lundi 23 octobre 2023

« Que voulez-vous qu'Israël fasse ? » par Miko Peled (traduit de l'anglais par Michel Ghys)

 

Israël est attaqué par des pays arabes qui veulent sa destruction : que voulez-vous qu'Israël fasse ? Des soldats israéliens sont attaqués au couteau par des terroristes palestiniens : que voulez-vous qu'ils fassent ? L'Iran dispose d'un potentiel nucléaire et souhaite effacer Israël de la carte : que voulez-vous qu'Israël fasse ? Le Hamas est déterminé à tuer des civils israéliens, alors : que voulez-vous qu'Israël fasse ? La liste est sans fin des choses qui ne laissent pas d'autre choix à Israël que de s'armer, d'attaquer, de tuer des Palestiniens. C'est donc sans espoir et il n'y a aucune raison d'attendre un changement.


C'est juste épatant. Et c'est la réplique à laquelle ont eu recours les dirigeants israéliens depuis qu'elle a été forgée officiellement, vers 1956, par le général Moshe Dayan (bien qu'à l'occasion, des sionistes y ait eu recours déjà auparavant) pour justifier n'importe quel crime commis par l'état d'Israël. Moshe Dayan, c'est ce criminel de guerre inepte et lâche, rendu célèbre par son bandeau. Il était connu aussi  pour voler des antiquités et courir la gueuse (on raconte que, s'entendant dire que les appétits sexuels insatiables de Moshe Dayan devenaient embarrassants, Ben Gourion aurait répondu : « Et alors ? Le roi David était aussi un coureur de jupons et c'était un grand roi »). C'est comme chef d'état-major de l'armée israélienne que Dayan a eu recours à cette excuse du « que voulez-vous que nous fassions ? », dans un inoubliable et éloquent panégyrique qu'il avait prononcé avant l'attaque de l’Égypte par Israël en 1956.

Dayan alimentait la peur et un sens du destin lorsqu'il décrivait les pauvres réfugiés dans la Bande de Gaza comme « attendant de nous massacrer et de répandre notre sang » parce que, comme Dayan le reconnaissait lui-même, « nous avons pris leur terre et en avons fait la nôtre ». Mais, expliquait-il, nous l'avons fait parce que nous n'avions pas le choix ou « qu'aurions-nous dû faire ? » après des milliers d'années d'exil et de persécutions sans fin ; après le génocide nazi, nous voilà revenus mais nous devons toujours vivre par l'épée et toujours tenir fermement cette épée, car dussions-nous relâcher cette prise, ces Arabes assoiffés de sang y verraient un signe de faiblesse et le sang juif inonderait les rues. Autrement dit, peut-être ces Arabes assoiffés de sang qui nous regardent de derrière les portes de Gaza sont-ils fondés à nous haïr mais c'est une réalité où nous n'avons pas le choix. C'est notre destin de vivre toujours par l'épée.
Et c'est bien commode !


Les crimes commis par Israël le sont parce qu'Israël n'a pas le choix. Dans une interview donnée il y a quelques années par un responsable des interrogatoires des services de renseignement israéliens, celui-ci décrivait comment, dans des hôpitaux israéliens, des médecins fermaient les yeux quand les agents venaient torturer, à l'hôpital, des blessés « suspectés de terrorisme ». Il décrivait comment ces agents « tiraient un peu sur les tubes » et qu'aussitôt, « les Arabes se mettaient à parler ». Puis il ajoutait que bien sûr personne ne pense que c'est bien mais que devrions-nous faire ? Il justifiait la torture la plus immorale et la plus horrible contre des personnes hospitalisées – avec des médecins regardant ailleurs pendant que les agents font leur petite besogne – avec cette même excuse sans gêne : « que voulez-vous qu'Israël fasse ? »



Au cours du mois d'octobre 2015, alors que j'étais à Jérusalem, j'ai regardé un programme d'information à la télévision israélienne. On y interviewait le député palestinien au parlement israélien Mohammad Baraka, de la Liste Unifiée, troisième plus grand parti au parlement israélien. Lui aussi s'est vu demander : « Que devrait faire un soldat quand il voit s'approcher de lui un Palestinien brandissant un couteau ? » Lorsque Baraka a commencé à parler de l'occupation, il a été interrompu au motif que ce qu'il disait était hors de propos et qu'il devait s'en tenir à la question. Autrement dit, l'occupation israélienne en Palestine n'a rien à voir avec tout ça mais «  que voulez-vous que fasse un soldat ? » Dites, je vous prie, que ce que font les soldats israéliens est justifié, que tuer des Palestiniens en nombre est acceptable parce que « que voulez-vous qu'Israël fasse ? » À la télévision israélienne, les Palestiniens sont toujours invités pour se faire tourner en bourrique ou être tenus de la fermer.
Le nettoyage ethnique de la Palestine était justifié parce que les Juifs n'avaient pas le choix. Le lent génocide du peuple palestinien est justifié parce qu'Israël n'a pas le choix, tuer des milliers de Gazaouis se justifie parce qu'Israël n'a pas le choix, et ainsi de suite. Les médias américains ont poussé la chose un pas plus loin en y joignant : « Nous ferions de même », comme si cela ajoutait du poids à l'argument du « que voulez-vous qu'Israël fasse ? »


Peut-être est-il temps de penser sérieusement à cette question et d'examiner si elle a une réponse. Que devrait faire un soldat ? Foutre le camp des villes et villages palestinien et alentours. Démanteler, en partant, le mur et tous les points de contrôle. Que devrait faire Israël avec les roquettes tirées de Gaza ? Lever le siège de Gaza, démanteler le mur et les points de contrôle qui s'y trouvent, et laisser au peuple de Gaza la liberté à laquelle il a droit. Que devraient faire les Israéliens ? S'ils n'aiment pas l'idée de vivre dans un pays à majorité arabe, ils peuvent aller ailleurs ou s'y faire et, s'ils choisissent de rester, qu'ils se comportent en immigrants plutôt qu'en colonisateurs. (Cette distinction importante m'a été précisée par mon neveu Guy Elhanan).


Quant à la question la plus large : « que devrait faire Israël ? » Israël devrait libérer tous les prisonniers palestiniens, abolir toutes les lois qui octroient au peuple juif des droits exclusifs en Palestine, abolir les lois qui interdisent aux Palestiniens de revenir sur leur terre, et débloquer les milliards de dollars qui seront nécessaires pour payer des réparations aux réfugiés et à leurs descendants. Israël devrait alors appeler à des élections libres, une personne une voix, où tous ceux qui vivent dans la Palestine mandataire voteraient à titre d'égaux. Voilà ce qu'Israël devrait faire.



Miko Peled

American Herald Tribune, 28 décembre 2015.

Traduit de l'anglais par Michel Ghys

Source

samedi 21 octobre 2023

L’affaire des bébés décapités : un air de déjà vu en terme de forfaiture, par Chems Eddine Chitour


 

«Un mensonge répété dix mille fois devient vérité.»
(Goebbels, Ministre de l'Éducation du peuple et de la Propagande du Reich)

Photo legrandsoir.info

 

 

Résumé

 
Encore une fois, au nom du droit de la force, les pays occidentaux utilisent toutes les options, même les plus répréhensibles, pour emporter l’adhésion des citoyens panurgiens à qui on fait absorber ce que l’on veut grâce à des médias dont on sait que, sur commande, en fonction des circonstances, ils peuvent, selon l’objectif à atteindre, lécher, puis lâcher et enfin lyncher sans état d’âme. Parmi les différents scandales que nous rapportons et qui défient la morale et l’éthique, la dernière fausse accusation concernant le Hamas, coupable d’avoir tué 40 bébés ! Nous allons rappeler quelques exemples de manquement à l’éthique et à la forfaiture érigés en règles cardinales.
Au vu du lourd déficit de confiance et de tromperie sans vergogne, il est urgent de raison garder et de rétablir constamment la vérité même si tout sera fait pour l’enterrer par les médias mainstream qui trompent l’opinion en martelant en boucle des contre-vérités. Naturellement, les premiers responsables sont les États qui se disent dépositaires du magister moral, ce qui leur permet de dicter les normes du bien et du mal. Si un jour le monde multipolaire devient une réalité, le premier chantier planétaire à mettre en œuvre sera celui de l’éthique.(1)

Comment les généraux israéliens ont préparé la conquête bien avant 1967

 
Juin 1967, une guerre de Six Jours qui n’en finit pas. De l’aveu même de ses généraux, Israël n’était pas menacée de destruction en juin 1967, mais l’état-major de l’armée avait depuis longtemps préparé son plan de conquête de la Cisjordanie, de Jérusalem, de Ghaza, du Sinaï et du Golan. Et il a imposé ce plan par un quasi-coup d’État contre le Premier ministre Levi Eshkol et les membres de son gouvernement encore hésitants à déclencher les hostilités.
«Deux jours après la fin de la guerre de juin 1967, le Premier ministre israélien, le travailliste Levi Eshkol, déclarait : ‘‘L’existence d’Israël ne tenait qu’à un fil. Mais les espoirs des dirigeants arabes de l’anéantir ont été anéantis.’’ Cette thèse — qu’Israël était menacée de disparition, et sa population avec — avait été à l’origine de la ‘’guerre préventive’’ que venait de mener Israël contre ses voisins arabes. La thèse de la ‘’menace existentielle’’ devint l’argument politique et diplomatique constant d’Israël pour justifier son attaque. Pourtant, cinq ans plus tard, une série de généraux israéliens allaient vigoureusement et publiquement contredire cette assertion. L’ex-chef d’état-major adjoint, Ezer Weizman, tirait le premier : ‘’L’hypothèse de l’extermination n’a jamais été envisagée dans aucune réunion sérieuse’’ (Haaretz, 29 mars 1972). Chaïm Herzog, ex-chef des renseignements militaires, lui aussi a déclaré : ‘’Il n’y avait aucun danger d’annihilation. Le quartier général israélien n’y a jamais cru.’’ (Maariv, 4 avril 1972). Enfin, le chef d’état-major lui-même, le général Haïm Bar-Lev, successeur, enfonçait le clou. ‘’Nous n’étions pas menacés de génocide à la veille de la guerre des Six Jours, et nous n’avons jamais pensé à une telle possibilité’’.»
«Le général Matti Peled, chef de la logistique, allait résumer de manière radicale l’avis de ces généraux : ‘‘Toutes ces histoires sur l’énorme danger que nous courions (…) n’ont jamais été prises en considération dans nos calculs avant les hostilités. Lorsque, en 1972, ces généraux levèrent le voile sur leurs motivations réelles pour déclencher la guerre, celui qui était alors le chef de l’armée de l’air, le général Mordechaï Hod, déclara : «Seize ans durant, nous avons planifié ce qui s’est passé pendant ces 80 minutes initiales. Nous vivions avec ce plan, nous dormions avec lui, mangions avec lui. On n’a pas cessé de le perfectionner. Tous les cercles de l’état-major depuis quinze ans avaient été éduqués dans l’idée que les frontières de l’État, telles qu’issues de l’armistice signé en 1949 avec les armées arabes, étaient ‘‘indéfendables’’. En 1955, un an avant l’opération de Suez menée avec les Français et les Britanniques, le chef d’état-major Moshé Dayan expliquait qu’Israël n’aurait aucune difficulté à trouver un prétexte pour lancer une attaque sur l’Égypte.(2)

Les massacres de Timisoara

 
En décembre 1989, un massacre mis en scène à la télévision montre les images du charnier de Timisoara. Pendant des semaines, la manipulation a fonctionné. Personne n’a douté de leur authenticité ni du nombre de morts : 4630 victimes du dictateur roumain Ceausescu. Saoudi Abdelziz en parle : «(...) Rappelons-nous ces événements de décembre 1989 en Roumanie. Des images mondialement diffusées en boucle, montrant des cadavres de Roumains torturés, ont accéléré la fin d’un régime. Ceausescu abattu, le Figaro révélait, le 30 janvier 1990, que les cadavres étaient ceux de pauvres gens sortis de leurs tombes et maquillés pour donner l’impression qu’ils ont été torturés. ‘’Le faux charnier de Timisoara est sans doute la plus importante tromperie depuis l’invention de la télévision’’, commente (…) Gérard Carreyrou, qui après avoir vu de telles images, lançait sur TF1 un véritable appel à la formation de brigades internationales pour partir ‘’mourir à Bucarest (…) Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des cadavres à peine enterrés ou alignés sur les tables des morgues ont été exhumés en vitesse et torturés pour simuler devant les caméras le génocide qui devait légitimer le nouveau régime. Ainsi, la vérité et le faux devenaient indiscernables et le spectacle se légitimait uniquement à travers le spectacle.»(3)

Comment on fabrique des massacres médiatiques 

 
On ne peut ne pas être dubitatif concernant les vérité d’Évangile venant de l’Occident qui nous a trop souvent habitués à des manipulations. Nous allons décrire dans ce qui suit quelques «manipulations» restées sans mea culpa, à défaut de sanction. Le summum de la manipulation est représenté par l’intellectuel communautariste faussaire Bernard-Henry Lévy qui a l’oreille des présidents français de gauche et de droite. Ignacio Ramonet, ancien directeur du Monde Diplomatique, dans une contribution remarquable, résume la stratégie de l’Empire et de ses vassaux : «C’est l’histoire du voleur qui crie : ‘’Au voleur !’’ Comment pensez-vous que M. George W. Bush intitula le célèbre rapport d’accusation contre M. Saddam Hussein qu’il présenta le 12 septembre 2002 devant le Conseil de sécurité de l’ONU ? L’Irak, disait-il en substance, entretient des liens étroits avec le réseau terroriste Al-Qaida et menace la sécurité des États-Unis parce qu’il possède des ‘’armes de destruction massive’’ (ADM). Trois mois après la victoire des forces américaines (et de leurs supplétifs britanniques) en Mésopotamie, nous savons que ces affirmations étaient fausses. Selon Mme Jane Harman, représentante démocrate de Californie, nous serions en présence de ‘’la plus grande manœuvre d’intoxication de tous les temps’’. M. Bush n’a pas hésité à fabriquer l’un des plus grands mensonges d’État. En France, par exemple, elles furent reprises sans vergogne par des personnalités comme Pierre Lelouche, Bernard Kouchner, Yves Roucaute, Pascal Bruckner, Guy Millière, André Glucksmann, Alain Finkielkraut, Pierre Rigoulot, etc. (…) Ces mensonges s’inscrivent dans une longue tradition de mensonges d’État qui jalonnent l’histoire des États-Unis. L’un des plus cyniques concerne la destruction du cuirassé américain Maine dans la baie de La Havane en 1898, qui servit de prétexte à l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Espagne et à l’annexion de Cuba, Porto Rico, les Philippines et l’île de Guam. (…) Treize ans plus tard, en 1911, une commission d’enquête sur la destruction du Maine devait conclure à une explosion accidentelle dans la salle des machines. En 1964, deux destroyers déclarent avoir été attaqués par des torpilles nord-vietnamiennes. Le président Lyndon B. Johnson prend prétexte de ces attaques pour lancer des bombardements de représailles contre le Nord-Vietnam. On apprendra plus tard, de la bouche même des équipages des deux destroyers, que l’attaque dans le golfe du Tonkin était une pure invention»…(4)
Dans le même ordre, la guerre américaine au Vietnam s’est intensifiée après un faux rapport en août 1964. Le président américain Lyndon Johnson a affirmé que des torpilleurs nord-vietnamiens avaient lancé à deux reprises des attaques non provoquées contre le destroyer américain Maddox dans le golfe du Tonkin. Le Congrès a répondu en votant à Johnson les pleins pouvoirs pour faire la guerre en Asie du Sud-Est. Il s’est avéré plus tard que le Maddox revenait d’opérations secrètes contre le Nord-Vietnam et que la deuxième attaque n’avait jamais eu lieu.

Ahmadinejad n'a jamais appelé à «rayer Israël de la carte»

 
Dans un discours sur le sionisme, le président Ahmadinjad citait l'ayatollah Khomeiny, le fondateur de la République islamique : «La phrase exacte du discours d’Ahmadinejad était en effet : ‘’L’imam Khomeyni (fondateur de la République islamique en 1979, NDLR) a dit que le régime occupant Jérusalem disparaîtra un jour de la page de l’histoire’’.» «Ce régime qui occupe Jérusalem doit disparaître de la page du temps» (en persan : «een rezhim-e ishghalgar-e qods bayad az safheh-ye ruzgar mahv shavad». La fausse citation a été propagée partout dans le monde, répétée des milliers de fois dans les médias internationaux, Associated Press et Reuters se réfèrent à la citation erronée, mot à mot, et quasi quotidiennement. Le président George W. Bush a dit que les commentaires d’Ahmadinejad représentaient une «menace explicite» de détruire Israël. L’Iran «veut rayer Israël de la carte», nous ont-ils répété depuis des années. Or, la phrase était une invention d’une officine israélienne de désinformation, le centre Memri. Dès le lancement de la campagne «Ahmadinejad veut rayer Israël de la carte», des traducteurs indépendants s’étaient pourtant intéressés à la réalité des propos prononcés en 2005, dans sa langue persane maternelle, par le Président iranien fraîchement élu. Et on n’y trouvait pas trace de ce fameux «rayer Israël de la carte». Le revirement est venu de deux responsables israéliens en exercice — le ministre de la Défense Ehud Barak et le chef d'état-major Benny Gantz — qui annonçaient publiquement que la République islamique n'a pas décidé de se doter de la bombe atomique. Une information en réalité connue depuis plusieurs années des divers services de renseignement américains, mais aussi israéliens. «Le général Gantz ne fait que répéter tout haut et publiquement ce que les dirigeants militaires, y compris son prédécesseur, le général Gaby Ashkenazi, n'ont cessé de dire aux politiques ces dernière années.» Ainsi, dans une interview à Al Jazeera, reprise par le New York Times, Dan Meridor, ministre israélien du Renseignement et de l'Énergie atomique, a admis que le président iranien Mahmoud Ahmadinejad n'avait jamais prononcé la phrase «Israël doit être rayé de la carte». Le mal a duré sept ans… avant l’aveu.(5)

L’affaire Jessica Lynch 

 
Dans le feu de l’action, tout est permis pour diaboliser l’adversaire par tous les moyens. L’affaire Jessica Lynch est un cas d’école. Non seulement tout ce qui a été écrit était faux : l’acte courageux des chirurgiens irakiens qui l’ont sauvée est ignoré : «On se souvient, écrit Ignacio Ramonet, que, début avril 2003, les grands médias américains diffusèrent avec un luxe impressionnant des détails sur son histoire. Jessica Lynch faisait partie des dix soldats américains capturés par les forces irakiennes. (…) Une semaine plus tard, des unités d’élite américaines parvenaient à la libérer au cours d’une opération surprise. Malgré la résistance des gardes irakiens, les commandos parvinrent à pénétrer dans l’hôpital, à s’emparer de Jessica et à la ramener en hélicoptère au Koweït. Le soir même, le président Bush annonça à la nation, depuis la Maison-Blanche, la libération de Jessica Lynch. Selon les journalistes d’El Pais (du 7 mai 2003), leur enquête auprès des médecins irakiens est confirmée par les docteurs américains l’ayant auscultée après sa délivrance —, les blessures de Jessica (une jambe et un bras fracturés, une cheville déboîtée) n’étaient pas dues à des tirs d’armes à feu, mais simplement provoquées par l’accident du camion dans lequel elle voyageait… Elle n’avait pas non plus été maltraitée. Au contraire, les médecins avaient tout fait pour bien la soigner : «Elle avait perdu beaucoup de sang, a raconté le docteur Saad Abdul Razak, et nous avons dû lui faire une transfusion. Le chirurgien irakien qui a sauvé la vie de cette soldate a remué ciel et terre pour lui trouver du sang ‘’O’’ mettant à contribution un parent à lui qui avait le même groupe. Heureusement, nous avons pu obtenir du sang en quantité suffisante. Je pense que nous lui avons sauvé la vie.» En assumant des risques insensés, ces médecins tentèrent de prendre contact avec l’armée américaine pour lui restituer Jessica. Deux jours avant ils avaient même conduit en ambulance leur patiente à proximité des lignes américaines. Mais les Américains ouvrirent le feu sur eux et faillirent tuer leur propre héroïne… Depuis deux jours, les médecins avaient informé les forces américaines que l’armée irakienne s’était retirée et que Jessica les attendait… Le docteur Anmar Ouday a raconté la scène à John Kampfner de la BBC : «C’était comme dans un film de Hollywood. Il n’y avait aucun soldat irakien, mais les forces spéciales américaines faisaient usage de leurs armes. Ils tiraient à blanc et on entendait des explosions.

Ils criaient : “Go ! Go ! Go !” c’était une sorte de show, ou un film d’action avec Sylvester Stallone. L’histoire de la libération de Jessica Lynch restera dans les annales de la propagande de guerre. Leurs mensonges constituent, selon le professeur Paul Krugman, ‘’le pire scandale de l’histoire politique des États-Unis, pire que le Watergate, pire que l’Irangate’’.»(4)

On se demande pourquoi cette manipulation

 
Le journal suisse le Temps donne une première réponse : «Un demi-million de dollars, c'est toujours bon à prendre. Jessica Lynch aurait été folle de refuser l'offre de Bogaards & Knopf : c'est la part que l'éditeur new-yorkais a offert à la soldate de 20 ans pour raconter sa brève guerre d'Irak, ses neuf jours de calvaire fin mars dans un hôpital de Nassiriyah, et sa libération désormais – c'est le mot – légendaire. Et elle prend ce qu’on lui donne. Qui pourrait le lui reprocher ? Car depuis le début, l'éphémère Jeanne d'Arc de Nassiriyah vit entourée de voleurs, qui ont dérobé son corps et sa vie. Le journal Le Temps explique la manipulation pour remobiliser l’opinion publique : «Donald Rumsfeld est-il le chef de la bande ? C'est en tout cas lui qui a commencé. C'était le 1er avril. Le patron du Pentagone n'en menait pas large : les colonnes blindées semblaient enlisées dans le sable irakien, les généraux à la retraite l'accusaient d'avoir sous-estimé les moyens nécessaires pour aller prendre Bagdad. C'était faux, mais les Américains, dans leur salon, venaient à le penser. Il fallait faire quelque chose pour renverser ce courant funeste. Ce fut Jessica Lynch. Le soir même, toutes les TV américaines montraient le film que les services de propagande de l'armée avaient tourné, le jour même, avec le commando envoyé à Nassiriyah pour libérer la soldate, prisonnière maltraitée, héroïne qui s'était battue jusqu'au bout.»(6)

L’affaire des armes de destruction massive

 
Les opinions publiques sont convaincues que Saddam Hussein est le mal absolu et que son armée est coupable de toutes les barbaries. Saddam détiendrait des armes de destruction massive. L'opération de désinformation a pleinement réussi. Pour l’histoire, des personnalités américaines étaient contre la guerre. Pour Denis Kucinich, membre du Parti démocrate, la guerre en Irak n’a pas été «une erreur» mais le résultat d’une tromperie calculée. Le fait douloureux, cru est que l’on nous a menti. Il est temps maintenant de le dire. La vérité sur l’Irak était là, visible, mais ignorée. Il n’y avait pas d’armes de destruction massive. Saddam Hussein n’avait rien à voir avec le 11 septembre. La guerre n’avait pas pour but de libérer le peuple irakien. Je l’ai dit au Congrès en 2002. Les millions d’Américains qui ont manifesté aux États-Unis pour protester contre cette guerre connaissaient la vérité mais furent dénigrés par les deux partis pour s’opposer au Président en temps de guerre et même accusés de ne pas «soutenir les troupes». Des milliers d’Américains et peut-être un million d’Irakiens ont été sacrifiés pour ces mensonges. Dix ans plus tard, des milliards de milliards de dollars se sont envolés, le peuple américain, dans son ensemble, ignore toujours ce qui s’est passé.(7)

L’affaire Sakineh 

 
À l’évidence, ce qui intéresse BHL, véritable Panurge et ses «moutons», c’est comment porter tort à l’Iran. Thierry Meyssan décrit le «complot» ourdi par BHL. Écoutons-le : «Récemment, l’essayiste Bernard-Henri Lévy a alerté l’opinion publique sur le cas de Sakineh Mohammadi-Ashtiani, condamnée à la lapidation en Iran. Le président Sarkozy a confirmé les informations de Bernard-Henry Lévy lors de la conférence annuelle des ambassadeurs de France. Il a déclaré que la condamnée était désormais «sous la responsabilité de la France». Le Premier ministre François Fillon est venu sur le plateau du principal journal de la télévision publique pour manifester son émotion et sa solidarité avec Sakineh, «notre sœur à tous». «Ayant à son tour signé cette pétition, le leader du Parti antisioniste, Dieudonné M’bala M’bala, a été reçu par Ali Zadeh, vice-président du Conseil de la magistrature et porte-parole du ministère de la Justice. L’entretien aura été un modèle du genre. M. Zadeh se demandant si son interlocuteur, humoriste de profession, ne se moquait pas de lui en lui rapportant ses craintes. Tandis que M. M’bala M’bala se faisait répéter plusieurs fois les réponses à ses questions tant il avait du mal à croire avoir été manipulé à ce point. (…) Plutôt que de diminuer le quantum des peines, la République islamique a choisi d’en limiter l’application. Le pardon des victimes, ou de leurs familles, suffit à annuler l’exécution des peines. Dans le cas Sakineh, toutes les informations diffusées par Bernard-Henry Lévy et confirmées par Nicolas Sarkozy sont fausses. Cette dame n’a pas été jugée pour adultère, mais pour meurtre. Le vice-président du Conseil iranien de la magistrature a déclaré à Dieudonné M’bala M’bala qu’il mettait au défi ces personnalités sionistes de trouver un texte de loi iranien contemporain qui prévoit la lapidation. (...) Le président Nicolas Sarkozy ne peut invoquer quant à lui la négligence. Le service diplomatique français, le plus prestigieux du monde, lui a certainement adressé tous les rapports utiles. C’est donc délibérément qu’il a menti à l’opinion publique française.»(8)

Les faux bébés koweïtiens

 
Lors de l’invasion du Koweït par l’Irak, et pour emporter l’accord du Congrès américain pour déclencher la guerre, une opération diabolique était mise en œuvre : «Pour faire accepter, écrit Mireille Duteil, la guerre du Golfe, on invente un massacre de nouveau-nés. Elle rapporte une déclaration : ‘‘Je m’appelle Nayirah et je suis une jeune Koweïtienne. J’ai vu les soldats irakiens entrer avec leurs armes dans la maternité de l’hôpital de Koweit City. Ils ont arraché les bébés des couveuses, les ont emportés et les ont laissés mourir sur le sol froid.’’ Elle semble si sincère et si bouleversée (…) Les représentants américains ignorent donc que sous le pseudonyme de Nayirah se cache la propre fille de l’ambassadeur du Koweït aux États-Unis et qu’elle participe à la machination montée par le Koweït et les États-Unis pour faire accepter à l’opinion publique américaine et mondiale une future intervention militaire. Elle aura lieu en janvier 1990. Le Koweït, soutenu par le Pentagone et la CIA, a fait appel à une agence de relations publiques, Hill and Knowlton, pour préparer les esprits à l’indispensable guerre. Coût du contrat : 10 millions de $. Le New York Times, le premier, rapportera des informations en provenance de l’ambassade américaine au Koweït.»(9) 


«Les représentants du Comité des droits de l'Homme du Congrès américain écoutent ce témoignage terrible. L'assistance est médusée devant cette barbarie gratuite de la soldatesque irakienne. Nul ne demande, ce 10 octobre, à enquêter sur l'identité du témoin. Elle semble si sincère et si bouleversée. D'autres témoignages suivront jusqu'à la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, le 29 novembre 1990. Les membres permanents du Conseil doivent voter une résolution autorisant un éventuel recours à la force militaire en Irak. Le président Bush a évoqué cette histoire à six reprises au cours des cinq semaines suivantes comme un exemple des méfaits du régime de Saddam Hussein. Lors du débat au Sénat sur l’opportunité d’approuver une action militaire visant à forcer Saddam à quitter le Koweït, sept sénateurs ont spécifiquement mentionné les atrocités commises dans les couveuses. La marge finale en faveur de la guerre n’était que de cinq voix. Ce n’est que près de deux ans plus tard que la vérité éclata. L’histoire était un mensonge. La guerre était terminée depuis longtemps.»(9)

Comment les médias ont menti sur les bébés décapités pour «justifier» les crimes de guerre israéliens

 
Nous sommes en 2023, la même forfaiture à la manœuvre. C’est le média israélien i24 qui a diffusé en premier cette information mensongère sur les bébés décapités, 10https://pic.twitter.com/ukvKfeGeFp citant le président du Conseil régional de Shomron et le vice-commandant de l’Unité 71 de l’armée israélienne.(10) Elle a été propagée par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou puis a été reprise par le président américain Joe Biden. Jeudi, Netanyahou a répété devant le secrétaire d’État américain Antony Blinken en visite en Israël que des bébés juifs ont été décapités et incendiés. Pratiquement tous les journaux britanniques ont rapporté cette semaine que les combattants du Hamas auraient décapité 40 bébés lors de l’assaut du week-end dernier.(11)
Mais quelques jours plus tard, aucune preuve ne vient étayer cette affirmation. La Maison-Blanche a été contrainte de retirer les propos tenus par le président Joe Biden. Il avait auparavant affirmé avoir vu «des photos confirmées de terroristes décapitant des enfants» en Israël. Un porte-parole a déclaré au journal Washington Post que Biden n’avait pas vu de telles photos. Ils ont déclaré qu’il fondait ses affirmations sur les allégations du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et sur les informations diffusées par la presse. «Presque personne ne le dira, et le mal est fait de toute façon. Marc Owen Jones, un chercheur basé au Qatar, a déclaré que ce rapport non confirmé avait enregistré au moins 44 millions d’impressions, 300 000 likes et plus de 100 000 republications en 24 heures sur X (Twitter). C’est un mensonge éhonté utilisé pour déclencher une guerre.»(11)

Rapport Goldstone, est-ce la fin de l’impunité d’Israël et de son inhumanité ?

 
«D’habitude, on parle de tuer le messager qui porte la mauvaise nouvelle. Ici, il s’agissait de tuer dans l’œuf le message avant même qu’il ne soit entendu.» Le juge Goldstone est l’auteur du rapport accusant Israël. Fin septembre 2009, un coup de tonnerre aux Nations unies est venu rompre la monotonie des Nations unies. le rapport Goldstone sur ce qui s’est passé à Ghaza. Ce brûlot est un réquisitoire unique, pour la première fois dans l’histoire de la création par les Occidentaux de l’État d’Israël, comme solde de tout compte de Juifs massacrés en Europe. La mission d’enquête n’eut pas la tâche facile, Israël ayant refusé de coopérer.
Le rapport constate que «les forces armées israéliennes ont une capacité significative à effectuer des frappes de précision (...) Compte tenu de la capacité de planifier, des moyens d’exécution des plans en utilisant la technologie la plus poussée qui soit, et des communiqués des militaires israéliens affirmant qu’il n’y eut presque aucune erreur, la mission conclut que les incidents et la configuration des événements examinés dans le rapport sont le résultat d’une planification et de décisions politiques délibérées. Tapis au fond des presque six-cents pages du rapport Goldstone, quatre paragraphes traitent des armes utilisées par Israël contre les Ghazaouis. Ils parlent du phosphore blanc, «qui doit être interdit». «La mission a également reçu une information qui prétendait que l’analyse d’un filtre à air d’une ambulance qui roulait dans la région de Beit Lahia pendant les opérations militaires montrait des niveaux inhabituellement élevés d’uranium non appauvri et de niobium dans l’air.»(12) (13)

Conclusion

Dessin de Karim

 

On l’aura compris, le rapport Goldstone est passé à la trappe et Israël n’a pas été jugé pour les massacres de masse à Ghaza. Le massacre de 2023 va s’ajouter à la longue douleur du peuple palestinien. Dans un article très à propos, François Brousseau écrit : «Pour réussir en politique ou dans la guerre, mentez avec assez d’aplomb, et avec suffisamment de relais qui répéteront votre mensonge. Pourtant… chaque époque a sa façon de reformuler des réalités qui existaient déjà, et les concepts pour les décrire. Bien qu’apocryphe ou inexacte, la citation de Voltaire ‘’mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose’’ est connue. De la même époque (années 1910) date la citation du politicien américain Hiram Johnson : ‘‘La vérité est la première victime de la guerre.’’ Tout ça pour dire que l’usage du mensonge en politique ou dans la guerre (sa continuation ultime et souvent funeste) ne date pas d’hier. L’outrance réitérée ad nauseam sur Facebook et Twitter (éléments de nouveauté dans la diffusion de masse) donne une vitalité sans précédent au mensonge. Le critère de vérité, le critère factuel, la discussion et la démonstration comme méthodes sont déclarés nuls et non avenus, brutalement expulsés. Fin de la démocratie, triomphe des menteurs ? La question n’est pourtant pas nouvelle.»(14)
C'est constamment le «coup d'État permanent» et la stratégie de la tension vis-à-vis des pays qui ne rentrent pas dans le rang. Est-ce là des pays qui se disent respectueux des droits et de l’éthique? «Est-ce ainsi que les hommes vivent ?» pour citer Aragon.
C. E. 

 

Chems Eddine Chitour (Professeur à l'Ecole polytechnique d'Alger) 

21 octobre 2023, in Le Soir d'Algérie

 

 

Notes
1. https://www.mondialisation.ca/la-manipulation-des-faits-un-savoir-fair... cron=1697363613.3936579227447509765625
2. Sylvain Cypel https://orientxxi.info/magazine/comment-les-generaux-israeliens-ont-pr...,1892 13 juin 2017
3.Saoudi Abdelaziz https://blogs.mediapart.fr/saoudi-abdelaziz/blog/230813/comment-fabriq...
4. Ignacio Ramonet Armes d’intoxication massive Mensongesd’Etathttps://www.monde-diplomatique.fr/2003/07/ RAMONET/10193 juillet 2003
5 Armin Arefihttps://www.lepoint. fr/ monde/iran-ahmadinejad-n-a-jamais-appele-a-rayer-israel-de-la-carte-26-04-2012-1455392_24.php
6. https://www.letemps.ch/societe/vie-volee-soldat-jessica-lynch 15 novembre 2003
7.https://www.huffpost.com/entry/stop-calling-the-iraq-war_b_5499375
8.https://www.palestine-solidarite.org/analyses.Chems-Eddine_Chitour.270910.htm
9.Mireille Duteil https://www.lepoint.fr/societe/les-faux-bebes-koweitiens-16-08-2012-16... 16/08/2012
10. Socialist Worker https: //reseauinternational .net/comment-les-medias-ont-menti-sur-les-bebes-decapites-pour-justifier-les-crimes-de-guerre-israeliens/15 octobre 2023
10https://pic.twitter.com/ukvKfeGeFp
11.https://reseauinternational.net/bebes-juifs-decapites-cnn-sexcuse/ 14 octobre 2023
12.RobertJamesParson : Le Courrier http://www.lecourrier.ch/index.php?
13. https://www. lexpressiondz .com/index.php/chroniques/l-analyse-du-professeur-chitour/est-ce-la-fin-de-limpunite-disrael-et-de-son-inhumanite-69853
14.https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/487422/l-ere-du-faux



jeudi 19 octobre 2023

Propagande atroce. Par Elizabeth Vos

 

Gaza sous les bombardements israéliens, 11 octobre 2023. (Avec l’autorisation de MedGlobal, ©2023, tous droits réservés)

Israël et ses partisans en Occident contribuent à fournir une couverture psychologique à un massacre continu de civils palestiniens, écrit Elizabeth Vos.

Alors que les bombardements impitoyables se poursuivent à Gaza, Israël et ses partisans ont utilisé comme arme des enfants israéliens morts et de faux récits à leur sujet pour justifier le massacre d’enfants palestiniens à une échelle inimaginable dans la bande de Gaza.

Il y a d’abord eu l’histoire des “40 bébés décapités”, puis une série d’images de nourrissons apparemment brûlés qui, qu’elles soient fausses ou réelles, ont été publiées par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu dans le but de justifier le massacre par Israël de milliers d’enfants palestiniens.

Et des massacres, il y en a eu. Jusqu’à présent, Israël a tué plus de 2 800 Palestiniens, dont plus de 1 000 enfants. Israël aurait bombardé un hôpital pédiatrique à Gaza avec du phosphore blanc illégal, et bombardé au moins une école où des dizaines d’enfants et leurs familles avaient trouvé refuge, tuant au moins 27 enfants. Des familles élargies entières ont été anéanties dans leurs maisons.

Les civils ont été invités à fuir vers le sud de Gaza, ce qui pourrait constituer un nettoyage ethnique officiel en soi (s’ils ne sont jamais autorisés à revenir), avant d’être bombardés dans leur tentative de fuite. (Israël affirme qu’il s’agissait d’engins explosifs improvisés du Hamas placés sur la route pour empêcher les gens de partir). Les médecins ont été bombardés alors qu’ils tentaient d’aider les blessés. [L’OMS a dénoncé l’ordre israélien d’évacuer 2 000 patients de 22 hôpitaux vers le sud de la bande de Gaza].

Des dizaines de journalistes ont été tués ou ont assisté à la mort de leur propre famille. Les images et les vidéos d’enfants palestiniens morts retirés des décombres ont inondé les médias sociaux (avant qu’Israël ne coupe l’internet). Tout cela a été réalisé sous le couvert de la respectabilité dans les médias occidentaux en utilisant les images et les histoires d’enfants israéliens tués.

Après l’attaque surprise du Hamas, un cri de ralliement souvent répété par les défenseurs d’Israël était que le Hamas avait décapité 40 bébés israéliens. Bien que le président américain Joe Biden ait publiquement fait référence à ces affirmations (depuis, l’administration s’est rétractée), il n’y a eu à ce jour aucune confirmation d’une telle histoire. Selon The Grayzone, ces affirmations proviennent de “David Ben Zion, commandant adjoint de l’unité 71 de l’armée israélienne, qui est également un dirigeant de colons extrémistes ayant incité à de violentes émeutes contre les Palestiniens en Cisjordanie occupée au début de l’année”.

Des excuses forcées

La journaliste de CNN Sara Sidner, qui a été la première à diffuser ce récit, a été contrainte de se rétracter publiquement et de s’excuser pour ses déclarations:

“Hier, le bureau du Premier ministre israélien a déclaré qu’il avait confirmé que le Hamas avait décapité des bébés et des enfants pendant que nous étions en direct à l’antenne. Le gouvernement israélien déclare aujourd’hui qu’il ne peut pas confirmer que des bébés ont été décapités. Je devais être plus prudent avec mes mots et je suis désolé”.

Il ne s’agit pas seulement d’une erreur journalistique. Les médias occidentaux se sont alignés sur l’affirmation du gouvernement israélien selon laquelle une atrocité avait été commise, pour ensuite revenir sur leurs propos lorsqu’Israël a refusé de confirmer l’histoire. Les excuses de la journaliste ont été présentées après que l’histoire originale a été largement diffusée sur les médias sociaux et reprise par de nombreux organes d’information, comme l’a noté Mintpress News.

Alors que l’histoire des 40 bébés s’effondrait, M. Netanyahou et le gouvernement israélien ont publié trois images choquantes sur X, anciennement Twitter, pour justifier la pulvérisation de Gaza : une image d’un nourrisson mort, deux images de ce qui semble être les corps d’un ou de deux bambins horriblement brûlés.

Lorsque le commentateur de droite Ben Shapiro a republié les images, il a été accusé que l’une d’entre elles avait été générée par une intelligence artificielle. Il n’a pas encore été confirmé que l’image avait effectivement été créée par l’intelligence artificielle. Toutefois, même si les images sont réelles, le gouvernement israélien n’a fourni aucune information supplémentaire à leur sujet. Comme l’a souligné le journaliste Dan Cohen.

“1) Aucune de ces photos ne montre de décapitation, et encore moins 40 d’entre elles.

2. Rien ne prouve que ces photos proviennent de Kfar Aza.

3. Aucun des journalistes qui se sont rendus à Kfar Aza dans la foulée n’a vu personnellement de bébés décapités ou brûlés.

4. Aucune famille ne s’est manifestée, aucun des enfants prétendument décapités n’a été nommé et aucune photo d’eux de leur vivant n’a été présentée. 5. Netanyahou est un menteur notoire et assassine actuellement des centaines d’enfants à Gaza”.

Même si nous supposons que ces images documentent effectivement des enfants israéliens tués par le Hamas lors de sa récente attaque, le calcul moral consistant à excuser un génocide ne tient pas la route.

Les morts israéliens et palestiniens précédant la guerre. La plupart étaient des civils. (ARandomName123, d’après des données de l’ONU, Wikimedia Commons, CC BY-SA 4.0)

On ne peut accepter qu’un tel crime, aussi horrible soit-il, soit instrumentalisé pour commettre des crimes tout aussi horribles contre d’autres innocents. Le fait qu’un compte officiel du gouvernement israélien sur les médias sociaux publie de telles images – et que Netanyahou les montre au secrétaire d’État américain Anthony Blinken pour obtenir un soutien à la cause israélienne – représente un effort direct de la part d’Israël pour utiliser la mort et l’imagerie (jusqu’à présent alléguée) de bébés israéliens morts pour excuser une multitude de crimes de guerre.

M. Blinken se prépare à se rendre en Israël et en Jordanie le 11 octobre. (Département d’État, Chuck Kennedy, domaine public)

Outre le gouvernement israélien, les médias et les partisans individuels d’Israël se sont livrés à de multiples exemples d’appropriation trompeuse d’atrocités au cours de la semaine dernière, en présentant des enfants palestiniens et des dégâts matériels comme étant israéliens.

Le Times of London a titré sur les images précédemment évoquées d’enfants israéliens morts à côté d’images d’enfants palestiniens terrorisés, avec une minuscule légende citant correctement l’image la plus susceptible d’échapper aux observateurs occasionnels.

Les partisans d’Israël aux États-Unis se sont également réapproprié – apparemment sans le vouloir – des images d’enfants palestiniens traumatisés et blessés pour susciter un soutien public à Israël dans l’ensemble de l’Occident, avant de supprimer leurs messages dans l’embarras.

L’actrice Jamie Lee Curtis et le musicien Justin Bieber ont posté des images d’enfants palestiniens et de terres, respectivement, comme s’il s’agissait d’enfants israéliens et de dégâts causés par des bombes, avant de supprimer leurs posts erronés.

Des images d’enfants palestiniens enfermés dans des cages de poulailler par les forces israéliennes ont circulé en ligne, décrites à tort comme des enfants israéliens capturés par le Hamas.

D’autres vidéos prétendant à tort montrer des membres du Hamas avec des enfants enlevés ont été largement diffusées sur les médias sociaux.

La vidéo d’une femme brûlée lors d’un concert s’est avérée provenir du Guatemala après être devenue virale en tant que victime du Hamas. Tout cela, qu’il s’agisse d’une désinformation intentionnelle ou d’une erreur, contribue à renforcer la couverture psychologique d’un massacre continu de civils palestiniens.

Yoav Gallant, ministre israélien de la défense, a déclaré publiquement, à propos de l’interruption de l’approvisionnement en nourriture, en électricité, en eau et en autres produits de première nécessité de l’ensemble de la bande de Gaza, que “nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence”. Même si ses commentaires se réfèrent spécifiquement aux combattants du Hamas, une telle punition collective est illégale en vertu du droit international et constitue l’un des nombreux crimes de guerre commis par Israël contre les civils palestiniens au cours de la semaine qui a suivi l’attaque du Hamas.

Daniel Kovalik, avocat spécialisé dans les droits de l’homme, militant pour la paix, professeur et auteur, a publié un message sur les réseaux sociaux concernant la mort de son ami :

“Je viens d’apprendre que mon amie à Gaza, Heba Zagout, une grande artiste, a été tuée par Israël. Les derniers mots qu’elle m’a adressés, dans un texte, étaient les suivants : “Nous sommes assis avec les enfants : “Nous sommes assis avec les enfants. Il y a des bombardements. J’ai peur.” Ces mots étaient accompagnés de ces photos.

Pour les enfants et les civils palestiniens qui échappent à la mort ou aux mutilations causées par les plus de 6 000 bombes qu’Israël a larguées sur Gaza en moins d’une semaine, la déshydratation et la famine sont toujours présentes.

Bien qu’Israël affirme avoir commencé à laisser entrer l’eau dans [seulement le sud] de Gaza après l’avoir coupée pendant des jours, il y a peu d’espoir que l’eau soit livrée étant donné le manque d’électricité pour faire fonctionner les pompes et les dommages causés aux conduites d’eau par les bombes israéliennes.

Israël ayant également coupé l’accès à Internet à Gaza, les journalistes n’ont plus guère la possibilité de diffuser l’atrocité en cours au reste du monde. Caitlin Johnstone et d’autres soutiennent qu’il s’agit d’un effort direct pour cacher les atrocités qui ont été documentées auparavant par les journalistes et les habitants de Gaza sur leurs téléphones.

Dans la guerre de propagande, Israël et ses partisans ont souligné la mort d’enfants juifs, diffusé de fausses histoires sur de prétendues décapitations de bébés juifs et dépeint de manière malhonnête les traumatismes palestiniens comme des traumatismes israéliens.

Il y a une conclusion à tirer de l’appropriation permanente des atrocités et du carnage qu’elle excuse : même si les crimes du Hamas décrits par Israël étaient tous vrais, cela ne justifierait pas le nettoyage ethnique, la punition collective, le ciblage des civils et le meurtre d’enfants par les bombes, la famine et le manque de soins médicaux. Rien ne pourra jamais justifier cela.

Elizabeth Vos

Source: Consortiumnews.com, 17 octobre 2023

Elizabeth Vos est journaliste indépendante.

Traduction: arretsurinfo.ch

 

vendredi 13 octobre 2023

Derrière tout ce qui s’est passé, l’arrogance israélienne - par Gideon Levy


 Gideon Levy est un journaliste israélien à Haaretz, qui n'est pas de ceux qui cautionnent la politique de son pays et les crimes de Tsahal. "Je me sens coupable et honteux, dit-il, de ce qui est fait en mon nom, par l’armée et le gouvernement israélien. Je me sens responsable de chacune des balles et des obus qui sont lancés à Gaza, en Cisjordanie et au Liban. Chaque israélien a une part de responsabilité." Voici l'article que Gideon Levy a publié ce 8 octobre, pour dire leurs quatre vérités aux politiques et militaires israéliens.

 « Derrière tout ce qui s’est passé, il y a l’arrogance israélienne. Nous pensions que nous avions le droit de faire n’importe quoi, que nous ne paierions jamais de prix ni ne serions punis pour cela. Nous arrêtons, tuons, maltraitons, volons, protégeons les massacres des colons, visitons le Tombeau de Joseph, le Tombeau d’Othniel et l’Autel de Yeshua, le tout dans les territoires palestiniens, et bien sûr nous visitons le Mont du Temple – plus de 5 000 Juifs sur le trône -. Nous tirons sur des innocents, leur arrachons les yeux et leur brisons le visage, les déportons, confisquons leurs terres, les pillons, les enlevons de leur lit, procédons au nettoyage ethnique et poursuivons également le siège déraisonnable.

Nous construisons une immense barrière autour de la bande de Gaza, sa structure souterraine a coûté trois milliards de shekels et nous sommes en sécurité. Nous comptons sur les génies de l’unité 8200 et des agents du Shin Bet qui savent tout et nous préviendront au bon moment.

Nous déplaçons la moitié de l’armée de l’enclave de Gaza vers l’enclave de Huwara juste pour sécuriser les célébrations du trône par les colons, et tout ira bien, que ce soit à Huwara ou à Erez.

Gideon Levy
Il s’avère ensuite qu’un bulldozer primitif et ancien peut franchir même les obstacles les plus complexes et les plus coûteux au monde avec une relative facilité, lorsqu’il existe une forte incitation à le faire. Regardez, cet obstacle arrogant peut être franchi par des vélos et des motos, malgré tous les milliards dépensés pour cela, et malgré tous les experts et entrepreneurs célèbres qui ont gagné beaucoup d’argent.

Nous pensions pouvoir poursuivre le contrôle dictatorial de Gaza, en jetant ici et là des miettes de faveur sous la forme de quelques milliers de permis de travail en Israël – c’est une goutte d’eau dans l’océan, qui est aussi toujours conditionné à un bon comportement.

Nous faisons la paix avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis – et nos cœurs oublient les Palestiniens pour pouvoir les éliminer, comme l’auraient souhaité de nombreux Israéliens. Nous continuons de détenir des milliers de prisonniers palestiniens, y compris ceux détenus sans procès, pour la plupart des prisonniers politiques, et nous n’acceptons pas de discuter de leur libération même après des décennies d’emprisonnement. Nous leur disons que ce n’est que par la force que leurs prisonniers pourront obtenir la liberté. Nous pensions que nous continuerions avec arrogance à repousser toute tentative de solution politique, simplement parce que cela ne nous convenait pas, et que tout continuerait certainement ainsi pour toujours.

Et une fois de plus, il s’est avéré que ce n’était pas le cas. Plusieurs centaines de militants palestiniens ont franchi la barrière et envahi Israël d’une manière qu’aucun Israélien n’aurait pu imaginer. Quelques centaines de combattants palestiniens ont prouvé qu’il est impossible d’emprisonner pour toujours deux millions de personnes sans payer un lourd tribut. Tout comme le vieux bulldozer palestinien fumant a démoli hier le mur, le plus avancé de tous les murs et clôtures, il a également arraché le manteau de l’arrogance et de l’indifférence israélienne.

Cela a également démoli l’idée selon laquelle il suffisait d’attaquer Gaza de temps en temps avec des drones suicides, et de vendre ces drones à la moitié du monde, pour maintenir la sécurité. Hier, Israël a vu des images qu’il n’avait jamais vues de sa vie : des véhicules militaires palestiniens patrouillant dans ses villes et des cyclistes de Gaza franchissant ses portes. Ces images devraient arracher le voile de l’arrogance. Les Palestiniens de Gaza ont décidé qu’ils étaient prêts à payer n’importe quoi pour avoir un aperçu de liberté. Y a-t-il un espoir pour cela ? Non. Israël va-t-il retenir la leçon ? Non. Hier, ils parlaient déjà de détruire des quartiers entiers de Gaza, d’occuper la bande de Gaza et de punir Gaza « comme elle n’a jamais été punie auparavant ».

Mais Israël punit Gaza depuis 1948, sans s’arrêter un seul instant. 75 ans d’abus, et le pire l’attend désormais. Les menaces d’« aplatir Gaza » ne prouvent qu’une chose : que nous n’avons rien appris. L’arrogance est là pour rester, même si Israël a une fois de plus payé un lourd tribut.

Benjamin Netanyahou porte une très lourde responsabilité dans ce qui s’est passé, et il doit en payer le prix, mais l’affaire n’a pas commencé avec lui et ne se terminera pas après son départ. Nous devons maintenant pleurer amèrement pour les victimes israéliennes. Mais nous devons aussi pleurer pour Gaza. Gaza, dont la population est majoritairement composée de réfugiés créés par Israël ; Gaza, qui n’a pas connu un seul jour de liberté. »

Gideon Levy

Source

Traduction en arabe

 

الغطرسة الإسرائيلية هي وراء كل ما حدث (بقلم جدعون ليفي)

 جدعون ليفي كاتب وصحفي إسرائيلي في جريدة هآرتس، وهو ليس من الذين يتغاضون عن سياسات بلاده وجرائم الجيش الإسرائيلي. ويقول بهذا الخصوص: "أشعر بالذنب والخجل مما يفعله الجيش والحكومة الإسرائيلية باسمي. أشعر بالمسؤولية عن كل رصاصة وقذيفة يتم إطلاقها على غزة والضفة الغربية ولبنان. فللإسرائيلي نصيب من المسؤولية". إليكم المقال الذي نشره جدعون ليفي في 8 أكتوبر، ليصدع بالحقيقة التي ينكرها ساسة الكيان الصهيوني وجنوده.

    

      لقد اعتقدنا أن لدينا الحق في فعل أي شيء، وأننا لن ندفع بالمقابل ثمنًا أو نعاقب عليه أبدًا. نحن نعتقل ونقتل ونسيء المعاملة ونسرق ونحمي مذابح المستوطنين ونزور قبر يوسف وقبر عثنيئيل ومذبح يشوع، وكلها في الأراضي الفلسطينية، وبالطبع نزور جبل الهيكل - أكثر من 5000 يهودي على العرش -. نحن نطلق النار على الأبرياء، ونقتلع أعينهم، ونكسر وجوههم، ونرحلهم، ونصادر أراضيهم، وننهبهم، ونخرجهم من مخادعهم، ونمارس التطهير العرقي، ونواصل أيضًا الحصار غير المعقول. نحن نبني حاجزا ضخما حول قطاع غزة، تبلغ تكلفة إنجازه تحت الأرض ثلاثة مليارات شيكل ونقول: نحن آمنون. نحن نعول على عباقرة الوحدة 8200 وعملاء الشاباك الذين يعرفون كل شيء وسيحذروننا في الوقت المناسب. نحن ننقل نصف الجيش من جيب غزة إلى جيب حوارة فقط لتأمين احتفالات العرش الاستيطاني، ونقول: كل شيء سيكون على ما يرام سواء في حوارة أو إيرز.

جدعون ليفي، صحفي اسرائيلي

     ثم يتبين بعد ذلك أن الجرافة البدائية والقديمة يمكنها التغلب بسهولة نسبية حتى على أكثر العوائق تعقيدًا وتكلفة في العالم، عندما يكون هناك حافز قوي للقيام بذلك. أنظروا، هذه العقبة المتغطرسة يمكن التغلب عليها بالدراجات الهوائية والدراجات النارية، رغم كل المليارات التي أنفقت عليها، ورغم كل الخبراء ورجال الأعمال المشهورين الذين جنوا أموالا طائلة. كنا نظن أننا قادرون على مواصلة السيطرة الدكتاتورية على غزة، برمي ما قل من الصدقات هنا وهناك على شكل بضعة آلاف من تصاريح العمل في إسرائيل ـ وهي لا تعدو مجرد قطرة في محيط، مشروطة دائماً بالسلوك الجيد لمن نال هذه التصاريح.  نحن نصنع السلام مع المملكة العربية السعودية والإمارات العربية المتحدة – وقلوبنا تنسى الفلسطينيين حتى نتمكن من القضاء عليهم كما يود العديد من الإسرائيليين. إننا نواصل اعتقال آلاف الأسرى الفلسطينيين، بمن فيهم الموقوفين دون محاكمة، ومعظمهم من السياسيين، ولا نقبل مناقشة إطلاق سراحهم حتى بعد عقود من السجن. ونقول للفلسطينيين إنه لا يمكن إطلاق سراح أسراهم إلا بالقوة. لقد اعتقدنا أننا سنستمر بكل غطرسة في رفض أي محاولة للحل السياسي، لأنه ببساطة لا يناسبنا، وأن كل شيء سيستمر بالتأكيد على هذا النحو إلى الأبد.

     ومرة أخرى، تبين أن الأمر ليس كذلك. فقد اخترق عدة مئات من المسلحين الفلسطينيين الجدار واجتاحوا إسرائيل بطريقة لم يكن من الممكن أن يتخيلها أي إسرائيلي.وأثبت بضع مئات من المقاتلين الفلسطينيين أنه من المستحيل سجن مليوني إنسان إلى الأبد دون دفع ثمن باهظ. وكما هدمت الجرافة الفلسطينية القديمة التي يتصاعد منها الدخان أمس الجدار، وهو الأكثر تقدماً بين جميع الجدران والأسيجة، فقد انتزعت أيضاً هذه الجرافة عباءة الغطرسة واللامبالاة الإسرائيلية. وكذلك هدمت فكرة أنه كان يكفي مهاجمة غزة من وقت لآخر بطائرات انتحارية بدون طيار، وبيع تلك الطائرات إلى نصف العالم، للحفاظ على الأمن. فبالأمس، شاهدت إسرائيل صوراً لم ترها من قبل في حياتها: مركبات عسكرية فلسطينية تقوم بدوريات في مدنها وراكبي دراجات من غزة يمرون عبر بواباتها. وينبغي لهذه الصور أن تمزق حجاب الغطرسة. لقد قرر الفلسطينيون في غزة أنهم على استعداد لدفع أي شيء مقابل الحصول على ومضة من الحرية. هل هناك أي أمل في هذا؟ لا. فهل تتعلم إسرائيل الدرس؟ لا. بالأمس، كانوا يتحدثون بالفعل عن تدمير أحياء بأكملها في غزة، واحتلال القطاع ومعاقبة غزة "كما لم تتم معاقبتها من قبل". لكن إسرائيل تعاقب غزة دون هوادة منذ عام 1948، وفي المحصلة هناك 75 عاماً من الانتهاكات، والأسوأ ينتظرنا الآن.  

     إن التهديدات بـ "تسوية غزة" تثبت شيئاً واحداً فقط: أننا لم نتعلم شيئاً. فالغطرسة موجودة لتبقى، على الرغم من أن إسرائيل دفعت مرة أخرى ثمنا باهظا.  وبنيامين نتنياهو يتحمل مسؤولية ثقيلة جداً عما حدث، وعليه أن يدفع الثمن، لكن الأمر لم يبدأ معه ولن ينتهي بعد رحيله. وعلينا الآن أن نبكي بمرارة على الضحايا الإسرائيليين. ولكن علينا أيضاً أن نبكي على غزة، غزة التي يتكون سكانها بشكل رئيسي من اللاجئين الذين خلقتهم إسرائيل؛ غزة التي لم تعرف يوما واحدا من الحرية."

جدعون ليفي، هآرتس

8 أكتوبر 2023

تعريب أ.ع.

13. 10. 2023

المصدر

 

 

dimanche 8 octobre 2023

À Gaza, un peuple en cage, par Olivier Pironet



Alors que les Israéliens sont appelés à élire un nouveau Parlement le 17 septembre, la bande de Gaza n’en finit pas de sombrer. Depuis treize ans, Tel-Aviv soumet le territoire palestinien dirigé par le Hamas à un blocus militaire dévastateur. Combien de temps la population pourra-t-elle tenir ?

Camp de réfugiés de Nahr Al-Bared Khan Younès

En cette matinée de juin, le temps est radieux sur la plage où s’alignent les barques de pêche bariolées. L’éclat du soleil, le bleu du ciel et le ressac de la mer donnent au panorama des airs de carte postale. Mais ce charmant décor ne fait pas longtemps illusion : ici, la Méditerranée est polluée, l’horizon obturé par les frégates de guerre, les cieux sillonnés par les avions de chasse et les drones. Nous sommes dans la bande de Gaza, un territoire surpeuplé (2 millions d’habitants sur 365 kilomètres carrés) et assiégé par Israël.

Les pêcheurs qui nous accueillent dans leur cahute à Beit Lahya, aux abords de la ville de Gaza, font grise mine. Israël, qui impose depuis treize ans un implacable blocus — aérien, maritime et terrestre — à la langue de terre palestinienne, leur interdit depuis deux jours toute sortie en mer, après avoir déjà réduit comme peau de chagrin leur aire de navigation. La raison invoquée : l’envoi de ballons et de cerfs-volants incendiaires sur les localités israéliennes — principalement des kibboutzim — situées à la lisière terrestre de la bande côtière. Le 18 juin, après deux nuits d’hostilités (1), puis un retour au « calme », Tel-Aviv réautorisera la pêche, mais seulement dans la limite de dix milles marins (dix-huit kilomètres et demi), loin des eaux riches en poissons. Une mesure d’exception dont le Hamas, le parti islamiste au pouvoir depuis 2006 à Gaza, réclame régulièrement la levée lors des négociations indirectes avec Israël.

« Les navires de patrouille israéliens sont à trois ou quatre kilomètres à peine, vous pouvez les voir à l’œil nu, nous dit M. Jihad Al-Sultan, le responsable du comité syndical des pêcheurs du nord de la bande de Gaza, en montrant le large du doigt. Quand nos pêcheurs sont en mer, ils leur tirent dessus régulièrement, le plus souvent sans sommation. Récemment, plusieurs d’entre eux ont été blessés et leurs embarcations sérieusement endommagées. » Au cours du premier semestre 2019, les forces navales israéliennes ont ouvert le feu à plus de deux cents reprises sur les pêcheurs, blessé une trentaine d’entre eux et saisi une douzaine de bateaux, selon deux organisations non gouvernementales palestinienne et israélienne — le Centre pour les droits humains Al-Mezan et B’Tselem. Deux marins gazaouis ont été tués en 2018.

En 2000, la bande de Gaza comptait environ 10 000 travailleurs de la mer. Faute de pouvoir accéder aux eaux poissonneuses — Israël les exclut de 85 % des zones maritimes auxquelles leur donne pourtant accès le droit international —, les deux tiers ont dû jeter l’éponge : on ne recense plus que 3 500 pêcheurs aujourd’hui, parmi lesquels 95 % vivent en-dessous du seuil de pauvreté (moins de 5 euros par jour), contre 50 % en 2008.

Direction Khouzaa, une bourgade proche de Khan Younès, l’une des principales villes du sud de l’enclave. Là aussi, le moral est en berne. Malgré un dénuement évident, M. Khaled Qadeh, un agriculteur de 34 ans aux yeux perçants protégés par son chapeau en osier, nous invite à prendre place autour d’une collation dans la petite tente de repos dressée à l’orée de son champ. Ses terres, réparties sur 11 dunums (1,1 hectare), se trouvent à quelques centaines de mètres de la clôture « frontalière » israélienne, que ne reconnaît pas le droit international. Un entrelacs de 65 kilomètres de murs, tranchées, barrières métalliques, grillages et barbelés entoure la bande de Gaza et se double d’une zone tampon variant de 300 mètres à 1,5 kilomètre de profondeur (voir « Blocus terrestre et maritime »). Cette aire d’exclusion militaire mord sur 25 % du territoire et envahit 35 % des surfaces cultivables, bien loin de la ligne d’armistice de 1949 (« ligne verte ») séparant officiellement Israël et Gaza. « Ma famille possède également 20 dunums de terres de l’autre côté de la “ligne verte”, mais nous les avons perdus en 1948 [année de la création de l’État d’Israël]  », nous précise M. Qadeh.
Un lieu « invivable » d’ici à 2020, selon les Nations unies

Sur le maigre hectare planté dont il dispose, le paysan ne peut pleinement exploiter qu’un tiers des parcelles. « Le reste de mon champ, en bordure de la “no-go zone”, est difficilement accessible, car les Israéliens m’empêchent la plupart du temps d’y aller, et ils ont la gâchette facile, sans parler des dégâts commis par leurs tanks et leurs bulldozers. Comme tous les paysans de la zone frontalière, je suis souvent exposé aux tirs, y compris à l’endroit où nous sommes. Les Israéliens m’interdisent aussi de travailler de nuit pour profiter du courant quand il y en a : s’ils suspectent le moindre mouvement, ils mitraillent ou bombardent », nous raconte M. Qadeh d’un ton vif, tandis qu’un blindé israélien patrouillant au loin soulève un nuage de poussière. Son rendement a chuté de 80 % depuis la mise en place de la zone tampon, consécutive au démantèlement des colonies juives de Gaza, en 2005, et l’instauration de l’embargo, l’année suivante. Alors que son activité est la seule source de revenus de sa famille, il est criblé de dettes. Le lopin qu’il peut cultiver lui permet seulement de gagner quelque 400 shekels (100 euros) par mois grâce à la vente de ses produits, et de nourrir les siens. Le secteur agraire, qui fait travailler 44 000 personnes (environ 10 % des emplois), a décliné de plus de 30 % depuis 2014 (2).

La situation des pêcheurs et des agriculteurs est à l’image de celle que connaît l’ensemble de la bande côtière : « catastrophique » et « intenable », selon les mots de Mme Isabelle Durant, directrice adjointe de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) (3). Dès 2012, l’Organisation des Nations unies (ONU) tirait la sonnette d’alarme. Elle estimait que ce territoire deviendrait « invivable » d’ici à 2020 si le blocus imposé par Israël, avec la collaboration de l’Égypte, n’était pas levé (4). Coupée du monde depuis huit ans, Gaza avait à l’époque subi déjà deux guerres, lancées par Tel-Aviv en 2006, puis en 2008-2009 (plus de 1 800 morts côté palestinien, une vingtaine côté israélien). En 2017, après deux autres guerres (en 2012, puis en 2014, avec un bilan cumulé de 2 500 Gazaouis tués, contre 72 Israéliens), M. Robert Piper, alors coordonnateur humanitaire de l’ONU pour les territoires palestiniens occupés, constatait : « La dégradation de la situation s’est accélérée plus vite que prévu (…). Gaza est peut-être d’ores et déjà inhabitable (5).  »

 
Soixante-dix pour cent de la population possède le statut de réfugié depuis 1948, et la moitié a moins de 15 ans. Aujourd’hui, le chômage s’élève à 53 % de la population active (70 % chez les jeunes et 85 % parmi les femmes) — un record mondial —, la pauvreté frappe plus d’une personne sur deux et l’économie locale s’est écroulée (— 6,9 % de croissance en 2018) (6). De surcroît, les infrastructures et « les capacités productives ont été anéanties », souligne la Cnuced (7). « Entre les destructions matérielles et les coûts de la reconstruction, la seule facture de la dernière guerre [celle de 2014] se monte à 11 milliards de dollars », précise M. Ali Al-Hayek, président de l’Association des entrepreneurs palestiniens (PBA), que nous rencontrons au siège de l’organisation, dans le centre-ville. « Plus d’un millier d’usines, d’ateliers et de commerces, notamment, ont été rayés de la carte. Israël nous livre aussi une guerre économique. » À cause de l’embargo, beaucoup d’entreprises ont dû fermer leurs portes, réduire les salaires ou licencier. « La bande de Gaza ressemble à une grande prison où l’on a confiné tout un peuple soumis à une occupation militaire, et à qui l’on administre des doses de tranquillisants, telle l’aide humanitaire, pour éviter l’implosion », résume M. Ghazi Hamad, vice-ministre du développement social et personnalité en vue du Hamas. « Depuis l’élection du Hamas, en 2006, nous subissons une punition collective dont nous ne voyons pas la fin », nous déclare de son côté l’analyste gazaoui Fathi Sabah, collaborateur du journal panarabe Al-Hayat. « Ce blocus est avant tout un moyen de pression utilisé par Israël, avec la complicité de la communauté internationale, pour nous mettre à genoux. »
Malaka à l’est de la ville de Gaza juin 2019


Le siège israélien affecte tous les aspects du quotidien. Il a même fait émerger une nouvelle « normalité ». La précarité énergétique, par exemple : depuis la destruction par Tel-Aviv de la seule centrale électrique, en juin 2006, l’accès à l’électricité est aléatoire. Reconstruite en partie, la centrale, en manque de fioul, ne tourne qu’à 20 % de ses capacités. Le territoire doit donc s’approvisionner principalement auprès d’Israël, qui fournit l’électricité — facturée à l’Autorité palestinienne de Cisjordanie — en quantité limitée. Les coupures de courant rythment la vie des Gazaouis. « Nous n’avons que huit à douze heures d’électricité toutes les vingt-quatre heures, et à des horaires variables, nous explique Ghada Al-Kord, journaliste et traductrice de 34 ans. La majorité des foyers ne possède pas de groupes électrogènes, trop chers, pour pallier les coupures. Cela signifie par exemple que nous ne pouvons presque rien garder au réfrigérateur. Nous devons donc nous organiser au jour le jour. Il y a deux ans, c’était encore pire. » D’avril 2017 à janvier 2018, M. Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité et chef du Fatah, a refusé de régler à Israël la facture d’électricité pour faire pression sur ses rivaux du Hamas. Conséquence : la population n’avait que trois à quatre heures de courant par jour. Les habitants sont en outre confrontés à une pénurie d’eau. Du fait de la pollution de l’aquifère côtier, dont Israël contrôle 85 % des ressources, plus de 95 % des nappes phréatiques imparties à l’enclave sont insalubres.

L’accès aux soins médicaux est également touché de plein fouet par l’embargo. L’hôpital Al-Shifa, le plus grand du territoire, jadis réputé, suscite aujourd’hui l’appréhension. Les Gazaouis, fidèles à leur sens de l’autodérision, plaisantent à son sujet : « On y entre en vie, mais on en sort les pieds devant. » Et pour cause. À court de médicaments, de matériel et de lits pour soigner les nombreux malades, les hôpitaux se sont transformés en mouroirs. Les interdictions d’importer des produits de première nécessité, le manque de personnel, les coupures de courant, mais aussi les dommages commis — à dessein — par l’artillerie israélienne, ont fait de la santé un secteur sinistré. « Nous manquons de tout », déplore le porte-parole des autorités sanitaires de Gaza, M. Ashraf Al-Qadra, qui se livre à un sordide catalogue à la Prévert : « Plus de 50 % des médicaments de base sont inaccessibles, 65 % des cancéreux sont privés de traitement, une grande partie des interventions chirurgicales ne peuvent pas être effectuées… »
Des balles explosives qui font des dégâts irréversibles

À l’hôpital Al-Shifa, le tableau est édifiant : on croise beaucoup d’éclopés — des jeunes, pour la plupart —, les murs sont défraîchis, les salles d’attente surchargées, le personnel débordé. M. Mohamed Chahin, chirurgien orthopédiste, s’occupe essentiellement des manifestants blessés par les soldats israéliens lors des rassemblements hebdomadaires organisés devant la clôture « frontalière » israélienne dans le cadre de la « grande marche du retour » (Massirat Al-Awda). Chaque vendredi, jour de manifestation, les médecins doivent faire face à l’afflux des blessés. « Les patients sont nombreux, et parfois très jeunes, raconte M. Chahin. Ils souffrent de lésions profondes que nous n’avions jamais constatées jusqu’ici. Les Israéliens utilisent des balles explosives qui détruisent les tissus musculaires, les articulations et les nerfs. Quand leurs snipers ne visent pas pour tuer — à la poitrine ou en pleine tête —, ils ciblent les jambes ou les parties les plus sensibles du corps pour faire des dégâts irréversibles. À croire qu’ils ont suivi des cours d’anatomie. Beaucoup de manifestants touchés se retrouvent handicapés à vie ou doivent être amputés, car nous manquons d’équipements. » Sur les 30 000 blessés recensés depuis le début de la « grande marche du retour », près de 140, dont une trentaine d’enfants, ont perdu un membre inférieur ou supérieur, et 1 700 d’entre eux, selon l’ONU, risquent l’amputation dans les deux années à venir, faute d’autorisation israélienne pour être évacués. 


Blocus terrestre et maritime
Cécile Marin

Les jeunes sont en première ligne des manifestations de la « grande marche ». Ce mouvement de protestation populaire et non armé, qui réunit chaque semaine des milliers de familles, a été lancé le 30 mars 2018, avant la commémoration annuelle de ce que les Palestiniens appellent la Nakba (8), le 15 mai. Traduit par « catastrophe », le terme désigne l’exode de 1948, lors duquel 800 000 d’entre eux furent chassés de leurs foyers par les Israéliens et trouvèrent refuge à Gaza, en Cisjordanie ou dans les pays arabes voisins.

Un vendredi après-midi, nous nous rendons à Malaka, dans l’est de Gaza, l’un des cinq lieux où se tient la mobilisation hebdomadaire. L’ambiance est bon enfant, familiale. Une immense tente a été dressée en retrait pour accueillir, entre autres, les plus vieux et les éclopés. Dans le haut-parleur, une voix rappelle le sens de la mobilisation : le droit au retour, la dénonciation de la conférence de Bahreïn sur le volet économique du nouveau « plan de paix » américain, l’unité palestinienne. Les drapeaux palestiniens, nombreux, claquent au vent. Nous ne nous approcherons pas de la zone, très dangereuse, où se tiennent des jeunes prêts à aller braver les tireurs d’élite israéliens.

L’idée d’un rassemblement massif devant la barrière israélienne est née dans l’esprit d’une vingtaine de jeunes Gazaouis. « Nous nous sommes inspirés d’actions du même type menées depuis plusieurs années en Palestine ou aux confins d’Israël », relate M. Ahmad Abou Artema, l’un de ses initiateurs. Ce militant pacifiste de 35 ans, à la voix calme et monocorde, est lui-même issu d’une famille expulsée de Ramla en 1948. « À travers cette mobilisation civile, il s’agissait de réaffirmer le droit au retour des réfugiés sur leurs terres, tel qu’il a été établi par les résolutions de l’ONU, et de clamer haut et fort notre soif de dignité. » Très rapidement, le mouvement a été rejoint par les factions politiques dans un souci unitaire, comme pour conjurer la discorde entre les frères rivaux du Hamas et du Fatah, qui empoisonne la scène palestinienne. Pour l’occasion, les partis remisent leurs drapeaux respectifs et donnent la consigne de ne brandir que celui de la Palestine. « La question des réfugiés relève d’un consensus national. Il est donc normal que toutes les factions aient apporté leur soutien », nous précise M. Artema. Le Hamas, pourtant partisan de la lutte armée contre Israël, s’est étroitement associé à ce mouvement pacifique. Il fait partie de son comité d’organisation aux côtés de plusieurs autres formations, comme le Djihad islamique (islamo-nationaliste) ou le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP, marxiste). « La “grande marche” est une des options autres que la voie des armes dont nous disposons pour faire valoir nos droits face à l’occupation, nous dit M. Hamad. Elle permet de donner une visibilité à notre cause. »
« On nous a exhortés à utiliser la résistance pacifique… »

Censé durer jusqu’au 15 mai 2018, le mouvement se poursuit depuis lors. D’autres revendications ont fait leur apparition, comme la levée du blocus ou la défense de Jérusalem. Malgré le caractère non armé des rassemblements, Israël a choisi d’y répondre par le feu. Depuis le début de la mobilisation civile, plus de deux cents Gazaouis ont perdu la vie, parmi lesquels une cinquantaine d’enfants, mais aussi des secouristes et des journalistes. À ce bilan s’ajoute la centaine de Palestiniens tués en un an et demi sur le territoire lors de bombardements ou d’attaques israéliennes. En février 2019, une commission d’enquête des Nations unies a conclu que les violences commises par Israël lors des manifestations à la lisière de Gaza pouvaient « constituer des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité (9) ». Des accusations balayées d’un revers de main par le premier ministre israélien. Pointant l’envoi de cerfs-volants et de ballons incendiaires sur les terres israéliennes mitoyennes par les protestataires, M. Benyamin Netanyahou a rétorqué qu’Israël devait « protéger sa souveraineté ainsi que celle de ses citoyens et exercer son droit à l’autodéfense (10) ». Il peut compter sur le soutien de son opinion publique : en mai 2018, alors que l’on approchait de la centaine de morts côté palestinien, un sondage indiquait que 71 % des Israéliens estimaient justifiés les tirs contre les protestataires de la marche (11).

Devant l’ampleur des victimes parmi les manifestants et les dégâts matériels commis en territoire israélien par des objets incendiaires, les critiques pleuvent aussi sur les dirigeants palestiniens. La « communauté internationale » et la presse occidentale accusent les factions — Hamas en tête — d’instrumentaliser les jeunes et de les jeter en pâture aux tireurs d’élite tapis derrière la barrière. M. Khaled Al-Batch, chef du Djihad islamique à Gaza et membre du Comité national de la « marche du retour », rejette ces accusations. « On nous a exhortés à utiliser la voie de la résistance pacifique, ce que nous avons fait à travers ces mobilisations, nous explique-t-il. Et, maintenant, on veut nous faire porter le chapeau du nombre élevé de victimes palestiniennes ! On ne condamne pas les vrais responsables. Qui nous tue, qui tue nos enfants ? Des snipers aguerris qui savent exactement ce qu’ils font. Jusqu’à présent, aucun mort n’est à déplorer du côté israélien lors de ces manifestations. Pourquoi personne ne sanctionne Israël ? » M. Maher Micher, dirigeant du FPLP et membre du comité d’organisation de la marche, rencontré au rassemblement du 14 juin 2019 (12), réprouve également les semonces des Occidentaux. Pour lui, ce mouvement a deux mérites : « D’une part, il permet de faire pression sur Israël, car les dégâts commis sur les terres des localités israéliennes par de simples cerfs-volants incendiaires ont poussé certains habitants à partir ; d’autre part, il a remis à l’honneur la question du droit au retour sur la scène internationale. C’est pourquoi cette marche doit continuer. » « Malgré les blessés — mon père et mon frère ont été eux-mêmes atteints par des balles —, la mobilisation doit se poursuivre jusqu’à ce que nous recouvrions nos droits et nos terres », abonde M. Mohammed Challah, un employé de 33 ans que nous croisons tandis qu’il file d’un pas déterminé vers la zone la plus périlleuse, contiguë à la barrière.

Des voix dissonantes se font néanmoins entendre, notamment parmi les jeunes. Beaucoup ne vont plus à la marche, qu’ils jugent trop proche du Hamas depuis que la formation islamiste a entrepris de l’encadrer. « Le Hamas a repris ce mouvement à son compte pour redorer son blason et regagner en légitimité alors qu’il est en perte de vitesse », affirme M. Loai A., un militant des droits humains âgé de 26 ans. Ces dernières années, l’étoile du « parti de la résistance islamique » a pâli. Une partie des Gazaouis reprochent à l’organisation dirigée par M. Yahya Sinouar de n’avoir pas pris la mesure des besoins sociaux de la population et de s’enfoncer dans l’autoritarisme et le rigorisme moral.

En témoigne la répression du mouvement de contestation populaire lancé en mars dernier. Sous le slogan « Bidna na’ich » (« Nous voulons vivre »), des milliers de personnes ont défilé pour protester contre la hausse des prix et la dégradation des conditions de vie. Accusant le mouvement d’être manipulé par le Fatah, le Hamas a répondu par le bâton : plusieurs centaines de manifestants ont été frappés et arrêtés (13). « Comment voulez-vous que nous soutenions la “grande marche” alors que le Hamas ne fait rien pour nous et nous réprime ? », nous demande M. Loai A. d’un ton plein d’amertume. « Moi, je dis au Hamas : “Je veux bien perdre ma jambe, mais que ce soit au moins pour quelque chose et pour qu’en retour vous vous occupiez de nous.” De nombreux jeunes ne pensent qu’à partir à l’étranger. Le problème, ajoute-t-il en soupirant, c’est qu’on ne peut pas sortir… »

Le Fatah peut-il incarner une solution de rechange ? Rien n’est moins sûr, tant l’Autorité palestinienne de M. Abbas, contrôlée par le Fatah, s’est discréditée aux yeux de nombreux Gazaouis comme auprès d’une grande majorité de Palestiniens de Cisjordanie. La politique de conciliation engagée avec Israël lors du « processus de paix » a échoué, la colonisation s’est étendue et la collaboration sécuritaire entre la police de l’Autorité et l’armée israélienne en Cisjordanie est rejetée massivement par l’opinion publique (14). Sans compter la corruption qui a gangrené les institutions lorsque le Fatah était au pouvoir à Gaza, attisant les rancœurs au profit d’un Hamas jugé plus intègre. « La situation sous le Fatah n’était pas vraiment meilleure, explique Fathi Sabah. Et en Cisjordanie, aujourd’hui, les choses vont mal : Mahmoud Abbas ne fait rien contre les colonies, ne lutte pas contre l’occupation, ne défend pas Jérusalem… Il ne fait rien, à part prononcer des discours aux Nations unies. » Rejetant en bloc le Fatah et le Hamas, un nombre croissant de Gazaouis appellent à des changements politiques radicaux, comme leurs compatriotes de Cisjordanie, et réclament un renouvellement générationnel.
Une priorité, la réconciliation entre Hamas et Fatah

Dans ce contexte de crise généralisée, où le blocus et le siège obèrent l’avenir, beaucoup ont perdu espoir. « Je déteste Gaza, mon enfance a été détruite par trois guerres et je veux sortir d’ici », nous confie Mme Amira Al-Achcar, une étudiante de 18 ans qui vit dans le camp de réfugiés de Nousseirat avec ses huit frères et sœurs et sa mère, seule et sans emploi. « Tous les jours, je rencontre des gens extraordinaires, instruits, qui souhaitent la paix avec les Israéliens ; mais ils sont à bout », témoigne quant à lui M. Matthias Schmale, le directeur de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) à Gaza, qui scolarise près de 280 000 enfants et fournit une aide alimentaire à plus d’un million de personnes dans l’enclave. « Il est aisé de comprendre que certains puissent basculer dans la violence quand on voit le traitement qu’Israël inflige à tout un peuple. »

En l’absence d’avancées côté israélien, et faute de soutien international, notamment de la plupart des pays arabes, la priorité, pour beaucoup, est la résolution du conflit entre le Fatah et le Hamas. Le 12 octobre 2017, les deux mouvements ont signé un accord de réconciliation censé permettre le retour de l’Autorité palestinienne dans la bande de Gaza. Mais le processus patine, principalement en raison des exigences de M. Abbas. Le président de l’Autorité réclame notamment le désarmement du Hamas, une demande catégoriquement rejetée par la formation islamiste. En attendant, « la population sombre chaque jour un peu plus dans la misère et Gaza est une cocotte-minute qui menace d’exploser », estime M. Ahmad Youssef, figure influente du Hamas, favorable à une solution de compromis entre les deux partis. Selon lui, « il faut rebâtir la maison palestinienne pour mieux faire face à Tel-Aviv. Et cela ne pourra se faire qu’à travers un système de cogestion du pouvoir. Chacun doit faire des concessions ». M. Imad Al-Agha, haut responsable du Fatah à Khan Younès, tient un discours similaire : « Nous devons mettre un terme à cette discorde qui fait le jeu d’Israël et réunir nos forces. » Un vœu pieux pour certains ; une urgence absolue pour d’autres.

Cette réconciliation ne pourrait-elle se faire sous les auspices de la jeunesse, en vue d’élaborer une nouvelle stratégie nationale ? M. Hassan Ostaz, militant du Fatah âgé de 29 ans, en est persuadé : « Aujourd’hui, il faut le reconnaître, seul le Hamas résiste aux Israéliens. Nous devons dépasser les clivages pour réfléchir aux moyens de lutter ensemble contre l’occupation. C’est ce que nous essayons de faire, par exemple, en organisant des réunions communes avec les jeunes hamsaouis [du Hamas].  » M. Mohammed Haniyeh, 28 ans, est quant à lui le représentant de la jeunesse du Hamas au sein du comité d’organisation de la « grande marche ». Il nous reçoit dans un bureau qu’il partage avec… les jeunes du Fatah. Pour lui aussi, l’heure est au sursaut collectif : « Nous devons sans tarder constituer un gouvernement d’union, organiser de nouvelles élections et œuvrer à construire notre État, de la Cisjordanie à Gaza. » Un État dont il n’est même pas question dans l’« accord du siècle » préparé par Washington et soutenu par les pays du Golfe. Cet énième projet de paix enterre notamment l’idée d’une Palestine indépendante et envisage la bande de Gaza comme une entité séparée de la Cisjordanie. « Une funeste plaisanterie », tranche M. Youssef. 
 
Olivier Pironet  
Septembre 2019

 

(1Tzvi Joffre, « IAF attacks targets in Gaza strip after rocket fire », The Jerusalem Post, et « Israeli air force fires many missiles into Gaza », International Middle East Media Center (IMEMC), 14 juin 2019.

(2Cf. le rapport annuel du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Unocha), New York, mai 2018, et Ali Adam, « Israel is intensifying its war on Gaza’s farmers », The New Arab, Londres, 19 mars 2018.

(3Tom Miles, « UN bemoans unsustainable Palestinian economy », Reuters, 12 septembre 2018.

(4Cf. le rapport « Gaza in 2020 : A liveable place ? », Nations unies, New York, août 2012.

(5« Gaza ten years later », Nations unies, juillet 2017.

(6Toutes ces données sont disponibles sur les sites de la Banque mondiale, de la Cnuced et du Bureau central des statistiques palestinien (PCBS).

(7« Rapport sur l’assistance de la Cnuced au peuple palestinien », Cnuced, Genève, 12 septembre 2018.

(8Lire Akram Belkaïd, « Al-Nakba », dans « Palestine. Un peuple, une colonisation », Manière de voir, no 157, février-mars 2018.

(10Tovah Lazaroff, « Netanyahu : UN set new hypocrisy record with Israeli war crimes allegation », The Jerusalem Post, 28 février 2019.

(11Cf. « The peace index », 2 mai 2018.

(12Plus de quatre-vingt-dix Palestiniens, dont vingt-huit enfants et quatre secouristes, seront blessés ce jour-là dans la bande de Gaza.

(13Entsar Abu Jahal, « Human rights group documents Hamas abuses », Al-Monitor, 26 avril 2019.

(14Sur la coopération sécuritaire, lire « En Cisjordanie, le spectre de l’Intifada », Le Monde diplomatique, octobre 2014.

 

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