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Photo Saadia Mosbah |
Longtemps, beaucoup de Tunisiens imaginaient
que le racisme est un mal qui ne s'accommode pas du "tempérament
national". Longtemps, ces Tunisiens imaginaient que la Tunisie a quelque
chose de cubain en matière de tolérance et de fraternité interraciale.
Et puis tout récemment, ces Tunisiens se font dessiller les yeux sur
une réalité diamétralement opposée à leur croyance. Un témoignage de Saadia Mosbah
leur révèle que le racisme est la soupe quotidienne des Noirs
tunisiens. D'autres témoignages suivent et l'ampleur de la peste se
révèle au delà de ce qu'on pourrait imaginer. La réaction de nombreuses plumes ne se fait pas attendre. Dont Tounès Thabet, auteure de l'article ci-dessous, que je remercie de m'avoir prévenu à ce sujet dont j'ignorais moi-même la gravité. ( Ahmed Amri - 8 mai 2013) ____________________________________________________
Le racisme, réalité bien amère «Personne ne vient au monde en
haïssant une autre personne à cause de la couleur de sa peau, de son
passé ou de sa religion. Si les gens peuvent apprendre à haïr, on peut
leur enseigner à aimer, car l’amour nait, plus naturellement,, dans le
cœur de l’homme que son contraire. » Nelson Mandela
Quand le discours haineux
remplit l’espace de son tintamarre et s’attaque à une communauté qui a
du mal à se défendre contre des propos injurieux et avilissants, on
s’interroge sur le silence de nos gouvernants qui refusent d’entendre
les revendications des citoyens à part entière. Les plaintes se
multiplient, les protestations aussi car le temps de l’omerta est
révolu. L’unique acquis de cette révolution est la libération de la
parole. Les murs du silence ont été brisés et, désormais, les personnes
de couleur noire feront entendre leurs voix.
Le terme de
« minorité » à connotation péjorative et dépréciative, en lui-même, est
une insulte à l’égard de citoyens égaux à la majorité à laquelle ils
appartiennent de plein droit. Cette discrimination est restée tabou
pendant des décennies à cause du sort qui était réservé à la population
noire, trop souvent, issue de milieux modestes, privée d’éducation, de
l’accès à la scolarisation pour des raisons économiques, surtout. Mais,
même ayant acquis des diplômes, certains n’ont pas pu occuper des postes
de responsabilités alors qu’ils en ont les compétences. Vivant,
souvent, géographiquement, à part dans certaines villes et quartiers,
cette communauté continue à endurer un racisme déclaré ou latent. Il
suffit de voir, sur les réseaux sociaux, les insultes et les injures
dont sont victimes ceux qui militent pour la cause de la population
noire.
Notre langue suinte ce racisme hérité des générations
antérieures à travers des termes et expressions dégradantes et
discriminatoires extrêmement blessantes pour les victimes de la
marginalisation. Certains ne réalisent pas la portée de ces termes trop
banalisés, devenus transparents pour ceux qui les utilisent, mais si
avilissants pour ceux à qui ils sont destinés. Nombreux sont ceux qui
sont dans le déni du racisme, aussi bien les victimes qui refusent de
voir les faits et ne réalisent pas la gravité de ce phénomène, que les
autres qui persistent à croire qu’il n’existe aucune discrimination
vis-à-vis de cette population. Certains réagissent même de manière
violente en accusant ceux qui en parlent de « mensonge », de
« dramatisation ». D’autres vous regardent, étonnés d’apprendre que dans
une région du sud, il existe un cimetière pour les noirs ou que sur
certaines cartes d’identité figure des références racistes qui devraient
disparaitre. D’autres, enfin, découvrent la souffrance d’enfants, dans
la rue ou à l’école, face au rejet et à la discrimination.
Face à ce
phénomène indéniable et indignant, des associations se battent, depuis
quelques années, afin de faire entendre la voix de la population noire :
informer, faire prendre conscience de la gravité de ce phénomène,
s’indigner, protester, condamner les faits racistes… Parmi elles : «
M’NEMTY » qui se mobilise particulièrement, présidée par Saadia Mosbah,
militante acharnée pour cette belle Cause qui se bat avec d’autres
membres, non moins enthousiastes et déterminés que cette dame au beau
sourire, au verbe percutant et à la volonté inébranlable. On recueille
les plaintes des victimes de ce racisme pernicieux, on mobilise et on
convainc, on soulève des questions… Saadia croit à ce Rêve merveilleux
d’un pays où les citoyens seraient égaux sans distinction de couleur.
Engagée dans cette lutte, elle se bat pour inscrire, dans le projet de
la Constitution, le principe de lutte contre toute forme de
discrimination et la pénalisation des actes racistes, une loi
antiracisme qui protégerait les victimes et leur permettrait de se
défendre contre les maltraitements qui se banalisent. Un combat parmi
tous les autres, non moins important dans cette Tunisie en devenir. Un
combat pour le droit à la citoyenneté à part entière, pour le droit au
respect, à l’estime et à la dignité. Un combat contre l’humiliation qui
engendre l’auto humiliation. « Une loi ne pourra, jamais, obliger un
homme à m’aimer, disait Martin Luther King, mais, il est important
qu’elle lui interdise de me lyncher. »
Ce combat engagé par les
concernés, mais qui ne l’est pas ? Un combat pour réconcilier un pays
écartelé par des divisions douloureuses et qui doit protéger les plus
faibles, car ils sont chez eux. Saadia Mosbah déclare qu’il est vital
d’éduquer les jeunes générations et de leur apprendre l’amour de l’autre
différent. Il est temps de se dire les vérités tues avant qu’elles ne
deviennent vénéneuses.
Tounès THABET |
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