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lundi 5 mars 2018

Chroniques de l'impérialisme et de la résistance: préface de la version arabe (traduction)



L'Institut tunisien des relations internationales (ITRI) va sortir bientôt Chroniques de l’impérialisme et de la résistance, en version arabe (وقائع الإمبريالية والمقاومة). Il s'agit d'une belle anthologie d'articles de combat écrits par Bruno Guigue et traduits par Ali Ibrahim. Notre ami Dr Ahmed Manaï m'a très honoré en me confiant la signature de la préface. Dont je livre ci-dessous (pour Bruno et ses amis non arabophones) la traduction.


« Nous apprécions à juste titre ces voix libres et intrépides qui s’élèvent en France et ailleurs, dont celle du sous-préfet de Saintes. Et nous voudrions que les Arabes et les musulmans ouvrent les bras à ces voix, leur rendent l’hommage et l’estime mérités, et qu’ils œuvrent en même temps à se transformer eux-mêmes en force qui empêche l’Autre de les faire chanter ou leur faire du mal. »
[1]
                                       Mohammad Hussein Fadlallah, Beyrouth, 30 mars 2008                              
                          



A travers la présente édition des Chroniques de l’impérialisme et de la résistance en version arabe, l’Institut tunisien des relations internationales (ITRI) voudrait donner une poignée de main fraternelle à un intellectuel français de grande stature, une figure imposante de la lutte contre l’impérialisme et le sionisme. Cette poignée de main, et nous ne le dirons jamais assez, quelles que soient sa portée symbolique et la tournure des phrases qui veuillent la présenter ici, ne peut traduire à souhait la profonde gratitude dont nous sommes redevables à cet homme. « Nous », ce sont tous les Arabes et les musulmans conscients de la face cachée des conflits sur leur terre ainsi que dans le reste du monde, et ayant connu à travers ses écrits et positions Bruno Guigue, l’auteur de cette remarquable anthologie d’articles ici traduits.


Bruno Guigue a commencé son parcours d’écrivain depuis plus d’une vingtaine d’années, plus précisément au lendemain de la chute du mur de Berlin. Auteur engagé soutenant sans relâche les justes causes des peuples, il incarne à bon droit l’honneur français, la conscience rebelle d’une grande nation desservie par ses dirigeants, la voix libre qui, est-il besoin de le dire, fait défaut à la France officielle. Guigue est bien cela, sans fioriture aucune, qui a choisi de se positionner dès le départ à contre-courant de l’idéologie dominante, le bourrage de crâne impérialiste, la bien-pensance et les résistances doxiques d’un Occident imbu de sa civilisation ethnocentriste et de son mythe de monde libre. Sans tenir compte ni de l’inconfort d’un tel choix pour sa condition intellectuelle, ni –le moment venu- des éventuelles incidences, et non des moindres, sur sa condition de haut fonctionnaire d’Etat. Dès les primeurs de ses publications[2], tout en œuvrant à démonter la machine à décerveler des missionnaires du nouvel ordre mondial[3], il a fait de la cause palestinienne et des complots impérialistes ciblant le monde arabe l’axe principal de ses écrits. Et en dépit du lobby sioniste implanté à plus d’un niveau en France et en Occident en général, de ses pressions continuelles en vue d’empêcher la propagation de la pensée qui lui est hostile, et du vil chantage à l’antisémitisme[4], Guigue ne s’est pas écarté d’un iota de son engagement pour cette cause, restant incessamment debout, incessamment intègre, pour lutter avec honneur et vaillance contre les manipulations de l’establishment en Occident et l’imposture médiatique de la machine sioniste.                                                                                            



Rien d’étonnant, dès lors, à ce que cette machine s’évertue à marquer de la « lettre écarlate », dans son sens revu et mis à jour[5], Bruno Guigue. Comme elle l’a fait d’ailleurs, et ne cesse de le faire, à l’encontre de nombreux symboles de l’activisme et de la pensée antisionistes en Occident, en guise de châtiment frappant l’offense suprême des temps modernes, en l’occurrence le « blasphème » contre le sionisme. Quand nous disons « blasphème », il ne faut pas perdre de vue tous les supposés de ce mot tels qu’« impiété », « sacrilège », « profanation », etc., sachant que « antisionisme », dans l’usage courant des chiens de garde sionistes et des médias de manipulation et d’imposture qui leur sont dévoués, est devenu synonyme d’antisémitisme[6]. Et  comme cela se passait au tristement célèbre âge d’or du puritanisme, quand, en 2008, dans un pays qui se targue d’appartenir au « Monde libre » et ne manque jamais le coche pour faire la leçon à tel ou tel bled péchant à l’endroit de la liberté d’expression ou tout autre droit humain, Bruno Guigue a été démis de sa fonction de sous-préfet, cette sanction injuste, et indiscutablement arbitraire,[7] n’est plus ni moins qu’une incarnation du néopuritanisme qui s’est propagé en Occident depuis que la critique d’Israël est devenue le péché capital suprême.[8]   
                                      
Nous citons ci-dessous un extrait du texte publié par Bruno Guigue un mois à peu près après son éviction. Le lecteur averti ne manquera pas de capter à travers le non-dit la nausée de l’intellectuel et le cri percutant de sa révolte face à l’injustice discriminatoire, le deux poids-deux mesures incessamment dénoncé et toujours prévalent.
« [...]Au lieu de réfuter mes affirmations de manière factuelle, mes détracteurs préfèrent ainsi jeter l’anathème[...]Mea culpa : j’avais oublié que les comparaisons les plus désobligeantes, aux yeux de l’establishment hexagonal, sont interdites à propos d’Israël mais vivement recommandées à l’égard des pays du « Tiers Monde ». Mon principal tort, plus que d’avoir enfreint le devoir de réserve, n’est-il pas d’avoir heurté de plein fouet la doxa occidentale ? Après avoir mis en lumière le déni de réalité dont le discours dominant entoure les exactions israéliennes, il faut croire que c’en était trop. À mes dépens, j’ai fait la démonstration que la frontière entre ce qu’il est licite de dire et ce qui ne l’est pas, dans notre pays, n’a rien à voir avec le vrai et le faux. »[9]

Sur son blog en date du 8 octobre 2010, l’auteur de cette préface s’est demandé s’il fallait pendre ces intellectuels –dont Guigue- qui « n’endossent pas le prêt-à-penser sioniste », et ce, d’une part en raison du danger que représente leur pensée pour le sionisme, et partant l’entité sioniste elle-même, et d’autre part en raison du balai qui se retourne contre les apprentis-sorciers chaque fois que ceux-ci tentent d’exorciser l’irréductible pensée de ces intellectuels. « A un moment où les fédayins semblent pour la plupart sous terre ou sous les verrous, écrit-il, et la résistance armée palestinienne paraît neutralisée ou dissoute d'elle-même, le danger immédiat qui menace le plus les sionistes n'est plus tout à fait à l'intérieur de la Palestine occupée mais sur les frontières et au-delà. Certes, on lorgne incessamment du côté du Liban et, plus loin, de l'Iran dont la menace hante de façon obsessionnelle Israël. Mais on s'inquiète aussi de ces voix qui montent des pays amis. Le vent de la « sédition intellectuelle » qui souffle du Nord, faisant vaciller des mythes qu'on croyait inébranlables et menaçant de se muer en une véritable révolution culturelle se propageant dans le monde entier, est actuellement ce qui terrifie le plus les sionistes. »[10]

En vérité, Bruno Guigue a été sanctionné parce que sa voix, justement, participe de la « montée des périls » qui s’annonce en Occident, du cauchemar qui hante de plus en plus Israël. Quoique banni des médias « mainstream », et pour cause ! Guigue a déjà produit un « déclic de neurones » dans la conscience que les thuriféraires du sionisme veulent maintenir constamment tétanisée, à jamais otage des rentiers de l’holocauste et de l’antisémitisme en toc. Dans le cerveau continental, voire universel, tantôt aveuglément pro-israélien, tantôt totalement apolitisé en matière de questions proche-orientales, les écrits de Guigue ont incontestablement transpercé une barrière de séparation (pas moins bétonnée que le mur ségréga-sioniste en Palestine occupée). Et là où cette voix a pu parvenir, elle a incontestablement contribué non seulement à faire vaciller les mythes fondateurs de l’entité sioniste, dont le hocus pocus « antisémitisme » prononcé en tout lieu contre quiconque ose critiquer Israël, mais aussi et surtout à créer une nouvelle conscience révolutionnaire, à l’intérieur comme à l’extérieur de la France, dans la lutte des peuples pour un monde alternatif.


Dans cette lutte précisément, combien de plumes fourvoyées, ou fourvoyantes, se sont fait, chez nous ou en Occident, la tribune tonitruante de la pseudo-révolution syrienne ! Que n’a-t-on pas dit en guise de soutien au « vaillant peuple » soulevé d’un « seul bloc » contre le « méchant dictateur » ? Combien d’« amis de Syrie», au monde arabe et ailleurs, ont contribué à répandre ce monument d'imposture et d'ignominie[11], alors qu’ils savaient pertinemment que les pseudo-révolutionnaires de Syrie sont en fait les hordes mercenaires de la barbarie obscurantiste, des terroristes originaires de pas moins de 110 pays et répartis sur des centaines de groupuscules, tous, de Daesh à al-Nosra en passant par Ansar al-Charia, Jaich al-Fateh, Jund al Malahim, etc. frères de lait wahhabite. Et qui sont les apôtres, les mécènes, les promoteurs généreux de ces couteaux sacrés chargés de répandre au Cham la liberté et la démocratie? Voilà une question à laquelle nos voix amies de la Syrie ne sauraient assez répondre de gaieté de coeur.
Bruno Guigue

En vérité, si ces couteaux et les voix arabes qui les aiguisent avaient un atome d'intelligence, ils auraient compris de longue date qu'une "révolution" soutenue par les USA et Israël
[12] ne pourrait faire augurer rien de bon ni aux Syriens ni au reste des Arabes et des musulmans. Le seul bénéficiaire de tant de sang arabe répandu (pour n'évoquer que tel aspect), est, hélas, Israël, le pyromane qui rêve de voir tous ses voisins à feu et à sang, et pour cent ans si possible.  
             
Parce que, à ce propos aussi, Bruno Guigue n’a pas failli un moment à son soutien des justes causes de nos peuples,  qui n’a jamais dissocié ce qui se passe en Syrie de ce qui se mijote dans la cuisine commune de Washington et Tel-Aviv, qu’il n’a cessé de souligner l’intime rapport entre l’avenir de la Syrie et celui de la Palestine[13], nous ne dirons jamais assez l’importance du rôle qu’il a joué pour éclairer l’opinion, tant à l’intérieur de son propre pays qu’à l’extérieur, dans le monde francophone mais aussi, grâce à une pléiade[14] de traducteurs et –sans exagération aucune- une myriade de relais sur Internet, dans le reste  du monde.  
                    
A l’heure où nous rédigeons cette préface, nous apprenons que Bruno Guigue sera à Tunis, du 19 au 21 décembre 2018, sur invitation du Front Populaire. Nous ne pouvons qu’applaudir, en tant que forces progressistes d’un pays arabe, l’initiative prise par les militants du F.P. Et nous souhaitons que d’autres instances nationales, politiques, civiles, culturelles ou universitaires, invitent à leur tour cet intellectuel et lui rendent l’hommage qu’il mérite. Et tant pis pour les « amis de la Syrie », d’ici et d’ailleurs, et les cafards des BNVC, d’ailleurs et –éventuellement, sait-on jamais, d’ici aussi, s’ils trouvent de mauvais aloi cet appel ! A ceux-là nous voudrions dire haut: allez boire de l’eau de mer ! Bruno Guigue est notre voix, notre ambassadeur dans chaque tribune qui fasse écho à sa voix, notre conscience vivante et irréductible. De même qu’il est le cri incoercible de tous les indignés de la terre. Face aux jougs de l’exploitation, de l’impérialisme, de la culture déshumanisante et du mensonge d’où qu’il vienne.                            


Ali Ibrahim
Pour conclure, nous adressons nos plus vifs remerciements à M. Ali Ibrahim qui a traduit ces articles dans un arabe à la fois standard et châtié, n’enviant rien à l’éloquence du texte original. En vérité, ce traducteur syrien talentueux a réalisé un double exploit : il a traduit Guigue sans le moins du monde le trahir. Et d’une. Et de deux : il a su conserver intact l’aspect formel, stylistique et esthétique, du texte original. Et c’est une chose qui n’est pas toujours aisée -c’est le moins qu’on puisse en dire. D’autant que ce passeur de lumière, lui-même engagé dans la résistance de son peuple, n’a pas le loisir de prendre son temps. Ce qu’il fait depuis sa première traduction de Guigue, c’est un peu le travail d’un « correspondant de guerre » sur le front guiguien. De la traduction immédiate. Mais de bonne qualité. Ainsi a-t-il permis au lecteur arabophone de suivre avec bonheur les articles de Guigue au fur et à mesure de leur parution.   
                  
Ali Ibrahim est un universitaire et activiste syrien titulaire d’une licence ès langue et littérature françaises de Tishreen University (Université d’Octobre) à Lattaquié. Il a traduit de nombreux articles d’auteurs d’expression française et anglaise, dont le thème principal s’articule autour de la guerre en Syrie.  Ces traductions sont publiées sur le site orhay.net et sur sa page Facebook.

Ahmed Amri
5 mars 2018




[2] - Aux origines du conflit israélo-arabe : l'invisible remords de l'Occident, 1998-1999-2002
   -  Faut-il brûler Lénine ?, 2001
   -  Proche-Orient : la guerre des mots, 2003

[3] Son titre « Faut-il brûler Lénine ? » constitue une incontournable référence en la matière : Guigue y répond aux inepties des nouveaux adeptes du concept hégélien de fin de l’histoire (dont notamment Francis Fukuyama aux USA et François Furet en France) qui voient dans la dislocation du bloc de l’Est la suprématie absolue et définitive de l'idéal de la démocratie libérale.                  

[4] Cette « arme d’intimidation massive » comme l’appelle l’auteur est incessamment démontée à travers une panoplie de procédés dont la puissance de frappe me semble plus persuasive que l’arme elle-même. Apprécions à ce propos la dissection qu’il en fait en plaçant le mot dans son contexte lobbyiste : « Mot sésame, mot magique, il dit tout, il condense en un éclair les affres du monde moderne. A peine proféré, il impose la circonspection et paralyse la pensée critique. Brandi comme une menace, il enjoint au silence, comme si quelque chose de terrifiant et de sacré était en jeu, condamnant chacun à surveiller ses propos de crainte de blasphémer. » 
Source :
  
[5] « Commune, l’adversité n’est qu’une tribulation légère » assure l’adage arabe (إذا عم البلاء خفت المصيبة). La marque d’infamie « antisémite » collée de nos jours à ses « élus » par ceux qui étaient contraints d’arborer hier l’étoile jaune n’est plus restreinte à la sphère non sémite traditionnelle mais elle s’est propagée pour toucher aussi des intellectuels juifs de la diaspora ou à l’intérieur même d’Israël.  Dans son édition électronique du 14.11.2012, le Monde a publié un article de Eva Illouz (traduit de l’anglais) sous le titre « Qu’on cesse de marquer les intellectuels juifs de gauche de la lettre A comme antisémitisme ! » L’auteure y écrit : « A l’instar d’Hester Prynne (l’héroïne du roman de Nathaniel Hawthorne, La lettre écarlate qui dénonce la religiosité rigide et intransigeante des puritains du XVIIe siècle), de nombreux intellectuels juifs contemporains sont marqués de la lettre d’infamie A : non pas A pour adultère (comme dans le roman), mais pour antisémitisme. Peter Beinart, Noam Chomsky, Judith Butler, Avi Shlaim, Shlomo Sand et, plus récemment, moi-même partageons le privilège douteux d’être traités d’antisémites par les membres de notre propre communauté ethnique et religieuse. Qu’avons-nous fait pour mériter ce qualificatif ignoble ? Rien de plus que d’avoir exercé le droit de réfléchir et d’évaluer de façon critique les réussites et les échecs de l’Etat d’Israël. »

[6] Le lecteur averti sait que le mot « antisémitisme », apparu pour la première fois en Europe en 1860, a été vidé de son sens initial pour devenir plus ou moins synonyme de « judéophobie ». Mais ce n’est pas tout à fait cette « judaïsation » sémantique du mot qui nous intéresse ici. L’opinion communément répandue qui fait de tous les juifs des sémites a été déjà assez bien démontée par Shlomo Sand à travers, notamment, les 3 « Comment » de son œuvre : « Comment le peuple juif fut inventé » (2008), « Comment la terre d'Israël fut inventée » (2013), « Comment j'ai cessé d'être juif » (2016). Citons encore deux petits extraits de Jean-Claude Barreau qui démontrent en quoi le sémitisme supposé de tous les juifs est un mythe. Le premier parle de Sharon : « Qu'y a-t-il de « sémite » chez un juif polonais ? Quand on pouvait voir l'un à côté de l'autre à la télévision les deux ennemis irréconciliables qu'étaient Sharon et Arafat, il sautait aux yeux, sans faire aucunement de « racialisme », que le plus sémite des deux n'était pas celui qu'on eût pu croire ! Sharon était un gros Polonais et Arafat un parfait sémite; leur apparence était à l'opposé de leurs dires ». (Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Israël, Jean-Claude Barreau, éd. Toucan, 2010, p. 107) Le second : « la plupart des juifs d'Israël, à l'exception des Yéménites, des Irakiens et des Syriens, ne sont pas des sémites... L'ironie de l'histoire, ironie tragique, c'est que les Palestiniens sont certainement beaucoup plus sémites que les ashkénazes... nier la continuité ethnique entre les actuels Palestiniens et les juifs que les Romains ont dû laisser dans le pays est aussi du négationnisme » (ibid. p. 146)

[7] Pour rappel, cette éviction officiellement motivée par le non-respect du droit de réserve auquel les hauts fonctionnaires sont tenus est survenue au lendemain d’une « délation », ou plutôt un aboiement de chien de garde sioniste sur RCJ (radio de la communauté juive) et relayé par France-israël.org, en réaction à un article de Guigue du 13 mars 2008, ayant fait date : « Quand le lobby pro-israélien se déchaine contre l’ONU» (voir traduction en p.15). L’aboiement délateur venait de Luc Rosenzweig (qui, au passage, juge mensongère la thèse du meurtre de Mohamed al-Durrah par l’armée israélienne). Incapable de produire le moindre argument pour contrer le texte de Guigue, il se rabat sur une vétille, le « torchon islamiste » qui publie Guigue et interpelle la ministre de l’intérieur à qui il adresse à demi-mot cet avertissement : « une telle diatribe, postée sur un site islamiste, est-elle compatible avec le devoir de réserve auxquels sont soumis les haut-fonctionnaires ? Évidemment non. Sa hiérarchie, en l'occurrence le ministre de l'intérieur a-t-il eu connaissance de l'activité littéraire de ce grand commis de l'État ? Si c'était le cas, un silence de sa part vaudrait approbation. » Ce que l’on peut reprocher à la ministre en question (Michèle Alliot-Marie) c’est qu’elle a cédé au chantage au lieu de faire preuve d’assez de courage et d’honneur pour objecter que le soi-disant droit de réserve, pour autant que sa légitimité puisse être reconnue (ce qui n’est pas le cas ici, vu le caractère discriminatoire de son invocation), n’engage pas un écrivain. Il est vrai que ni Alliot-Marie ni Sarkosy ne pouvaient s’inspirer, tant soit peu, du fameux « on n’emprisonne pas Voltaire » de De Gaulle. Mais leur facétieux droit de réserve subitement invoqué à l’encontre de Guigue, et sur l’instigation d’un cafard du BNVCA, n’a dupé personne.                      

[8] Au début des années 1980, le lobby pro-israélien aux USA a pesé de tout son poids financier et médiatique pour empêcher la réélection du sénateur et intellectuel Paul Findley pour avoir critiqué Israël. Vingt ans plus tard, ce même lobby récidive, sanctionnant de la même manière et pour les mêmes causes Cynthia McKinney, membre de la Chambre des représentants. Evoquant son épreuve à ce propos, Paul Findley écrit : « mon implication dans la politique du Moyen-Orient m'a valu l'infamie parmi de nombreux juifs américains et la triste notoriété en Israël. En 1980, je me suis trouvé la cible de la campagne congressiste la plus onéreuse dans l’histoire de l’Etat, lancée par les villes où se concentre l’activisme pro-israélien, mais loin des juifs locaux du centre d’Illinois, qui me connaissent et me font confiance. Grâce aux flots de dollars hostiles et drainés à la fois des zones côtières et de Chicago, je suis devenu « l’ennemi numéro un d’Israël », et la campagne en vue de barrer le chemin à ma réélection le souci majeur du lobby israélien. »                  
Source : بول فندلي: من يجرؤ على الكلام، ص.15و16، شركة المطبوعات والنشر، بيروت 2009                            
Paul Findly, They Dare to Speak Out: People and Institutions Confront Israel's Lobby, p.10, Lawrence Hill Books, 2003                 

[11] Sur les mensonges organisés, la propagande anti-Bashar et ses truquages, les faux charniers, les attaques chimiques sous fausses bannières et toutes les manipulations médiatiques à ce sujet, nous ne saurions trop recommander au lecteur de se rapporter au livre de François Belliot, Guerre en Syrie, Editions ITRI, 2017.

[12] « La meilleure manière d’aider Israël à gérer la capacité nucléaire grandissante de l’Iran est d’aider le peuple syrien à renverser le régime de Bachar el-Assad » : c’est ce que révèle un email de Hilary Clinton, datant vraisemblablement du 31 décembre 2012.                          
La même année, s’adressant à un islamiste emballé pour la belle cause de la « révolution syrienne », George Galloway exprimait comme suit son indignation : « Vous voulez nous faire croire qu’une révolution soutenue par McCain et Lieberman, par la Bretagne, la France, l’Amérique, Israël, l’Arabie et le Qatar, est une révolution pour le Bien et la justice ? Est-ce bien cela que vous me demandez de gober ? »                    

[13] « Imagines-tu ce qui se passerait si la Syrie et le Hezbollah étaient vaincus par cette alliance mortifère qui réunit Israël, les USA et les wahhabites ? Au lendemain de cette ultime reddition de la résistance arabe, je ne donnerais pas cher des Palestiniens. Et il n’est pas nécessaire d’être un expert pour comprendre que ceux qui soutiennent la “rébellion” en Syrie sont les idiots utiles de Washington et de Tel Aviv. »
Conclusion de « Brève réponse à un ami sur la Palestine et la Syrie » (voir p. 87).

[14] Le terme qui pourrait s’entendre hyperbolique par certains nous semble plutôt sinon réducteur, du moins pas assez fort pour donner une idée précise sur le nombre d’amis de Guigue devenus passeurs de lumière. Saluons ici quelques-uns des innombrables traducteurs qui ont transmis la pensée et le combat de Guigue en pas moins de 8 langues aux locuteurs natifs de celles-ci dans les 5 continents : Vanessa Beeley, Ollie Richardson, Angelina Siard, Estátua de Sal, Cristina Bassi,  C. Palmacci, Alejandro Sanchez, Nathalie Galiana, Caty R., Wala Said al Samarrai (ولاء سعيد السامرائي), Afra Al-Ali (عفراء العلي), Assia Skhiri (آسية السخيري), Alba Canelli, Beatriz Morales Bastos, Ali Ibrahim (علي ابراهيم], sans compter celles et ceux qui traduisent incognito, sous des pseudonymes divers ou encore sous le seul nom des sites qui les publient.

jeudi 18 novembre 2010

Abraham Serfaty: rétrospective d'un combat

«Le sionisme est avant tout une idéologie raciste. Elle est l’envers juif de l’hitlérisme... Elle proclame l’État d’Israël, «État juif avant tout», tout comme Hitler proclamait une Allemagne aryenne»
Abraham Serfaty - Ecrits de prison sur la Palestine (éditions Arcantère-1992)

A l'âge de 84 ans, Abraham Serfaty s'est éteint ce jeudi 18 novembre à Casablanca. Le juif, marocain et rebelle, l'Insoumis -comme il se définissait lui-même dans ses écrits(1), a été inhumé là où il est né. C'est le fruit de l'une de ses dernières batailles, dans le parcours épique de ce militant de tous fronts. Sa vie marquée de dons prodigieux, de sacrifices et de souffrances, la lourde rançon qu'il a payée pour défendre la justice, le progrès et la liberté, son soutien sans nuance à la libération de la Palestine, ce combat exceptionnel entré dans la légende fait d'Abraham Serfaty un moment incontestable de la conscience humaine.



Un révolutionnaire-né

Né le 16 janvier 1926 à Casablanca, Abraham Serfaty avait tout pour se la couler douce. Mais il est né rebelle, insoumis. Comme d'autres peuvent naître laquais, sujets fidèles. Et d'autres encore seigneurs de tels laquais, et dictateurs. Ou, ailleurs, colonisateurs invoquant la double imposture de l'histoire et de la démocratie pour s'adjuger une terre et des droits qui ne sont pas les leurs.

Affranchi de toute chaîne qui ne soit pas trempée d'amour et de combat et forgée de ses propres mains, Abraham a fait de sa vie une épopée d'actions des plus admirable dans l'histoire de l'engagement social et intellectuel des temps modernes. Son combat contre le colonisateur français,  puis contre la dictature royale, ses luttes pour la justice et le progrès dans son pays, sa résistance antisioniste sans failles, son soutien sans nuances à la libération de la Palestine, son refus de tout compromis lorsqu'il s'agit de défendre des causes justes l'élèvent à ce rang qui est le sien au panthéon de notre histoire. Serfaty n'est pas seulement du Maroc, du Maghreb ni du continent africain, bien que de ce temps-ci précis. Il est de cette constellation de combattants titaniques dont l'éclat rayonne sur l'univers en entier. Il est de cet autre monde qu'il revendiquait lui-même et lequel à son tour le revendique comme un moment de sa conscience.

Dans sa famille, il semble que la foi révolutionnaire se transmette de père en fils. Comme l'amour de la patrie (2) et de la justice. Son père était de gauche, indépendantiste et antisioniste. Sa mère aussi, ne fût-ce que dans l'éducation de ses enfants qui lui incombait en grande partie. Si bien que lorsqu'Abraham grandit et que sa condition d'homme multidimensionnel le met à la croisée des chemins, c'est cette voie-là et la foi qui lui est sous-jacente qui seront les siennes.

Ingénieur à un moment où ce titre assure à son porteur ce qu'on peut appeler une existence de cocagne, Abraham refuse l'opportunité de la vie aisée et, généreux, troque la prospérité assurée pour la justice et la liberté. Pour l'idéal révolutionnaire qui n'admette de richesse ni d'eldorado que partagés.

En 1944, âgé de 18 ans, il adhère aux Jeunesses Communistes Marocaines(JCM). Puis un an plus tard, ses études le menant à Paris, il rejoint le PCF (Parti Communiste Français). Sous la bannière rouge qui sera toujours la sienne quels que soient l'aile, le lieu et la dénomination du parti, il s'engage tôt dans la lutte pour l'indépendance de son pays. Les études terminées, il rentre au Maroc pour adhérer au Parti Communiste Marocain(PCM)(3) et continuer le combat anticolonialiste. En 1950 alors qu'il a 24 ans, marié et père d'un fils encore bébé, il fait le baptême de la prison. Pour des activités syndicalistes à Casablanca. Deux mois de réclusion pour l'initiation à l'épreuve. Mais au vu du délit, il n'y a pas lieu d'en dire que c'est une peine clémente. D'autant qu'Abraham, sitôt libéré, est assigné à résidence avec sa femme, sa sœur Evelyne et son bébé pour cinq ans en France.

Cependant celui qui est né Insoumis n'est pas fait pour se corriger. Ni sous l'occupant français ni, quand cet occupant sera parti, sous la monarchie indépendante.
Rentré au pays en 1956, alors même qu'on l'appelle à participer à l'édification du nouveau Maroc -les diplômés de l'École nationale supérieure des Mines de Paris n'étaient pas légion à ce moment crucial de l'indépendance - et qu'il prend part à la mise en place des institutions de l'État dans le domaine qui relève de sa formation et ses compétences, Abraham Serfaty continue son combat politique, refuse, malgré son côté alléchant et toutes les opportunités offertes, une allégeance qui l'aliène, ôte à l'insoumis sa tête.

Les années de plomb

De 1960 à 1980, le Maroc vit une  période sombre marquée de vagues successives de répression: les années de plomb. Autant ces années furent le creuset d'une véritable épopée révolutionnaire dont les protagonistes sont des opposants et des mouvements de gauche, autant elles inscrivirent dans l'histoire de l'arbitraire et la terreur de la monarchie les plus tristes pages. Entre personnes tuées, blessées, emprisonnées, disparues et exilées, à ce jour le bilan exact des victimes reste inconnu. Mais ce sont plusieurs dizaines de milliers selon de nombreux témoignages. Dont les rapports de l'Association marocaine des droits humains (AMDH).
Si Abraham Serfaty est sorti vivant de cette longue et rude épreuve, ni lui ni les siens (membres de famille et camarades) n'ont été épargnés par ses douloureuses séquelles.

En 1965, au lendemain des émeutes de Casablanca, on l'arrête et torture une première fois. C'est l'année même où est kidnappé à Paris, puis tué on ne sait où, Mehdi Ben Barka. C'est aussi l'année qui marque les dissensions puis la dislocation conjugales chez les Serfaty. Joséphine, sa première femme, ne partage plus la foi révolutionnaire. Elle la trouve trop coûteuse, l'Insoumis n'étant pas près de tempérer son zèle politique. Elle le quitte et part en France pour s'y remarier quelque temps plus tard. C'est un moment difficile dans la vie d'Abraham. Joséphine lui laisse leur fils tout jeune encore; il doit lui donner un peu de son temps même si ses parents sont là pour alléger un tel souci. Mais il n'en varie pas d'un iota sa ligne politique, ne baisse pas d'un cran la force de son engagement.

Deux ans plus tard, avant, durant et après la guerre des six jours, beaucoup de proches et d'amis s'éloignent à leur tour. Les uns émigrant directement en Israël, les autres allant s'installer en France. Le sachant damné antisionsite, on n'ose pas lui faire la morale de ce côté-là. Néanmoins beaucoup lui conseillent de se réfugier momentanément en France, alléguant de la présomption que la vie des juifs au Maroc pouvant connaître des moments difficiles. L'Insoumis ricane; il est justement fait pour ces moments-là et tous les moments difficiles! Il restera au Maroc, et debout, non seulement pour infliger un démenti à ceux qui propagent le mensonge et la terreur en vue d'inciter les juifs marocains à quitter le pays, mais pour enrayer aussi la fuite, autant qu'il le peut, contrecarrer le mouvement de trahison qui le fait énormément souffrir (4). Son père, à cette époque-là encore vivant, lui dit et redit que le sionisme est contraire à la religion. Abraham se gausse de la religion. Mais des juifs, non. Le judaïsme authentique, non perverti, n'a rien à voir avec le sionisme. Ce sont deux voies distinctes et, pour lui comme pour beaucoup d'autres juifs, diamétralement opposées. Il restera au Maroc avec quelques milliers d'indéracinables, répartis dans tout le pays, pour partager avec leurs frères et compatriotes de la majorité musulmane le bon et le pire.

Directeur, et solidaire des gueules noires

En 1968, alors qu'il est directeur de département à l'Office Chérifien des Phosphates, éclate une grève des mineurs de Khouribga (5). Et parce que l'autorité du directeur ne peut empiéter sur celle de l'Insoumis, ce directeur se dit solidaire des grévistes! Conformément à son statut dans la hiérarchie des rapports de production, il aurait dû se ranger du côté de sa bourse, derrière le système capitaliste qu'il est censé représenter et défendre de par son titre. Mais cela l'aurait discrédité vis-à-vis du cœur fidèle à ses convictions. Cet organe, chez Serfaty plus que tout autre, est à gauche. Et à l'heure de vérité, c'est la voix du cœur, du révolutionnaire engagé, qui a primé sur celle du fonctionnaire.

On ne lui pardonne pas d'avoir ainsi craché sur la soupe: il est immédiatement révoqué. Cependant ses compétences et son diplôme lui permettent de trouver presque dans les jours qui suivent un poste d'enseignant. Il est nommé à l'École d'ingénieurs de Mohammedia (6) où il restera jusqu'en 1972. Sans doute beaucoup moins payé qu'il ne l'était dans les phosphates. Néanmoins les amphis ont sur les bureaux l'avantage d'être plus aérés. Politiquement parlant surtout. Ce qui compte plus que l'argent pour le révolutionnaire intègre.

Ila Al Amame (En avant!)

Fidèle au parti communiste marocain pendant près de 20 ans, Abraham n'est pas non plus de ceux qui se complaisent dans le suivisme idéologique crétin et refusent d'évoluer. Il a beau critiquer la sclérose et appeler à en sortir, on ne l'entend pas. En 1970 il décide de quitter le PCM avec d'autres camarades dissidents pour constituer Ila Al Amame (7). C'est une organisation politique d'inspiration marxiste-léniniste, plus à gauche et soutenant la cause sahraouie, mais clandestine. Avec des militants de la stature de Abdellatif Laâbi, Abdellatif Zéroual, Raymond Benhaïm, entre autres, le combat politique peut se radicaliser, envers et contre toutes les appréhensions, les mises en garde, les risques somme toute plus ou moins calculés. La naissance, 4 ans plus tôt, de la revue bilingue "Souffles", le ralliement d'une légion d'intellectuels marocains et d'autres pays faisant de cette publication une référence tout autant que le QG de la gauche militante de 66 à 72, vont permettre à Serfaty et ses camarades de cristalliser autour de l'engagement les énergies créatrices de tous les domaines. Poésie, art, cinéma, recherche scientifique seront pour 7 ans les armes indissociables du combat politique.

Chasse à l'homme et répressions

Mais la dictature ne tarde pas à frapper. Et fort cette fois-ci. En 1972, prétextant d'un complot contre la sûreté de l'État, la machine répressive de la monarchie prend les forces vives de l'opposition sous son étau. La revue Souffles est saisie et interdite. La proscription s'abat sur les plumes associées à son nom comme sur tous les militants de l'organisation Ila Al Amame. Des arrestations en masse s'effectuent: 81 personnes à Casablanca, 150 à Kénitra. D'autres suivront encore. Ce n'est pas tout à fait le Chili de Pinochet, et ce Chili n'est pas encore né en 72, mais rétrospectivement le climat est le même. Le Maroc où, malgré tout, on pouvait dire qu'il y faisait bon vivre devient subitement méconnaissable.

Abraham Serfaty et Abdellatif Laâbi sont arrêtés une première fois, le 27 janvier 72, et sauvagement torturés. La jeunesse marocaine et leurs enseignants ne tardent pas à réagir: de larges manifestations lycéennes et estudiantines éclatent au pays, demandant leur libération. Le 25 février, face à l'ampleur de ce mouvement de solidarité, les autorités cèdent et les relâchent. Mais ce ne sera qu'une liberté provisoire. Alors que Serfaty entre à temps dans la clandestinité avec Abdellatif Zéroual et d'autres camarades d'Elal Amame, Laâbi et beaucoup d'autres sont de nouveau arrêtés à la mi-mars et reconduits au centre de torture de Derb Moulay. Le mouvement des lycéens et des étudiants étant entretemps brisé à la faveur d'une vaste répression, tous les libérés de 25 février qui ont pu être retrouvés sont de nouveau sous les verrous. En août 73, Laâbi est condamné à dix ans de prison (8). Quatre-vingt autres inculpés écopent de peines allant de 18 mois de réclusion à 15 ans.

Abdellatif Laâbi, ou le numéro d'écrou 18 611

On ne peut reconstituer le combat d'Abraham Serfaty sans faire de croisement avec Abdellatif Laâbi. Ni évoquer le combat de celui-ci d'ailleurs, tout aussi grandiose, sans l'attacher, à tel ou tel moment de cette épopée de résistance intellectuelle marocaine, au combat de Serfaty. Soulignons d'abord ce détail, qui n'est pas anodin, que sans la double damnation de la politique et de l'écriture qu'ils ont en commun, ni les lieux et dates de naissance, les communautés dont ils sont issus, les études ni les fonctions de ces deux personnages ne les auraient habilités à se croiser et se connaître.

C'est en 1942 que Laâbi est né. A Fès, cette ville qui fut constamment un haut-lieu de résistance. Que ce soit avant l'indépendance du pays, ou après. Et de cette enfance à Fès dans une famille modeste, on retient la participation à une manifestation contre l'occupant français, vers la fin des années 40. Une protestation  de masses où l'enfant s'est jeté et a failli mourir écrasé par une vague de manifestants que disperse dans la brutalité la gendarmerie. On retient aussi ses qualités d'élève brillant, sa passion précoce pour les livres. En cela il ressemble à Abdellatif Zéroual, comme on le verra plus tard. A quatorze ans, il écrit déjà, aussi bien en français qu'en arabe. Après le bac, il fait ses études à l'Université de Rabat, comme francisant. Et c'est dans l'enceinte de cette grande université qu'il rencontre en 1963 son âme sœur, Jocelyne. Celle-ci est une jeune française âgée de 20 ans, née à Lyon et, en 1950, partie avec sa famille au Maroc. Abdellatif l'épouse un an après, alors qu'il commence sa carrière de professeur de français dans un lycée de Rabat.

En 1965, la répression sanglante d'une manifestation d'écoliers et leurs parents à Casablanca, opposés à une réforme de l'enseignement jugée injuste, puis l'enlèvement de Ben Barka à Paris, marquent le début de son engagement politique. Comme Serfaty, il adhère d'abord au PCM, jusqu'à la dissidence évoquée précédemment et la constitution d'Ilal Amame. La Guerre des 6 jours infuse à ses écrits un ton de révolte et d'amertume, mais fait de lui aussi le premier traducteur, du moins en français, de Mahmoud Darwich. Ses traductions sont publiées au fur et à mesure dans la revue créée un an plus tôt. D'autres réservées au numéro Spécial Palestine intitulé "Palestine-Vietnam, un seul combat" n'ont pu paraître, en raison de la saisie des textes et l'interdiction de la revue.

C'est l'année 1968 qui marque sa rencontre avec Abraham Serfaty. Abdellatif doit déjà à la revue Souffles, dont il est fondateur et directeur, le rayonnement apporté par diverses plumes, que celles-ci soient arabes, africaines ou françaises. En si peu de temps devenue référence culturelle numéro 1 du Maghreb, Souffles deviendra aussi, avec l'arrivée d'Abraham Serfaty au comité de rédaction et l'accentuation des positions politiques qu'il y a apportée, la revue phare de l'élite cultivée de la gauche dans la région. Bilingue avant son arrivée, Souffles devrait à Serfaty aussi sa publication arabe indépendante. C'est que Serfaty, en cela conforme à son combat contre le néocolonialisme sous toutes ses formes, estime que la francophonie freine le développement dans les pays indépendants (9).
Notons aussi ce détail qu'à l'arrivée d'Abraham Serfaty à Souffles, beaucoup de plumes prennent leurs distances. Dont Tahar Ben Jelloun qui y collaborait depuis la France.

Quand il fut de nouveau arrêté le 14 mars 72, Abdellatif Laâbi est âgé de 30 ans. "On apposa un numéro sur le dos de mon absence", écrit-il. C'est son numéro d'écrou 18 611.



Christine Daure-Jouvin: pour le pire et pour le meilleur

Christine Daure-Jouvin est une Française qui enseigne l'histoire et la géographie au Maroc, à titre de coopérante. Abraham Serfaty lui doit deux ans de répit, ou plutôt de sursis. C'est elle qui l'aide lui et Abdellatif Zéroual, en ce moment très difficile où l'assistance même d'un ami, d'un proche, est susceptible d'attirer beaucoup d'ennuis. Généreuse (est-elle déjà éprise d'Abraham?) Christine leur trouve d'abord un appartement pour s'y planquer et, envers tous les périls, chaque fois que cela est nécessaire, elle assure la liaison entre eux et le monde extérieur. C'est elle aussi qui, des années plus tard, sera la nouvelle femme d'Abraham et se battra pour le sortir du trou.

En août 73, jugé par contumace Abraham apprend qu'il a été condamné à la réclusion à perpétuité (10).

Réclusion à la perpétuité!
Il a 48 ans, quand Abraham Serfaty apprend la sentence. Certes, il n'est plus tout à fait jeune mais il a encore de belles années devant lui. De belles s'il les veut ainsi. Et rien n'est encore perdu tant qu'il n'est pas encore menotté. II a la possibilité de fuir le Maroc. On le lui dit et demande, à commencer par celle qui l'aime.
Néanmoins Abraham a beau être libre encore, beau aimer Christine, il ne peut se délier de ce qui l'attache à son pays, à ses camarades, à son peuple. Aussi refuse-il de s'enfuir.

Ce n'est pas sans rappeler un temps fort de la geste de Guevara. L'attitude chevaleresque dans les brousses de la Bolivie, au moment où il se retrouve seul face à sa capture imminente. Le salut n'est pas dans la fuite, mais dans la capacité à triompher de tous ses alibis, dans la résistance héroïque jusqu'au bout. Abraham a-t-il pensé à Guevara à ce moment-là précis? On l'ignore. Mais il y a fort à parier que ce que l'on a convenu d'appeler lyrisme révolutionnaire a dû peser dans ce choix obstiné qui le fait écarter de ses projets la fuite. Tant mieux pour l'épopée! car c'en est une, bien et dûment inscrite dans l’histoire marocaine. Et c'est au courage et l'abnégation d'Abraham et ses compagnons, dont seuls quelques uns sont cités ici, qu'elle doit sa valeur comme telle et sa beauté.

Evelyne: tu parles ou on te tue!


Pendant qu'Abraham se cache et s'obstine à rester au Maroc, les rafles se poursuivent, de même que les recherches. La dictature ne l'oublie pas, ni lui ni son fils. On ratisse là où on les suppose joignables; et tous les moyens sont bons pour mettre le grappin dessus. C'est ainsi que le 26 septembre 1972, on arrête sa sœur Evelyne, sans autre motif que son lien de parenté. Et ce que la police espère tirer d'elle en l'interrogeant.
L'expression française tirer les vers du nez (à quelqu'un) est courante dans les milieux de la police comme dans les polars. Elle semble tirer son étymologie d'une pratique charlatanesque en rapport avec les vers rinaires (11). En tout cas, depuis l'avènement de la société policée, c'est-à-dire depuis toujours, et de nos jours encore plus,  l'expression est bien plus claire dans l'art policier que l'art médical! Et le prévenu qui entend:"Tu vas passer un sale moment" est en fait convié à se montrer collaboratif, souple, faute de quoi les matons se chargent de l'assouplir par leurs moyens et lui tirer les vers du nez.

Evelyne nous a laissé un émouvant témoignage sur ce qu'elle a subi au commissariat de Rabat. Voici, raconté par elle-même, dans quel contexte elle fut arrêtée et torturée:

" 26 septembre 1972. Je suis à Rabat pour y passer la journée (j’habite à Casablanca avec mes parents). Je vais faire des courses en ville. Quand je reviens vers ma voiture, deux policiers en civil, surgissent, m’interpellent, me font monter dans ma voiture et me font prendre la direction du commissariat.
Je suis amenée dans un bureau où un commissaire m’attend. Celui-ci est courtois, d’abord, pour me demander où est mon frère. Son ton change quand je lui réponds que je n’ai aucune nouvelle de lui et que je l’ai vu pour la première fois le 12 mars dernier (1972). Il dit alors : “Je ne vous crois pas, vous allez passer un sale moment.”


Sur les huit jours faisant ce "sale moment", trois surtout lui seront fatals. On la torture (physiquement et moralement), et même si l'adjectif est de trop, sauvagement (12). Mais elle est incapable de fournir la moindre information: en vérité, elle sait bien où se cache son frère ; et magnanime, de la même trempe qu'Abraham, elle ne dit rien. Ce qui donne aux tortionnaires le prétexte à plus de rage. La barbarie est telle qu'elle ne relâche la victime que réduite à une épave de vie, irrémédiablement condamnée à la  mort. Pas que la victime directe, en fait. Le père lui-même, profondément affecté par cette épreuve mourra de désespoir en 73. Et sa fille le suivra un an plus tard, succombant aux graves séquelles de son supplice.

1974: c'est sans doute la mort de sa sœur, la peur aussi pour son fils et pour Christine qui décideront Abraham Serfaty à sortir de la clandestinité et se rendre à la police. En réalité, son fils ne sera pas épargné le moment venu. Et Christine elle-même devra payer le tribut qu'on lui aura imposé, à titre de complice. Arrêtée à la même période, elle subit pendant des jours et des jours d'interminables interrogatoires avant d'être condamnée à trois ans de prison (13). Au terme de cette peine, considérée comme personna non grata, elle est immédiatement expulsée vers son pays. Mais un autre combat l'attend en France. Nous y reviendrons.

Abdellatif Zéroual: la passion du fils et du père

Dans tout parti, toute organisation politique, il y a des hommes à qui incombe la tache de secouer les têtes, d'agiter la pensée. Quoique Ilal Amame compte d'innombrables intellectuels, et des meilleurs au Maroc, de par sa formation philosophique et sa connaissance encyclopédique du marxisme-léninisme, Abdellatif Zeroual est de ceux qui ont le plus voix dans le domaine théorique. La scission qui est aux origines d'Ilal Amame doit ses fondements à cette voix.

Né à la ville de Berrechid (à 30 km de Casabalanca) le 15 mai 1951, Abdellatif Zéroual est, d'après tous les témoignages, un surdoué d'une intelligence rare. A 10 ans, il obtient son certificat de fin d'études primaires. A 17 ans, il est bachelier en lettres. Il s'inscrit en philosophie à la Faculté des Lettres de Rabat. Après la licence, il rejoint l'École Supérieure de Formation de Professeurs. Nommé dans un lycée de Settat (57 km de Casablanca, sur la route de Marrakech) il a juste le temps d'y enseigner pour une année, avant d'être contraint, en 72, à la clandestinité.
Abdellatif Zeroual est de ceux qui ont rejoint très jeunes Ilal Ameme: son adhésion est enregistrée alors qu'il a juste 19 ans.
On ignore dans quelles conditions au juste il est retrouvé par la police. Mais celle-ci a dû arrêter son père et elle aurait arrêté sa mère aussi, sans la maladie de cette dernière. Et alors que le père est détenu au derb Moulay Cherif, le 5 novembre 74, la police réussit à Kidnapper Abdellatif et le conduit dans une cellule voisine de celle de son père. De sorte que celui-ci entendra tout ce qui se passera et subira à travers les cris de son fils les pires douleurs qu'on puisse imaginer. Les tortionnaires ont menacé ce fils de tuer son père. Et lui ont infligé des sévices tels que le père l'entendait hurler jusqu'au matin.
Au lever du jour, ce père est relâché, les yeux bandés, quelque part dans la banlieue de Casablanca. Il attendra trois ans, jusqu'au procès de 77, pour apprendre de la bouche des compagnons de supplice la mort sous la torture de son fils.

Le 14 novembre, un cadavre est déposé à l'hôpital Avicenne de Rabat sous le nom de Bakali. C'est le cadavre de Abdellatif Zéroual mort au bout de 10 jours de torture . A ce jour, personne ne sait où Abdellatif Zéroual est enterré.

Le calvaire d'Abraham

Durant trois années des plus longues et pénibles, dont 14 mois où personne ne saura s'il est mort ou vif, Abraham Serfaty est gardé à vue au derb Moulay Cherif. A la fois commissariat, centre de torture et pénitencier de triste renommée situé à Casablanca, Moulay Cherif a acquis la réputation d'un enfer sur terre (14), le passage obligé de tous les damnés du royaume, le purgatoire où les pires atrocités sont permises. Tous les survivants des cachots de l'âge barbare, les survivants des années de plomb, vous diraient: "la perpétuité ailleurs, et pas un jour au Moulay Cherif". Les rescapés devenus fous ou invalides ont eu au moins la chance d'en sortir vivants. D'autres n'ont pas eu cette chance (15).
Pour avoir une idée sur la torture selon les normes en vigueur au Moulay Cherif, deux témoignages annexés à ce texte méritent d'être lus: Laâbi et Serfaty nous y restituent quelque chose de ce qu'ils ont souffert, à deux ans d'intervalle.

Le procès et le cri des insoumis

En octobre 77, Abraham est enfin jugé. Jugé n'est pas le mot qui convient ici, et pour cause! Mais même si la sentence est déjà prononcée pour lui depuis trois ans déjà, condamné à perpétuité et n'attendant que la confirmation de cette sentence, il veut sceller à sa façon ce procès. Avant de regagner pour la perpétuité sa cellule.
Dans la salle, quelqu'un a crié à la face du juge: " fasciste!" Le juge en devient pâle de colère et crie: "celui qui a dit "fasciste" a-t-il le courage de se lever?" Et c'est toute la salle qui se lève alors, 138 inculpés tous debout!
Le juge n'en pâlit que davantage et crie" deux ans de plus à chacun!  pour outrage à magistrat!"
Une femme dont le fils est déjà condamné à la prison à vie commente: "il les passera au paradis, ces deux ans supplémentaires!"
Mais le juge n'en est pas quitte. Abraham Serfaty veut dire un dernier mot et il obtient la parole.
“Vive la République sahraouie! clame-t-il. Vive la République marocaine! Et vive l’union du Maroc et du Sahara!”
Abraham ne sera pas rétribué de deux ans encore mais il sera condamné à l'isolement.
Les peines totalisées des 138 inculpés jugés dans ce procès sont de 30 siècles de prison!

La sœur de Jamila et Dalal: Saida Menebhi

En 72, lors de la première arrestation des "frontistes", Saida Menebhi était encore étudiante angliciste à l'Université de Rabat. Active au sein de l'UNEC (L'Union Nationale des Étudiants du Maroc), les manifestations et grèves qui ont conduit au relâchement de ses camarades sont en grande partie son œuvre. Épargnée par la première vague de répressions, elle a eu encore le temps de finir une formation pédagogique et d'enseigner dans un collège à Rabat, pendant près de deux ans. Bien que l'organisation Ila Al Amame soit officiellement dissoute, Saida continue de militer sous sa bannière de façon clandestine, parallèlement à sa lutte au sein de l'UMT (L'Union Marocaine des Travailleurs).
C'est le 16 janvier 1974 qu'elle est arrêtée avec trois autres femmes: Rabea Fetouh, Fatima Akacha et Pierra di Maggio (16). Comme les hommes, elle connait la torture et le cachot au derb Moulay Cherif. Puis, fin mars, après déposition devant le juge d'instruction, elle est transférée vers la prison civile de Casablanca.
Le jour du jugement, sous les applaudissements de ses camarades elle dénonce la condition d'oppression dans laquelle vivent les femmes marocaines. A la peine initiale de 5 ans de prison qui la frappe, le juge lui additionne deux ans encore pour outrage à magistrat!

Ce n'est pas tout: Saida, Rabea et Fatima, comme Serfaty, sont condamnées à l'isolement. Outrage oblige!

Le 10 novembre 1977, tous les prisonniers politiques du Maroc entrent en grève de la faim. Objectif: sortir les "parias" de leur isolement, obtenir le statut de prisonniers politiques et améliorer les condition de détention (17).
Saida Mennebhi a déjà participé à une grève de la faim au moment de sa longue garde à vue pour demander avec ses camarades que leur jugement soit fait. Cette fois-ci, la grève est faite pour elle en partie, mais cela ne l'exempt pas de l'honneur d'y participer. La grève est fixée à 40 jours. Saida ne peut pas mener ce combat à son échéance. Le 11 décembre, après 34 jours de grève, elle meurt faute d'assistance et de soins (18).

Lettre de Saida Mennebhi à ses parents

Le calvaire et son supplément


Alors qu'Abraham purge sa peine à la prison de Kénitra, minée par l'épreuve qui ne lui donne aucun répit, sa mère meurt de désespoir, comme son mari par le passé.
En 1982, un supplément s'ajoute au calvaire d'Abraham Serfaty. Son fils unique est arrêté, torturé et condamné à deux ans de prison. A sa libération, il se trouve presque seul, dans un pays qui a dévoré tous le siens. Fort heureusement, un copain de jeunesse dont le père était ministre, Driss Bahnini, lui tend la main. Grâce à cette amitié, Maurice peut remonter la pente. Aujourd'hui vivant à Montréal, s'il ne se plaint pas au plan matériel, il n'a pas tout à fait guéri de son épreuve. Il porte encore les séquelles indélébiles de ces années de souffrance.

Christine: le combat continue

Expulsée vers son pays, Christine Daure-Jouvin y trouve l'aubaine qui lui permet de se battre sur ce front extérieur et être encore utile à celui qui croupit en prison. L'épreuve de clandestinité a fait des deux amis des amants soudés. Et la prison n'a pu que renforcer davantage cette liaison. Dès 81, à l'arrivée des socialistes à l'Élysée, tirant profit de son amitié avec Danielle Mitterrand, Christine met tout son poids pour engager la diplomatie française dans sa bataille. C'est un travail de longue haleine et qui demande beaucoup de courage et de patience. En 85, Christine est autorisée à se marier avec Abraham: la célébration de leur mariage a lieu sous les barreaux de la prison centrale de Kénitra. Christine vit de nouveau au Maroc, à Casabalanca. Elle peut de temps à autre rendre visite à son mari. Mais elle ne peut se résigner à l'idée que la perpétuité soit irrécusable.
En 1991, au bout de 27 ans d'emprisonnement, Nelson Mandela est libre. Les images de sa libération font le tour du monde. Et le nom d'Abraham Serfaty émerge dans certains médias, en marge de l'évènement: il est depuis la sortie de son aîné le plus vieux prisonnier politique du monde. Et Christine a beau être expulsée deux fois encore du Maroc, elle ne désarme pas. Elle écrit. Elle a toujours écrit. Et fait écrire sur le Maroc et ses cachots, le Maroc et son amour, le Maroc et son espérance.

Le 13 septembre 1991: journée, historique, inoubliable. Au bout de 17 ans d'emprisonnement, suite à une campagne internationale engagée pour sa libération, Hassan II cède et libère Abraham Serfaty. Néanmoins, le roi ne veut plus de cet insoumis parmi ses sujets. Il le déchoit de sa nationalité marocaine, ce qui contraint Serfaty de s'exiler en France mais pour y revendiquer malgré tout son inaltérable marocanité. Il y reste pour huit ans.
Le 23 juillet 1999 décède Hassan II. Lui succède sur le trône Mohamed IV. Et dans les semaines qui suivent, Abraham Serfaty est invité à regagner sa patrie.

Sur le fauteuil roulant, Insoumis

Depuis son retour d'exil et jusqu'à sa mort, Abraham Serfaty est cloué à un fauteuil roulant. C'est l'une des multiples rançons du combat qu'il n'a cessé de mener tout au long de sa vie. Tortures, prison, perte d'êtres chers punis sans être directement impliqués dans son combat politique, désunion familiale puis les années de l'âpre exil, autant de facteurs ont marqué terriblement le corps du militant, mais sans le moindrement entamer l'âme de l'Insoumis.
En septembre 99, quand il descend de l'avion qui le ramène au pays, sur son fauteuil d'invalide, il trouve à l'aéroport une foule immense venue l'accueillir en héros et lui témoigner son amour et son attachement. Cet inoubliable instant de joie et de retrouvailles et la main tendue du roi Mohamed IV lui ont certes permis d'oublier un peu les peines tant endurées. Et s'il a pu mourir là où il est né et s'est battu, et dans la dignité, il doit être davantage heureux à l'instant où il repose à côté des siens.

Cercueil couvert des symboles associés à son combat*** Christine, Abdellatif et la foule pour les adieux

Avant de conclure cette rétrospective, ou cette ébauche de rétrospective qui a tenté de restituer quelques temps forts du parcours de ce combattant, il convient de rappeler que la villa que Serfaty a acquise à crédit au lendemain de son retour au Maroc n'est pas encore totalement payée.
Il convient de rappeler aussi que le défunt a refusé les dédommagements que l'État marocain voulait lui verser. Parce que le Maroc, dit-il, ne lui doit rien! Et ce qu'il a fait, ce qu'il a sacrifié, il le devait à sa patrie!

Des écrits pour la Palestine

Abraham Serfaty est au Maroc ce que fut Georges Adda à la Tunisie. Même si ce dernier n'a pas autant souffert, l'un et l'autre s'étaient battus pour l'indépendance et ont connu la prison et la déportation sous le colonisateur. A cette caractéristique commune qui les a soudés par le passé au Maghreb, s'ajoute le combat commun, après l'indépendance, pour la Palestine. Certes, Georges Adda n'était pas écrivain, ou pas assez prolifique comme Abraham Serfaty. Le Tunisien ayant écrit surtout des articles, ou figuré dans des documentaires télévisés, néanmoins il a rejeté sans ambages le sionisme et n'a jamais reconnu l'État d'Israël. Il s'est opposé même au président Bourguiba, alors qu'ils étaient compagnons de lutte, lorsque ce dernier proposait aux Arabes des négociations de paix avec Israël. Et jusqu'à sa mort à l'âge de 92 ans, survenue en 2008, Georges Adda n'a cessé de se battre pour la justice et la liberté en Tunisie, tant au sein du PCT qu'au sein de l'UGTT. Ni de proclamer son soutien sans nuance à la libération de la Palestine.

Parmi les écrits antisionsites d'Abraham Serfaty, outre les articles publiés dans la revue Souffles (les numéros sont, hélas! introuvables depuis l'interdiction de cette revue en 72) il convient de citer:

L'Insoumis, Juifs, marocains et rebelles (Desclée de Brouwer, 2001) : Écrit en collaboration avec Mikhaël Elbaz

Écrits de Prison sur la Palestine (Éditions Arcantère, 1992)

Lutte anti-sioniste et Révolution Arabe (Éditions Quatre-Vents, 1977).


Ils ont dit de lui:

« Il était résolument engagé dans la lutte contre le colonialisme. Et après l’indépendance du Maroc, il a été l’un des militants pour la démocratie et le respect des droits humains dans notre pays. Il ne faut surtout pas oublier qu’il a été, et c’est tout à son honneur, un combattant contre l’occupation israélienne et le sionisme. Il s’est battu pour que justice soit rendue au peuple palestinien » Mohamed Elyazghi - Ancien leader de l'USF (l'Union Socialiste des Forces Populaires)

« Serfaty est le révélateur de tous les combats du siècle marocain [...] « A Derb Moulay Chrif, je n’oublierai jamais son immense courage sous la torture. Serfaty était d’une incroyable résistance physique et morale. Il a toujours été incroyable de courage. Je pense aux procès de 1977, à nos longues grèves de la faim, à nos douloureuses révisions de positions. C’était un homme à la dimension extraordinaire et au courage politique exemplaire. Quand il a une conviction, il joint toujours le geste à la parole. » Salaheddine El Ouadie - ex-détenu politique

« Son parcours se confond avec les grandes séquences du Maroc. De la lutte pour l’indépendance, à la construction de l’Etat national, il s’est engagé en tant que militant mais aussi en tant qu’expert alors qu’il était conseiller d’Abderrahim Bouabid." Habib El Belkouch - directeur du CDIFDH (Le Centre de Documentation, d'information et de formation en droit de l'Homme)

" موقفه المبدئي والحازم الى جانب حقوق الشعب الفلسطيني يستحق كل التقدير والوفاء والإحترام والإنحناء أمام هذه القامة النضالية العالية. وكل الذين التقوا به أو قرأوا له أو سمعوا عنه سيحتفظون بذكرى عطرة لنموذج وقدوة في النضال والصلابة والإخلاص للمبادئ والقناعات النبيلة، حتى الرمق الأخير". داود تلحمي
Traduction:
"Sa position initiale intransigeante appuyant les droits du peuple palestinien mérite tout le respect, appelle à honorer sa mémoire et s'incliner devant cette haute stature combattante. Tous ceux qui l'ont rencontré, lui ont lu ou entendu parler de lui garderont de cet homme le pieux souvenir d'un exemple à suivre dans la lutte, la détermination et la fidélité jusqu'au bout aux nobles principes et convictions" - Daoud Telhami - Membre du FDLP (Front de Libération de la Palestine)


A.Amri
19.11.10



____________________________________Notes

1-L'Insoumis, Juifs, Marocains et Rebelles - Abraham Serfaty et Mikhaël Elbaz (Ed° Desclée de Brouwer -2001)

2- Alors que les ancêtres des Serfaty sont au Maroc depuis le XVe, chaque fois que la politique du pays les juge personæ non gratæ, elle s'arrange pour trouver le bon prétexte et les éloigner du Maroc. C'est ainsi que le père d'Abraham a été expulsé par l'occupant français sanctionnant son combat politique, parce que ce père a travaillé pendant 17 ans au Brésil. Il a pu réintégrer ultérieurement le Maroc mais la politique rééditera la sanction à l'encontre d'Abraham. A sa sortie de prison en 1991, on estime que ce "Brésilien" qui a abusé de l'hospitalité royale ne peut plus rester au Maroc et on l'expulse vers la France.3- Crée en 1943, interdit en 1959, rebaptisé le Parti de la Libération et du socialisme (PLS) en 1968, de nouveau interdit en 1969 et rené sous le nom Parti du progrès et du socialisme (PPS) en 1974.

4- Il faut rendre cette justice à ceux qui la méritent que de nombreux juifs marocains vivant aujourd'hui en France ou ailleurs n'ont jamais trahi ni le Maroc ni la conviction antisioniste d'Abraham Serfaty.
Citons quelques uns des plus connus: Reuven Abergel (Fondateur et leader du mouvement des Panthères Noires en Israël, activiste antisioniste), Jacob Cohen (écrivain et universitaire vivant à Paris, militant antisioniste), Mordechaï Vanunu (le Citoyen du monde, émigré à l'âge de 9 ans avec ses parents et retenu prisonnier et otage en Israël depuis qu'il a dénoncé le programme nucléaire sioniste).

5- Ville minière considérée comme la plus importante zone de production de phosphates au monde, située à 120 km au sud-est de Casablanca.

6- Construite en 1959 à Rabat, c'est la plus ancienne école d'ingénieurs au Maroc et en Afrique.

7-
En avant! (en arabe) devenu aujourd'hui Annahj Addimocrati (la Voie Démocratique).

8- Jocelyne, sa femme, sera arrêtée en janvier 75 mais son statut de Française entrant en jeu, elle sera relâchée au bout de 15 jours de détention.
Abdellatif sera remis en liberté après 8 ans de réclusion, sous la pression d'une campagne internationale pour sa libération, initiée par son ami français et éditeur Ghislain Ripault.

9-
"Rapprochons la pensée d'Al-Ghazali de la pensée dialectique contemporaine que nous avons rappelée. La pensée dialectique d'Al-Ghazali, coeur de la philosophie arabe, nous paraît pouvoir être autrement plus à la base de la construction d'une culture arabe révolutionnaire et créatrice et de la construction intellectuelle et scientifique de la nation arabe que la pensée stérilisante d'un Descartes." Abraham Serfaty ( La francophonie contre le développement)

10- Dans ce même procès, la réclusion à perpétuité a été prononcée par contumace contre 24 autres inculpés. Pour les inculpés arrêtés (35 personnes), les peines allaient de 15, 10, 8 à 5 ans.

11- "Au XVIIIe siècle, les "vers rinaires", parasites du nez, étaient une maladie assez répandue. Cependant, beaucoup avaient honte de dire au médecin qu'ils en étaient affectés. Ce dernier était alors obligé de les soumettre à un interrogatoire pour les faire parler. On disait alors qu'il leur "tirait les vers du nez". (L'Internaute)

- Une autre explication ici.

- Dans les pays du Maghreb, et sans doute dans d'autres pays aussi, la science infuse rurale recommande la consommation d'oignons crus pour l'extraction des vers rinaires.

12- Le texte ci-dessous est extrait du témoignage de la victime sur les atrocités qu'elle a subies :
"Je suis introduite dans un autre bureau où se trouvent plusieurs policiers. Mon sac est entièrement vidé devant moi. Les questions et les gifles pleuvent. Puis on m’oblige à enlever ma jupe et mes chaussures. On m’attache les chevilles et les poignets ensemble avec des chiffons et des cordes. On fait passer entre eux une barre de fer que l’on pose entre deux tables. C’est la torture du “perchoir à perroquet” déjà décrite par mon frère. On me pose un bandeau sur les yeux, un chiffon sur la bouche. On verse de l’eau sur le chiffon en me disant que si je ne parle pas, on ajoutera du javel à l’eau. C’est l’étouffement, une sensation horrible.
Je suis toujours sur le “perchoir ”, mais c’est le supplice de l’électricité, dans les oreilles, dans le sexe, puis on m’enfourche des fils autour des orteils, et ce sont de terribles décharges dans tout le corps. “Ce n’est rien me dit-on, tu verras quand on te fera ça aux seins.”
Un autre supplice : on m’enroule dans une couverture, m’étend sur un banc de bois, attachée avec des cordes, on incline le banc de façon à ce que la tête touche presque le sol. C’est toujours la technique de l’étouffement, mais aggravée par le fait qu’on ne peut pas bouger et que la sensation de perdition est encore plus grande.
Entre deux tortures, les policiers me saisissent par les cheveux, me secouent, me giflent, me disent en arabe “parle, parle”. Je ne parlerai pas d’injures, ce serait trop long.
Cette fois-ci, on m’attache les chevilles et les poignets à une corde. Je n’étais plus en mesure de distinguer où était suspendue cette corde. Je sais que je tourne et qu’à chaque tour, on m’appuie fortement sur la colonne verticale, au creux des reins. J’ai l’impression que mes vertèbres vont se briser d’un moment à l’autre.. C’est atroce.
Je suis par terre, grelottante, claquant des dents. Un de mes tortionnaires me fait mettre ma jupe “pour que j’aie moins froid !”

Puis c’est encore le “perchoir ”. Cela dure longtemps, l’étouffement, l’électricité. “Lève le doigt si tu veux parler”. Je sens mes mains et mes pieds gonfler, devenir de bois. Je sens quelque chose de chaud couler sur ma jambe droite. J’ai réalisé plus tard que c’était du sang et qu’on m’a fait un pansement grossier avec une corde et un chiffon.
Je me retrouve sur le sol, le dos contre le mur. Mes jambes et mes pieds sont bleus, gonflés, énormes. De même que mes mains.

Mais ce n’est pas fini. On m’obligea à me relever, on me frappe sur tout le corps avec une longue barre plate en bois. Un de mes tortionnaires, grand, gros et fort, me marche sur les pieds. Enfin au comble de la rage, les policiers sortent un énorme couteau dont ils me mettent la pointe sur la gorge, puis un revolver qu’ils m’appuient sur l’oreille. Ils sortent un radiateur électrique, qu’ils branchent, et me menacent de me faire asseoir dessus, mais ils se ravisent.
On me laisse tranquille un moment. Puis les policiers reviennent et me disent “puisque tu ne veux pas parler, on va aller chercher tes parents et les amener ici. Ils subiront le même sort que toi (mon père a 83 ans, ma mère, à moitié aveugle, 79 ans). Tu ne dis rien, bon, on va aller les chercher. Tu les verras bientôt, réfléchis”.

La nuit tombe. Les deux policiers qui prennent la relève me font marcher dans le couloir, de plus en plus vite, en me levant et abaissant les bras. Les deux suivants me font rester debout jusqu’à 6 heures du matin. On me permet alors de m’asseoir, le dos contre le mur."
Témoignage d'Evelyne Serfaty datant du 16 octobre 1972

13- Son nom complet: Maurice Ali Moses .

14- A moins que l'enfer réel ne soit la prison de Tazmamart. C'est grâce à Christine Daure-Serfaty et le livre écrit par le journaliste Gilles Perrault Notre ami le roi en 1990 que cette prison, longtemps tenue en secret, a été découverte
. Cédant à la pression internationale suscitée par ce livre, le roi Hassan II décide de fermer la prison en 1991 et de relâcher les derniers détenus.
15 - On peut citer au moins deux anciens détenus sortis fous: Mustapha Ouaham et Hassan Elbou. Abraham Serfaty, suite à son passage au derb Moulay, ne peut plus utiliser ses mains pour écrire tant le fer des menottes lui a abîmé les poignets.

16- Pierra di Maggio, jeune italienne engagée comme enseignante à L'Ecole Montessori de Casablanca, a été mêlée aux
affaires marocaines d'une manière quelque peu forcée. Certes, l'enseignante était de gauche et sympathisait avec l'opposition marocaine mais, à notre connaissance, il n'y avait vraiment rien de consistant dans son dossier : intime amie de Saida Menebhi, elle a dû participer aux grèves et manifestations de 72, ce qui lui a valu l'arrestation et l'inculpation. Elle a été libérée en 78. Installée depuis en France, elle est militante à la section française d'Amnesty.


17- 55 interrogatoires et une condamnation pour "abus de l'hospitalité royale et hébergement d'un recherché de justice".

18- Abdellatif Laâbi, enfermé dans la prison centrale de Kénitra, écrit à ce sujet: "Prisonnier! Qu'est-ce à dire? Une cellule tout ce qu’il y a de plus cellule :2m30 x 1m30 environ. Cubage dans les normes parait-il. Murs blanchis à la chaux, oh si chichement. Une ampoule suintant la misère de ses 25 watts encastrée dans le mur, mise hors d'atteinte par un verre dépoli massif, un w.c. siège à la turque surmonté d'un robinet en cuivre, la petite fenêtre réglementaire avec les non moins règlementaires barres d'épaisseur respectable et, grand luxe, une petite étagère où le « pensionnaire » pourra ranger ses affaires. Devant vous, la porte grise avec son judas lui-même aveuglé par un système ingénieux de plaque métallique à glissière, à son tour perfectionné par un autre système de blocage constitué d'un fil de fer qui passe dans un anneau au milieu de la plaque et l'immobilise à la base. Nous avons enfin une plate-forme en maçonnerie enduite de ciment qui prend pompeusement la moitié de l'espace et reçoit la paillasse. C'est là où le pensionnaire trône, dort, fait ses cauchemars et parfois au bout d'un dédale de raisonnements obscurs et d'hallucinations décide de se suicider. Nous sommes bien sûr à la « Maison Centrale », le joyau de la chaîne des pénitenciers du Pays du Soleil."

Abdellatif Laâbi - Le règne de barbarie (Seuil 1980)

19- Un site dédié à la mémoire de Saida Mennebhi

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Torture: témoignage de Laâbi





"On me coucha sur le ventre. On me replia violemment les mains derrière le dos et on me les attacha solidement. J'ai remarqué qu'avant de m'attacher les mains, ensuite les pieds, ils prenaient la précaution de me couvrir les poignets et les chevilles de chiffons, pour que les cordes ne laissent pas de traces. Ils me passèrent ensuite une grosse barre de fer entre les mains et les pieds, me soulevèrent et posèrent les extrémités de la barre sur deux tables qui étaient disposées à un peu plus d'un mètre l'une de l'autre. J'étais ainsi suspendu, le ventre dans la direction du sol. Tout le corps pesait ainsi sur les mains et sur la colonne vertébrale. Cette position m'était d'autant plus douloureuse que je suis atteint depuis longtemps d'un rhumatisme dorsal qui a entraîné la soudure de deux de mes vertèbres. Je ressentis presque tout de suite une douleur aiguë dans la colonne vertébrale et sentis mes mains se gonfler rapidement. On apporta nsuite une sorte de caisse en bois qu'on déposa sur le milieu de mon dos. Le poids de la caisse accentuait encore la douleur. J'étais au bord du délire lorsqu'on m'a déposé, sans me délier d'ailleurs les mains et les pieds. On me laissa un moment par terre, puis l'opération recommença. Cette fois-ci, elle dura plus longtemps encore. Je ne pus m'empêcher au bout d'un certain temps de crier pour me soulager un peu, mais je devenais de plus en plus faible. Mes idées s'embrouillaient. Je sentis monter dans mon gosier le goût âcre de la mort[...]Au cours des dix premiers jours qui suivirent cette période de "garde à vue", je ne pouvais marcher que péniblement, j'avais mal constamment aux articulations et je soufflais d'une inflammation des yeux"
.

Abdellatif Laâbi - Le règne de barbarie (Seuil 1980)

_______________________Torture: témoignage de Serfaty:
« Il y a d’abord les chevalets : deux lourds chevalets de bois massif de 1,20m à 10,40 m de hauteur, avec une entaille arrondie et recouverte d’acier au milieu de la poutre supérieure ; les deux chevalets placés en vis-à-vis, le tube d’acier qui vous porte est posé dessus et vous voilà suspendu. Ces deux chevalets peuvent également servir au support des cordes qui vous lient respectivement poignets et chevilles dans la torture dite ‘de l’avion’. La suspension du corps au tube d’acier est à la fois simple et diabolique (…) On m’avait d’abord déshabillé entièrement pour me faire enfiler la tenue du Derb (ainsi avons-nous appelé entre nous ce lieu de torture, du nom du quartier de Casablanca où il est situé, le Derb Moulay Cherif) ; cette tenue consiste en une chemise et un pantalon de toile kaki, sans rien d’autre, pas même de sous-vêtements. Assis par terre, les genoux repliés sur le corps, les bras liés fortement par les poignets sont enfoncés sur les jambes jusqu’au-dessous des genoux et les tortionnaires passent alors le tube entre les poignets et le creux des genoux. Il n’y a plus qu’à vous suspendre. L’étouffement par l’eau se fait en pesant un torchon à laver les sols (en toile de sac) sur la bouche. Le raffinement de ces experts de la torture, par rapport à ceux que j’avais subis à Rabat en janvier 1972, est de se contenter d’humecter régulièrement le torchon, ce qui produit le même effet d’étouffement que lorsqu’il est abondamment arrosé, mais ainsi, le corps ne s’emplissant pas d’eau, la torture peut durer beaucoup plus longtemps. A plusieurs reprises, sur ce chiffon ainsi humecté d’eau, les tortionnaires frottaient un produit chimique qui donne alors une légère mousse. L’effet en est pour le moins étrange : on éprouve le besoin irrésistible de se mordre la bouche pour boire son sang.»


Source

___________________Publications de Christine Serfaty

Lettre du Maroc (Stock, 2000).

La femme d'Ijoukak (Stock, 1997) : roman, une étrange histoire dans les montagne de l’Atlas (Lire un commentaire sur le site de l’éditeur). Publié au Maroc en 2008 seulement.


La mémoire de l’autre (Stock, 1993) : La vie de Christine et Abraham Serfaty dans un livre à deux voix.

Rencontres avec le Maroc (La Découverte, 1993)

La Mauritanie (L’Harmattan, 1993).

Tazmamart (Stock, 1992) : Le livre qui a dénoncé le bagne dont les autorités marocaines niaient jusqu’à l’existence

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Liens externes

Quand les médias crachent sur Aaron Bushnell (Par Olivier Mukuna)

Visant à médiatiser son refus d'être « complice d'un génocide » et son soutien à une « Palestine libre », l'immolation d'Aar...