vendredi 26 septembre 2014

Quand la conscience tourmente le non-humain



Y a-t-il dans le genre animal, chez certaines espèces du moins, une faculté permettant de porter des jugements normatifs fondés sur la distinction du bien et du mal ? Y a-t-il, régie par des lois psychologiques et des sentiments semblables aux nôtres, une conscience animale morale ? Et les bêtes dotées de telle conscience ont-elles la capacité de réfléchir après coup sur leurs actes ? Sont-elles capables de discerner une faute, un mal commis dans un état d'âme secondaire et le regretter par la suite ? Peuvent-elles en la circonstance être  consciencieuses au point de se faire un auto-procès et, se jugeant coupables, en inexorables juges s'infligent la peine qu'elles estiment mériter ?

Voilà quelques questions que je me suis posées en découvrant cette histoire authentique qui a eu lieu au Caire il y a une quarantaine d'années. Et qui a fait couler beaucoup d'encre à l'époque, que ce soit sur les pages des échotiers cairotes ou sur celles de grands écrivains égyptiens(1).

Mohamed El-Helw à dos de Sultan
En ce soir de la mi-octobre 1972, le cirque national égyptien présente à El-Balloon son premier spectacle pour le mois de ramadan. Le grand théâtre rond au toit rose situé sur la corniche du Nil, qui abrite le cirque égyptien depuis sa fondation en 1966, est pour la circonstance comble.


Mohamed El-Helw, directeur du cirque et artiste dompteur de lions, vient tout juste de finir son numéro avec le lion Sultan. Ce fauve qu'il avait dressé lui-même depuis qu'il était lionceau, voilà des années qu'il s'était assuré sa complicité dans des numéros des plus sensationnels. Que ce soit en Egypte ou dans les plus grands pays du monde où ils s'étaient produits, voilà des années que l'homme et son lion formaient, à chaque représentation, le duo le plus applaudi. Les jeux les plus périlleux et les plus inouïs, Mohamed et Sultan s'y étaient adonnés tant et tant de fois dans une parfaite entente. Et jamais il n'y a eu le moindre pépin. Ce soir-là encore, devant des milliers de spectateurs au souffle coupé, le duo n'a pas failli à la règle, exécutant de A à Z toutes les composantes du numéro. Comme d'habitude, Mohamed a fait son entrée en scène à dos de Sultan. Et la docilité de ce dernier tout au long de la parade fut impressionnante. Il en fut de même pour la suite, une simulation de combat où le dresseur prend Sultan à bras-le-corps et le jette à terre. L'animal s'y est plié avec la souplesse coutumière, s'est laissé rouler sur un flanc, puis sur l'autre, aux pieds de son dompteur. S'il lui fallait faire la moue et rugir de temps en temps pour feindre un accès de colère, ce dont le spectacle a besoin pour saisir davantage le public, il le faisait sans faute dès que le claquement de fouet lui en intimait l'ordre rituel. Mais dans le cadre strict de son jeu coutumier, sans trahir la moindre velléité de révolte. Bref, il semblait obéir au doigt et à l’œil de son dompteur, s'acquittant normalement de tout ce qui lui incombait jusqu'à la fin de l'enchainement. Même quand l'homme a mis sa tête dans la gueule du lion, ce qu'il y a de plus périlleux dans un spectacle de cirque, Sultan s'est prêté au jeu sans ambages. Pas le moindre signe apparent d'agressivité. Pas la moindre réaction inhabituelle susceptible d'alarmer Mohamed et de le mettre exceptionnellement sur ses gardes. 

Le numéro fini, comme d'habitude le public ravi applaudit. Et c'est peu dire que, ce soir-là, il applaudit à tout rompre. Le dos tourné à Sultan perché sur un tabouret, Mohamed El-Helw, sur la rampe, s'incline pour l'énième fois, tant le tonnerre d'applaudissement s'étire. Il est loin de soupçonner ce qui se trame alors dans la tête de Sultan. Et incapable d'imaginer que ce dernier, quelques heures plus tôt vexé à bon droit par une brimade, puisse garder une dent contre lui.

Quand le lion a bondi de son tabouret sur le parterre de la scène, il y a eu quelques spectateurs qui ont crié pour prévenir Mohamed El-Helw. Mais, si forts aient-ils pu être, ces cris se sont perdus dans l'interminable salve d'applaudissements.

Ce qui a suivi fut atroce et fatal pour le dompteur de lions.

Toutes griffes et canines dehors, Sultan s'est jeté sur lui et s'est mis à lui lacérer l'épaule. Sans le courage de quelques spectateurs bondis avec des chaises à son secours et l'énergie de son propre fils qui, armé d'une barre de fer, a forcé le lion à desserrer les griffes et les canines, Mohamed El-Helw aurait été dévoré en entier, sinon étripé et tué sur-le-champ.

Gravement blessé, Mohamed El-Helw est mort quatre jours plus tard à l'hôpital. Mais la tragédie n'en finira pas pour autant. Son épilogue, celui que les Cairotes retiendront, c'est Sultan le lion qui le fera lui-même quelques jours plus tard.
Soulignons ici qu'au moment précis où on remettait en cage Sultan, avant même que
Mohamed El-Helw ne fut évacué vers l'hôpital, la dernière recommandation du blessé à son fils (aujourd'hui son successeur à la tête du cirque national égyptien) a été de prendre soin du lion et de ne lui faire aucun mal. Cette même volonté a été réitérée dans les minutes précédant sa mort.


Louna El-Helw, petite-fille de Mohamed
Le lion a-t-il intercepté une telle recommandation? Personne n'est en mesure d'en dire quoi que ce soit. Mais avant d'en venir à cet épilogue tantôt annoncé, faisons une petite digression pour comprendre ce qui semble avoir été aux origines de l'attaque surprenante du lion.
Le matin du jour fatidique, il y a eu une bagarre entre le lion Sultan et un congénère qui s'appelle Jabbar. Selon Louna El-Helw (2), ce dernier, en chaleur, voulait s'accoupler à une lionne connue pour sa fidélité à Sultan. La querelle a eu lieu en présence de Mohamed El-Helw. Et ce dernier a dû intervenir pour empêcher Sultan de nuire à son adversaire. Le dompteur de lions aurait-il forcé la femelle à accorder ses faveurs à Jabbar? On ne le sait pas. Néanmoins c'est fort probable. Et quoiqu'il en soit, aux yeux du lion Sultan l'intervention du maître qui lui a assené un coup de fouet pour le calmer a été assimilée à un parti pris pour son adversaire. Si de surcroit le maître avait livré la femelle à tel adversaire, il n'y aurait plus aucun mystère sur le mobile exact de l'attaque. Ce qui est certain, c'est que Mohamed El-Helw a blessé à son insu Sultan. Et ce dernier n'aurait pas été subitement si agressif s'il n'était pas encore en train de saigner ce soir-là.

Que s'est-il passé ensuite?

Sitôt remis dans sa cage après son forfait, Sultan est allé se tapir dans un coin, comme prostré.  Les quartiers de viande qu'on lui avait servis et qu'il avait l'habitude de dévorer sur le champ avec le sien appétit connu étaient restés intacts. Ce qui semblait au début un manque d'appétit passager se révèlerait, le lendemain et les jours suivants, comme une volonté, une résolution
délibérée de ne plus manger. L'air miné par l'acte irréparable qu'il a commis, Sultan ne voulait plus se nourrir.  Des jours et des jours, il est resté ainsi, isolé dans son coin, buté dans cette posture de repli total sur lui-même et refusant de mettre un terme à la plus curieuse grève de la faim.
Le nouveau directeur du cirque a pensé qu'un changement d'air sortirait sans doute l'animal d'un tel état. Et Sultan fut transféré alors au parc zoologique du Caire. Mais ni l'état de semi-liberté dont il jouissait ni l'environnement vert et quasi forestier ne l'ont décidé à changer. On a pensé qu'une femelle à ses côtés pourrait peut-être le sortir de cette interminable apathie. Néanmoins dès qu'on en mettait une à sa portée, il la chassait loin de lui avec brutalité.

Il était évident que Sultan subissait le contrecoup de l'agression qui l'a fait tuer son maître. C'était, jour après jour, la mine d'une bête contrite, et désespérément accablée par la faute, qu'il donnait. Pour soutenir jusqu'au bout sa grève de la faim (on ne peut pas l'appeler autrement), pour prendre ainsi le contre-pied de l'instinct et s'exposer à la mort certaine, il n'y a d'autre explication plausible à un tel comportement suicidaire que le sentiment fort de culpabilité, les remords lancinants dont la bête ne pouvait se défaire. Et la fin de ce récit semble étayer davantage telle thèse.

Un jour, à la grande stupéfaction des employés du parc zoologique, on vit Sultan se mordre rageusement la queue. Et ne la relâcher qu'une fois amputée de lui. Après quoi, comme si cette auto-mutilation était bien en deçà du châtiment qu'il semblait s'infliger, il s'était mis à se mordre les pattes, se lacérant la peau jusqu'à s'ouvrir, comme un humain qui se suicide, les veines.

Et peu de temps après,  Sultan a succombé à ses blessures.


A. Amri
26.09.14





Notes:

1-
Youssef Idris, nouvelliste, romancier et dramaturge lui a consacré la nouvelle éponyme de son recueil de nouvelles أنا سلطان قانون الوجود Je suis le sultan de la loi d'existence, paru en 1972.

 
En 1973, l'écrivain et penseur Mustapha Mahmoud lui a consacré à son tour la préface de son livre رأيت الله J'ai vu Dieu.

2- Louna est la petite fille de Mohamed El-Helw, aujourd'hui elle-même dompteuse de fauves au même cirque égyptien.

jeudi 4 septembre 2014

Il était une fois à Kojo la joie




Il faisait bon vivre à Kojo.

En toute saison dans ce village situé non loin du mont Sinjar, il fleurait des senteurs émoustillantes, des parfums de volupté. Fragrances de thym sauvage mêlées aux arômes de l'armoise et du genévrier. L'air en était tellement imprégné et incorruptible que le Kojois, depuis toujours réputé bon vivant et en symbiose avec la nature, alléchait moins que tout autre humain ailleurs la maladie. On dit que la longévité aurait fait de cette heureuse contrée en terre de Mésopotamie son pays de prédilection. Et pour aider les hommes à tirer le meilleur parti de cette longévité, dit-on encore, Taous Malek, l'ange-paon qui préside au bonheur des vivants, avait décrété à ses fidèles la joie comme un acte de foi. Un pilier fondamental du yézidisme. Aussi la gaieté instinctive, le bonheur sacré qui invitait périodiquement ses élus à le célébrer dans l'allégresse commune, en chantant et dansant à la ronde, rayonnait-il depuis la nuit des temps sur tout le pays des Yézidis.

Des siècles durant, des millénaires sans fin, il faisait bon danser et vivre à Kojo. Comme on peut le voir sur la vidéo ci-dessous.





Telle était à Kojo la vie. Jusqu'à ce jour fatidique. Ce funeste 4 août 2014.

Ce jour-là, des soudards en noir et hissant des bannières noires, tout aussi lugubres que leurs desseins, sont venus de la nuit moyenâgeuse empester Kojo. Et empêcher les hommes libres de danser en rond.
Des soudards nourris de haine et respirant et suant la haine de tous leurs pores ont surgi des cloaques immondes des ténèbres pour s'en prendre à ceux qui respiraient le thym sauvage, la lumière limpide et l'aimable gaieté.

Pourrait-on imaginer que celles et ceux qu'on voit sur cette vidéo datant de quelques mois seulement ne soient plus de ce monde? Pourrait-on imaginer que ces femmes et hommes célébrant dans une telle ambiance de kermesse le bonheur puissent disparaître en moins de rien, immolés en masse sur l'autel d'une horde de sanguinaires ennemis de la joie? Pourrait-on imaginer qu'une telle hécatombe, ourdie puis ordonnée avec un parfait sang froid et précédée des pires supplices, ait pu se produire non loin de nous, et en l'an 2014? Pourrait-on imaginer que l'enregistrement de ce bal publié par un rescapé miraculé soit tout ce qui nous reste des Kojois, que la joie de vivre dont ces femmes et hommes étaient l'incarnation, la fraternité et le pacifisme qu'ils prêchaient et observaient sans faute en vertu de leur foi aient pu susciter autant de haine chez les califoutraques des temps maudits?

Si de telles interrogations se passent de réponse, que faire alors, s'il vous plait?
Quelle oreille qui ne soit pas sourde interpeller? Quels témoin, instance de droit, répondant de justice humaine qui ne soient ni absents, complaisants, ni complices, saisir de ce génocide? Quelle conscience humaine encore de ce monde faut-il interpeller et secouer pour qu'un tel crime ne reste pas impuni ni ne se reproduise?


Ce 4 août 2014, les soudards de la barbarie ont investi Kojo. Entre autres villages habités par les Yézidis autour du mont Sinjar. Les ennemis jurés de la joie ont d'abord passé par les armes une bonne centaine de jeunes qui tentaient de résister, les uns égorgés comme des moutons, les autres à bout portant fusillés. Tous sous les yeux de leurs familles impuissantes (mères, épouses, enfants...), ameutées par la force des armes et forcées d'assister aux scènes macabres. Scènes que les bourreaux ne manquaient pas d'en rehausser l'effet par telle ou telle humiliations. Coups, crachats, insultes en tous genres. Et cerise sur le gâteau si la métaphore ne choque pas, plus d'un de ces exécutés ont été pendus à des poteaux électriques, décapités, étripés, exposés au soleil et charriant des corbeaux. Pour le supplice inouï des survivants.

Ensuite, les ennemis jurés de la joie et de la vie ont parqué séparément dans un camp de concentration les hommes et les femmes, sommant les uns et les autres de se convertir à l'islam, seule condition pour eux de réchapper à l'exécution. Un ultimatum d'une dizaine de jours leur a été fixé. Leur argent, les bijoux des femmes, tout ce qui a de la valeur leur a été ôté. Leurs maisons, bétail, voitures, téléphones portables, tout ce qui peut être saisi comme butin de guerre leur a été confisqué.

Au jour "J" (le 15 août), à l'exception de sept personnes miraculées qui ont pu échapper au carnage et à qui on doit la vidéo et les éléments de ce témoignage, tous les hommes âgés de plus de 13 ans (quelque 600 d'après les rescapés) ont été exécutés. N'en déplaise aux agents de propagande qui nous montrent des vidéos de convertis sur Youtube ou ailleurs, pas un Yézidi, ni à Kojo ni ailleurs, n'aurait accepté de troquer sa confession et son honneur pour la vie sauve. Les martyrs ont convenu d'opposer à leurs bourreaux cet ultime acte de résistance, cette vaillance héroïque d'hommes libres et jusqu'au bout insoumis. Les femmes, quant à elles, et les enfants âgés de moins de 13 ans (700 en tout) ont été retenus à titre de prisonniers. On présume que les femmes, du moins celles qui ne sont pas âgées, ont été vendues, comme le rapportent plusieurs sources dont la députée yézidie Vian Dakhil. Il n'est pas exclu que certaines aient été forcées d'être des concubines, des auxiliaires malgré elles des jihadistes du niqah. En ce qui concerne les enfants, personne n'est en mesure de dire ce qu'ils sont devenus. On a vu des vidéos présumées d'orphelins yézidis pris en charge par les califoutraques. Mais à les supposer authentiques, on n'y voit que des enfants en bas âge (3 à 6 ans tout au plus), ce qui autorise les pires craintes en ce qui concerne les autres. Le dieu de ces califoutraques (qu'il ne faut sous aucun prétexte assimiler à Allah) est un Moloch, un prince de l'Enfer qui se nourrit au quotidien de chair humaine. Et l'on est en droit de craindre que beaucoup d'enfants yézidis aient pu servir d'hosties à tel Moloch. 

Plusieurs récits de cette tragédie évoquent, outre les inénarrables atrocités commises par les hordes de la barbarie, des actes pour le moins épiques, des attitudes admirables à l'honneur des victimes. Dont le suicide de Gilène Barjès Nayef, en l’occurrence synonyme de haut fait de résistance yézidie.

Cette jeune fille dont la beauté subjugue comme on le voit sur la photo ci-dessous ne vivait pas à Kojo, mais à Tell Aziz, patelin voisin dont plusieurs familles ont des liens de sang avec les Kojois. On croit l'avoir identifiée dans la ronde filmée, mais il faut le dire avec prudence et circonspection, même si les similitudes des traits sur la photo et la vidéo (observer la danseuse qui porte un pantalon noir et une veste manteau grise) sont frappantes.

Gilène Barjès Nayef
Quoiqu'il en soit, depuis son suicide -que nous n'avons pu dater- Gilène Barjès Nayef est devenue icône de la résistance yézidie en Irak. Son village Tell Aziz a subi l'invasion des barbares ce même 4 août funeste. Alors que certaines populations vivant dans les autres villages de Sinjar ont eu le temps de fuir vers les hauteurs du mont, celle de Tell Aziz, prise au dépourvu, a dû résister tant bien que mal quelque temps, avec l'appui des Peshmerga. Mais les assaillants ont vite pris le dessus, et les combattants kurdes ont abandonné à leur triste sort la population. Malgré ce que les Yézidis appellent trahison des Peshmerga, les habitants de
De g.à.d, Rizan (frère de Gilène) et les oncles Jamil et Kacem
Tell Aziz, les jeunes surtout, ont résisté jusqu'à l'épuisement de la dernière balle dans leurs fusils. Si bien que par volonté farouche de mourir debout, beaucoup de jeunes ont continué de se battre avec des pierres. Et sans doute en représailles contre ces irréductibles yézidis, beaucoup de familles dont celle de Gilène ont été massacrés sur le champ. C'est ainsi que le 4 août, les bourreaux daéshistes ont égorgé sous les yeux de Gilène son père septuagénaire, ses deux frères dont l'un terminait ses études en médecine et quatre de ses oncles. En plus de cette hécatombe familiale, une quinzaine de proches ont été kidnappés. Même si personne ne sait ce qu'ils sont devenus, il y a lieu de croire qu'ils ont été exécutés dans le grand carnage du 15 août à Kojo.

Si les bourreaux avaient daigné épargner la vie à Barjès Nayef la dernière survivante de sa famille,  c'est vraisemblablement parce qu'ils espéraient faire d'elle une odalisque. Une concubine à adjuger à l'un des leurs ou à vendre à quelque saint baron du califat. Mais c'était compter sans la noblesse d'âme de Gilène, sans la trempe héroïque de son caractère. La jeune fille s'est suicidée en honorant la devise millénaire des Yézidis: "plutôt la mort que le déshonneur !"

Le mot de la fin, nous voudrions le "dédier" aux ennemis de la joie. Ou plutôt à leurs amis dans les bases arrières du jihadisme daéshiste. Dont, hélas, la Tunisie.
Selon des chiffres publiés sur les pages web arabes de CNN TV, lesquelles citent le Pew Research Center, la Tunisie figure en tête des pays dont sont issus les jihadistes engagés en Syrie et en Irak, avec un effectif de 3000 personnes (dont des dizaines de femmes jihadistes du niqah). Ce n'est un secret pour personne, et les documents compromettants foisonnent à ce propos, que des personnalités politiques haut placées dans le mouvement Ennahdha, des ministres de l'ancien gouvernement à majorité islamiste et des députés dans l'actuel parlement (ANC) sont impliqués jusqu'au cou dans "l'exportation" du jihadisme vers ces deux pays.

Quiconque ce génocide interpelle, quiconque dont la conscience ne peut que se rebiffer contre ces crimes parrainés par des partis, des organisations ou des Etats, quiconque s'estime lésé dans son humanité par cette barbarie impliquant des citoyens ou des organismes de son pays doit réagir fort et réclamer à qui de droit d'établir toute la vérité à ce propos.

Réclamer que soient traduits devant les instance de justice internationale tous ceux qui ont recruté, financé, aidé de quelque manière que ce soit les jihadistes à partir en Syrie ou en Irak, est le devoir de chaque citoyen du monde. Quiconque faillit à ce droit, hausse les épaules, oublie ces carnages, qu'il le veuille ou non devient complice des hordes islamistes, allié objectif de la barbarie.

J'en appelle à toutes les consciences vives dans le monde pour en prendre acte.


A. Amri
4 septembre 2014


Voir aussi sur ce blog:

La tragédie des Yézidis: nouveau témoignage de Vian Dakhil


mercredi 27 août 2014

Al-Rahel Al-Kabir: Les dits de la dérision contre Baghdadi et ses abadies





Al-Rahel Al-Kabir الراحل الكبير est une troupe musicale libanaise qui a vu le jour au début de l'année 2013. Quoique ce nom (qui signifie littéralement "Le Grand Disparu") puisse suggérer une dédicace votive, un hommage à un cher défunt comme on pourrait de prime abord y songer, en réalité il a un tout autre sens. S'il y a quelque dédicace funéraire  dans cette enseigne artistique peu commune, c'est -par dérision- à l'honneur d'un disparu non regretté, un mort plutôt réprouvé à qui la troupe ne voue ni pieuse pensée ni le moindre culte.
Selon Khaled Sabih (journaliste, compositeur et parolier membre de cet ensemble) le disparu concerné ici est " le patrimoine dans ce qu'il a de rigide et contraignant". C'est l'âme musicale classique, momifiée, étriquée et considérée à tort comme un élément fondamental de l'émergence d'un artiste. Telle défunte, Al-Rahel Al-Kabir ne se revendique pas de sa lignée ni ne veut en sacraliser l'héritage. Il veut se défaire de cette momie juchée sur la poitrine des créateurs, l'enterrer sans regret pour doter les potentialités artistiques arabes d'une nouvelle dynamique. Par conséquent, l'ambition de la troupe est de révolutionner la musique arabe à travers des formes, des contenus et des techniques émancipées du cachet traditionnel et sclérosant.

Certes, cette ambition ne signifie pas un rejet en bloc de l'art contesté. A preuve: depuis sa création il y a un an, la troupe a repris de nombreuses chansons du patrimoine oriental, libanais et égyptien en particulier. Dont des titres de Cheikh Imam père de la chanson engagée arabe. Néanmoins, comme on pourrait en juger à travers le répertoire du groupe qui compte actuellement une douzaine de titres, le rythme mélodique oriental, les préludes instrumentaux longs et lassants, les notes languissantes, entre autres traits de cette âme classique, semblent bannis du style moderniste revendiqué par cette troupe. Dans ce même esprit de rénovation, les chansons reprises par la troupe ont subi un relooking à travers de nouveaux arrangements. Il faut souligner aussi que le tarab ( émotion poétique et musicale) n'est plus considéré comme un concept clé de la musique arabe chez cette troupe. Même si l'esthétique n'en est pas pour autant reléguée au dernier plan, dans les soucis de la troupe elle n'est pas primordiale. Du moins ne doit-elle jamais primer sur la force du message, en l’occurrence engagé, du groupe.

Ci-dessous une illustration sous-titrée en français.
Le tout nouveau titre de la troupe Al-Rahel Al-Kabir, intitulé "Madad Sidi (Votre baraka, Maitre/Monseigneur !)", est un pamphlet incendiaire au ton très virulent dédié à Monseigneur Abou Bakr al-Baghdadi Calife de l'EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant) et Commandant des Croyants de l'Euphrate à l'Océan.. plaise à Allah qu'Il rallonge sa barbe !

"Madad", mot arabe dont l'étymologie signifie "secours, assistance guerrière, pourvoi en troupes fraîches d'une armée en guerre", quand il est employé dans une apostrophe [Madad Untel !] équivaut à une prière dévote, une imploration généralement adressée à une autorité religieuse, particulièrement le Prophète ou ses compagnons, laquelle signifie: "Ô toi untel, intercède en notre faveur auprès de Dieu !" ou encore: "comble-nous de ta baraka!"

La chanson parodie des litanies dédiées au Prophète ou encore, comme c'est le cas chez les soufis, à des maîtres de la mystique musulmane élevés au rang des saints. La rythmique caractérisée par un tempo rapide et le leitmotiv "madad, madad sidi" ne sont pas sans rappeler le mouvement de certaines noubas, l'ambiance typique à la transe soufie.

Pour ce qui est des paroles, ce sont les dits de la dérision contre la déraison de Baghdadi et ses abadies, la satire mordante contre les califoutraques de ces temps maudits.





A.Amri
27.08.2014

mardi 12 août 2014

La tragédie des Yézidis: nouveau témoignage de Vian Dakhil

Ce 5 août 2014, le cri de détresse lancé par la députée yézidie Vian Dakhil dans l'enceinte du parlement irakien a touché des millions d'internautes des cinq continents. Poignant et percutant en raison de sa justesse, de sa force émotionnelle et de l'atrocité du sort réservé par les hordes de l'EIIL aux Yézidis,  cette minorité ethno-religieuse qu'on veut rayer, entre autres composants irakiens, de la mosaïque humaine et culturelle multimillénaire faisant la véritable richesse du peuple de la Mésopotamie. .

L'élan de sympathie suscité par ce cri de détresse ne doit pas faiblir car les Yézidis menacés de génocide ne sont pas au bout de leur calvaire. Alors que nous avons appelé de tous nos vœux une réaction humanitaire énergique et immédiate soit des Nations-Unies soit des Etats occidentaux pour sauver des milliers d'hommes menacés à Sinjar par tous les périls (faim, soif, maladies, massacres...), à l'heure qu'il est les Yézidis coincés au mont Sinjar, en particulier près de 700 familles dans la zone sud de cette région, sont toujours dans l'attente de secours qui ne viennent pas. Le 8 août, des avions américains ont bombardé une position de l'EIIL, et on a cru un moment que c'était le début d'une opération militaire destinée à secourir ces damnés yézidis. Mais il s'est vite avéré que les USA n'ont fait que pilonner une artillerie jihadiste proche de la ville d'Erbil en vue de mettre celle-ci à l'abri de la menace jihadiste. Parce qu'une partie du personnel diplomatique étasunien, et seulement pour cette cause-là, se trouve en Erbil à portée des canons de l'EIIL. On a vu pleurer Obama entendant le cri de Vian Dakhil; on l'a entendu promettre une intervention éminente. Néanmoins, on n'a rien vu de vraiment concret sur le terrain. Même le largage de vivres ou de bouteilles d'eau, louable en soi, ne semble pas avoir bénéficié beaucoup aux sinistrés en raison du relief montagneux de la zone.



Côté arabe, à part les lamentations des médias et l'indignation des citoyens du camp laïque, aucune réaction notable. Comme si ces Yézidis qui vivent parmi nous depuis des millénaires, bien avant les musulmans, les juifs et les chrétiens, ne sont pas des nôtres. Comme si les 72 campagnes génocidaires dont ils ont fait l'objet à travers notre histoire commune ne suffisent pas. Comme si nous n'avons d'autre choix que de nous taire et d'être les complices ou les alliés objectifs de cette 73 ème campagne en cours qui cible le demi million de Yézidis survivants.

A quand une manifestation pour les Yézidis à Tunis, au Caire, en Alger, à Rabat, pour ne citer que quelques capitales et les peuples de leurs pays majoritairement acquis aux valeurs universelles?

A quand un sursaut d'honneur arabe digne de ce nom pour venir en aide à ces frères et sœurs irakiens et syriens, Yézidis et autres, qu'on persécute et massacre au nom de Dieu et en notre nom, et avec la bénédiction de plus d'un politiques nôtres, hélas!?

Quand serions-nous en mesure de comprendre que ce qui se passe en Irak et en Syrie n'est que le prélude d'une tragédie d'envergure universelle si nous ne réagissons pas maintenant et de la manière appropriée pour faire front à la barbarie?

Nous avons appris aujourd'hui que Moncef Marzouki, président de la Tunisie, a demandé  "ses excuses les plus sincères aux populations chrétiennes d’Irak". Mea culpa d'hypocrite et larmes de crocodile, quand on sait la part de responsabilité qu'assument ce président et ses alliés de la Troïka dans la tragédie syro-irakienne. Combien de jihadistes tunisiens ont été enrôlés et envoyés en Syrie et  actuellement faisant partie des hordes daéshistes qui égorgent, violent, pourchassent les chrétiens et non-chrétiens, que ce soit en Syrie, en Irak ou à la porte même du Liban?

Mea culpa d'hypocrite et larmes de crocodile, quand ce président, plus soucieux de redorer son blason à la veille des nouvelles élections que secourir réellement les victimes de l'EIIL, omet les chrétiens de Syrie, les Yézidis, les Chiites, les Turkmanes, les Shabaks, eux aussi lésés par le jihadisme tunisien et l'Etat qui l'a cautionné, et pas moins dignes que nos frères chrétiens d'Irak de nos demandes d'excuses !

Mea culpa d'hypocrite et larmes de crocodile, quand ce président propose aux chrétiens d'Irak "de venir en Tunisie le temps que la situation se calme", alors qu'il devrait mettre en place, dans les pays concernés, un organisme opérationnel et doté de tous les moyens, qui fasse sortir en sécurité et venir en dignité chez nous ces frères opprimés en partie par notre faute. Il devrait faire cela aussi pour ces damnées de Sinjar qui nous interpellent encore une fois à travers un nouveau témoignage de Vian Dakhil, députée au parlement irakien. Autrement, cette tartufferie marzoukienne ne suscite même pas le rire, tellement elle vole bas.




Merci de faire écho à cette tragédie humaine, citoyens du monde, car seule une grande et forte chaine de solidarité pourra sauver les Yézidis.



A.Amri
12 août 2014 


La vidéo dans son intégralité pour les arabophones sur ce lien:


jeudi 17 juillet 2014

Hommage à Ahmed Matar


"Je n'écris pas de la poésie; c'est la poésie qui m'écrit. Je voudrais bien me taire pour mieux vivre. Mais ce que j'endure me fait parler." Ahmed Matar

Selon des sources électroniques relayées par Oasis FM, le poète irakien Ahmed Matar serait décédé ce 17 juillet 2014 à Londres, à l'âge de 60 ans. Mais il semble que cette information est mensongère. Et nous souhaitons en avoir la confirmation au plus tôt.
Né dans la banlieue de Bassorah en 1954, Ahmed Matar a commencé à écrire la poésie alors qu'il était collégien âgé de 14 ans. Engagé depuis sa prime jeunesse, il connut la prison puis l'exil à deux reprises à cause de ses écrits. Une première fois au milieu des années 70 quand il fut contraint d'aller vivre et travailler au Koweït, puis en 1986 quand, expulsé avec son ami le caricaturiste palestinien Néji Al-ali, il alla s'installer en Grande Bretagne.

En modeste hommage à ce grand poète insoumis qui, où qu'il a vécu, n'est jamais resté à l'écart des problèmes politiques et sociaux des peuples arabes, ci-dessous deux poèmes traduits par l'auteur de ce blog. (A.Amri - 17 juillet 2014)


Pamphlet contre le tartufe Karadhaoui















 

Il revient à la charge
l'émetteur de fatwas

baver tout son soûl
sur l'honneur des femmes
excepté la quatrinité sacrée
ma mère, ma sœur
ma fille, ma femme
est halal

halal et sanctifié ici-bas
tout acte terroriste
à condition que ce ne soit pas moi
qui y passe de vie à trépas

que les maisons habitées
soient dynamitées
c'est du jihad
cent pour cent saint
pour autant que mon toit
à moi
en sorte sauf et sain

la vertu chez moi
une chenille qui se tord
selon les tribulations de la vie
et l'étoile sous laquelle
tel ou tel est né

quand loin de moi
elle tombe avec fracas
sur tel ou tel infortuné
l'épreuve m'engage
bouche cousue
à ne pas lever le nez
si elle percute mon nez
ma voix tonne et tempête
à grand fracas

Ainsi donc
à la guise d'une telle vertu
je ponds vendredi une fatwa
que samedi je ravale
si les bottes du plus fort
me la renvoient au panier

la modération en islam
c'est fifty-fifty
les délits
simultanément
on les consent et interdit

tels actes sont jugés impies
si le gros pis
de ma chamelle pie
s'en tarit
sinon pieux et zélés
s'ils drainent plus de jus
à ma chamelle et son pis

lui le mufti
a émis ses fatwas
et moi à mon tour
j'émets les miennes
le vice est dans l'ivraie
non dans le bon grain
la laideur
au cœur du sculpteur
et non dans la pierre
à sculpter
votre pondeur de fatwas
c'est la bombe et son poseur
n'accusez pas son consultant
pris dans la toilé d'araignée

par conséquent
nous sommes voués
à la destinée du troupeau
à l'abattoir alignés
écartelés entre les hachoirs
des sentences de mort
et les bottes de nos bourreaux

Et l'islam même en deviendra athée
si l'on ne musèle à temps ce mufti!

Ahmed Matar
Traduction A.Amri


23.01.2013

Entretien avec l'espoir



Hier j'ai contacté l'espoir
"Est-il possible, lui dis-je,
que l'exquis parfum puisse s'extraire
de l'oignon
et du hareng salé?"
- Oui, qu'il a dit.
- Est-il possible
que dans un foyer
inondé de pluie
le feu puisse s'allumer?
- Oui-da! qu'il a dit.
- Est-il possible
que de la coloquinte
on puisse distiller du miel?
-Assurément! qu'il a dit.
- Est-il possible
de mettre la terre
dans les anneaux de Saturne?
- Bah oui, qu'il a dit.
Oui-da! assurément!
car tout est probable!
- Alors, dis-je,
un jour assurément
nos potentats arabes
rougiront de honte."

L'espoir me dit alors:
"Si cela se produit
viens cracher à ma figure!"

Ahmed Matar
Traduction A. Amri

19.02.2013
 
 
 
Poèmes traduits du même auteur:
Abbas, fourbis ton arme !
 
Au sujet de Ahmed Matar:

vendredi 30 mai 2014

Ils ne passeront pas - Abdeljabbar Eleuch

Abdeljabbar Eleuch(*) a écrit ce poème au milieu des années 1980. Dans le contexte politique répressif relié aux Émeutes du pain et la crise de 1984-1985 opposant frontalement l'UGTT (Union générale du travail tunisien) au PSD (Parti socialiste destourien). Et depuis, comme le No pasarán espagnol de Dolores Ibárruri Gómez, le Len yamourrou tunisien est devenu symbole de la résistance nationale antifasciste.  Mis en musique sitôt sa publication par Nebras Chemmem, le titre est vite devenu un tube de la chanson engagée, chanté d'abord par le groupe Al-Bahth Al-Moussiqui, puis repris ensuite  par la plupart des artistes de la file engagée.

Ils ne passeront pas
mon sang à présent
s'est soudé aux martyrs
Ils ne passeront pas
j'ai déployé ma poitrine
barricade protégeant le mur
Ils ne passeront pas
et s'ils passent quand même
ce sera sur mon cadavre
pas d'alternative
ici je demeure
debout comme la montagne
je dessine de mon sang
la face têtue
de la patrie
et sculpte de l'orgueil
le jour
pas d'alternative
ma poigne de fer
et les camarades ici
sont un un stipe colossal
un palmier phare
et ces yeux amoureux
éclairent l'obscurité
comme le halo d'une flamme

une seule poigne de fer
inlassable
et la terre de l'usine
est à présent enceinte
de braises et jasmin sambac
au gibet des chants
nous pendons la peur
et nous bâtissons et bâtissons
en dépit de ceux qui détruisent

ni le cœur n'a cessé de battre
ni l'encre n'a tari de refus
ni ne s'est émoussé
malgré le siège
l'amour éperdu
pas d'alternative
pas d'alternative
pas d'alternative

ils ne passeront pas
 
Abdeljabbar Eleuch
Traduit par A.Amri
29.05.14


Traduction du même auteur sur ce blog:

Illuminé du nimbe des balles: Hussein Marwa


* Abdeljabbar Eleuch est un poète et romancier tunisien né à Sfax le 27 juin 1960. C'est assurément l'une des plus belles plumes tunisiennes d'expression arabe, auteur de plusieurs recueils de poésie dont Poésies (1988) et Gollanar (1997), ainsi que de nombreux romans dont Chronique de la cité étrange (2000), roman qui lui a valu le prix Comar d'Or (Tunis, 2001), Ifriqistan (2002) et Procès d'un chien (2007) traduit en français par Hédi Khlil (Centre National de Traduction, 2010).

Abdeljabbar Eleuch est également co-auteur d'un ouvrage collectif paru en langue française: Enfances tunisiennes, récits recueillis par Sophie Bessis et Leïla Sebbar (Editions Elyzad, 2011).





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