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lundi 17 février 2020

Quand "scène" et dérivés seront-ils relogés dans leur sakéna arabe ?

« Une vision bornée de l'histoire nous a imposé d'en localiser les sources non loin de chez nous, dans l'aride péninsule hellénique et sur les misérables rives du Tibre. Les Européens réduisent volontiers les origines de leur culture aux cantons athéniens et romains. [...] Prestige du verbe, orgueil de soi, volonté de surélévation : lorsque nous avons prononcé le mot Occident, nous avons tout dit, comme si l’Occident était autre chose que la pente déclinante de l’Orient... » (Pierre Rossi)


Scénario, scénique, scénette, scénographie, scéniquement, scéno-graphique, scénographiquement, scénite, scénopégie... et la liste peut encore s'allonger, dérivent de la racine scène, mot attesté en français depuis 1531 au sens de « représentations théâtrales de l'Antiquité ».

Le TLFi rattache le mot  au latin scaena « scène d'un théâtre,
Scène de Hôtel Feydeau, mise en scène d Georges Lavaudant
théâtre », « scène publique, scène du monde », « mise en scène, comédie, intrigue », « partie d'un acte », du grec
σκηνή « construc-tion en bois, couverte, où on jouait les pièces de théâtre », d'où « partie de la scène où jouaient les acteurs », « fiction de théâtre », d'où « fiction, mensonge ».

Mensonge, fiction: il y en a aussi un peu dans cette définition, quand le TLFi fait de "baraque" (premier sens du mot grec) un lieu "où on jouait les pièces de théâtre". Et ce que le TLFi ne vous dit pas, c'est qu'en grec le mot signifiait d'abord tente. Et si les Grecs désignaient autrefois les Arabes par Scénites[1], c'est tout simplement parce que la skéné (scène=tente) était l'habitat de prédilection des Arabes, et des bédouins en particulier. Le dictionnaire grec-français de Charles Alexandre, de même que Littré, et Antoine Paulin Pihan ont le mérite de nous rappeler ce sens premier du mot grec. Pihan précise même, en s'appuyant sur Charles Alexandre, "que le sens de scène théâtrale, appliqué au mot grec, est un peu détourné de sa signification primitive". Mais qu'importe ! Ce qui nous intéresse davantage ici, à savoir d'où le grec tire ce mot, Littré, le TLFi, ni autres mystes de philologie et lexicographie françaises, ne daignent en donner la moindre précision.


Et pourtant, on ne compte pas les références [2],[3],[4],[5],[6],[7],[8],[9],[10], [11],qui nous disent que ce grec σκηνή skènè est en fait un mot  sémitique, et les grecs le doivent probablement à l'arabe سَكِنة  sakéna (habitation), du verbe سَكَنَ sakana (habiter, demeurer), plutôt qu'à l'hébreu "châkan"(id.). La racine trilitère arabe س.ك.ن  S.K.N. est la même souche auquel le moyen français doit
meschinage et ses variantes et apparentés [12], dont mesquin (1604), mesquinement (1608) et mesquinerie (1624),  conservés en français moderne. C'est la même encore dont le français tire le terme anatomique échine.

A. Amri
17.02.2020

Notes:

1- Voir la géographie de Strabon, tome I, Paris, 1867, p. 85 et 362.

2- Etienne Guichard, Harmonie étymologique des langues, Paris, 1606, p. 952
3- Samuel Bochart, Geographia Sacra, Caen, 1646, p. 185.
4- Louis Thomassin, Méthode d'étudier et d'enseigner chrestiennement et utilement la grammaire, ou les langues, François Muguet, 1690, p. 249 5- Beuzelin, Nouvelle méthode pour faciliter la première étude de l'arabe, Paris, 1855, p. 138
6- William Muss-Arnolt , On Semitic Words in Greek and Latin, American Philological Association, 1892, p. 75, note 10
7- Antoine-Paulin Pihan, Dictionnaire étymologique des mots de la langue française dérivés de l'arabe..., Paris, 1866, p. 329.
8- Giovanni Semerano, Le origini della cultura europea: rivelazioni della linguistica storica. Dizionari etimologici : basi semitiche delle lingue indeuropee, L.S. Olschki, 1994, p. 552
9- Marco Antonio Canini, Etimologico del vocaboli italiani di origina ellenica con raffronti ad altre lingue, V. 2, Torino, 1865, p. 891
10- John Ogilvie, The Imperial Dictionary: English, Technological, and Scientific, V. 2, Londres, 1861, p. 677  
11- Noah Webster,  A Dictionary of the English Language, V. 2, Londres, 1832, n. p.
12-Meschinnage, mechinaige, machinaige, mecmescin, messin, mischin, meschineste, meschinette, meschiner....(Source)


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dimanche 2 février 2020

"Mec": un mot venu d'Arabie

 « Est-ce que tu ne te déciderais pas, [...], à venir avec nous à la ville de Sennâr ? Tu y trouveras honneur et bien-être. Notre mek (roi) est homme à main ouverte, qui ne regarde ni à l'argent, ni à l'or... » (Mohammed ebn Omar el Tounsy) [1].

Le mot français « mec » est attesté pour la première fois en 1821, comme terme d'argot marseillais, sous l'orthographe "mecque", au sens de "chef". Historiquement, il a eu de nombreuses variantes orthographiques telles que : mek, mèke, mecck, meq, mèque, meck, mecq, meg [2]. Et de nombreux sens aussi, d’après Gaston Esnault citant Ansiaume (forçat à Brest, 1861): « Dieu, roi, maître, chef, patron, surnom de Vidocq » [3].

Quoique la forme comme les sens historiques plaident de façon pertinente pour une dérivation de l'arabe soudanais
مَكٌّ mek (roi), forme contractée de l'arabe malik (de sens identique), le TLFi et consort ne daignent même pas citer comme simple hypothèse l'étymologie arabe. Celle-ci, pourtant, après avoir été citée une première fois par Maxime Du Camp en 1879 [4], est jugée des plus plausible par Albert Dauzat en 1931 [5]. Il est ridicule de faire dériver mec de « mégot », de « maquereau », de « mais que » ou de « mesque » (motif), alors que « mek » au sens de roitelet nubien est attesté en anglais dès 1790 sous la plume de James Bruce [6], et en français depuis 1791 via la traduction de ce même auteur par P. F. Henry [7].  La traduction de Mohammed ebn Omar el Tounsy, cité en exergue, nous fournit de nombreux passages où le terme "mek" est cité pour désigner des roitelets soudanais [8].

Mec: le mot venu d'Arabie
« Mek » , ou sa racine مَلِكٌ malik, répond à tous les sens réunis du mot français indiqués par les lexicographes de l'argot. Attribut divin chez les musulmans, d’où le prénom عبد الملك Abd al Malik (esclave de Dieu), le titre royal du souverain (malik) et les titres honorifiques de chef et maître. 

Rappelons également que si Eugène François Vidocq – probablement vers la fin du 18e s., ou le début du 19e s.- avait été surnommé « le mek », c’était surtout à la faveur du respect que lui valut sa notoriété auprès des gens du milieu . Et il serait impensable que l’on aille chercher un sens à tel respect dans les mots « maquerau », « mégot », « mais que » ou « mesque ». D'autant que Balzac lui-même assigne à "meg" le sens de Dieu.


A. Amri
02.02.2020

 Notes:

1- Voyage au Darfour, trad. Perron, Paris, 1845, pp. 12- 13. 
2- Définition de : mec, www.languefrancaise.net/Bob/282
3- Opt. cit.
4- Maxime Du Camp, Paris : ses organes, ses fonctions et sa vie jusqu'en 1870, V. 3, G. Rondeau, 1869, p. 18.
5- Revue de philologie française et de littérature, V. 43 à 46, F. Vieweg, 1931, p. 72
6- Travels to discover the source of the Nile, in the years 1768, 1769, 1770, V. 4, Londres, 1790, p. 527.
7- Voyage en Nubie et en Abyssinie, T. 7, Paris, 1791, p. 104.
8-  Mohammed ebn Omar el Tounsy, opt. cit., pp. XLIX, 13, 35, 70.

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