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mercredi 30 mars 2016

Tounès Thabet, ou la Fée tisserande d'espérance



Je sais les nuits tourmentées
les brumes du regard
et les incantations muettes
La main qui erre
en quête d'un port
le cœur qui frissonne
en quête d'un rivage
Je sais la splendeur de l'aurore
Quand l'âme atteint les sables désirés
et que la main touche l'or du ciel
             Tounès Thabet 

La poésie tunisienne d'expression française vient de s'enrichir d'un nouveau-né. Dont l'heureuse validé, à mon sens sultane dans son genre, lui a donné un nom joliment tourné. A charnières, dirait-on, sang oblige ! mais d'un panache heureux, les poèmes qu'il résume de la sorte et annonce étant chants « de haute aube ». Et je dirais même sélan ambrosien que seule une fervente main d'achouga peut ainsi composer. C'est comme chant et sélan d'amour que j'ai lu J'ai tissé l'espérance d'épines et de fils de soie. Et c'est ainsi que je voudrais le présenter ici à mes amis.

Tunisianité géminée

Tounès Thabet tire son prénom du pays auquel elle appartient1. A ce titre, on peut dire à bon droit qu'elle est deux fois tunisienne. De par sa nationalité d'abord, comme le commun de ses compatriotes. Mais aussi de par le dérivé toponymique dont elle s'appelle, qui décline la racine du gentilé, géminée au prénom de la femme. Et ce prénom est tellement peu partagé entre les Tunisiennes qu'il semblerait échu en exclusivité à Tounès Thabet.

Toponyme, prénom féminin et gentilé implicite, Tounès peut se lire aussi comme un hymne d'amour et de résistance. Contre toute apparence, les deux petites syllabes qui composent ce grand nom, à elles seules constitueraient un poème.

 Attestation d'amour kéfois2

Dans un contexte historique où la Tunisie se battait encore pour son indépendance, appeler sa fille Tounès c'était une manière de se déclarer achoug, terme qu'il faut lire ici au sens étymologique comme au sens artistique. Achoug d'un pays dont l'enracinement et la civilisation, multimillénaires, ne peuvent se perdre ni jamais  tomber en « déshérence ». Quels que soient les coups durs pouvant marquer son histoire. Quelle que soit l'adversité inscrite dans son mektoub.

On ne s'étonnera pas dès lors que l'attestation d'amour autrefois inscrite sous ce prénom aux riches résonances symboliques et poétiques, contamine avec le temps sa dépositaire. De son vivant Mahmoud Darwich posait et reposait l’obsessionnelle question rhétorique : comment guérir de notre amour pour la Tunisie ? Avec toute la vénération que nous vouons à l'incomparable achoug palestinien, la Tunisienne fée tisserande de l'espérance3 peut à ce propos renchérir, en toute légitimité, et surenchérir. Comment Tounès guérirait-elle de son amour pour Tounès ?

C'est cette achouga-là que j'ai aimée surtout en Tounès Thabet. Et quiconque se procurera son texte, quiconque ne se privera pas de musarder à travers le dit et le non dit de ses écrits, quiconque y taillera en pleine étoffe, ne pourra qu'aimer ce sélan ambrosien aux fragrances de soie.

Le recueil en deux mots

Le titre antithétique rappelle une réflexion judicieuse de Antoine Albalat: « l'antithèse, écrit-il, ne doit pas être considérée comme un simple et occasionnel artifice de pensée. C'est un procédé d'écrire, une façon d'enfanter, de dédoubler et d'exploiter des idées, procédé qui s'applique à tout le style abstrait, et par lequel on peut traiter n'importe quel sujet, mettre en relief n'importe quelle suite de phrases»4.

J'ai tissé l'espérance d'épines et de fils de soie: une phrase récamée, les tout premiers points de tissage, placée sous le double signe d'une consonne serpentine (harmonie imitative qui suggère le mouvement de l'aiguille autant que les fils et les doigts qui voltigent) et d'une métaphore filée. Ce titre est, en fait, la mise en exergue d'un vers aux vertus apéritives. Il est tiré de Serment singulier, l'un des 39 poèmes composant l’œuvre. L'on conviendra que le nouveau-né, avec ces 39 poèmes et 40 pages, n'est pas un poupard.5 Mais il va de soi que ce n'est ni à son volume ni à son prix qu'un recueil de poésie, ou toute œuvre littéraire du reste, s'évalue. L'écrit de Tounès Thabet s'appréhende en partie à travers cette antithèse6, antinomie dialectique qui oppose et allie les épines et la soie. Mais ce n'est qu'une entrée parmi d'autres, les paires dialectiques résultant d'alliages, plus complexes, d'ordre linguistique et culturel, n'en sont pas les moindres.

C'est de tel amalgame (mot à lire au sens originel7), unissant diverses paires de gamètes, que l'alchimiste du verbe a tiré son grand œuvre, son élixir philosophal. Douceurs infinies et morsures jalonnent de bout en bout le texte. Les mots y sont tantôt moelleux, savoureux comme un vin de derrière les fagots, tantôt aigres, plus amers que l'absinthe. Mais ce qui subsiste de chaque vers lu, à mon avis, de chaque verre bu, c'est le plaisir esthétique. A la mesure de l'avant-gout que donne la première de couverture.

La militante

"J'ai tatoué le mot liberté sur mes lèvres", clame la poétesse. Cette inconditionnelle de la liberté sœur de dignité dans les dictionnaire de tous les peuples, et mot davantage tonique dans la bouche de la femme, est aussi une militante. A ce tatouage en relief et par incisions visible sur la chair bleue de ses mots, le lecteur devine la plume de combat. Mais, à moins de connaitre la militante de gauche, pas assez la véritable étoffe de l'achouga. Perspectiviste invétérée, compagne de feu Fateh Thabet qui ne nous a pas quittés, par le passé comme de nos jours Tounès est de toute mobilisation citoyenne. Dès que Liberté, Droit, Justice, entre autres valeurs universelles, sollicitent son soutien, ils la voient aussitôt au cœur de la mêlée. Et s'il faut payer le tribut du combat, le kharâj imposable aux achougs, elle s'en acquitte avec un stoïcisme digne d'Epictète8. Jugez-en vous-même, cher lecteur !

J'ai posé ma main
là où ils avaient planté des clous
torturé la chair rebelle
J'ai caressé les fêlures
les cicatrices fermées
Suivi l'empreinte des mots
jusqu'à la contrée de la genèse


La lune dans un verre

Les Carthaginois vouaient un culte à la lune, incarnation sidérale de leur déesse Tanit. Et dans la bouche de son immortelle Salambô, Flaubert nous rappelle que l'astre tutélaire resplendissant de la nuit a le bras long. C'est de son éclat opalescent que la mer se féconde, de son parfum cohobé par l'éther que le vin bouillonne. Et quand à l'heure éprouvante de l'accouchement, une femme hurle son nom, sans tarder il lui accorde la douce délivrance, le bonheur vagissant de sa validé.
Le verbe de Tounès Thabet, à tel ou tel moment de sa conception, invoque lui aussi la puissance sidérale qui l'innerve et l'allaite. Et la délivrance qui s'ensuit emplit nos verres de ce nectar ambroisien au bouquet si moelleux. Mais combien traître ! 

Buveur de lune et de la quintessence nocturne, rêvant l’enivrement de l’instant et de la fulgurance d’une étoile, les yeux rougis de veille, à l’heure de l’étreinte
Le verbe fiévreux m’inonde de sa vague saline et l’incandescence d’un miracle illumine ténèbres et attente
Nuit éphémère, sans relâche, tu pousses tes portes et écourtes le moment béni
Mais, l’écho des mots ardents se prolonge, note languissante qui se répercute et s’étale
 


Aux revenants d'un âge défunt

Le 14 janvier 2011, un immense espoir est né sur la terre éponyme de la poétesse. C'était tellement beau que le monde entier a salué le peuple tunisien, en tout exemplaire, artisan d'une révolution inédite où pas une seule goutte de sang, dans le camp de Ben Ali et son appareil répressif, n'a coulé. Dans le reste du monde arabe, l'exploit tunisien a produit l'effet d'un séisme. Mais voilà que des révolutionnistes, jusque-là tapis au milieu des rats, dans les cloaques immondes, ont émergé pour tenter de confisquer ce qui ne peut leur appartenir. Ces empêcheurs de tourner en rond, outre les dégâts énormes qu'ils ont causés au delà de nos frontières, nous ont fait perdre le capital de sympathie, si précieux, que les peuples et nations des 5 continents ont souscrit au profit de notre révolution.

A ceux-là le mot de la fin sous la plume de Tounès Thabet:

Ils ne tariront pas nos sources. Ils n’altèreront pas le goût du miel. Ils ne saccageront pas nos palmeraies. Leur aube ne se lèvera pas.
Ils n’effaceront pas les traces de nos pas. NON, les barbares ne passeront pas.


Tounès Thabet sur RTCI





Ahmed Amri
30 mars 2016

Le recueil est disponible aux librairies "Au gai Savoir" et " Claire Fontaine" (Tunis) ainsi qu'à la Foire du Livre, stand Perspectives - Amel Tounsi, numéro 108

==== Notes ====
1- Il faut remarquer que la Tunisie, de l'ère carthaginoise jusqu'à 1574, s'appelait Ifriqia, en latin Africa. Tunis serait un toponyme aussi vieux mais désignait seulement la ville qui le porte encore, l'actuelle capitale du pays. Bien que Ifriqia fût transmis au continent, et ce depuis la diffusion en Europe de la géographie de Léon l'Africain, le vieux toponyme national n'est pas encore tout à fait périmé dans le repérage géographique de certains Tunisiens. Beaucoup de sudistes désignent encore la partie fertile du nord par ce nom, et les transhumances (en saisons de pluie) vers l'Ifriqia étaient encore courantes dans la 2e moitié du XXe siècle. Quand l'Ifriqia fut annexée par l'empire ottoman, en 1574, elle a pris le nom de Iyala de Tounès (Régence tunisienne). Depuis le pays partage avec sa capitale le vieux toponyme Tounès/Tunis. Il faut remarquer aussi que la paire toponymique différentielle Tunis-Tunisie n'existe qu'en français, de même que pour les gentilés Tunisois et Tunisien. En arabe, Tounès désigne le pays et la capitale. Pour marquer la différence quand le contexte rend cela nécessaire, on dit Tounès al-assima: Tounès capitale. Et pour dire Tunisien ou Tunisois, on se sert aussi d'un gentilé commun, en l'occurrence Tounsi.

Sur l'étymologie de Tounès, quoique les historiens soient divisés là-dessus, l'opinion la plus répandue semble corroborer la thèse d'Ibn Khaldoun (voir
Étymons des pays arabes : article en arabe). Le nom Tounès, écrit-il, est "dérivé d'une épithète donnée par ses habitants et ses visiteurs à la cité, et ce en vertu de la réputation qu'elle a acquise: hospitalière et habitée par des gens accueillants et généreux." Tounès serait, donc, la forme adoucie de Touônes تؤنس, dont l'étymon est le même que Ons, Inès, Anis, signifiant: "de compagnie agréable, ou rassurante, douce".

2- Gentilé des habitants du Kef, ville natale de Tounès Thabet .


3- J'emprunte cette expression à un ami facebookois de Tounès Thabet, qui écrit:







 


4- La formation du style par l'assimilation des auteurs, Antoine Albalat (Paris, A. Colin, 1910), p.102


5- Auto-édité, plus un recueil est volumineux, plus il est onéreux. Et je voudrais inciter tous les amis de Tounès Thabet à décliner autant que possible le cadeau offert. Ceux qui habitent Tunis et sa banlieue peuvent acquérir le recueil à la Foire du Livre ou en librairie (les coordonnées sont indiquées sur ma chaine youtube, en bas de la vidéo insérée ci-haut et dans le texte défilant sur cette page). C'est le meilleur moyen d'inciter l'auteure à nous faire, la prochaine fois, un vrai poupard de poésie !

6- L'antithèse est un trait universel de l'écriture, voire du discours humain. De la symbolique couronne d'épines, très chrétienne, aux divers titres littéraires oxymériques (Le Rouge et le Noir (Stendhal), Attout Al-mour [Les mûres amères] ( Mohamed Laroussi Métoui), Les Fleurs du Mal (Baudelaire), la P...respectueuse (Sartre), le Bourgeois gentilhomme (Molière)...), en passant par le savoir-dire enseigné dans nos écoles (la règle de nuance et l'incontournable plan dialectique), il semblerait que rien ne puisse se dire en dehors de l'antithèse. D'après l'écrivain et critique français que je viens de citer, "l'antithèse est la clef, l'explication, la raison génératrice de la moitié de la littérature française." Ibid.

7- Amalgame, de l'arabe الجماع [al-jimaâ], qui signifie « union, mariage, union charnelle », dérive de la racine جمع jamaâ « unir, marier». A ce propos, n'en déplaise à la «mythémologie» et ses autorités savantes, la racine dite grecque  γάμος, gámos (game) et ses dérivés (une trentaine de mots au moins) sont tirés du même étymon arabe qui a donné amalgame.  

8- Esclave d'Epaphrodite et élève du philosophe stoïcien Musonius Rufus, Épictète était d'un courage à toute épreuve. Souffrant depuis sa prime jeunesse d'une déformation dans la jambe qui le rendait boiteux, un jour que son maître jouait avec lui à la manière des Hmayda tunisiens (entendez avec brutalité), Epictète lui a dit à maintes reprises:" tu vas la casser, cette jambe". Et effectivement, le malotru maître la lui a cassée! Devinez ce que le pauvre Épictète a alors pu dire au disciple des plaisantins Hmayda: "ne t'avais-je pas dit que tu la casserais ? " D'après Manuel d'Epictète, traduit par Jean-Pierre Camus (Paris, 1796)

Une belle citation d'Epictète:
« Tu es citoyen du monde et partie de ce monde, non pas une des parties subordonnées, mais une des parties dominantes, car tu es capable de comprendre le gouvernement divin et de réfléchir à ses conséquences » (Entretiens. Livre 2. Chapitre 10), cité in Les stoïciens Par Gilbert Romeyer-Dherbey, Jean-Baptiste Gourinat (Librairie Philosophique J. Vrin, Paris, 2005), p.314




     

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