dimanche 4 janvier 2015

Pour l'ascension d'une nation

L'Etat tunisien, le ministère du sport mais aussi celui des affaires extérieures, ainsi que les entreprises nationales (privées ou publiques) doivent assumer pleinement leurs responsabilités pour soutenir le projet de Tahar Manai et lui assurer le financement nécessaire. Ce défi n'est plus l'affaire exclusive du jeune alpiniste mais c'est désormais l'affaire de tout le pays. L'argent étant le nerf de tout exploit sportif, les sponsors tunisiens sont appelés à s'investir dans ce projet pour lui assuer les conditions optimales de la réussite.


"Après 9 heures de marche, 1200 m de dénivelé, et des températures avoisinant moins 50 degrés, nous avons atteint le sommet.  Je dis "nous", parce que vous êtes tous dans mon cœur quand je grimpe".

    Il a 26 ans. Il est tunisien. Et c'est par ces mots poignants adressés à son pays depuis le sommet de l'Aconcagua (6962m), la plus haute montagne d'Amérique du Sud, que Tahar Manai nous a offert, le 17 décembre dernier, un nouvel exploit qui fait notre fierté. Certes, l'actualité politique nationale et les batailles électorales qui ont accaparé, durant deux mois, l'intérêt des médias ont quelque peu éclipsé cet évènement, passé inaperçu pour la plupart des Tunisiens. Néanmoins la belle bataille de Tahar Manai pour "l'ascension d'une nation" (nom de son projet visant à atteindre en mai 2015 le sommet de l’Everest: 8848m) et sa récente conquête de l'Aconcagua, la plus haute montagne d'Amérique du Sud, qui s'est couronnée par cette éloquente photo sur le sommet dédiée à la patrie, n'en perdent rien ni de leur mérite ni de l'euphorie qu'elles nous procurent en ce temps de grâce. Pour le pays sorti victorieux de sa première épreuve d'alternance démocratique, le défi "ascension d'une nation" tombe fort à propos, qui acquiert un sens bien plus qu'emblématique. Au delà de la réponse littérale à Abou Alkacem Echebbi interpellant dans les années 1920 ses compatriotes: ومن لم يرم صعود الجبال يعش أبد الدهر بين الحفر (Qui n'aime point escalader les monts / Traine à jamais dans les crevasses). c'est l'expression d'une volonté patriotique nôtre aspirant  à faire de ce pays géographiquement petit un pays grand par ses hommes, qui se traduit à travers cette performance alpiniste. Le jeune Tahar Manai qui se prépare à attaquer l'ultime phase de "ascension d'une nation" pour réaliser son rêve, à savoir être le premier Tunisien à vaincre le sommet de l'Everest, est d'ores et déjà un grand. Son courage, sa ténacité, sa persévérance nous rappellent, dans un contexte de défi différent mais non moins tunisien, l'antécédent carthaginois devenu légendaire: la traversée des Alpes par Hannibal. Dans quatre mois, nos yeux seront braqués sur le sommet de l'Himalaya. Et nous verrons, inch'Allah, l'emblème tunisien flotter sur le mont d'Everest, le point montagnard le plus élevé au monde, à plus de 8000 d'altitude.

Rappelons en quelques mots le parcours de ce combattant des hauteurs, qui s'apprête à conquérir le toit du monde.
Au début des années 1990, Tahar devait avoir deux ou trois ans tout au plus, quand son père, premier opposant déclaré à Ben Ali, a été arrêté pour subir, pendant 15 jours, les pires tortures dans les cachots du ministère de l'intérieur. A sa libération, ce père a pu s'envoler vers Paris mais le régime l'a empêché de se faire accompagner par sa famille. Celle-ci sera contrainte de fuir clandestinement la Tunisie quelques mois plus tard, en grande partie à pied, à travers les frontières algériennes, avant de pouvoir rejoindre à son tour la France. Bien que pourchassés et harcelés jusque sur le sol de leur pays d'exil, les petits Manai (Badis, Bochra, Tahar, Amira) ont brillé chacun dans son domaine, honorant par leur réussite aussi bien leurs parents que leur pays.
C'est à 12 ans que Tahar devient mordu d'alpinisme, à la faveur d'une découverte en colonie de vacances du Mont-Blanc. La montagne la plus élevée d'Europe le rappellera, dix ans plus tard, pour en faire l'ascension. C'était en 2010, au moment précis où commence la révolution tunisienne. Et Tahar a dédié cette première conquête alpiniste à sa patrie, en plantant le drapeau tunisien au sommet du Mont-Blanc. En août dernier, dans le cadre de ses préparations pour
"l'ascension d'une nation", il est reparti gravir une deuxième fois, solitaire et sans guide, le Mont-Blanc. Ni le vent soufflant à plus de 90 km/h ni la température de -25° ne l'ont empêché de réussir sa montée et de planter, comme à l'accoutumé, le drapeau pour lequel il se bat depuis 5 ans.

A travers ce modeste hommage au jeune Tahar, je tiens à saluer le lion à qui nous devons ce lionceau: Dr Ahmed Manai. Tel père tel fils; et l'un et l'autre font à bon droit notre fierté. Je tiens à saluer aussi Bochra, la sœur du champion, qui, il y a un an, m'écrivait ces mots: " Si Ahmed, je viens de sécher des larmes à la lecture de ce texte... je ne l'avais jamais vu. Merci. (Rectification, je termine mon doctorat!)"
Bochra venait de découvrir alors un modeste hommage que je lui rendais en 2012 à travers le billet ci-dessous publié sur Facebook:

"Pour certains, l'exil est une longue errance dans une sorte de no man's land qui touche aux confins
de la mort. Une rude épreuve qui conduit tôt ou tard à la perte de ses repères, de son identité, de sa peau. Pour ceux-là l'exil est synonyme pour le moins de déracinement.
Pour d'autres, même s'il y a déchirures, souffrances, quelles que soient les embûches semées sur le chemin et la terre d'exil, il n'est pas permis de mourir ni de faiblir le moindrement ni surtout de troquer sa face et son épiderme pour le seul confort d'assurer sa survie. Bochra Manaï est de cette race-là.

Elle était tout juste fillette quand, dans les années 90, au plus fort des années de braise, elle a quitté la Tunisie pour se réfugier en France, suivant avec le reste de la famille son père, Dr Ahmed Manai, contraint de fuir l'oppression de Ben Ali.
Alors même que la hargne dictatoriale et les brigades de la terreur (de la mort plutôt) poursuivaient son père jusque sur le sol français, Bochra a su affronter tous les défis pour faire valoir ses mérites de combattante tunisienne en exil.
Après de brillantes études en France, elle franchit l'Atlantique, visant plus haut, prépare et obtient au Québec un doctorat en études urbaines. Et la brillante académicienne qu'elle est, en cela comme au reste pas moins méritante que son père, n'a jamais été ni en France ni au Québec au dessus de la mêlée qui concerne l'avenir de son pays."


A.Amri 

04.01.15    

Sur ce blog au sujet de Ahmed Manai:

Marzouki tel que j'ai connu - Par Ahmed Manai

Marzouki s'est tu au moment où il devait parler (par Dr Ahmed Manai)

La liberté d’expression et la responsabilité de l’intellectuel musulman

Marzouki est justiciable pour ses crimes en Syrie



mercredi 31 décembre 2014

Mohamed Cheikh Ould Mohamed: un cri juste que les injustes n'admettent pas



"Tout musulman qui apostasie, sans se repentir dans un délai de trois jours, est passible de la peine de mort." (Article 306 du Code pénal mauritanien)

Mohamed Cheikh Ould Mohamed



Il ne faut pas crier à l'injustice dans les pays musulmans. Surtout quand ces pays sont de facto au dessus de l'injustice. Parce que gouvernés par la charia de Dieu. Immunisés contre les dérives, les erreurs, les abus et toutes sortes de tares qui, ailleurs, affectent et infectent les lois séculières.
Et si malgré tout, injustice il y a, si malgré tout, cette injustice est flagrante, criante, intenable, si malgré tout il s'avère impossible de se taire quand l'injustice broie, opprime, lèse au quotidien ses victimes et les accule à hurler, il faut alors tourner sept fois sa langue et la retourner encore avant de découdre ses lèvres. Sous peine d'aller loin, n'en plaise à Dieu, et de montrer du doigt, ne serait-ce que de façon pudique et dans son intérêt, l'islam. Ce serait, n'en plaise à Dieu,  commettre un mal irréparable. L'offense suprême. Imputer à Dieu, au Prophète, à la charia et aux sentinelles thuriféraires des lois parfaites un mal qui, il va de soi, n'est pas le leur. Ce serait, n'en plaise à Dieu, apostasier l'islam.

Cette imprudence-là, Mohamed Cheikh Ould Mohamed n'a pas su s'en prémunir. Et elle lui a valu la peine de mort. Juste évidemment, évidemment incontestable, irréprochable indubitablement parce que conforme à la charia de Dieu. C'est ce que vous diraient les inquisiteurs des temps modernes et de tous les temps, les cerbères de l'obscurantisme religieux, les oppresseurs des peuples et des hommes, qui perpétuent, en Mauritanie ou ailleurs, le règne de la barbarie.

Ingénieur âgé de 28 ans, Mohamed Cheikh Ould Mohamed appartient aux Maalmines (forgerons), caste marginalisée entre autres dans un pays où les privilèges et les discriminations du féodalisme, à quoi ajouter le racisme et les séquelles de l'esclavagisme, sont prégnants. Quoique lui-même, cadre et fils de haut fonctionnaire, ne soit pas directement affecté par l'injustice qui frappe le commun de sa caste, au mois de décembre 2013, cet ingénieur a osé lever la voix pour dénoncer le mal mauritanien. Les privilèges dont jouissent les Bidhane, caste de l'aristocratie régnante, et les préjudices qui en découlent, frappant le reste de la population. Diagnostiquant ce mal à travers un article publié sur le web, l'auteur n'a pas mâché ses mots pour incriminer la religion. Non pas l'islam dans sa substance révélée mais celui vicié dès l'origine par le pouvoir politique basé sur les privilèges du sang et des alliances. C'est cette altération de la religion par la religiosité, savamment analysée, et à bon droit mise en cause, qui constitue le principal propos de son article. Et parce que cette mise en cause ne peut plaire ni à la caste régnante ni aux jurisconsultes locaux moyenâgeux dont les interprétations rétrogrades et anachroniques de l'islam lui servent de garde-fou, dès la parution de l'article la réaction des ultras ne s'est pas fait attendre. De toute part, les cerbères du système ont montré leurs canines, vouant au bûcher le "mécréant". En dépit d'une mise au point où l'auteur a clamé son innocence et explicité son amour et son respect du Prophète, le 2 janvier 2013 il a été arrêté à Nouadhibou (nord-ouest de la Mauritanie) et écroué. Au bout d'un an de détention et pour couronne de calvaire(1), ce 24 décembre 2014 la cour criminelle de Nouadhibou l'a jugé coupable et condamné à la peine capitale.

Parce que cette peine est injuste quelles que soient les raisons des tribunaux islamistes et des seigneurs qui gouvernent la Mauritanie, nous dénonçons avec vigueur autant la sentence que le climat d'inquisition moyenâgeuse qui lui a été propice. N'en déplaise aux oppresseurs qui perpétuent le règne de la barbarie en Mauritanie ou ailleurs, nul ne peut être jugé pour ses opinions ou sa croyance religieuse.


Tout en appelant les citoyens du monde, les ONG internationales, les Etats et leurs missions diplomatiques à se mobiliser pour sauver de l'échafaud Mohamed Cheikh Ould Mohamed, nous publions ci-dessous la traduction de l'article qui a valu à son auteur l'absurde arrêt de mort.


                                                                                 Ahmed Amri - 31.12.14



"
La religion n'a rien à voir, honorables Maalemines(2), avec votre problème. Car en religion il n'y a pas de considération ni pour le lignage ni pour la classe. Ni Maalmines (2) ni Bidhanes(3) n'y ont de place, ne vous en déplaise. Votre problème, si ce que vous dites est exact, peut être rattaché à ce qui s'appelle religiosité. C'est là une nouvelle thèse qui a trouvé parmi les Maalmines eux-mêmes certains de ses ardents défenseurs. Convenons-en donc !

A présent, permettez-moi de revenir à la religion et la religiosité pour éclairer le statut du lignage et de la classe dans la religion.
Quelle différence y a-t-il entre religion et religiosité?
Selon, Dr Abdelmajid Ennajar:" la réalité de la religion diffère de celle de la religiosité. La religion dans son essence ce sont les préceptes fondateurs de la législation divine. Alors que la religiosité est la mise en pratique de tels préceptes. Celle-ci est un fait humain. Cette différence conceptuelle conduit, en réalité, à  une différence de caractéristiques et de jugements spécifiques à l'un ou à l'autre concepts." (2).
Par conséquent, la religion est un fait divin et la religiosité fait humain. A quel moment au juste de l'histoire rattache-t-on la religion et la religiosité?
Il va sans dire que, vues dans le contexte islamique, elles appartiennent à deux périodes distinctes: la religion se rattache à la vie de Mohamed; la religiosité, quant à elle, est postérieure à telle vie.
Considérons à présent quelques exemples de la première période.

Temps: juste après la bataille de Badr en 624 apr. J.-C. Lieu: Yathrab.
Voici le jugement prononcé au sujet des prisonniers de Quraish tombés aux mains des musulmans:   "Messager de Dieu, a dit Abou Bakr Esseddik premier conseiller du Prophète, ces prisonniers sont des cousins, des frères, des enfants du clan. A mon avis, nous devrions leur imposer une rançon, ce qui constituera un supplément de force pour nous contre les infidèles. En même temps, gardons l'espoir que Dieu les guidera vers le bon chemin; et ils seront demains nos alliés."

Remarque: qui sont ici les infidèles selon Abou Bakr ?(3)

C'est tel jugement de Abou Bakr qui a prévalu en la circonstance. Avec un amendement en faveur de ceux qui n'avaient pas d'argent: au lieu de payer la rançon, servir de précepteur aux enfants des musulmans.
Mais doucement ! il y a eu une dérogation pour Zeyneb, fille du Prophète, qui voulait racheter par un collier déposé chez Khadija(4) son mari Abou Alâs. A sa vue, le Prophète s'est beaucoup apitoyé et a dit à ses compagnons: " si vous n'y voyez pas d'inconvénient, rendez-lui son mari et son bien (collier)!"(5) Ce à quoi les compagnons ont répondu positivement.

A quoi rime, selon vous, cette exception ?

Temps: 625
apr. J.-C. Lieu: Ohad.
Événement: bataille entre les musulmans et les quraïshites.
Tandis que la tribu de Quraysh affrontait les musulmans pour venger la défaite de Badr et espérer en finir avec Mohamed et ses partisans, Hind bent Ataba a commandité Wahshi pour tuer, en échange de son émancipation et d'une rétribution en bijoux, Hamza. Hind a obtenu ce qu'elle voulait.
Quelques ans plus tard, au lendemain de ce qu'on a convenu d’appeler la conquête de la Mecque, Hind s'est convertie à l'islam. Ce qui lui a valu le titre "Honorable mécréante, musulmane honorable". Wahsi, quant à lui, le Prophète l'a sommé de disparaitre quand il s'est converti à son tour à l'islam !
C'est que Hind est quraïshite alors que Wahsh est
abyssinien. Sinon comment expliquer une telle discrimination ? Ne se valent-ils pas en tant que coupables à tout le moins, car, pour être plus équitable, il faudrait dire que la vraie coupable du meurtre de Hamza est Hind, Wahsh n'étant en la circonstance qu'un esclave exécutant un ordre?

Toujours dans la même bataille, comparons le sort de Wahsh à celui de Khaled Ibn Al-Walid. Ce dernier a été la principale cause de la défaite des musulmans à la bataille de Ohad. Malgré le grand nombre de morts enregistrés dans cette défaite, à sa conversion à l'islam Khaled Ibn Al-Walid a été honoré par le titre Epée dégainée d'Allah. Pourquoi Wahshi n'aurait-il pas mérité un titre comme Lance-d'Allah-qui-ne-rate-jamais-sa-cible ?


Lieu: la Mecque.
Temps: 630 apr. J.-C. Évènement: conquête de la Mecque. Que s'en est-il suivi ?
Tous les Mecquois ont été amnistiés malgré les divers préjudices causés au prophète Mohamed et à son message, et quand bien même l'armée musulmane était capable de les exterminer. L'amnistie a été proclamée comme suit par le Prophète alors que les Mecquois étaient rassemblés près de la Kaaba:
"Que pensez-vous que j'aille faire de vous?" dit le Prophète. "Tout le bien, répondirent les Mecquois. Tu es un frère généreux et non moins généreux neveu." Et le Prophète leur dit alors:" vous n'êtes plus blâmables désormais. Que Dieu vous par
donne ! Partez! vus êtes libres."
Cette amnistie a permis de préserver les vies humaines, d'éviter la captivité, de garder intacte la propriété de l'argent mobile et des terres et de ne pas soumettre ces biens à l'imposition. En cela, la Mecque n'a pas été traitée comme d'autres zones.

Lieu: Forts
Banu Qurazya. Temps: 627 apr. J.-C. Événement: extermination des Banu Qurayza. Cause: complot d’individus de  Banu Qurayza contre les musulmans dans le siège de la Tranchée (sachant que les individus ici "justiciables" n'étaient que les chefs et qu'il y a un verset qui dit à ce propos: "personne ne peut porter le fardeau d'autrui".)
C'est un fait attesté que lorsqu'il s'est approché des forts de Banu Qurayza qu'il a tenu en siège, le Prophète s'est adressé aux juifs comme suit:" frères des singes et des porcs (4), idolâtres, vous m'insultez ?" Les juifs ont juré alors par la Torah révélée à Moïse que non. " Abu al-Qasim, disent-ils, vous n’êtes pas de ceux qui sont profanes." Le Prophète a alors mis en première ligne les archers.

Avant de poursuivre, je voudrais m'arrêter ici pour remarquer qu'en citant le Prophète, nous sommes censés nous appuyer sur "l'esprit totalisant", l'autorité morale infaillible.
Comparons à présent le sort des Mecquois et celui des Banu Qurayza. Ceux-ci, sans passer aux faits, ont eu les velléités de conspirer avec Quraish pour en finir avec Mohamed et son message. Et alors que les quraishites ont été amnistiés, les Banu Qurayza ont été passés aux armes. Sans distinction aucune entre celui qui a failli rompre le pacte et celui qui qui n'a rien à se reprocher à ce propos. On a tué les guerriers des Banu Qurayza et capturé leurs enfants. Et l'on raconte, à ce sujet, que pour déterminer si un adolescent devait être tué ou capturé, il fallait découvrir son bas-ventre. Celui qui avait le pubis poilu se faisait tuer et celui qui l'avait non poilu avait la vie sauve.

Ainsi donc, Quraish qui s'est opposée aux musulmans dans plus d'une bataille, qui les a assiégés de manière impitoyable à la Tranchée, qui a recruté, au début du message, 40 jeunes pour tuer Mohamed à la veille de la migration vers Médine, qui, auparavant, a tué et torturé de la pire manière des musulmans, le jour de la conquête de la Mecque a trouvé en Mohamed un frère généreux et un non moins généreux neveu qui leur a dit: "partez! vous êtes libres." A l'opposé, les Banu Qurazya qui ont juste failli s'allier avec les mécréants contre Mohamed ont été rétribués par un massacre général. Où est allée la miséricorde ? Faut-il en conclure que les "frères et consorts" ont un rôle dans "l'esprit totalisant et absolu" ?

En guise de résumé, si le concept "cousins-clan-frères" pousse Abou Bakr à s'abstenir de tuer les infidèles, si la relation parentale entre le Prophète et Zeyneb autorise la fille à recouvrer son mari et son bien sans autre forme de procès, si le sang tribal autorise qui de pouvoir à distribuer des titres d'honneur aux qurashites et les refuser aux abyssiniens, si la fraternité, les liens de sang, de parenté, autorisent d'accorder la grâce à Quraish et de ne pas l'accorder aux Banu Qurayza, si cela est monnaie courante au temps du Prophète, soit au temps de la religion, comment s'étonner qu'il en soit de même aujourd'hui au temps de la religiosité?

Frères, je voudrais juste conclure avec vous, et je m'adresse en particulier aux Maalmines, que la tentative de différencier la substance de la religion de la réalité propre à la religiosité est "bonne mais non concluante". On ne peut occulter la réalité que ces "lionceaux [NDT: les Bidhanes] sont en fait les descendants du lion" [NDT: l'ordre mahométano-quarishite]. Ceux qui souffrent doivent être honnêtes avec eux-mêmes, quelle que soit la cause de leur souffrance. Et si la religion est impliquée dans  cette souffrance, disons-le de vive voix: la religion, les hommes de religion, les livres de religion, jouent le rôle qui est le leur dans les questions sociales, que ce soit celles des Lahratin(5), des Maalmines, ou celle des Ikawns(6) à propos de qui la religion stipule que leur manger, leur boire, leur travail sont harams [ndt: illicites].

Mise au point:

Durant les jours passés, j'ai suivi les réactions suscitées par mon article "Religion, religiosité et Maalmines", lesquelles étaient en grande partie takfiristes et ostensiblement racistes. J'ai reçu de nombreux appels téléphoniques chargés de menaces et d'intimidation.
De nombreux facteurs ont contribué à créer un climat propice à de telles réactions, dont l'analyse fondée sur la théorie conspirationniste chez les Azways (7) qui taxe de juif et de mécréant, tout en le marginalisant, quiconque se réclame du sang maalmine. A quoi ajouter le prosaïsme le plus plat chez ces mêmes Azways qui, pour servir des fins machiavéliques et dénotant leur esprit malade, attribuent de façon mensongère des propos au Prophète, tels que: "un forgeron n'est bon à rien, serait-il un savant."


Mohamed Cheikh Ould Mohamed
Traduit par A. Amri
30.12.14



Notes:


1) Sous la pression des campagnes de presse orchestrées par les islamistes, peu de temps après son arrestation sa propre famille a publié un communiqué pour le dénoncer et le bannir. Puis les parents de son épouse ont contraint celle-ci à se séparer de lui. Enfin, avant même le procès, son employeur l'a licencié.

2) NDT: caste des forgerons qui figure en bas de l'échelle de la hiérarchie "traditionnelle" mauritanienne.

3) NDT: si le sous-entendu ne peut être compris (surtout par ceux qui ne sont ni musulmans ni arabes), précisons que l'auteur veut dire qu'aux yeux de Abou Bakr, en tant qu'enfants de la tribu dont le Prophète est issu les quraishites capturés ne peuvent s'assimiler à des infidèles.

4) NDT: épouse du Prophète.

5)- NDA: Bidhane البيضة est un terme qui désigne la caste la plus élevée en Mauritanie, considérée comme étant d'extraction pure, blanche comme l'explicite la racine du terme أبيض. Cette caste est en fait un mélange de descendances arabo-berbères.

6)NDA : "il les a traités ainsi parce qu'ils l'ont insulté." (Tobari 2/252 commenté et annoté par cheikh Ahmed Shaker. Cité aussi par Ibn Kathir.

7) NDT: Caste des noirs libres.

8) NDT: Caste des griots (artistes, et en particulier dans le domaine de la chanson).

7) NDT: Elite éclairée (ou estudiantine) des Bydhane.

lundi 29 décembre 2014

A propos de "Tunisie : politique et culture" (par Yves Gonzalez-Quijano)


Ecrit par Yves Gonzalez-Quijano, enseignant-chercheur au Gremmo/Université de Lyon et spécialiste des littérature et  culture arabes, le billet ci-dessous rend hommage à ma modeste personne à travers une appréciation pour le moins sympathique de quelques unes de mes publications sur ce blog et sur Youtube.
Me
rci infiniment Yves !

Au hasard du « ouèbe », cherchant à documenter une vidéo du groupe Al-Rahel al-kabir (الراحل الكبير : « Le grand disparu », c'est le nom du groupe), je suis tombé sur cette source qui disait parfaitement ce que je n'aurais pas forcément su exprimer moi-même aussi bien. Occasion de ne pas remettre indéfiniment un vague projet que j'avais en tête, celui de commencer une sorte de petite « blogothèque » – parfaitement subjective – des sites proches, intellectuellement parlant, de ce que propose Culture et politique arabes. Dans le cas présent, le titre de ce blog ouvert en 2009 suffit à mettre en évidence la proximité. Ahmed Amri a en effet choisi de rassembler les chroniques qu'il a commencé à écrire en 2009 sous le titre Tunisie : politique et culture.
C'est donc en cherchant des vidéos du groupe Al-rahel al-kabir que je suis tombé sur ce billet, qui présente très bien cet ensemble libanais récemment créé (2013). Un groupe qui « retravaille » la tradition musicale arabe en donnant un coup de jeune (plus qu'en révolutionnant à mon avis) la chanson engagée libanaise. Cette « réinterprétation », Ahmed Amri l'explicite fort bien pour ceux qui ne sont pas forcément familiers avec les arcanes de cette culture, en explicitant les sous-entendus des paroles d'une chanson qui a fait grand bruit récemment car elle tourne en ridicule (non sans courage, Beyrouth n'est pas si loin de la « ligne de front ») le dernier « calife » autoproclamé, le tristement célèbre al-Baghdadi. La vidéo, sous-titrée, par Ahmed Amri lui-même si j'ai bien compris, est disponible sur une page qui donne accès à plusieurs autres séquences sous-titrées qui sont autant d'entrées intéressantes dans la culture arabe. Découvrez-là si vous ne la connaissez pas, c'est encore plus drôle quand on a accès aux paroles !



Parmi les séquences précédemment mentionnées, on trouve notamment un petit extrait traduit – il faut dire que l'ensemble doit faire pas loin d'une heure – de l'incontournable Al-Atlâl (الأصلال : « Les ruines »), une chanson d'Oum Kalthoum, tellement présente dans l'imaginaire arabe que Nasser l'a citée lorsqu'il a dû annoncer aux Egyptiens (et aux Arabes) sa défaite, en juin 1967. Ahmed Amri en fait une présentation très centrée sur le « parolier », le poète Brahim Naji, en apportant une foule de détails qui m'étaient pour ma part totalement inconnus.



Moins classiques et totalement d'actualité, je recommande également deux billets écrits peu avant les élections présidentielles en Tunisie. Peu importe en définitive qu'on soit d'accord avec ce qu'il écrit à propos de Moncef « Tartour » Marzouki, son analyse du flirt islamiste de l'ancien président (temporaire), intitulée Quand Marzouki joue le dévot au Croissant, mérite d'être lu, ne serait-ce que parce qu'elle est aussi mesurée que savante, et qu'elle s'appuie notamment, ce qui me paraît essentiel et pourtant si rare, sur une analyse langagière, en l'occurrence l'emploi du mot tâghût (طاغوت) par le président-temporaire-candidat. Je vous laisse découvrir.

Moins développée mais tout aussi passionnante, son analyse du slogan électoral choisi par le même ex-président (Marzouki : arcanes d'un slogan électoral). Un thème auquel quelques-uns des billets de ces chroniques ont été consacrés, mais dans d'autres contextes. Là encore, l'analyse sémantique à laquelle se livre l'auteur est un régal ! Personnellement, j''aurais ajouté un dernier petit commentaire sur la signature du candidat, « Dr Moncef Marzouki », qui laisse présager une rude médecine pour la Tunisie ! Et pour ne pas me contenter de renvoyer au confrère, je signale cet entretien avec Mohammed Ziyed Hadfi, un « communiquant » tunisien professionnel, sur « les affiches électorales ou la quintessence du marketing politique » mis en ligne sur le site Nawaat.

En cette fin d'année, la période est aux cadeaux. Si vous souhaitez en faire, vous pouvez toujours envoyer des suggestions de sites (en utilisant la rubrique "commentaire" sur cette page, ou en me contactant par courriel), histoire de compléter notre « blogothèque » suggestive.

Bonne fin d'année... ou presque.

Yves Gonzalez-Quijano
23 décembre 2014

Source





jeudi 18 décembre 2014

Enjeux de l'élection présidentielle tunisienne


Ce 21 décembre, la Tunisie élira au suffrage universel son premier président depuis la révolution de 2010-2011. Elle choisira entre les deux gagnants du premier tour, le président sortant Moncef Marzouki qui a été élu à titre provisoire, en 2011, par les membres de l'Assemblée constituante, et Béji Caïd Sebsi, vieux routier de la politique, vétéran bourguibiste et président du parti Nidaa Tounes.

A la veille de ce second tour où, malgré des estimations serrées, Sebsi est donné favori,  la Tunisie est incontestablement divisée en deux camps. Chacun a ses enjeux propres et ses appréhensions. D'une part, les islamistes et les partisans de l'ex-troïka rangés derrière Marzouki, qui, redoutant ce qu'ils appellent le taghaouel(1) de Nidaa Tounes vainqueur aux législatives du 26 octobre dernier, espèrent conjurer ce risque en s'adjugeant la première tête de l'exécutif. De l'autre, le camp opposé à ladite troïka où diverses sensibilités allant de la droite libérale à l'extrême-gauche sont réunies, qui, craignant les retombées d'un éventuel bicéphalisme de l'exécutif, appellent de tous leurs vœux la défaite de Marzouki.

Avant d'analyser ces enjeux et ces craintes, il faut d'abord souligner que même si la magistrature suprême en Tunisie n'a plus, constitutionnellement parlant, les compétences qui étaient les siennes sous Bourguiba ou son successeur Ben Ali, le prochain président tunisien aura un poids inestimable dans la réussite ou l'échec de la politique gouvernementale. Sachant que les orientations générales de la défense, les affaires étrangères, la ratification des traités internationaux, l'assurance de la sécurité intérieure de la République, la nomination de Gouverneur de la Banque Centrale et de mufti de la République, la grâce(2), entre autres compétences, font partie des droits régaliens du président. Sachant que celui-ci peut renvoyer des projets de lois adoptés par le Parlement pour une deuxième délibération, soumettre au référendum populaire les projets de lois sensibles liées aux droits et libertés, au statut personnel ou tout projet de révision de la Constitution, sachant enfin que ce président peut assister au conseil des ministres et le présider, on peut deviner ce qui suscite les craintes des uns et des autres en cas d'élection qui mette à la tête du pays le candidat du camp adverse.


En cas de victoire de Béji Caïd Sebsi, la Tunisie ne risque pas de vivre des crises politiques opposant le gouvernement au président de la république. L'entente garantie de facto par l'appartenance des deux têtes de l'exécutif à la majorité épargnera au pays les dissidences du pouvoir, et non des moindres, à redouter d'un éventuel bicéphalisme où la cohabitation se profile difficile, voire impossible. Par contre, si Marzouki est élu, le dualisme installé à la tête du pouvoir ne pourra que contrarier les décisions du gouvernement, avec les risques majeurs que ce dernier aurait à se voir brider, bloquer, voire dissoudre en cas de conflits ou de bras de fer entre les deux têtes de l'exécutif. Le président lui-même ne s'en trouvera pas dans une situation enviable, qui risque d'être condamné à l'isolement s'il se met sur le dos un gouvernement qu'il contrarie de façon abusive et systématique. Et dans un tel cas de figure, il va sans dire que le pays ne pourra que trinquer à son tour.


Cependant, pour les partisans de Marzouki le vrai péril à craindre serait plutôt dans l'accaparement de tous les pouvoirs par la partie adverse. D'autant que celle-ci incarne, à leurs yeux, un avatar de la dictature déchue. Derrière Béji Caïd Sebsi et son parti Nidaa Tounes, les inconditionnels de Marzouki ne voient que les anciens militants ou adhérents du RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique), les azlams(3) de Ben Ali recyclés sous les oripeaux du social-libéralisme bourguibiste. Par conséquent, seule une victoire de Marzouki à la présidentielle pourra dresser un rempart contre le retour de la dictature. C'est en tout cas le cheval de bataille des marzoukistes et de leur candidat depuis le début de la campagne électorale.

En vérité, ce spectre de la dictature revenante qu'agitent inlassablement Marzouki et ses partisans n'a aucun fondement concret. C'est un vieil épouvantail électoraliste qui a déjà servi aux islamistes dans la campagne électorale de 2011. Et l'anathème de taghaoual(1) et d'azlams(3) lancé contre Béji Caïd Sebsi et son parti ne peut duper que les simples d'esprit. Car la réalité de Nidaa Tounes est tout autre que l'image caricaturale et ridicule que tentent de lui coller Moncef Marzouki et ses partisans. Fondé et autorisé en 2012 sous la gouvernance de la Troïka et avec la bénédiction du ministre de l'intérieur islamiste Ali Larayedh qui en a signé le visa d'autorisation, ce parti a pu rassembler en deux ans les diverses sensibilités opposées au régime de la Troïka. Que ce parti compte aujourd'hui parmi ses adhérents beaucoup d'anciens
destouriens et rcdistes, cela est indiscutable. Mais la grande majorité de ses dirigeants, et il n'est que de voir ses comités constitutif et exécutif pour s'en rendre compte, sont d'authentiques opposants à Ben Ali, dont beaucoup sont issus de la mouvance progressiste et des divers courants de la gauche. Ainsi le numéro 2 de ce parti,Taïeb Baccouche, n'est autre que le secrétaire général et l'idéologue de l'UGTT (Union générale tunisienne du travail) entre 1981 et 1985. Ce même leader syndical était, de 1998 à 2011, président de  l'Institut arabe des droits de l'homme. A côté de Taïeb Baccouche, on trouve Boujemâa Remili, militant du Parti communiste tunisien (devenu mouvement Ettajdid puis Pôle démocratique moderniste). On trouve aussi Mohsen Marzouk qui a milité au sein du Travailleur Tunisien (mouvement marxiste-léniniste) puis au sein de la LTDH (Ligue tunisienne des droits de l'homme).  Sans oublier le doyen des défenseurs de droits de l'homme Ali Ben Salem ou le militant et leader syndical Abdelmajid Saharaoui. Quel crédit donner alors aux jeteurs d'anathèmes quand on sait que la plupart de ces militants ont subi la persécution et la prison, soit sous Ben Ali soit sous son prédécesseur, soit sous l'un et l'autre et même sous l'occupant français auparavant?

Mais il faut souligner aussi que ceux qui, malgré ces considérations, accusent Nidaa Tounes d'être l'officine des RCD oublient que le premier parti à avoir recyclé en masse les anciens RCD au lendemain des élections de 2011 n'est autre que le mouvement Ennahdha, ce même mouvement qui soutient aujourd'hui, directement ou à travers son électorat, la candidature de Marzouki. Quant au dénigrement du même ordre ciblant la personne de Béji Caïd Sebsi, il n'en est pas moins dénué de tout fondement. En 1980, Béji Caïd Sebsi a été le premier proche de Bourguiba à avoir eu le courage de prôner le multipartisme. Et il a appelé à la mise en place d'une démocratie qui mette fin à l'hégémonie du parti unique. Sous Ben Ali, le seul reproche qu'on puisse lui faire c'est d'avoir été président 
de la Chambre des députés pour un an et demi. Béji Caïd Sebsi s'est retiré de lui-même de la scène politique en 1991 et n'y est revenu que 20 ans plus tard,  après la révolution du 14 janvier 2011. Et les Tunisiens n'oublient pas que c'est sous la gouvernance de cet homme nommé Premier ministre entre le 27 février et le 24 décembre 2011, sous la présidence intérimaire de Fouad Mebazaa, que leur pays a pu faire ses premières élections libres et démocratiques en octobre 2011.

Par conséquent, le spectre de la dictature revenante à conjurer à travers la réélection de Moncef Marzouki n'est qu'un vulgaire alibi qui ne peut tromper les Tunisiens avertis. Ceux-ci savent que la véritable bataille pour la présidentielle ne se joue pas entre Marzouki et Sebsi, mais entre ce dernier et Ghannouchi. Entre le camp séculier et le camp islamiste. Marzouki dont le parti CPR (Congrès pour la république) n'a remporté que 4 sièges aux législatives récentes, avec 2.4% des voix (contre 86 sièges et 37.86% des voix  pour Nidaa Tounès) ne sert que de prête-nom circonstanciel au mouvement Ennahdha. Sans le report de voix islamistes qui lui a permis de remonter la pente, Marzouki n'aurait pas franchi le premier tour des présidentielles. Et il n'aurait même pas distancé son associé de l'ex-troïka Mustapha Ben Jaafar, classé dixième, qui n'a obtenu que 0.67% des voix.
Les Tunisiens avertis savent que ce qui inquiète Marzouki et ses amis n'est pas le retour de la dictature, celle-ci ayant déjà contre elle un rempart infranchissable, en l'occurrence la nouvelle constitution  adoptée le 26 janvier 2014 et promulguée le 10 février de la même année. Les Tunisiens avertis savent que ce qui inquiète Marzouki et ses amis c'est d'avoir à rendre compte des abus de pouvoir et les crimes politiques (dont les assassinats de Belaïd et Brahmi) qui ont marqué  la gouvernance de la Troîka de décembre 2011 à janvier 2014.

A. Amri
7.12.14


Notes:

1- Mot arabe dérivé de goule et signifiant prendre une stature ogresque, vampirique.
2- Il convient de noter ici que sous les trois ans du mandat provisoire de Moncef Marzouki, les assassinats politiques ou les actes terroristes visant l'armée et la police ont été en partie l’œuvre d'anciens prisonniers graciés. Et beaucoup de ces graciés ont traversé les frontières pour grossir les rangs des jihadistes soit en Irak et en Syrie, soit en Libye.
3- Terme péjoratif qui désigne les taupes, les auxiliaires de l'ancien régime.

vendredi 12 décembre 2014

Ali Ben Salem: un combat pas comme les autres en quelques lignes



Il est né le 15 juin 1931 à Bizerte.

A 7 ans, son père est tué par balles au cours d'une manifestation contre l'occupant français. A 14 ans, il rejoint le maquis et s'engage dans la lutte armée contre cet occupant. A 16 ans, le tribunal militaire français le condamne à mort par contumace pour des actes de guérilla à Bizerte. A 24 ans, alors que la Tunisie est sous régime d'autonomie interne, il est condamné à la clandestinité et à l'exil pour s'être attiré les foudres de Bourguiba et de Ben Youssef réunis, ayant refusé de se ranger derrière l'un ou l'autre. A 30 ans, il a failli laisser la vie dans la bataille d'évacuation de Bizerte, blessé au cou et au dos. A 32 ans, il est condamné aux travaux forcés à perpétuité pour avoir participé à la tentative de complot contre Bourguiba en 1962. Sa femme meurt alors qu'il est en prison et l'administration pénitentiaire l'empêche d'assister à son enterrement. Après avoir purgé 11 ans de bagne, il est gracié avec tous les membres du groupe des insurgés en 1973.
A 46 ans, il cofonde la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH) et milite en son sein pour la libération des prisonniers politiques opposants au régime de Bourguiba.
Sous le régime de Zine el-Abidine Ben Ali, il continue son combat farouche et ne plie jamais. A partir de 1991, il mène plusieurs campagnes contre l'emprisonnement des partisans du mouvement Ennahdha et d'autres pour l’amnistie de tous les prisonniers politiques. En 1998, il participe à la fondation du Conseil national pour les libertés en Tunisie. En avril 2000, alors qu'il est septuagénaire, il est aspergé de gaz lacrymogène et roué de coups dans un commissariat de Tunis. De graves lésions de la colonne vertébrale, un traumatisme crânien et des contusions s'ensuivent, faisant de cette agression un acte de torture en bonne et due forme. En 2002, il s'oppose au référendum amendant la Constitution de 1959 (amendement permettant au président Ben Ali de se présenter une nouvelle fois aux élections présidentielles). En 2003, il fonde avec Radhia Nasraoui l'Association de lutte contre la torture en Tunisie. En même temps, il contribue à la dénonciation de plusieurs affaires de corruption impliquant le président et sa famille.
À partir de novembre 2005, il est soumis à la surveillance quotidienne par une patrouille de police stationnée devant son domicile. On lui interdit de recevoir des visites. On lui coupe le téléphone. On le suit à chaque déplacement.
Le 3 juin 2006, âgé de 75 ans, il est enlevé de son lit par la police et maintenu en détention pour trois jours.
C'est, en quelques mots, le parcours de Ali Ben Salem, doyen des défenseurs des droits de l'homme en Tunisie. On ne le dira jamais assez: ce que ce militant a enduré pour la Tunisie et la démocratie, aucun Tunisien n'en a souffert le centième. En retour, après la révolution de 2010-2011, certains Tunisiens ne sont pas embarrassés de payer d'ingratitude un tel combat.

Contrairement aux islamistes qui ont réclamé à l'Etat des dédommagements et les ont obtenus, Ali Ben Salem n'a rien demandé. Même pas à recouvrer son droit à la couverture sociale et à la retraite. En 2011, quand Moncef Marzouki est devenu président provisoire, apprenant que le militant âgé de 80 ans ne disposait d'aucune ressource matérielle depuis qu'il a té privé de son travail par le dictateur déchu, il lui a accordé une allocation mensuelle de 500 dinars (€250). Mais dès que le président a su que Ali Ben Salem avait des contacts avec Nidaa Tounes (le parti fondé par Béji Caîed Sebsi), il a suspendu l'obole présidentielle.

Le peuple lui a néanmoins permis de prendre sa revanche aux dernières élections législatives. Le mardi 2 décembre 2014, Ali Ben Salem a présidé la première séance du nouveau parlement tunisien, en sa qualité de doyen d'âge des députés élus. Un grand moment d'émotions non seulement pour ce militant hors pair dans l’histoire de la Tunisie, mais pour tout le pays qui a suivi en direct cette plénière inaugurale.



A. Amri
12.12.14

vendredi 14 novembre 2014

Marzouki: arcanes d'un slogan électoral



Dans l'histoire universelle des élections présidentielles, il y a des slogans de campagnes électorales qui ont fait date. On songe à la formule concise  mais emblématique de l'affiche de Mitterrand en 1981: "La force tranquille". Ou à la non moins concise formule poétique de l'affiche d'Eisenhower en 1953: "I like Ike". On peut en citer d'autres non moins mémorables, comme le slogan de l'UMP en France pour les européennes de 2009: "Quand l'Europe veut, l'Europe peut". Celui de Herbert Hoover aux présidentielles américaines de 1929: "A Chicken in Every Pot. A car in every garage" (Un poulet dans chaque casserole, une voiture dans chaque garage). Ou encore le "Yes We Can! (Oui, on le peut !) " de Barak Obama aux présidentielles de 2008. 

Tous ces slogans ont fait des campagnes qui leur sont associées des campagnes victorieuses. Et les publicitaires qui les ont élaborés en ont tiré autant de bénéfices que les bénéficiaires directs dans la sphère politique.

Moncef Marzouki a choisi comme slogan d'affiche: ننتصر... أو ننتصر qu'on pourrait traduire soit par: "Nous vainquons...ou nous vainquons", soit par "On gagne...ou on gagne". Dans les deux versions, ce qui nous intéresse ici surtout c'est de pénétrer le sens de cette alternative qui n'en est pas une. Spirale vertueuse ou cercle vicieux, la  boucle de rétroaction, le choix qui invite le lecteur du slogan à opter pour le bonnet blanc ou le blanc bonnet a quelque chose de pervers ou d'absurdeQue peut-il y avoir dans les arcanes de "أو /ou", conjonction tantôt disjonctive tantôt exclusive, pour doter le terme qui la suit d'un sens que l'explicite ne dit ni élucide ?

Rappelons d'abord que le slogan "On gagne...ou on gagne" n'est pas inédit dans le continent africain. Il a été adopté en Côte d'ivoire par Laurent Gbagbo dans sa campagne pour l'élection présidentielle de 2010. Rappelons aussi que l'ex-président ivoirien a été battu au cours de cette élection, qu'il a refusé de quitter le pouvoir, ce qui a entrainé une crise de plusieurs mois qui a failli conduire à la guerre civile son pays. Réinvestir ce même slogan dans un autre pays du continent, s'il peut dénoter un courage, une absence de superstition chez notre vaillant président provisoire, il peut dénoter aussi une certaine identité continentale de l'esprit démocratique qui fait de Marzouki un suiveur de Gbagbo. 

ننتصر... أو ننتصر Nantassir aou nantissir laisse supposer que le candidat tunisien à sa propre succession fait sienne la devise de César Borgia, quoique Marzouki ait mis à jour la célèbre formule devenue référence du machiavélisme. Ce n'est pas le Aut Caesar, aut nihil « Ou César, ou rien » du Valentinois que cite fréquemment Machiavel dans Le Prince. Mais Aut Marzouki, aut Marzouki « Ou Marzouki, ou Marzouki » qui sera peut-être cité un jour par quelque émule de Machiavel dans un ouvrage ayant pour titre Le Président.

Inclusif ou exclusif, le "أو /ou" se veut dénotatif d'une campagne féroce, sans merci, à la limite performative par quoi Marzouki se proclame d'ores et déjà président. L'alternative de la victoire est la victoire: il n'y a pas de place pour la défaite.

On peut être tenté d'apparenter encore ce slogan, dans ce qui semble se lire en filigrane comme un non-dit, à la célèbre phrase d'Omar Al-Moukhtar:"ننتصر أو نموت nous vainquons ou nous mourons".  Mais si Marzouki peut bien se complaire dans cette analogie qui fait de lui le héros d'une épopée comparable à celles des figures de la résistance maghrébine anti-coloniale, il n'est pas certain qu'il veuille partager lui-même le sort d'Al-Moukhtar, et pour cause. Néanmoins s'il faut qu'on meure pour lui afin qu'on gagne ou on gagne, on présume que le césar tunisien ne dirait pas non. D'ailleurs, à composer dans sa campagne électorale avec les islamistes de tout bord, les salafistes dont plus d'un ne reconnaissent ni la constitution ni la démocratie ni le régime républicain, les LPR (Ligues de protection de la révolution) qui sont à l'islamisme local ce que furent les Chemises noires et brunes au fascisme mussolino-hitlérien, les énergumènes du révolutionnisme ringard tels que Abderrahman Souguir, à s'approprier en la même circonstance une rhétorique jihadiste pour évoquer ses adversaires, Marzouki se place dans une perspective pour le moins suspecte de l'après-présidentielle. Aurait-il des velléités d’emprunter à  l'exemple démocratique gbagboéen dont il a plagié le slogan la rebuffade post-élecorale susceptible de donner tout son sens à On gagne ou on gagne ?



A.Amri
14.11.14

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Quand Marzouki joue le dévot au Croissant


Quand Marzouki joue le dévot au Croissant



En Tunisie comme dans le reste des pays du printemps arabe, taghout طاغوت , pluriel tawaghit طواغيت est un mot très prisé dans la rhétorique islamiste. Et très malfamé aussi dans l'entendement civil. Depuis que les jihadistes ont pris l'habitude d'en user et abuser pour désigner les cibles de leurs actes terroristes, le mot est devenu synonyme des maux qui infectent ledit printemps et ensanglantent ses pays.

Si l'arabe courant privilégie l'emploi de taghia طاغية, pluriel toughat طغاة pour appeler un despote exerçant un pouvoir tyrannique et injuste, la phraséologie islamo-jihadiste utilise plutôt le terme taghout et lui assigne une extension néologiste qui le dévie de son sens premier. Terme du même radical que le précédent, à valeur augmentative, taghout est davantage connoté que taghia; et il signifie un potentat qui exerce un pouvoir satanique, non conforme aux lois de Dieu. Dans le Coran, les occurrences de taghout sont associées à Satan, au sorcier, à l'idole ou à toute autre déité païenne. Le terme signifie aussi par extension le temple des idolâtres. En Tunisie, depuis les premiers actes terroristes visant des soldats, des agents de la police et de la garde nationale tunisiennes, et auparavant des opposants politiques de la Troïka, le terme taghout a acquis un sens nouveau. Lequel élargit son champ sémantique pour le faire couvrir ce que le philosophe français Louis Althusser appelle dans les années 1970 l'Appareil idéologique de l'Etat (1).


Que peut bien signifier dans la bouche d'un soi-disant laïque qui se réclame de la gauche et ancien militant des droits de l’homme(2), en l'occurrence Moncef Marzouki, le mot "taghout" employé au pluriel pour désigner son principal concurrent à la présidentielle et le parti de celui-ci Nidaa Tounes ?

En vérité, il serait malaisé d'imaginer que le candidat à sa propre succession songe à porter en sus du burnous qui lui sied si bien la djobba d'un dévot au Croissant. Cet homme n'est pas le type à se convertir à l'islam radical ni même aux conventions de la piété commune au point d'adopter le discours extrémiste, puritain et takfiriste. Ce serait se méprendre sur le compte d'un homme dont le positionnement de gauche n’a jamais varié en réalité, si ce n'est que l'homme, opportuniste et se prêtant aux compromis qui paient, a dû pactiser avec les islamistes pour arriver au pouvoir.
Comme il ne veut pas céder de si tôt ce pouvoir dont il n'a tiré que la gloriole du Tartour (guignol), et le céder de surcroit à un probable adversaire qui incarne à ses yeux un avatar de la dictature déchue (telle serait sa profonde conviction), il n'a d'autre alternative que de reconduire son pacte avec les islamistes, toutes tendances confondues.
Par conséquent, s'il faut jouer au tartuffe pour racoler l'électorat sur lequel il compte, comme un mal nécessaire, pour succéder à lui-même, il ne doit pas lésiner sur les moyens lui permettant d'être dans les bonnes grâce de tel électorat. Force est pour lui de s'approprier non seulement la phraséologie puritaine et rigoriste de la doctrine qu'il est censé combattre en tant que laïque, mais il doit composer aussi avec "l'avant-garde révolutionnaire" islamiste: les LPR (Ligues de protection de la révolution), les cheikhs salafistes tels que Béchir ben Hassen, les fanatiques et les énergumènes du révolutionnisme tels que Abderrahman Souguir l'ex-garde de Ben ALi, à ses yeux les plus capables de mobiliser dans son rang les ardents ennemis de la laïcité.

Reste à savoir si cette stratégie communicative opportuniste s'avère tout aussi payante de l'autre côté du mur. Les électeurs qui, aux récentes législatives, ont déjà sanctionné l'islamisme et les partis laïques ayant composé avec, ceux qui sont assez prévenus pour ne pas mordre dans cet appât  populiste et véreux, ceux qui en ont assez des agissements des LPR et consort, ceux pour qui la Tunisie ne peut plus parier sur Marzouki pour la sortir du terrorisme, du marasme économique et de l'incompétence diplomatique, ceux qui entendent l'emploi de "taghout" comme une complaisance à l'égard des jihadistes criminels, ceux-là, il n'est pas sûr qu'ils puissent pardonner à Marzouki ce dérapage de langue venimeux.

A. Amri
13.11.14

Notes:

1- Reprise par plusieurs philosophes, sociologues et politiques marxistes tels que Rémy Rieffel, François-Bernard Huyghe, Pierre Bourdieu, l'AIE est une notion qui analyse les modes de production capitaliste et leurs reproduction par l'accroissement du capital, ainsi que le rôle de l'Etat et sa collusion avec la classe bourgeoise dans la consécration de ces modes. L'AIE englobe deux composantes: appareils répressifs d’État (police, tribunaux, armée, les différentes administrations, etc.) et les superstructures idéologiques ( institution scolaire, religion, famille, syndicats, culture, etc.)

2- Élu président de la LTDH (Ligue tunisienne des droits de l'homme) au troisième congrès tenu en mars 1989, Moncef Marzouki a été évincé de la présidence au congrès suivant tenu en février 1994. De cette date-là à ce jour, soit depuis 20 ans, Moncef Marzouki n'est plus affilé à la LTDH.
Par conséquent, le candidat à sa propre succession ment dans sa campagne électorale quand il se targue d'être militant de la LTDH et ardent défenseur des droits de l'homme.


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