"L'art étymologique est celui de débrouiller ce qui déguise les mots, de les dépouiller de ce qui, pour ainsi dire, leur est étranger, et par ce moyen les amener à la simplicité qu'ils ont tous dans l'origine." (Étienne Maurice Falconet)
Selon le TLFi, "échine" est un mot dérivé de l'ancien bas francique skina qui signifie "baguette de bois".
Le mot est attesté pour la première fois dans la "Chanson de Roland" (1100) sous la forme de "eschine", et signifiant « colonne vertébrale ». La variante "eskine", attestée dès 1172, procède probablement de la même loi qui a fait de meschine mesquine. C'est cette variante qui a prévalu en moyen français (Aldebrandin de Sienne, 1256, Fabliaux des 13e et 14e siècles, Jean Froissart (1337-1410). Et elle semble s'être maintenue jusqu'à la fin du17e s., à en juger par l'exemple que donne Trévoux citant André Félibien (1619-1695). Le provençal esquina, esquena, l'espagnol esquena, l'italien schiena, paraissent corroborer, sous toutes réserves, le fait que le "sch" de l'ancien français aurait quelque chose de commun avec le digramme "ch" latin.
Comparons ce français eskina et ses apparentés romans à l'arabe
السَّكِنة es-sékina que le Lisan définit comme suit: السَّكِنة، بكسر الكاف: مقرّ الرأْس من العنق « es-sékina, avec qasra du qaf, logement de la tête sur le cou ». Handhala ben Cherqi alias Abou Attahan parlait de ضَرْبٍ يُزِيلُ الهامَ عن سَكِناتِه « frappes qui ôtent les têtes à leurs es-sékina ».
J'ai déjà démontré, en 2016, que hanche, attribué par Diez au haut allemand, est issu, en vérité, de l'arabe أنقاء anqa1 par le biais du latin barbare ancha2. Et j'ai rappelé, en la circonstance, une partie du substrat arabe dans le vocabulaire anatomique français. Je suis persuadé que la même mythémologie qui a fait de "hanche" un mot d'origine tudesque (alors que mille références, et pas d'aujourd'hui, attestent de l'arabité du mot) tente, cette fois-ci à travers un mot francique signifiant "baguette de bois", de nous persuader que "échine" est également tudesque.
L'on pourrait me dire que le français "échine" et l'arabe "es-sékina" ne sont pas identiques du point de vue sens. Je dirais: ne sont pas identiques non plus raquette et راحة rahat [paume de la main], nuque et نخاع noukhaâ [moelle épinière], focile et مفاصل mafacil [articulations]. Hanche, anqa l'arabe et le ancha latin. Ni même échine (épine dorsale) et l'italien shiena (dos).
L'arabe السَّكِنة es-sékina (composé de l'article "es"[forme contractée de الـ al avant un nom commençant par un "س s"] + سِكْنَةٌ sikna) dérive de la racine trilitère سَكَنَ sakana qui signifie à la fois "loger", "demeurer" et "s'immobiliser". De cette même racine se tire مِسْكِينٌ miskin qui a donné au moyen français meschin (subst.: jeune homme; adj.: pauvre), meschinage (état, service de domestique + prostitution), meschinette et meschine (petite jeune fille, servante, maîtresse ou concubine), d'où mesquin et mesquinerie conservés dans le français moderne.
Et de cette même racine aussi, Bochart3, Muss-Arnolt4 et Pihan5 tirent le grec σκηνή, skènè, et le latin "scaena" dont dérive le français "scène".
A. Amri
02.02.2020
Notes:
1-"Chez les anciens auteurs, أنقاء anqa (pluriel de naqa [ نقا ]), de niqyo [نِقْيُ moelle], semble avoir désigné d'abord, par métonymie, tout os riche en moelle. C'est le premier sens que nous en donne Ibn Sidah [ ابن سيده ] dans Al-Moukassas [المخصص ], son glossaire anatomique (livre I, p. 164). Ensuite, le mot a désigné aussi bien les jambes que les bras, avant d'acquérir le sens exact d'os coxaux (os illiaques). Ibn Sidah nous apprend aussi que le mot a un troisième sens: "terrain sablonneux, accidenté par des monticules de sable". Les affinités sonores du mot avec نقاء/ نقا naqaâ, qui signifie pureté, de même que les associations d'images liées à "moelle/moelleux", ainsi que le sens de dune ou barkhane, pourraient expliquer la prédilection de certains auteurs, poètes surtout, pour ce mot, plutôt que ses synonymes. L'expression que citent de nombreux dictionnaires arabes: كثبان الأنقاء "kuthban al-anqa" (dunes de al-anqa) est, en vérité, la consécration d'un pléonasme métaphorique, devenu expression idiomatique, qui désigne les rondeurs postérieures de la femme, ou ses larges hanches.
2- Pour les lecteurs pressés, la substance de ma recherche est sur le Wikitionnaire, article hanche.
3- Phaleg, 451, in American Philological Association, Transactions and proceedings, Volume 23, Robarts - University of Toronto, 1812, p. 75, note 10.
4- On Semitic Words in Greek and Latin, American Philological Association, 1892, p. 75, note 10 » dans William Muss-Arnolt, A Concise Dictionary of the Assyrian Language, Reuther & Reichard, Berlin, 1905.
5- Glossaire des mots français tirés de l'arabe, du persan et du turc, Paris, 1847, p. 329.
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