"Tout musulman qui apostasie, sans se repentir dans un délai de trois jours, est passible de la peine de mort." (Article 306 du Code pénal mauritanien)
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Mohamed Cheikh Ould Mohamed |
Il ne faut pas crier à l'injustice dans les pays musulmans. Surtout quand ces pays sont de facto au dessus de l'injustice. Parce que gouvernés par la charia de Dieu. Immunisés contre les dérives, les erreurs, les abus et toutes sortes de tares qui, ailleurs, affectent et infectent les lois séculières.
Et si malgré tout, injustice il y a, si malgré tout, cette injustice est flagrante, criante, intenable, si malgré tout il s'avère impossible de se taire quand l'injustice broie, opprime, lèse au quotidien ses victimes et les accule à hurler, il faut alors tourner sept fois sa langue et la retourner encore avant de découdre ses lèvres. Sous peine d'aller loin, n'en plaise à Dieu, et de montrer du doigt, ne serait-ce que de façon pudique et dans son intérêt, l'islam. Ce serait, n'en plaise à Dieu, commettre un mal irréparable. L'offense suprême. Imputer à Dieu, au Prophète, à la charia et aux sentinelles thuriféraires des lois parfaites un mal qui, il va de soi, n'est pas le leur. Ce serait, n'en plaise à Dieu, apostasier l'islam.
Cette imprudence-là, Mohamed Cheikh Ould Mohamed n'a pas su s'en prémunir. Et elle lui a valu la peine de mort. Juste évidemment, évidemment incontestable, irréprochable indubitablement parce que conforme à la charia de Dieu. C'est ce que vous diraient les inquisiteurs des temps modernes et de tous les temps, les cerbères de l'obscurantisme religieux, les oppresseurs des peuples et des hommes, qui perpétuent, en Mauritanie ou ailleurs, le règne de la barbarie.
Ingénieur âgé de 28 ans, Mohamed Cheikh Ould Mohamed appartient aux Maalmines (forgerons), caste marginalisée entre autres dans un pays où les privilèges et les discriminations du féodalisme, à quoi ajouter le racisme et les séquelles de l'esclavagisme, sont prégnants. Quoique lui-même, cadre et fils de haut fonctionnaire, ne soit pas directement affecté par l'injustice qui frappe le commun de sa caste, au mois de décembre 2013, cet ingénieur a osé lever la voix pour dénoncer le mal mauritanien. Les privilèges dont jouissent les Bidhane, caste de l'aristocratie régnante, et les préjudices qui en découlent, frappant le reste de la population. Diagnostiquant ce mal à travers un article publié sur le web, l'auteur n'a pas mâché ses mots pour incriminer la religion. Non pas l'islam dans sa substance révélée mais celui vicié dès l'origine par le pouvoir politique basé sur les privilèges du sang et des alliances. C'est cette altération de la religion par la religiosité, savamment analysée, et à bon droit mise en cause, qui constitue le principal propos de son article. Et parce que cette mise en cause ne peut plaire ni à la caste régnante ni aux jurisconsultes locaux moyenâgeux dont les interprétations rétrogrades et anachroniques de l'islam lui servent de garde-fou, dès la parution de l'article la réaction des ultras ne s'est pas fait attendre. De toute part, les cerbères du système ont montré leurs canines, vouant au bûcher le "mécréant". En dépit d'une mise au point où l'auteur a clamé son innocence et explicité son amour et son respect du Prophète, le 2 janvier 2013 il a été arrêté à Nouadhibou (nord-ouest de la Mauritanie) et écroué. Au bout d'un an de détention et pour couronne de calvaire(1), ce 24 décembre 2014 la cour criminelle de Nouadhibou l'a jugé coupable et condamné à la peine capitale.
Parce que cette peine est injuste quelles que soient les raisons des tribunaux islamistes et des seigneurs qui gouvernent la Mauritanie, nous dénonçons avec vigueur autant la sentence que le climat d'inquisition moyenâgeuse qui lui a été propice. N'en déplaise aux oppresseurs qui perpétuent le règne de la barbarie en Mauritanie ou ailleurs, nul ne peut être jugé pour ses opinions ou sa croyance religieuse.
Tout en appelant les citoyens du monde, les ONG internationales, les Etats et leurs missions diplomatiques à se mobiliser pour sauver de l'échafaud Mohamed Cheikh Ould Mohamed, nous publions ci-dessous la traduction de l'article qui a valu à son auteur l'absurde arrêt de mort.
Ahmed Amri - 31.12.14
"La religion n'a rien à voir, honorables
Maalemines(2),
avec votre problème. Car en religion il n'y a pas de considération ni pour
le lignage ni pour la classe. Ni Maalmines (2) ni Bidhanes(3) n'y ont de
place, ne vous en déplaise. Votre problème, si ce que vous dites est
exact, peut être rattaché à ce qui s'appelle religiosité. C'est là une
nouvelle thèse qui a trouvé parmi les Maalmines eux-mêmes certains de
ses ardents défenseurs. Convenons-en donc !
A
présent, permettez-moi de revenir à la religion et la religiosité pour
éclairer le statut du lignage et de la classe dans la religion.
Quelle différence y a-t-il entre religion et religiosité?
Selon,
Dr Abdelmajid Ennajar:" la réalité de la religion diffère de celle de
la religiosité. La religion dans son essence ce sont les préceptes
fondateurs de la législation divine. Alors que la religiosité est la mise en pratique de tels préceptes. Celle-ci est un fait humain. Cette
différence conceptuelle conduit, en réalité, à une différence de caractéristiques et de jugements spécifiques à l'un ou à l'autre concepts." (2).
Par
conséquent, la religion est un fait divin et la religiosité fait
humain. A quel moment au juste de l'histoire rattache-t-on la religion
et la religiosité?
Il va sans dire que, vues dans le contexte
islamique, elles appartiennent à deux périodes distinctes: la religion
se rattache à la vie de Mohamed; la religiosité, quant à elle, est postérieure à telle vie.
Considérons à présent quelques exemples de la première période.
Temps: juste après la bataille de Badr en 624 apr. J.-C. Lieu: Yathrab.
Voici le jugement prononcé au sujet des
prisonniers de Quraish tombés aux
mains des musulmans: "Messager de Dieu, a dit Abou Bakr Esseddik
premier conseiller du Prophète, ces prisonniers sont des cousins, des frères, des
enfants du clan. A mon avis, nous devrions leur imposer une rançon, ce
qui constituera un supplément de force pour nous contre les infidèles.
En même temps, gardons l'espoir que Dieu les guidera vers le bon chemin;
et ils seront demains nos alliés."
Remarque: qui sont ici les infidèles selon Abou Bakr ?(3)
C'est
tel jugement de Abou Bakr qui a prévalu en la circonstance. Avec un
amendement en faveur de ceux qui n'avaient pas d'argent: au lieu de
payer la rançon, servir de précepteur aux enfants des musulmans.
Mais
doucement ! il y a eu une dérogation pour Zeyneb, fille du Prophète,
qui voulait racheter par un collier déposé chez Khadija(4) son mari Abou
Alâs. A sa vue, le Prophète s'est beaucoup apitoyé et a dit à ses
compagnons: " si vous n'y voyez pas d'inconvénient, rendez-lui son mari
et son bien (collier)!"(5) Ce à quoi les compagnons ont répondu
positivement.
A quoi rime, selon vous, cette exception ?
Temps: 625 apr. J.-C. Lieu: Ohad.
Événement: bataille entre les musulmans et les quraïshites.
Tandis que
la tribu de
Quraysh affrontait les musulmans pour venger la défaite de Badr et
espérer en finir avec Mohamed et ses partisans, Hind bent Ataba a
commandité Wahshi pour tuer, en échange de son émancipation et d'une
rétribution en bijoux, Hamza. Hind a obtenu ce qu'elle voulait.
Quelques
ans plus tard, au lendemain de ce qu'on a convenu d’appeler la conquête
de la Mecque, Hind s'est convertie à l'islam. Ce qui lui a valu le
titre "Honorable mécréante, musulmane honorable". Wahsi, quant à lui, le
Prophète l'a sommé de disparaitre quand il s'est converti à son tour à
l'islam !
C'est que Hind est quraïshite alors que Wahsh est abyssinien.
Sinon comment expliquer une telle discrimination ? Ne se valent-ils pas en
tant que coupables à tout le moins, car, pour être plus équitable, il
faudrait dire que la vraie coupable du meurtre de Hamza est Hind, Wahsh
n'étant en la circonstance qu'un esclave exécutant un ordre?
Toujours
dans la même bataille, comparons le sort de Wahsh à celui de Khaled Ibn
Al-Walid. Ce dernier a été la principale cause de la défaite des
musulmans à la bataille de Ohad. Malgré le grand nombre de morts
enregistrés dans cette défaite, à sa conversion à l'islam Khaled Ibn
Al-Walid a été honoré par le titre Epée dégainée d'Allah. Pourquoi
Wahshi n'aurait-il pas mérité un titre comme Lance-d'Allah-qui-ne-rate-jamais-sa-cible ?
Lieu: la Mecque. Temps: 630 apr. J.-C. Évènement: conquête de la Mecque. Que s'en est-il suivi ?
Tous
les Mecquois ont été amnistiés malgré les divers préjudices causés au
prophète Mohamed et à son message, et quand bien même l'armée musulmane
était capable de les exterminer. L'amnistie a été proclamée comme suit
par le Prophète alors que les Mecquois étaient rassemblés près de la
Kaaba:
"Que pensez-vous que j'aille faire de vous?" dit le Prophète.
"Tout le bien, répondirent les Mecquois. Tu es un frère généreux et non
moins généreux neveu." Et le Prophète leur dit alors:" vous n'êtes plus
blâmables désormais. Que Dieu vous pardonne ! Partez! vus êtes libres."
Cette
amnistie a permis de préserver les vies humaines, d'éviter la
captivité, de garder intacte la propriété de l'argent mobile et des
terres et de ne pas soumettre ces biens à l'imposition. En cela, la
Mecque n'a pas été traitée comme d'autres zones.
Lieu: Forts Banu Qurazya. Temps:
627 apr. J.-C. Événement: extermination des Banu
Qurayza. Cause: complot d’individus de Banu Qurayza contre les
musulmans dans le siège de la Tranchée (sachant que les individus ici "justiciables" n'étaient que les chefs et qu'il y a un verset qui dit à ce
propos: "personne ne peut porter le fardeau d'autrui".)
C'est un fait
attesté que lorsqu'il s'est approché des forts de Banu Qurayza qu'il a tenu en siège, le Prophète s'est adressé aux juifs comme suit:" frères
des singes et des porcs (4), idolâtres, vous m'insultez ?" Les juifs ont
juré alors par la Torah révélée à Moïse que non. " Abu al-Qasim,
disent-ils, vous n’êtes pas de ceux qui sont profanes." Le Prophète a
alors mis en première ligne les archers.
Avant de poursuivre, je
voudrais m'arrêter ici pour remarquer qu'en citant le Prophète, nous
sommes censés nous appuyer sur "l'esprit totalisant", l'autorité morale infaillible.
Comparons à présent le sort des Mecquois et celui des
Banu Qurayza. Ceux-ci, sans passer aux faits, ont eu les velléités de
conspirer avec Quraish pour en finir avec Mohamed et son message.
Et alors que les quraishites ont été amnistiés, les Banu Qurayza ont
été passés aux armes. Sans distinction aucune entre celui qui a failli
rompre le pacte et celui qui qui n'a rien à se reprocher à ce propos. On
a tué les guerriers des Banu Qurayza et capturé leurs enfants.
Et l'on raconte, à ce sujet, que pour déterminer si un adolescent
devait être tué ou capturé, il fallait découvrir son bas-ventre. Celui qui avait le
pubis poilu se faisait tuer et celui qui l'avait non poilu avait la vie sauve.
Ainsi
donc, Quraish qui s'est opposée aux musulmans dans plus d'une bataille,
qui les a assiégés de manière impitoyable à la Tranchée, qui a recruté,
au début du message, 40 jeunes pour tuer Mohamed à la veille de la
migration vers Médine, qui, auparavant, a tué et torturé de la pire
manière des musulmans, le jour de la conquête de la Mecque a trouvé en
Mohamed
un frère généreux et un non moins généreux neveu qui leur a dit:
"partez! vous êtes libres." A l'opposé, les Banu Qurazya qui ont juste
failli s'allier avec les mécréants contre Mohamed ont été rétribués par
un massacre général. Où est allée la miséricorde ? Faut-il en conclure
que les "frères et consorts" ont un rôle dans "l'esprit totalisant et
absolu" ?
En
guise de résumé, si le concept "cousins-clan-frères" pousse Abou Bakr à
s'abstenir de tuer les infidèles, si la relation parentale entre le
Prophète et Zeyneb autorise la fille à recouvrer son mari et son bien
sans autre forme de procès, si le sang tribal autorise qui de pouvoir à
distribuer des titres d'honneur aux qurashites et les refuser aux
abyssiniens, si la fraternité, les liens de sang, de parenté, autorisent
d'accorder la grâce à Quraish et de ne pas l'accorder aux Banu Qurayza,
si cela est monnaie courante au temps du Prophète, soit au temps de la
religion, comment s'étonner qu'il en soit de même aujourd'hui au temps
de la religiosité?
Frères, je voudrais juste conclure avec vous,
et je m'adresse en particulier aux Maalmines, que la tentative de
différencier la substance de la religion de la réalité propre à la
religiosité est "bonne mais non concluante". On ne peut occulter la
réalité que ces "lionceaux [NDT: les Bidhanes] sont en fait les descendants du
lion" [NDT: l'ordre mahométano-quarishite]. Ceux qui souffrent doivent être honnêtes avec eux-mêmes,
quelle que soit la cause de leur souffrance. Et si la religion est
impliquée dans cette souffrance, disons-le de vive voix: la religion,
les hommes de religion, les livres de religion, jouent le rôle qui est
le leur dans les questions sociales, que ce soit celles des Lahratin(5),
des Maalmines, ou celle des Ikawns(6) à propos de qui la religion
stipule que leur manger, leur boire, leur travail sont harams [ndt:
illicites].
Mise au point:
Durant les jours passés, j'ai
suivi les réactions suscitées par mon article "Religion, religiosité et Maalmines", lesquelles étaient en grande partie takfiristes et
ostensiblement racistes. J'ai reçu de nombreux appels téléphoniques
chargés de menaces et d'intimidation.
De nombreux facteurs ont
contribué à créer un climat propice à de telles réactions, dont
l'analyse fondée sur la théorie conspirationniste chez les Azways (7)
qui taxe de juif et de mécréant, tout en le marginalisant, quiconque se
réclame du sang maalmine. A quoi ajouter le prosaïsme le plus plat chez
ces mêmes Azways qui, pour servir des fins machiavéliques et dénotant
leur esprit malade, attribuent de façon mensongère des propos au
Prophète, tels que: "
un forgeron n'est bon à rien, serait-il un savant."
Mohamed Cheikh Ould Mohamed
Traduit par A. Amri
30.12.14