, la machine répressive de l’État espérait discréditer ainsi l'auteur en le faisant passer pour un fou.
Sebaï: planche au damné
Srour et sa famille |
En 1975, Najib Sourour est réintégré dans sa fonction de professeur à l'Institut Supérieur des Arts dramatiques. Il se réinstalle avec sa famille au Caire. Sacha retrouve le bonheur d'une vie conjugale et familiale plus paisible, plus épanouissante. Leurs enfants, Chohdi et Farid, reprennent goût aux études. Bref, tout porte à croire que cette famille, ainsi remise sur se rails, a tourné la triste page du passé. Tout porte à croire que l'avenir ne sera que radieux.
La mise en croix
Mais à peine une année s'est-elle écoulée que le beau rêve s'évanouit.
Najib Srour est de nouveau licencié parce que communiste. Rached Roshdi, un haut responsable au Théâtre National et à l'Académie des Arts, vouant une haine farouche à tout ce qui sent de près ou de loin le matérialisme athée, n'a pas digéré la réinsertion du Rouge dans l’enseignent. Et il a obtenu ce que la haine réclamait depuis un an.
L'homme ainsi brisé au moment où il croyait avoir remonté la pente s'écroule. Cette fois-ci pour n'en plus se relever. Le coup est dur et lâche, venant d'un homme de théâtre comme lui, un enseignant comme lui, un intellectuel comme lui, mais sectaire et pourri jusqu'à la moelle des os.
A intervalles réguliers, le damné est remis sous la camisole de force, reconduit à l'asile des fous. Et quand il en ressort, c'est pour faire le tour des bars cairotes à la recherche d'un ami qui lui paie un pot. C'est l'enfer pour l'épave humaine, comme pour son foyer, sa famille on ne peut plus en détresse.
Srour et l'alccol |
Deux garçons dont l'aîné Roshdi, né à Moscou, ne parvenait pas à se rattraper en arabe pour trouver sa place au collège. Elle-même sans travail en Egypte, Sacha n'avait pas véritablement d'alternative pour contourner la présumée "défection"7 que d'aucuns ont pu lui prêter.
Le 24 octobre 1978, Najib Srour meurt à l'hôpital psychiatrique d'Al-Abassia, à l'âge de 46 ans. Cette mort précoce est la conséquence d'un long calvaire dont le principal artisan est l’État. L’État et le système arabe à pensée unique, à parti unique, à vérité unique, lesquels ont détruit un génie et causé d'irréparables torts à sa famille.
Poème testamentaire
Chohdi à sa petite enfance |
mon enfant,
moi j'ai eu faim
j'ai eu froid
j'ai vu le pire
j'ai bu mes jours verre après verre
absinthe jusqu'à la lie
mon enfant
pour l'amour de la terre
pour l'amour du Nil et son bleu
si jamais comme moi tu as faim
même s'ils te condamnent à la potence
ne maudis pas l'Egypte
hais autant que tu veux, qui tu veux
mais aime le Nil
aime l'Egypte mère de l'univers
en géographie, ce pays
est hors pair, Chohdi,8
et jamais classé deuxième en histoire9
(Traduit par A.Amri)
Cheikh Imam et l'hommage
En hommage à ce damné de la terre, ce mal-aimé du système aberrant, au lendemain de sa mort Cheikh Imam a repris son poème-chanson "La mer pourquoi elle rigole البحر بيضحك ليه ". Le père de la chanson engagée dans le monde arabe en a fait un titre de base de ses concerts, tout comme Oyoun Al-kalam "عيون الكلام Les Yeux des Mots"10 écrite, presque à la même époque, par Ahmed Fouâd Nejm en prison. L'une et l'autre chansons sont des hymnes à la résistance des intellectuels de gauche, des cris défiant la matraque et le bâillon.
A.Amri
12 mai 2014
==== Notes ====
1- Le zajaliste est un auteur de zajals, chansons écrites ou improvisées en arabe dialectal.
Voir Le "zajal", une tradition poétique qui renaît timidement au Liban sur lepoint.fr/culture/
2- Traduit par moi-même d'après le texte arabe ci-dessous:
لقد تلقفوني فور عودتي من دمشق وأرسلوني.. لكن مهلا، ليس في معتقل من المعتقلات الحكومية المعروفة والمزدحمة بالنزلاء، وإنما في مستشفيات المجانين، مستشفى الأمراض العقلية بالعباسية!!...المهم أنني خرجت من مستشفى الأمراض العقلية بمعجزة حطاما أو كالحطام! خرجت إلى الشارع.. إلى الجوع والعري والتشرد والبطالة والضياع وإلى الضرب في جميع أقسام البوليس المخلص في تنفيذ أغراض الأعداء والمحسوب علينا من المصريين أو نحن العرب!خرجت أدور وأدور كالكلب المطارد بلا مأوى، بلا طفلي وزوجتي..وظللت مجمدا محاصرا موقوفا. وبعيدا عن مجالات نشاطي كمؤلف مسرحي ومخرج وممثل، وبعيدا عن ميادين النشر كشاعر وناقد وزجال ومؤلف أغان"!!
La lettre dans son intégralité sur ce lien.
3- Najib Srour a écrit un poème en 1956, intitulé Al-hidha الحذاء , [Le soulier], dans lequel il évoque le père qu'il a vu se faire battre à coups de soulier par l'omda.
4- L’œuvre est disponible en ligne sur les liens ci-dessous (pas de sous-titrage fr):
Première partie:
Deuxième partie:
5- نجيب سرور.. ومنين أجيب ناس sur .albawabhnews.com.
6- Les œuvres faisant le procès des politiques arabes, dont une série de poèmes (Le con [au sens trivial] des analphabètes كس الأميات ), ont été retirées des circuits de diffusion.
7- Le lecteur arabophone trouvera une excellente référence dans la biographie romancée écrite par Talal Fayçal سرور، رواية لطلال فيصل، الكتب خان للنشر والتوزيع، 2013 , à la fois hommage au disparu et éclairage de sa vie, avec des témoignages poignants de sa femme.
8- En 2002, ce fils cadet de Najib Srour, poète, webdesigner et directeur de
l'édition électronique "Al-Ahram Weekly" d'expression anglaise, a été condamné à un an de prison pour avoir publié sur internet l’œuvre censurée de son père: Le con des analphabètes كس الأميات. La
publication de ce texte truffé d'expressions triviales a été considérée
comme une atteinte à la morale, tendant à corrompre les bonnes mœurs. Pour rappel, Najib Srour de son vivant n'a pas été jugé à cause de ce
poème, ni pour un quelconque délit d'immoralité.
9- وصية نجيب سرور الى إبنه بحب مصر sur http://nbaanews.com
10- Oyoun Al-Kalam (Les Yeux des Mots) interprétée par le duo Oyoun-Al-Kalam.
Bibliographie:
- دون كيخوته المصري، حازم خيري، المجلس الأعلى للثقافة، 2009 [Don Quichotte l'Egyptien, Essai, Conseil Supérieur de la Culture, 2009]
- سرور، رواية لطلال فيصل، الكتب خان للنشر والتوزيع، 2013- [ Srour, roman, Talal Fayçal, Al-Kotob Khan Editions, 2013]
- إتمام الأعلام، نزار أباضة، محمد رياض المالح، دار صادر بيروت، 1999، ص. 273
Sur internet:
نجيب سرور.. ومنين أجيب ناس sur albawabhnews.com
نجيب سرور في أوج أزمته، شهادة , sur http://www.jamaliya.com
اكتشاف رواية للشاعر نجيب سرور , http://www.almustaqbal.com
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