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jeudi 24 mars 2022

La Syrie et le « printemps arabe »

 

Début novembre 2004, alors qu'il était reçu par la conseillère à la Sécurité nationale sous le premier mandat de George W. Bush, l’ancien dissident soviétique et sioniste Natan Sharansky a constaté que son livre The Case For Democracy était sur le bureau de Condoleezza Rice. « Savez-vous pourquoi je le lis ? » lui demanda celle-ci. Et sans lui laisser le temps de parler, elle enchaîna : « Parce que le Président a consacré tout le week-end à le lire, et m'a demandé de le lire aussi. Ma fonction veut que j'applique la volonté du Président et que je sache aussi comment le Président pense. »[1]

     En tant que l’une des « Dix têtes du mal » auxquelles l’auteur égyptien Majdi Hussein Kamel a consacré le livre ainsi intitulé[2], Natan Sharansky est l’auteur de prédilection que choyaient Georges W. Bush, ses amis et son administration. C’est à cet apôtre de la démocratie dans le monde arabe que les USA doivent les principes directeurs de ce qu’ils appellent « instabilité constructive ». « Si vous voulez une idée de ma conception de la politique étrangère, disait Busch à ses collaborateurs ainsi qu’à ses intervieweurs, lisez le livre de Nathan Sharansky. Il vous aidera à comprendre beaucoup de décisions qui seront prises ou qui l’ont été. »[3]

     Mais en quoi cet ancien refuznik soviétique devenu « héros juif » en Israël[4] serait-il concerné, et si intéressé, par la démocratisation du monde arabe ? Parce que ce moyen est la « condition indispensable à la signature d’une paix globale au Proche-Orient et à la sécurité du monde »[5]. Après Nicolas Ier, le Tsar russe qui qualifiait au 19e siècle l’empire ottoman d’« homme malade », d’où le coup de grâce qui a achevé cet empire sous la main de la Triple-Entente, l’Occident atlantiste s’est tourné dès le début de ce siècle vers le monde arabe, « homme malade » du 21e, pour l’achever à son tour. L’invasion de l’Irak en 2003 et l’exécution de Saddam Hussein en 2006 étaient le préambule du « wilsonisme botté » marquant les deux premières décennies de ce siècle, lequel wilsonisme n’est que le produit de l’influence néo-conservatrice dont s’inspirent les « Dix têtes du mal » évoquées.       

     L’on pourrait se demander à bon droit pourquoi la Tunisie fut le foyer de ce fameux printemps dont, jusqu’à présent, les seuls bénéficiaires sont Israël, la nébuleuse islamiste transnationale et les pétromonarchies réactionnaires arabes. Les peuples, quant à eux, de l’Euphrate à l’Océan, n’en ont tiré que des déboires.

     En vérité, Ben Ali aurait été dans le collimateur de l’administration américaine depuis 2001, si ce n’est avant. En 1991, quand il a refusé de se faire enrôler dans la coalition dirigée par les USA pour libérer le Koweït, Ben Ali n’était plus déjà dans les bonnes grâces de Bush père. Sous Bush fils, Ben Ali a tendu la main à Bachar el-Assad au moment précis où le Pentagone, en 2001, plaçait au « couloir de la mort » sept Etats arabo-musulmans, dont l’Etat syrien figurant en deuxième position, condamnés à disparaître dans les cinq ans à venir[6]. C’est précisément à partir de cette même année que les relations syro-tunisiennes connurent une relance qui leur donnera jusqu’en 2010 une consolidation sans précédent. En janvier 2001, le Comité supérieur paritaire présidé par Mohamed Ghannouchi et Mohamed Moustapha Mero, chefs de gouvernements tunisien et syrien, avait signé 15 accords bilatéraux et un programme de coopération dans de multiples domaines économiques et sociaux. Les deux parties ont également décidé de booster l'échange commercial pour le faire atteindre le niveau septuplé de 73 millions de dollars au lieu de 11 millions au cours de l'année précédente[7]. Trois mois plus tard, en avril, Bachar el-Assad et la première dame syrienne entament une visite officielle, la première, de deux jours en Tunisie. Elle sera suivie de deux autres au cours de la même décennie, l’une en mai 2004 et l’autre en juillet 2010. Et c’est à partir de la deuxième invitation adressée au couple présidentiel syrien que Ben Ali commença à agacer véritablement les Américains. Pour en comprendre le pourquoi, il suffit de rappeler que cette invitation intervenait dans un contexte historique marqué par de vives tensions entre la Syrie et les USA. Le 3 mai 2003, Colin Powell s’est rendu à Damas pour enjoindre à Bachar de suspendre tout soutien au Hezbollah, de rompre son alliance avec l’Iran et de retirer les troupes syriennes du Liban. Mais le nouveau Lion de Damas, pas moins intransigeant que son père, ne pouvait pas se soumettre à un tel diktat.  Raimbaud souligne à ce propos que « Le refus coupant du président syrien ayant été reçu comme une déclaration de guerre, la contre-attaque américaine survenait en décembre 2003 avec le « Syrian Accountability and Lebanese Sovereignty Recovery Act » marquant l’ouverture des hostilités, un feu vert pour le lancement de « plans » contre la Syrie et le Liban. »[8]

     C’est dire combien, aux yeux de l’administration américaine, l’invitation de Bachar par Ben Ali en 2004 faisait du président tunisien un « allié de l’axe du mal », axe dont la construction conceptuelle, comme tout un chacun le sait, est issue du choc des attentats du 11 septembre 2001. « Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous », disait Bush. Et dans cette logique, Ben Ali allait conforter encore cette perception négative en invitant une 3e fois, en 2010, le président syrien. Cette fois, Ben Ali se permettait même d’humilier sans ménagement les USA, puisqu’il refusa de recevoir l’ambassadeur américain en Tunisie, Gordon Gray, qui voulait lui enjoindre d’annuler cette invitation[9]. Et c’est probablement la goutte qui a fait déborder le vase. Même si la révolte des Tunisiens, déclenchée quelques mois plus tard, semble revêtir un caractère populaire et spontané, la fuite de Ben Ali vers l’Arabie saoudite n’aurait été que la conséquence d’une destitution préparée de longue date par les Américains[10]. 

     Mais la chute de Ben Ali ne marque pas, comme le veut l’opinion communément admise, le début de ce « printemps arabe ». Celui-ci était déjà initié, à mon sens, huit ans plus tôt, par l’exportation vers Bagdad, sur des bombardiers et des chars américains, d’un premier modèle de démocratie « printanière ». Le 5 février 2003, alors que les USA étaient déjà engagés dans la guerre d’Afghanistan, Colin Powell dressa son fameux réquisitoire contre le régime de Saddam. Pendant près d’une heure, il a soutenu à la tribune des Nations-Unies que l’Irak était lié à al-Qaïda et qu’il détenait des armes de destruction massive. Et afin de persuader le monde que ce pays appartenait au même « axe du mal » que les Talibans, le secrétaire d’Etat américain a brandi une fiole supposée contenir de l’anthrax. On devine aisément, à un moment où le syndrome du 11 septembre et des attaques à l’aide de courrier contaminé au bacille de charbon marquait encore les USA, quel effet persuasif était dévolu à cette rhétorique illustrée. Le flacon d’anthrax, c’est un peu le fameux argument de la figue carthaginoise, encore toute fraîche, brandie par Caton l’Ancien pour convaincre le sénat romain de la proximité de l’ennemi, et partant de l’impérieuse nécessité d’engager contre lui la 3e guerre punique[11]. Autant par la virulence des mots que par le recours à cet avatar de figue et figure emblématiques, ce dont Powell voulait persuader l’ONU, et à travers elle la communauté internationale, c’était la justesse d’un casus belli justifiant : « Irak delenda est ! »[12] 

     En juillet 2004, une fois le régime baasiste irakien détruit et alors même que Saddam Hussein était encore en vie, le monde entier apprend, non sans stupéfaction, que l’argument des armes de destruction massive soutenu par l’administration Bush n’était qu’un mensonge inventé de toutes pièces à seule fin de se débarrasser du « dictateur irakien »[13]. Il n’y avait en Irak ni armes chimiques ni armes bactériologiques ni accointance quelconque entre le régime de Saddam et al-Qaïda[14]. Et tout le réquisitoire de Powell contre Saddam, condamné en la circonstance sans appel sur des présomptions, était fondé sur une belle blague, c’est le cas de le dire, brodée par l’un des opposants au régime baasiste. Lorsque l’auteur de ce mensonge, un transfuge ou soi-disant ex-ingénieur chimiste irakien qui s’appelle Rafid Ahmed Alwan al-Janabi, apprendra plus tard que sa fable a fourni aux faucons américains l’épine dorsale du casus belli qu’ils cherchaient, il n’en reviendra pas. Interrogé par le Guardian sur les raisons qui l’avaient incité à inventer cette fable, il dira : « J’avais un problème avec le régime de Saddam. Je voulais qu’on s’en débarrasse et j’avais soudain cette opportunité. »[15]

     Sans doute faut-il souligner ici que le mensonge de Colin Powell n’est ni le premier ni le dernier à avoir servi une guerre impérialiste. Un excellent article d’Ignacio Ramonet, publié au Monde diplomatique de juillet 2003[16], rappelle un nombre indéfini de mensonges d’Etat que les Américains et leurs alliés atlantistes, en parfaits intrigants machiavéliques et mythomanes invétérés, avaient inventés et propagés à des fins bellicistes, soit contre l’Irak, soit ailleurs.  Avant d’évoquer quelques fables du même ordre tissées en vue de faire rééditer le scénario irakien en Syrie, il convient de rappeler qu’à ce propos précis, il y a beaucoup à apprendre dans les ouvrages de Raimbaud, de Guigue, d’Izambert, de Belliot[17], entre autres. Rappelons aussi ce que Roland Dumas révélait en 2013[18] : un plan préparé à Londres dès 2007 et dévoilé quelques mois avant le début de la guerre en Syrie, visant à renverser le régime de Bachar el-Assad. Ci-dessous un extrait de cette révélation : « … des Anglais authentiques, un jour m’ont demandé si j’acceptais de rencontrer des Syriens. J’ai trouvé la question un peu insolite et j’ai voulu en savoir davantage. Je leur ai demandé qui étaient ces Syriens. C’est alors qu’ils m’ont révélé tout de go, sans précautions, qu’il se préparait une action en Syrie, à partir de l’Angleterre, avec des Syriens, des gens du Proche Orient, ils ne m’ont pas dit lesquels, et que cela avait pour but de renverser le régime […]. C’est du reste ce qui s’est produit par la suite. D’autres éléments se sont agrégés à cela, notamment les pays arabes, mais l’objectif était de partir d’un petit groupe, ils avaient tout organisé, y compris le remplacement du président : il y avait là dans la réunion, je n’en ai pas parlé, le remplaçant de Bachar el Assad. C’était un vieux général. Il n’a peut-être pas gardé cette fonction, mais il était présenté comme celui qui devait succéder à Bachar el Assad. Donc c’est parti de ce moment-là, à peu près 6 mois avant le déclenchement des hostilités. »[19]




Ahmed Amri
Extrait de ma postface à Décennie avec le Lion de Damais de Bouthaïna Chaaban, Ed° ITRI, 2022
24. 03. 2022





[1]  مجدي كامل، رؤوس الشر العشرة، دار الكتاب العربي للنشر والتوزيع، 2014، ص. 41-42

[2] Je cite dans l’ordre de leur classement par l’auteur : Zbigniew Brzezinski, Bernard Lewis, Natan Sharansky, Gene Elmer Sharp, Georges Soros, Peter Ackerman, Bernard-Henri Lévy, Robert Stephen Ford, John Negroponte et Anne Woods Patterson. (Opt. cit. pp. 5-6).

[3] Walid Charara, « Instabilité constructive », Le Monde diplomatique, juillet 2005.

[4] Times of Israel Staff, Le « héros juif » Natan Sharansly lauréat du prix Genesis 2020, 10. 12. 2019.

[5] Walid Charara, opt. cit.

[6] Cet arrêt de politicide a été révélé, le 3 octobre 2007, par Wesly Clark, ancien Commandant en chef des forces de l’OTAN en Yougoslavie, qui en fut informé au Pentagone, quelques jours après les attaques du 11 septembre 2001.

https://www.youtube.com/watch?v=vE4DgsCqP8U

[7] صلاح الدين الجورشي، سوريا تعزز علاقاتها مع المغرب العربي، 13 ابريل 2001، https://www.swissinfo.ch/ara/

[8] Plutôt une guerre sans fin qu’une fin de la guerre [Visioconférence], 26 mars 2021, sur www.institutschiller.org

[9] « La visite de Bachar en Tunisie avait précipité la chute de Ben Ali ? », 11 mars 2016, sur ce lien : https://www.tunisie-secret.com/La-visite-de-Bachar-en-Tunisie-avait-precipite-la-chute-de-Ben-Ali_a1556.html

[10] Pauline Tissot, Les Etats-Unis ont-ils joué un rôle dans le départ de Ben Ali?, L'Express, 24. 01. 2011.

[11] « Répondez [dit-il aux sénateurs romains] : depuis quand cette figue vous paraît-elle cueillie ? Tous s'accordèrent à dire qu'elle était fraîche. - Eh bien ! reprit-il, sachez qu'il y a trois jours elle était encore sur l'arbre à Carthage : tant nous avons l'ennemi près de nos murs ! » (Pline l'Ancien, Morceaux choisis extraits de l'histoire naturelle, Vol. 1, Paris, 1809, pp. 439-441)

[12] Le 6 février 2005, soit le lendemain de ce réquisitoire contre Saddam, Dominique Jung, rédacteur en chef des Dernières Nouvelles d'Alsace, écrit : « … l'objectif des Etats-Unis était-il vraiment d'apporter la preuve recherchée en vain, sur le terrain, par des équipes d'experts qui ne cessent de s'étoffer ? N'était-ce pas plutôt de redire - images et sons à l'appui - que l'Oncle Sam est décidé à régler son compte à Saddam ? Colin Powell était hier dans la robe d'un procureur qui, fort de son intime conviction, met toute son éloquence au service de son réquisitoire, afin d'obtenir la peine maximum contre l'accusé. »   

https://www.nouvelobs.com/monde/20030206.OBS6416/revue-de-presse.html

[14] Est-il besoin de rappeler que cette organisation est sortie des entrailles de la CIA, financée, armée et entraînée pour servir d’abord les fins géopolitiques étasuniennes dans la guerre froide contre l’URSS ? Al-Qaïda n’est en l’occurrence qu’un « monstre de Frankenstein » qui s’est retourné contre son créateur. 

[15] L'Irakien dont le mensonge a déclenché la guerre en Irak, Slate.fr, 15 février 2011.

[16] Mensonges d’État, Le Monde diplomatique, juillet 2003.

https://www.monde-diplomatique.fr/2003/07/RAMONET/10193

[17] Pour Raimbaud:  Les Guerres de Syrie : Essai historique, Glyphe, 2020 ; حروب سورية، وزارة الثقافة السورية، 2020 ; « Tempête sur le Grand Moyen-Orient », Ellipses, 2015-2017. Pour Guigue : Chroniques de l'impérialisme et de ceux qui lui résistent (2013-2017), Éditions Delga, 2017 ; وقائع الإمبريالية والمقاومة، نشر المعهد التونسي للعلاقات الدولية، 2018. Pour Izambert : 56 - Tome 1 : L'État français complice de groupes criminels, IS Edition, 2015 ; Trump face à l’Europe : Peut-on éviter une nouvelle guerre mondiale ? IS Edition ; 2017. Pour Belliot : Guerre en Syrie, ITRI, 2017

[18] A travers son livre Dans l'œil du minotaure : le labyrinthe de mes vies (Ed° Cherche midi, 2013) ainsi que de nombreuses déclarations mises en ligne ; voir :

- https://www.youtube.com/watch?v=BH9SHxetO1I

- Entretien avec Roland Dumas sur la crise syrienne et la politique étrangère de la France, Observatoire Des Mensonges d’Etat, agorx.fr/ ; 24 février 2014.

mardi 11 novembre 2014

Marzouki tel que j'ai connu - Par Ahmed Manai

Dr Ahmed Manai se passe de présentation pour ceux qui ont vécu les années de braises tunisiennes, ou en savent l'histoire. Mais s'il faut le présenter quand même, et de façon succincte pour introduire le témoignage ci-dessous, nous dirons que cet agronome et expert international auprès de l'ONU est le premier opposant déclaré de Ben Ali. Pour s'être présenté aux élections d'avril 1989 et avoir transgressé un tel tabou politique, il était devenu l'ennemi public numéro 1 du dictateur déchu. Torturé, emprisonné, traqué en exil, tabassé à maintes reprises par les sbires du palais de Carthage, menacé de mort lui et sa famille, en janvier 1993 il a créé avec Mondher Sfar le Comité tunisien d'appel à la démission de Ben Ali. Un an plus tard, il a publié Supplice Tunisien - Le jardin secret du général Ben Ali, livre dans lequel il a dénoncé la torture et les persécutions ciblant les opposants au dictateur.

Le témoignage ci-dessous, qui paraitra en arabe au journal Akhbaraljoumhouria le vendredi 11 novembre 2014, tout en rappelant les circonstances dans lesquelles Manai a pu connaître de près Marzouki, éclaire la personnalité pour le moins paranoïaque de ce dernier.

Merci à mon ami Dr Ahmed Manaï de m'avoir accordé l'exclusivité de sa publication et sa traduction en français sur ce blog.



Au mois d'octobre 1981, l'ami Dr Abdelhamid Hachem, nommé  Chef du Département de Chirurgie Orthopédique à la Faculté de Médecine de Monastir, m'a rendu visite à ma maison à Ouardanine. Je m'occupais alors des prisonniers du mouvement  de la Tendance Islamique (ndt: acuelle Ennhdha) et je militais activement pour leur défense avec feus Dr Hammadi Farhat, Ali Arnaout et Taieb Kacem.

J'ai demandé à Taieb Kacem s'il connaissait personnellement parmi ses amis quelqu'un pouvant nous aider dans ce qui nous préoccupait. Il m'a recommandé Dr Moncef Marzouki et m'a conseillé de le contacter de sa part. J'ai agi en conséquence et j'ai rencontré Marzouki à la plage Boujaâfar à Sousse.
Nous nous sommes assis pour plus d'une heure; et alors que je lui expliquais l'affaire des détenus et les problèmes de leurs familles, l'homme était absorbé par ses méditations, la face tournée à la mer, à peine conscient de ma présence. Puis, subitement, lui ayant dit que j'allais bientôt partir au Maroc où je travaillais à la B.I (Banque Internationale), il s'est tourné vers moi et m'a dit que son père vivait au Maroc. Puis il m'a demandé si je pouvais lui rendre visite à Marrakech pour lui transmettre une lettre, ce que j'ai accepté.

Tout au long de la décennie des années 80, nous ne nous sommes pas rencontrés beaucoup, deux ou trois fois tout au plus, qui ne m'ont pas permis de garder de lui de bonnes impressions. C'était un homme hautain, grossier, dont le visage ne savait jamais sourire.
En avril 1991, j'ai été arrêté au ministère de l'intérieur et ma famille est restée plusieurs jours dans l'ignorance de mon sort. Ma femme Malika a alors contacté Marzouki en sa qualité de président de la LDH (Ligue des droits de l'homme) et ancien ami. Elle lui a demandé de s'enquérir seulement si j'étais vivant ou mort. Il lui a répondu qu'il y avait des centaines de cas, voire des milliers, comme moi et qu'il ne pouvait rien faire.
Après avoir quitté la Tunisie fin mai, je l'ai rencontré à Paris le 15 juin 1991, en marge d'un colloque organisé au siège de l'Unesco. Il devait y faire une allocution mais il y a renoncé. Et il a refusé de m'adresser même la parole.
Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois par la suite. Dans un symposium organisé par le CEDETIM (Centre d'études et d'initiatives de solidarité internationale), dans un autre organisé par moi personnellement au lendemain de l'annonce de sa candidature pour la présidentielle de 1994. Et j'ai saisi cette occasion pour déclarer mon désistement en sa faveur, comme je l'avais annoncé au mois d'août 1993.
Quand il fut arrêté après son retour en Tunisie,  je crois m'être acquitté de mon devoir de soutien et de sensibilisation à sa cause, moi, feu Ali Saïdi et Mondher Sfar. Nous avons constitué un comité de soutien et dénoncé sa persécution et la persécution de toutes les parties libres. Nous avons fait agir plusieurs organisations des droits de l'homme pour le soutenir et mobilisé beaucoup de journalistes pour faire connaître sa cause. Le défunt Ali Saïdi surtout n'a pas manqué de faire des communiqués chaque fois qu'il apprenait que quelqu'un a harcelé Marzouki au souk ou lui a fait un clin d’œil, ou même qu'un moustique l'a piqué !

Dans les années 1990, il ne se passait pas une semaine sans que je ne téléphone à Marzouki, sachant l'isolement mortel dans lequel il vivait. Quand son téléphone ne répondait pas, c'était à son frère Mokhles que je téléphonais. En contrepartie, jamais une fois il ne m'a téléphoné, pas même quand on m'a agressé le 29 février 1996 et le 14 mars 1997. Il ne m'a même pas contacté pour une simple consolation. L'un de ses partisans devenu plus tard son conseiller m'a appris qu'il lui serait difficile de me téléphoner. Je ne lui en ai pas voulu pour autant et j'ai continué de lui téléphoner et de le rencontrer chaque fois qu'il venait à Paris. En 1999, il a assisté au mariage de mon fils Badis. Et je l'ai présenté à toutes mes connaissances, arabes ou non arabes, comme le candidat de l'opposition aux élections présidentielles.

A la fin de l'année 2000, il m'a envoyé un livre manuscrit et m'a demandé de lui trouver un éditeur. Je m'étais démené à chercher durant un an cet éditeur mais sans succès.
Le 3 janvier 2001, je l'ai contacté par téléphone pour le mettre au courant de ce qui se passait en Tunisie, en particulier les protestations estudiantines dont il ne savait rien. Ce jour-là, il m'a confié quelque chose de bizarre. Il m'a dit que c'était le jour le plus heureux dans sa vie car l'un de ses ex-étudiants l'a contacté et lui a exprimé sa solidarité suite à la mesure arbitraire prise par le gouvernement contre lui. Plus d'un quart de siècle d'enseignement à la faculté de médecine, des centaines de médecins diplômés formés par lui, et un seul lui exprime son soutien !

Je lui ai écrit à plusieurs reprises pour le conseiller en particulier au sujet de son appel à changer le drapeau national, à transférer le siège de la capitale de Tunis à Kairouan et d'autres galéjades sur lesquelles il a fondé son programme politique.
A sa venue à Paris à la fin de 2001, quand bien même j'étais fraichement opéré j'ai été à son accueil à l'aéroport. Et je ne saurais dire tout ce que j'ai fait pour lui car je considère ces actions faites pour notre cause commune.

Trois mois après son arrivé à Paris, Moncef Marzouki s'est envolé à Washington mais en est revenu déçu. A l'époque, les Américains étaient encore satisfaits de Ben Ali et, dans tous les cas, ne pariaient pas sur Marzouki.
En 2003, un colloque s'est organisé à Aix-en-Provence avec la participation de nombreuses composantes de l'opposition tunisienne. Le colloque était parrainé par une organisation chrétienne, à l'exemple de ce qui s'était produit à Rome avec l'opposition algérienne en 1995. Mais le vrai parrain était en fait les Renseignements français qui ont pris en main la restructuration de l'opposition tunisienne. On visait d'abord à faire sortir de son isolement le mouvement Ennahdha pour l'intégrer aux autres factions. Et nommer ensuite à la tête de cette opposition Marzouki. Le colloque a duré trois jours au cours desquels on a délibéré, discuté, manœuvré, puis s'est couronné par une déclaration finale. Toutefois, Ben Jaâfar a refusé de la signer car il ambitionnait lui aussi la présidence et avait peur de la réaction du régime à son retour.
En 2008, Marzouki a signé une lettre adressée à Obama, rédigée par Radhouan Masmoudi,  demandant à l'administration américaine d'intervenir dans le monde arabe pour y instaurer la démocratie.   Cet appel initiait les préparatifs de  ce qui sera appelé le printemps arabe, coïncidant avec l'année où la chaine de télévision Al-Jazeera a ouvert ses portes pour embaucher pêle-mêle les partisans d'Ennahdha.

J'ai rompu tout contact avec Marzouki depuis 2003, et ce pour ses agissements inconsidérés, sa langue de vipère, son égoïsme et son narcissisme outré. De ses innombrables attitudes répréhensibles, je vais citer deux seulement.
La première, c'était après l'avoir reçu à l'aéroport. Nous avons convenu d'un rendez-vous pour lui présenter une amie algérienne, professeure d'économie dans une université parisienne et militante au sein du FFSA (Front des forces socialistes algériennes). Marzouki est arrivé au rendez-vous. Je l'ai salué et prié de s'assoir. Mais il est resté debout. Puis mettant à plat ses mains sur la table, il m'a dit à brûle-pourpoint:" allons, viens avec moi !"
- Où aller, lui dis-je, alors que nous sommes en rendez-vous avec la dame?" Celle-ci était assise à une table voisine.
- Tu vas venir avec moi vers le CPR (Congrès pour la république)".
Très désappointé, je lui ai lancé:" même si tu étais venu pour braconner une prostituée, tu devrais traiter celle-ci avec respect."
Il est parti sur-le-champ alors que je lui rappelais notre rendez-vous avec la dame.
La deuxième, c'était au cours d'un colloque organisé au début de l'année 2003 à Paris. A la fin de la séance matinale, les participants ont quitté la salle des travaux pour le restaurant. Alors que je tenais mon plateau et cherchais une chaise vide, j'en ai vu une à la table occupée par Marzouki. C'était juste en face de lui et j'ai dû y aller m'assoir à contrecœur. Je l'ai salué et nous avons commencé à parler de la situation en Tunisie. A un moment donné, nous avons évoqué la sécurité. Et parlant de la police politique, il s'est mis à baver et postillonner.
Je lui ai dit en toute politesse:" Si Moncef, la sécurité est indispensable dans toute société et sous n'importe quel régime." Il a quitté alors sa chaise, furieux, pris son plateau et est allé s'assoir à une autre table en me disant, rageur: " puisque tu aimes la sécurité, reste là avec ta sécurité !"
Sans doute certains se souviennent-ils comment, le 1er janvier 2012, il a présenté ses vœux de chef d'Etat à tous les corps civils et militaires mais omis le corps sécuritaire. Le lendemain, il a été contraint de se rattraper suite à la vague de protestations.
J'ai tenté, pendant des années, d'inciter Marzouki au dialogue sérieux concernant l'alternative qu'il envisage et de le prévenir contre le danger de penser et d’œuvrer à faire tomber le régime et causer un vide constitutionnel faute d'alternative prête et capable d'assumer les charges de l'Etat. Mais il est resté fidèle à son tempérament turbulent et sa nature révolutionniste, rôle dont il maîtrise le jeu.
Je me suis habitué à ne garder de ceux que j'ai connus, y compris ceux qui m’ont fait du mal, que le bon côté. Mais je suis incapable de trouver ce bon côté chez lui. En lui je n'ai trouvé que l'ingratitude, l'égoïsme, l'arrogance, la langue vipérine et le mensonge.
Parmi ses mensonges, ce qu'il a répandu lui et ses nervis sur moi et mon fils dans son livre noir, en prétendant s'appuyer sur les archives de l'ATCE (Agence Tunisienne de Communication Extérieure).
Je dédie ce papier à certains de ses camarades du parti, de ceux qui sont devenus ministres et conseillers dans son Etat et qui venaient me voir pour se plaindre de leur président, de sa mauvaise conduite à leur égard, ce qui a fait que 4 fondateurs seulement sont restés en 2011 des 31 que comptait le parti à sa fondation en 2001.

dimanche 7 avril 2013

Il se révolte, ou pas, le peuple syrien?

Réagissant à mon papier Les Frères Musulmans et l'inconséquence bahreïnie Farah Khaled (Facebook) écrit: "en Syrie c'est le mégavolt du courant wahabiste et son colt qui se révoltent surtout, et non pas le peuple syrien." Ah donc le peuple syrien ne se révolte pas?

Les peuples qui se révoltent, et se révoltent dignement, et fièrement peuvent faire valoir la légitimité de leurs revendications révolutionnaires, nous les avons vus en Tunisie, en Égypte, au Yémen puis au Bahreïn. Lutte pacifique, lutte ardue, mais civile jusqu'au bout. En Tunisie, notre révolution a pris naissance dans le Bassin minier en 2008, six mois de combat continu. Puis nous l'avons reprise à Ben Guerdane. Tout un mois, ou presque. Puis avec la mort de Bouazizi, c'est tout le pays qui s'est embrasé.
Voila un bel exemple de révolution. Et ça continue! n'allez pas croire que le peuple va s'aplatir, si certains le préfèrent mieux aplati que debout. Pareil pour les Égyptiens. Les Yéménites idem.

A part ces peuples, pour les deux déjà "libérés" à la faveur des chars et des avions atlantistes, et le troisième qu'on compte libérer grâce au colt wahabiste, pour l'essentiel- le jeu ne se joue pas au cœur du pays mais au cœur des cupides, des cartes géopolitiques, des mégalos, des obscurantistes alliés avec le diable, des sionistes qui visent Hezbollah et l'Iran.

Nous avons vu de bels exemples "libérateurs" au passé: l'Irak, ensuite la Libye. Nous voyons se rééditer le même scénario, la même réplique, en Syrie, depuis que les armes, et les jihadistes de tout bord ont pris possession des règles du jeu.


Pendant plus d'un an et demi les Yéménites ont payé chaque jour la rançon de la résistance passive, sans jamais recourir aux armes. Pas une seule balle, pas un seul sabre, pas un bâton n'ont été utilisés par ce brave peuple qui, des premières heures de sa révolution à ce jour, dit répète et prouve que sa révolution est pacifiste, civile, et elle le restera. Et pourtant c'est le peuple le plus armé au monde, autant aux plans individuel, familial que tribal.
En Tunisie, pas une seule goutte de sang n'a été répandue par le peuple qui a consenti plus de 300 vies humaines. En Égypte c'est pareil.

En Syrie et en Libye, -sauf votre respect- il n'y a que les cons (tombés dans le piège à cons) qui soutiennent encore ce qu'on appelle pompeusement "révolutions".
Otage des pays qui l'ont "libérée", détruite par une guerre civile, minée pour d'autres guerres tribales chez elle comme sur ses frontières, chez nous,en Algérie, ou au sud, la Libye mettra peut-être un siècle pour seulement récupérer ce qu'elle a perdu (l'infrastructure économique et le noyau d’État que représentait malgré son pouvoir dictatorial Kaddhafi. Et quand je dis "un siècle", je fais preuve de beaucoup d'optimisme.

En Syrie, si jamais les hordes islamistes arrivent à bout de Bashar qui a derrière lui l'armée, les communautés de diverses confessions non sunnites et non arabes, la majorité sunnite (même si les médias engagés dans la guerre contre le régime telle Aljazeera brouillent à ce propos, et c'est naturel, les données) et bientôt tout le peuple laminé par cette guerre qui détruit le vert, la pierre, la civilisation, le religieux, la morale et tout, si jamais les islamistes réussissent une telle gageure, ce sera une Syrie en poussière et pierres, pierres concassées, graviers, épaves de bâtiments, d'usines et de voitures, ferrailles et dunes de sables, désert pareil à ceux de Qatar et d'Arabie, ce sera cette Syrie-là qu'ils se réjouiront de se mettre sous la main.


Dans tel cas, dites-moi qui profiterait de la prétendue liberté que réclame le peuple syrien? La pierre? La poussière? La ferraille? ou Israël qui lorgne de ce côté-là, précisément, et voudrait que l'incendie brûle encore le Liban? Et puis après le Liban c'est à qui le tour? L'Iran n'est-ce pas? Mais pour le bonheur de qui? des Arabes sunnites qui tremblent de la puissance de tir nucléaire iranienne alors que les milliers de têtes nucléaires israéliennes sont pendues comme l'épée de Damoclès par dessus leurs têtes?
De 1948 à ce jour (et Deir Yassine -pour le souvenir c'est le 9 avril, la journée de nos martyrs) quelle armée arabe a-t-elle pu faire ce que Nasrallah et les chiites du sud de Liban ont fait? Quelle armée arabe a-t-elle permis aux Tunisiens de rapatrier les dépouilles de leurs martyrs tombés en Palestine? Quelle est l'armée arabe qui, disposant seulement de quelques poignées de maquisards bien aguerris et ayant le meilleur chef militaire et politique au monde, en l’occurrence Nasrallah, a offert aux Arabes et aux musulmans la plus belle victoire contre la 5e armée la plus puissante du monde? alors que Beyrouth et le sud, pendant 40 jours étaient sous les bombes des chasseurs israéliens, avec leurs roquettes et mitraillettes, sans chars ni avions, les résistants libanais ont ébloui le monde entier.
De l'aveu même des Israéliens, et c'est vérifiable sur le web, si les sionistes avaient un chef comme Nasrallah ils pourraient conquérir le monde entier.

Pourquoi je parle de Nasrallah alors que je devais parler de la Syrie?
Parce que le cœur du problème est ce bastion libanais inviolable! parce que les cons qui ne crèvent pas pour la Palestine (mais pour Israël) ne veulent pas comprendre!
Ou alors dis-moi, est-ce que l'Arabie, le Qatar et Compagnie sont plus libres que la Syrie? Plus cultivés? Plus civilisés? Plus rayonnants au monde?
Le Qatar qui n'a qu'un seul poète, il y a à peine un an il l'a jeté en prison, condamné à perpétuité. Et il a fallu qu'on crie au scandale en Europe, pour que l'émir qatarien ramène la peine à 15 ans de prison.
Pour quel motif ce poète a-t-il été jeté en prison? Pour avoir "fait l'apologie de la révolution tunisienne et incité les qatariens à la suivre"!

Est-ce que ces jihadistes enthousiastes pour la libération de la Syrie n'auraient pas mieux fait de libérer d'abord la péninsule arabe, la libérer des porcs qui la souillent, asservissent ses peuples, et nuisent considérablement à notre révolution et notre pays, qui veulent les rendre tout aussi obscurcis  qu'eux?

Peut-être l'Arabie vous offrirait-elle de meilleurs exemples de libertés, de démocratie que moi-même je ne vois pas? Dites-les moi. La femme qui n'a pas le droit de conduire; mais ça c'est rien! me diriez-vous, soit! c'est rien. La fillette qui n'a pas le droit de vivre son enfance, mariée en deçà des 10 ans? mais ça c'est rien! La jeune fille et la femme qui n''ont pas le droit de naviguer sur Internet? mais ça c'est rien! La femme qui n'a pas le droit d'écrire ni de penser(*)? mais ça c'est des foutaises! la femme et l'homme qui ne savent pas ce qu'est un bulletin de vote? Tout ça c'est rien.

Alors c'est quoi la liberté? jouir de tout ce que les fatwas de niqah autorisent et dire hamdoullah!
Hamdoullah que nous puissions êtres tout aussi heureux et jouissifs que nos chameaux?

Si je divague, si je me trompe, corrigez-moi.




George Galloway clashant un journaliste islamiste


A. Amri
07.04.2013

Notes:

1-
Balkis Al-Moulhem, 35 ans, saoudienne, enseignait et écrivait


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