lundi 24 janvier 2011

La politique citoyenne



Jean-Claude Tardif, qui n'est pas un quidam contrairement à ce que sa modestie lui dicte de dire, m'honore de ce message:

Cher Ahmed, vous faites (à l'échelle d'un peuple) de la politique au sens grec du mot. Chez nous l'individualisme l'a tuée tout comme je le crains la communication où ce qui en tient lieu est en train d'occire la Démocratie en Europe... Mais ce ne sont là que propos de quidam ou pire d'un citoyen plus qu'ordinaire - amitiés jc

Cher Jean-Claude,

Il y a des moments exceptionnels dans l’histoire des peuples, des moments aussi rares que l'ouverture du ciel, au sens mythique de l'expression, des moments inédits. Et ce que nous vivons en Tunisie depuis le 14 janvier en est un. Note au passage que ce « 14 » porte bonheur aux peuples! il a déjà marqué l'ouverture du ciel pour les prisonniers de la Bastille!

En vérité, ni la dictature déchue ni l’opposition ni tel ou tel observateur étranger n’avaient pu prévoir, à la naissance du soulèvement ou même au fort des répressions sanglantes qui en ont marqué le tournant décisif, que ce peuple réaliserait l’incroyable exploit qui est le sien: la chute d’une dictature des plus féroce, sans autre arme que la descente dans la rue. Puis la résistance encore, la poursuite de la lutte en vue de préserver de la confiscation cette révolution. Le tout sans que ce peuple n’ait à se souiller les mains d’une seule goutte de sang, malgré les dizaines de morts dans ses rangs.

A l’heure où je t’écris, j’apprends que des jeunes sont arrivés hier dans la nuit à Tunis, venus de l’intérieur du pays, la plupart à pied, ayant franchi pour certains pas moins de 250 km, si ce n’est plus, et ce pour « écrire » ce que j’appellerais l’épilogue digne de cette extraordinaire épopée. Ce sont les frères, les cousins, les héritiers de Bouazizi, les partisans de son appel issus du peuple des déshérités, qui voudraient conquérir Carthage. Ou du moins la Casbah dont la chute serait, à leurs yeux, synonyme de la prise de la Bastille. Comme moi, comme toi, comme tant d'autres qui avons été pris de court dans la bourrasque de cette révolution, ils croient fermement que le salut de celle-ci passe inéluctablement par la dissolution de l'actuel gouvernement.

Ce matin, Aljazeera a montré les images de ces jeunes qui ont passé la nuit devant le premier ministère, étendus à même les dalles, serrés les uns contre les autres, beaucoup sans couverture, par une nuit d’hiver où la température avoisine les 5°. Malgré le recours renouvelé aux bombes lacrymogènes et à l'arrosage par jets d'eau pour les disperser et faire replier, ils tiennent bon. Malgré la harangue de ce général qui contrôle la sécurité du pays depuis la fuite de Ben Ali, et l'assurance répétée que la révolution n'a plus rien à craindre, ils ne semblent pas près de desserrer l'étau!

Ajouter une imageC'est te dire en fin de compte que ce que je fais sur le front des internautes n'est rien à côté de la lutte directe des nôtres sur le terrain. Et quoi qu'il en soit, même si ce modeste combat peut correspondre à ce que tu dis, je ne serais qu'une goutte dans l'océan. Ce dont je ne doute pas, en tout cas, c’est que cette révolution nous l’attendions depuis une éternité. Sur Facebook ou sur nos blogs, nous avons été des centaines de Tunisiens à appeler de tous nos vœux l’avènement de ce moment, chacun à sa manière, les uns sous de faux profils, d’autres à visage découvert, certains de l’extérieur du pays, d’autres de l’intérieur. Censurés, intimidés, opprimés et les plus coriaces de nous emprisonnés, et nous avons persévéré quand même.

Aujourd'hui et en ce moment difficile de notre histoire, autant nous sommes heureux d’avoir apporté chacun sa modeste contribution à la réalisation de cet exploit historique que nous vivons, autant nous sommes conscients que le plus dur reste à faire : préserver cette révolution et lui épargner, une fois qu’elle aura été menée au bout de sa phase actuelle, les dérives susceptibles de la menacer ou d’entacher son caractère citoyen et pacifiste.

En ce qui concerne ta vision de la politique sur l'autre rive de la Méditerranée, je dirais malgré tout: méfie-toi de l'eau qui dort!

J'ai vécu en France la fin du dernier septennat de Giscard et le début du premier septennat de Mitterrand. Je me souviens de ce 8 mai 81, de l'orage qui a précédé la proclamation des résultats électoraux (inoubliable ouverture du ciel, celle-là aussi!) et de la fête nocturne sur la place de la Bastille. Moi qui crois dans une certaine mesure à l'éternel retour, je voudrais vivre et revoir la gauche, mais une gauche qui incarne réellement les forces vives de la France, reconquérir le pouvoir.

Excuse si j’étais un peu long. Et merci du fond du cœur pour tes messages.

Amitiés,

Ahmed


A. Amri

24.01.11

Jean-Claude Tardif, poète et nouvelliste français.


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La Révolution continue
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lundi 17 janvier 2011

La Révolution continue

En ce 14 janvier dont l'histoire se souviendra, le dictateur tunisien a capitulé et pris la poudre d'escampettes. Mais l'épopée du peuple tunisien n'a pas dit son épilogue. La Révolution n'est pas terminée.

N'en déplaise à ceux qui parlementent, négocient, vendent et achètent sans mandat du peuple, ceux qui pillent encore et tuent pour justifier le couvre-feu, ceux qui reconduisent dans leurs fonctions les vieux laquais de Ben Ali, le peuple ne veut rien de moins que la fin d'un système. Avec tous ses appareils répressifs, ses sbires, ses juges et agents corrompus et impliqués dans la longue liste de crimes qui a conduit au soulèvement général du peuple.

En un mot, Ghannouchi et compères, la clique qui rampait sous Ben Ali et soutenait sa dictature ne peut plus gouverner au nom de la Tunisie.

Le dictateur parti, il faut que sa valetaille le suive. Il faut aussi que le parti, en tant que label et organisation politiques, disparaisse.
Le RCD qui, de l'indépendance tunisienne à nos jours, sous sa vieille dénomination comme sous la nouvelle, a exclu la majorité des Tunisiens du pouvoir, qui a tout fait pour museler la voix de l'opposition et s'accaparer le droit de l'exercice politique, aujourd'hui que le peuple a dit haut son mot, doit partir. A la Mecque ou ailleurs, peu importe! mais qu'il parte sans délai! Qu'il cesse de profaner le pouvoir au nom des Tunisiens! Qu'il cesse de revendiquer une pseudo-légitimité que les crimes sans nombre commis sous son règne et le sang des révoltés qui n'a pas encore séché désavouent! Ni ceux qui sont tombés sur le chemin de la Révolution ni les leurs ne peuvent admettre une telle insulte.

Le corps de Mohamed Bouzizi qui s'est embrasé par le feu de l'injustice ne s'est pas encore éteint. Et il ne s'éteindra pas de si tôt. Pas tant que les damnés de la terre pour laquelle il s'est immolé ne recouvrent leur dû: justice! justice! justice!

Justice pour ceux qui ont souffert et souffrent encore à cause d'une politique à tous niveaux élitiste, des choix économiques régis par les lois d'un capitalisme sauvage, qui consacrent la loi de la jungle, ne profitant qu'à une minorité, ceux qui règnent et ceux qui vivent dans leur sphère, les arrivistes de tout bord, caniches et lèche-culs arborant la carte du RCD.

Justice pour les justiciables qui n'avaient ni Dieu ni maître à part Ben Ali et leur propre cupidité, qui se sont vautrés dans un luxe immérité et indécent, qui ont soutiré les deniers du contribuable, c'est-à-dire l'argent des humbles, pour s'offrir une existence de cocagne et condamner de larges tranches du peuple à végéter dans la misère.

Justice enfin pour la Tunisie entière! Ce pays qui, des années durant, dans la presse écrite comme à la télé, voyait ternir son image de marque par la légion des tabbalas et zakkaras (timbaliers et fifres), ce pays meurtri et jamais soumis, ne s'est pas révolté pour la gloire d'un label!

Révolution du Jasmin, oui, si c'est pour dire révolution blanche; le peuple n'a pas de sang sur les mains et tant mieux pour la gloire de sa révolution! Mais le jasmin ne peut embaumer au milieu d'un tas de fumier qui gouverne encore le pays!

A. Amri
17.01.11

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Au même sujet:

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samedi 11 décembre 2010

Elle était une foi
















aura souverain
de l'ensorceleuse
émoi qui étreint
l'Atlas
sirène au chant imparable
des hautes mers
qui rappelle incessamment au large
la felouque de Sindbad
dis-moi pourquoi
le sang impur des hyènes
ni leur magie noire
ne peuvent désamorcer
le vent du Maroc
ni le charme de décembre
sous le ciel de Marrakech

dis pourquoi
des quatre points cardinaux
la boussole et l'acribie
dans sa formule cabalistique

au marin invétéré


ne reconnaissent

que les chiffres aimantés


de ton nom
saida
mennebhi (1)

tu étais une foi

content

captives du rêve
que lègue au jour orphelin
la nuit de Shahryar
ma candide utopie
et ma hantise
ta chevelure
ô belle de Marrakech
soutenant le frère de Prométhée
et cette irréfragable fragrance
incrustée dans la pupille et le nez


envers et contre

le benjoin de siam
que ma légitime brûle
sur les ornières de mes succubes
et les cristaux triés
de gomme arabique dure
bardant mes grigris
envers le sel opalescent
ô ma belle
encroûtant mes cheveux
alors que les tiens
depuis la nuit des temps
y sont rebelles
le poème ne peut se soustraire
aux rets de notre serment

des ailes et des cils
j'ai beau frétiller
beau secouer
le fond des paupières
et la glu de ton kohol
beau vieillir
sous les fanes
de tant d'hivers
tant de décembres
égrenés et pilonnés
dans la conjuration du temps
le mortier sent toujours le cumin (2)


petite sœur
que la barbarie m'a ravie
alors que j'avais vingt ans
et autant de rimes
en gestation
accolées à notre soif
de justice

irrépressible parfum
qui me revient
dans la mouture de plomb
visage d'aplomb
ciselé sous le battage
sur ma photo
lutine
qui me cligne des yeux
et délurée
me lèche des rets
brasse l'écume
et sel de la mer
puis sourit
émoustillée
et de mon conte
se rit
il était une fois toi
conception immaculée
du poème
vierge utopie
et ton fils
de pourpre et vert emmailloté
ôtée à la faim
Saida
houri du Maroc
et le nourrisson vagissant
sur le pourpre de tes lèvres
à ton sein crucifié
rêve douillet
de nos vingt ans
en cet onze décembre
de l'an mille et décombres
sous mes cendres
vous deux
à jamais
vivants




A. Amri
11.12.10

1- Pour en savoir plus sur son combat et les circonstances de sa mort, Abraham Serfaty: rétrospective d'un combat.
2- Des années après sa libération, Abdellatif Laâbi, un rescapé des années de braise et de plomb marocaines, écrit, hanté par les séquelles de la torture: « Les grains de cumin, plus on les écrase, plus ils donnent de l'odeur. Et sans perdre de temps, on met la sagesse du proverbe en pratique. Le cumin de notre être est versé dans un pilon. Et les bouchers-mécaniciens écrasent. Moulin à meules, moulin à eau, moulin électrique, jusqu'à ce que notre cri nous devienne méconnaissable. Insupportable, notre cri de bête humaine, interminable.
C'est une autre douleur qui nous réveillera." Abdellatif aâbi (Tous les déchirements)

mardi 7 décembre 2010

Poignées de main et coups de gueule

Facebook est un réseau d'amitié et d'échange. Des poignées de main fraternelles, j'en ai reçu sur ce réseau et donné pas mal depuis que j'y suis membre. Il y eut aussi des coups de gueule. J'en extrais quelques échantillons que je rassemble et publie ici, avec l'aimable autorisation des "murs" où ils furent placardés.

1- Tsahal: une armée qui rêve de vivre en paix


Christine Longue-Roï:

Hello Amri Ahmed, vous avez déjà vu une guerre sans sang ? C'est la guerre qu'il faut blâmer, bien plus que les soldats qui la font ! Ils sont trop souvent impliqué malgré eux risquent de sauter sur une bombe ou de se faire égorger, alors qu'ils rêvent de vivre en paix comme les autres jeunes de leur âge... De l'autre côté, il y a aussi des jeunes et des moins jeunes qui aspirent à vivre en paix et de manière décente... La vraie question n'est-elle pas de savoir pourquoi cette paix n'est pas possible ? Peut-être est-elle possible... 18 août, 15:03 ·


Ahmed Amri:
"vous avez déjà vu une guerre sans sang ?"
J'ai vu surtout du sang, et beaucoup, sans raison pour le justifier à part la lâcheté, la raison du plus fort, la barbarie. Gaza, Jenine, Cana, c'est presque d'hier. Et ce ne sont que d'infimes graines dans le chapelet. De 48 à ce jour, le fleuve du sang "impur" n'a jamais tari ni connu la moindre décrue. J'ai vu des enfants mourir dans leurs écoles, des nourrissons dans leurs berceaux, des familles en entier décimées sous leurs abris, des abris rasés par-dessus les cadavres, des humanitaires de toutes nationalités exécutés à bout portant, certains mêmes broyés par des bulldozers.
J'ai vu cela, Longue-Roï, inscrit en lettres d'or dans les annales du Tsahal. J'ai vu des hommes qui ont le droit de s'offrir des festins de sang, sacrés héros parce qu'ils ont des chars et des chasseurs. Et des sous-humains qui n'ont d'autre droit que mourir sous les bombes ou de faim, ou subir au quotidien l'humiliation, ou croupir dans les cachots avec la lettre écarlate "T", la seule digne de leurs fronts, parce que, à armes inégales, ils ne peuvent être que Terroristes.
J'ai vu des pogroms ciblant la chair palestinienne, une Shoah où les juifs forment les pelotons d'exécuteurs, un holocauste où les nazis portent l'Étoile de David, le tout perpétré en terre palestinienne et ne semblant pas près de se faire oublier.

J'ai vu une terre arrachée de force à ses propriétaires, des propriétaires délogés et chassés de leur pays, contraints de vivre sur les chemins d'errance ou dans les camps de réfugiés. Des errants et des réfugiés poursuivis sur tous les chemins et massacrés dans leurs réduits. Le tout au nom de la sacro-sainte sécurité d'Israël.

J'ai vu le mensonge s'ériger en loi, l'injustice fondant son droit, l'usurpation devenant principe d'État, les mythes tenant de base à la constitution de cet État, le crime devenu sa raison d'être et de survie.
18 août, 22:48

2- St. Denis Israeli Apartheid Free Zone - Campagne BDS -



Vidéo de Michel Labell

Ahmed Amri:









Voilà les armes dont la force, la puissance de tir à la fois imparable et incomparable, pourraient changer la donne au Moyen-Orient. L’action citoyenne internationale, le soutien le plus large possible et déterminé au BDS, à quoi ajouter le précieux apport de l’information, le combat des intellectuels antisionistes et, toutes conditions confondues, celui des internautes impliqués dans cette cause. Et je voudrais saluer ici particulièrement, outre les amis canadiens à travers Michel, l’écrivain (que plus d'une nationalités se disputent tant il ne peut être d’un seul pays ni d’une seule communauté) Jacob Cohen. Je ne dirais jamais assez le mérite d’un militant de sa stature, son courage exemplaire ni ce que lui doit la cause de la Palestine et de la paix, à travers les écrits et les actes de présence percutants qui sont les siens.
27 novembre, 13:48

3- Des soldat qui tuent et démolissent dans Gaza en riant:



Vidéo de Mohamed Hamzaoui

Ahmed Amri
Celui ou ceux qui filment ont dû ressentir la même sensation que procure pour des enfants déconnectés de toute réalité un jeu vidéo simulant la guerre. Tant qu'on n'est pas réellement dedans, je veux dire (sauf votre respect) dans le merdier, c'est ça la guerre: un jeu, un spectacle, du cinéma ou presque. La guerre sur Gaza devait permettre aux soldats israéliens de " s'offrir une revanche" après l'inoubliable humiliation subie au Liban. Et c'était seulement dans ce rapport de forces là, une armée équipée de sa machine meurtrière et destructive contre un peuple sans armes, qu'ils pouvaient s'offrir la belle revanche, la tuerie où les seuls combattants dignes de ce nom étaient toujours les mêmes, ceux qui n'ont ni avions ni bombes au phosphore ni chars pour écrire l'histoire, mais seulement la capacité de résister, la foi dans la justesse de leur cause et leur détermination à vivre et mourir debout, sans jamais capituler.
Y a-t-il plus belle épopée que celle-là, après sa précédente réalisée au Liban en 2006? Assiégés depuis 2007 par Israël, les états fantoches arabes et les capitulards de Abbas, affamés, et irréductibles malgré tout, puis, pendant près d'un mois, sans la moindre trêve, soumis à un pilonnage dont le souvenir ne s'effacera pas de si tôt, et toujours debout?
Quelle lamentable image ces "témoins" (à qui on doit cette vidéo) vont transmettre à leur postérité! quel courage! quel héroïsme! des chars et des chasseurs, et pas un seul soldat capable de se battre à armes égales! Mais ce que l'humanité conservera de cette guerre de lâches, nous en trouvons un échantillon ici: à part l'indignation et la haine (du sioniste, et non du juif même si l'amalgame existe mais la faute en incombe aux sionistes d'abord) qu'est-ce qu'ils ont gagné dans cette guerre? Rien, absolument rien.
Déjà, depuis la seconde Intifadha l'opinion publique internationale prend de plus en plus ses distances avec le "seul État laïc et démocratique" de la région. Plus personne n'est dupe des oripeaux de cette laïcité et sa sœur démocratie, prostituées dans l'État d'Israël. Les mythes fondateurs de l'entité sioniste tombent petit à petit, jour après jour, certains à la faveur même d'Israéliens ou de juifs désavouant les mensonges et les supercheries des bons apôtres. Ils finiront tôt ou tard par s'effriter, foulés aux pieds, tellement ce croque-mitaine de l'antisémitisme que brandissent les chiens de garde sionistes ne fait plus peur autant qu'il agace. Ce que j'ai vu sur de nombreuses vidéos (dont certaines sont partagées avec Mohamed), ce que nous sommes à même de lire sur Internet ou ailleurs, venant même des alliés traditionnels d'Israël, le confirme.
Un rapport de la CIA, rendu public il y a quelques mois, prévoit la fin du sionisme dans une vingtaine d'années tout au plus. La dissidence juive, à l'intérieur d'Israël comme à l'extérieur, semble donner les premiers signes de cette fin.
13 novembre, 16:35


4-Defamation: quand les enfants désavouent le père - Par Ahmed Amri

Né aux USA puis transmis vers l'Europe, le vent de la sédition intellectuelle qui souffle sur le sionisme n'est pas près de faiblir, loin de là. Tout en prenant l'allure d'une révolution culturelle de masse marquant la nouvelle décennie de ce siècle, il frappe à présent Israël où il se propage à la faveur d'une conscience juive dissidente et libérée de l'identité séculaire du sémite , éternel persécuté et, en tout lieu, victime. De plus en plus d'intellectuels et d'artistes emboîtent le pas à Chomsky, Norman Gary Finkelstein, Rony Brauman, entre autres "brebis galeuses" juives, et montent au créneau pour fustiger le sionisme et désavouer la politique de leur État. Ce mal délétère qui condamne le sionisme et laisse présager de sa fin certaine dans un proche avenir est bien moins l'effet de l'antisémitisme présumé revenu en force dans le monde que le contrecoup d'un abus sioniste de l'arme "antisémitisme" . Perverti, instrumentalisé à outrance dans une propagande mensongère et surannée, l'argument de l'antisémitisme se tourne à présent contre les apprentis sorciers , ceux qui en ont fait une litanie burlesque, un croque-mitaine mal ficelé, l'ersatz d'une épée de Damoclès menaçant toute pensée contestataire ou réflexe critique.
Après Shlomo Sand démontant l'histoire du peuple juif inventé à partir d'historiographies et de mythes, c'est au tour de Yoav Shamir, cinéaste israélien de 40 ans, de s'attaquer à la machine lobbyiste qui industrialise le mensonge, la diffamation.

Ahmed Amri:
Merci pour toutes vos réactions, les amis.
Autrefois, quand Israël se faisait critiquer par quelqu'un, on criait constamment à l'antisémitisme et cela dissuadait dans une certaine mesure ceux qui étaient tentés de refaire la critique.
Aujourd'hui, et il faut saluer le courage de ces juifs israéliens qui montent au créneau, la "contagion" gagne la maison familiale. Certes, ce n'est pas tout à fait l'épidémie au foyer, mais le "virus" ne fait que s'étendre. Et comme cette pandémie à l'horizon nous est salutaire à tous, vous qui êtes impliqués et assez contaminés faites que d'autres vous embrassent goulûment et contractent à leur tour le virus bénin!
L'espoir vaut d'être partagé et le front qui s'élargit et accule le sionisme au mur, jusque dans sa maison, finira bien par débarrasser l'humanité de ce monstre qui, à mon sens, est déjà moribond.
Encore une fois merci.
5 novembre, 11:34


5- L'antisémitisme: fonds de commerce sioniste
Abderrahman Bacha:


Ahmed Amri:









Le "fonds de commerce", Abderrahman, est une clé primordiale, à mon sens, qui permettrait de comprendre non seulement la survie du sionisme et l'appui extérieur dont il bénéficie mais peut-être aussi, dans une certaine mesure, son origine, ses fondements.
Il faut qu'il y ait antisémitisme pour avoir à justifier tout acte, toute entreprise œuvrant pour le contrer: au lendemain de l'opération "Plomb durci", parallèlement aux réactions d'hostilité à l'égard d'Israël que connut l'Europe, on a vu fleurir ici et là des bureaux, des associations sionistes financées par l'argent des contribuables et défendant Israël. BNVCA (Bureau National de Vigilance Contre l'Antisémitisme) et SFSI (Secours Français pour les Sinistrés d'Israël) sont deux exemples des plus récents.
Ne serait-ce qu'au niveau de leurs appellations, ces deux officines sionistes montrent que "l'investissement" dans l'antisionisme est payant. "Vigilance" suppose danger (il faut alimenter le fantasme et entretenir la phobie juive d'une part et rappeler aux Français en général et Européens que le danger qui appelle cette vigilance est intérieur et sans rapport avec Israël) mais en même temps cette formule cabalistique "Secours + Sinistrés+ Israël", au lendemain d'une guerre (et bien avant même cette guerre) où les vrais sinistrés et nécessitant secours sont les Gazaouis et non les Israéliens, tente de détourner au profit de l'agresseur le soutien censé allant sans partage à l'agressé. Alors même qu'Israël a été aux origines de ce qui a motivé l'appel à son boycottage, les sionistes trouvent le moyen d'inverser la règle du jeu pour faire prospérer leur fonds de commerce.
Pour rappel ces 2 associations sont dirigées par un juif que je crois tunisien (Sammy Ghozlan) et œuvrent pour contrer la campagne BDS et faire taire les critiques à l'encontre d'Israël.
Il y a ces jours-ci près de 80 personnes en France, qui attendent de comparaître devant les tribunaux, toutes accusées soit d'antisémitisme, soit d'incitation à la haine, dont Stéphane Hessel, 90 ans, juif, résistant, co-rédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et ex-ambassadeur de la France.

Le "fonds de commerce" rappelle aussi le livre de Norman Gary Finkelstein "L'Industrie de l'Holocauste": l'auteur y évoque ce côté mercantile de l'holocauste, exploité par les sionistes pour générer des richesses et des pouvoirs. Defamation le montre aussi.
Bref, tant que ça rapporte, l'antisémitisme ne doit pas mourir et s'il meurt Israël et ses lobbyistes doivent le ressusciter.
D'un autre côté, et Defamation le montre bien aussi, l'antisémitisme permet à ses cultivateurs de catalyser le sentiment juif autour de l'entité sioniste: Israël. Tant que l'Israélien a peur, Israël aura raison d'exister. On diabolise l'Iran, les musulmans, les Palestiniens, les Arabes (l'Irak hier, la Syrie et le Liban toujours) pour perfuser cette phobie et assurer Israël de la morale justifiant son existence et du soutien à toute guerre préparée ou faite contre ses voisins.

Pour ton précédent commentaire, Abderrahman, quelque part ici une vidéo retraçant l'histoire de Theodor Herzl peut apporter des éléments de réponse à la question: "Comment et pourquoi aurais-je permis de falsifier et d'effacer d'un coup de chiffon une identité qui s'est inscrite depuis des millénaires, au profit d'un projet aussi artificiel que le projet sioniste, d'autant plus qu'il s'inscrit dans la pure logique des entreprises coloniales qu'on croyait mortes?"

Cette vidéo montre une face cachée du sionisme: le sionisme antisémite!

Nous y reviendrons ensemble si tu veux, plus tard.
Theodor Herzl en 3 parties:
Part 1 - Part 2 - Part 3

8 novembre, 20:12


6- BHL MENTEUR ET HYPOCRITE
de Brahim Fathallah

Ahmed Amri:








Les cabales sionistes ne réussissent pas à tous les coups. Les lobbyistes ont tenté par le passé d'affamer le juif américain antisioniste Norman Finkelstein et ils se sont cassé les dents. S'ils ont réussi à le priver du salaire de professeur dans les universités américaines, ils n'ont pu par contre l'empêcher ni de bien se vendre comme écrivain et éditeur ni d'étendre le champ de sa notoriété et son autorité intellectuelle à travers le monde.
Avec Dieudonné "le fils de Le Pen", c'est pareil. On voulait faire de ce nègre qui ose blasphémer contre le sionisme un Gazaoui en France, le soumettre quasiment au même siège et verser par dessus sa tête le plomb endurci des médias lobbyistes.
Néanmoins, depuis sa mise en disgrâce par la plupart des plateaux de la TV française, alors même qu'il n'arrête de subir les feux nourris des campagnes de presse diffamatoires, Dieudonné est encore debout. Contre toute attente (chez BHL et ses amis) ce nègre chassé du "paradis télévisuel" ne fait pas la manche. Ni ne la fera. Parce que c'était à cela que le vouaient les redresseurs de torts sionistes.
Voila 7 ans que Dieudonné fait systématiquement salle comble où qu'il se produise en France, avec en moyenne 1000 entrées par semaine. A l'étranger, il donne ses spectacles à guichets fermés. Et sur les réseaux d'échange, y compris FB, il fait nettement mieux, mille fois mieux, que BHL.
Morale: plutôt mille fils de Le Pen qu'un bâtard de Sion!
7 décembre 2010, 00:30


7- A propos d'Ahmadynejad et Israël -Vidéo de Brahim Fathallah
Richard Christmann:


Ahmed Amri:








@Richard:
Coluche le disait si bien: "Tous les hommes sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres". Et c'est d'autant plus vrai que la hantise du nucléaire iranien chez l'Occident et les amis d'Israël a toujours tendance à éclipser le mal qui est aux origines de tel nucléaire: Israël et son arsenal nucléaire. Aux uns il est permis d'être puissants, super-puissants même, d'avoir la force dissuasive et persuasive, de coloniser, massacrer, raser des villes et des pays au nom de la sacro-sainte sécurité menacée, aux autres il est juste permis de se tenir prêts à être immolés, le moment venu, sur l'autel de ladite sécurité. En 2008, quand la Russie décide de faire cadeau au Liban d'une dizaine de chasseurs d'occasion (des Mig-29 dont la fiabilité est douteuse), Israël et ses amis crient haro sur le soutien au terrorisme, protestent de vive voix. Nous sommes pourtant au lendemain de la guerre contre le Liban (2006), où pendant plus d'un mois, en plus du pilonnage terrestre et maritime continu, l'aviation israélienne s'est permis tous les crimes, bombardant nuit et jour Beyrouth-Sud et la quasi totalité du Liban.
Le scénario a été réédité dans la guerre contre Gaza. Et dans les autres guerres concoctées avec Israël, celles contre l'Irak et l'Afghanistan.
Aujourd'hui on montre du doigt l'Iran et on fait tout pour lui faire subir le même sort que l'Irak. La même litanie "sécurité d'Israël", la même rhétorique diabolisant l'ennemi à abattre, les mêmes coups bas et le même jeu d'alliances impliquant les caniches arabes, du Golfe surtout, sont réinvestis dans cette guerre jusqu'à présent froide mais, au vu de tout ce qu'on entend et lit, au vu de cette tension latente qui ne baisse jamais, menace de dégénérer tôt ou tard en conflit armé.
J'évoquais depuis peu "coups bas" et j'oubliais de rappeler la citation tronquée d'Ahmadinajad qu'Israël rappelle et propage, à tout propos. Le président iranien a parlé de "tumeur du Moyen-Orient", et il n'a pas inventé cette métaphore: les juifs orthodoxes assimilent Israël à un cancer et le cancer serait plus clément quand même, en ce sens qu'il se prête à l'espoir et à la thérapie, alors qu'Israël -comparez la carte de la Palestine entre 48 et aujourd'hui- est tout autre. Le président iranien n'a jamais dit qu'il faut rayer Israël de la carte, il a cité Khomeyni pour appuyer ses dires au sujet de cette "tumeur". Par conséquent, la citation qu'Israël répand à cor et à cri pour étayer le sempiternel argument "sécuritaire" est non seulement tronquée mais doublement décontextualisée. Ôtée à son contexte historique d'une part (les années 80 ne sont pas les années 2010), amputée de son auteur (quand le pape heurtait les presque 2 milliards de musulmans, on disait; il n'a fait que citer! Ahmadinajad c'est un autre poids et une autre mesure), amputée enfin de son contexte discursif parce que la phrase originale et la citation incriminée ne sont ni les mêmes ni synonymes; je cite: "L'imam a dit que ce régime occupant Jérusalem doit disparaître de la page du temps": telle est la traduction de la phrase originale, aujourd'hui refondue dans une rhétorique non pas plus explicite mais plus tendancieuse: on supprime "ce régime occupant Jérusalem" et on lui substitue ce qui est susceptible d'apporter plus d'eau au moulin des belliqueux.

Pour conclure, je me permettrais de citer un proverbe local un peu trivial: le chien se plante le museau dans le cul et aboie à l'odeur qui infecte! Israël c'est pareil.
6 décembre 2010, 18:20


8- Les autorités portuaires de Tunis-Carthage refoulent deux syndicalistes français sitôt débarqués

Pour quelles raisons? s'interroge Marie Kovac, ex- amie du réseau.
("ex" parce qu'un beau jour on s'est claqué la porte au nez, sionisme et son anti oblienet!)


Ahmed Amri:








Chère madame,
Votre question est légitime; mais il ne m'appartient pas d'y répondre. Je suis à peu près comme vous dès que je cherche à percer ce mystère, cet absurde des mesures arbitraires se répétant au quotidien dans mon pays.
J'omettais de signaler en marge de ce texte que je ne faisais que traduire une dépêche en arabe transmise, il y a à peine une heure, par un ami.
Néanmoins pour vous mettre un peu dans le contexte politique tunisien, sachez que dès que quelqu'un critique le pouvoir en place, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du pays, et c'est vraisemblablement ce qu'on reprochait aux 2 Français refoulés, il se voit "gratifié" d'un fichage aux aéroports du pays et doit s'attendre en conséquence à des marques d'"hospitalité" comme celles évoquées dans cet article.
Si vous avez des projets de vacances dans notre pays, cette brève mise au point pourra vous éclairer aussi sur le code de conduite à tenir avant de prendre l'avion.
Mais quoi qu'il en soit, je ne vous dirais jamais assez que la Tunisie reste un beau pays et que son peuple est assurément des plus hospitalier.
20 juillet 2010 13:50


9- Censuré: ohé, Ammar l'aveugle! si tu pouvais lire ça...
Faustine Swahili:

Ahmed Amri:


Hélas, Faustine, je le suis. Et ce qui me console un peu malgré tout, c'est que nous sommes très nombreux à subir cette absurde censure. Absurde parce qu'elle s'en prend à des opposants qui exercent leur droit à l'expression dans la transparence et la légalité constitutionnelle, qui mènent un combat pacifiste, et pas que sur le front intérieur mais sur d'autres fronts censés impliquer tout le pays. Et puis parce que cette censure, inefficace, ne sert qu'à souiller davantage l'image du pouvoir, la plupart des internautes tunisiens étant capables de la contourner très facilement. J'ajouterais que c'est une "pub" inespérée dont on nous fait cadeau.
4 décembre 2010, 13:17

Jamal Zahmoul: "Il est regrettable d'apprendre que vous appartenez à la "3alayhom maghdhoub"[personnes mises en disgrâce, ndlr] M. Amri. Les gens, comme vous, qui font de Facebook un espace de discussions constructives et d'interactions de tous les sujets dignes de considération devraient exercer ce droit sans restrictions ni obstacles." (Traduit)








Ahmed Amri:






Merci pour ces mots très censés, Jamel. Toutefois le pouvoir ne peut apprécier aucune critique, si constructive soit-elle, et la censure est là pour démontrer la pertinence de cette triste réalité. La machine étatique est sclérosée à tel point qu'elle reproduit les mêmes tares, le même mal qu'elle est censée être venue y mettre fin en 87. Vois ce qu'il est advenu de tous les "non" autour desquels s'articule le manifeste du 7 novembre: ce projet démocratique, tellement beau sur le papier, est né avorton deux ans à peine après sa conception. Ces "non" (à la présidence à vie, à la succession automatique, à l'injustice à l'oppression, etc) sont devenus désuets, insignifiants, tant l'exercice du pouvoir depuis 87 à ce jour leur a ôté tout crédit. Par conséquent, rien d'étonnant à ce que la dictature fasse tout pour museler ses opposants, sans égard aucun pour les retombées pouvant toucher l'ensemble du pays, y compris ses propres "dividendes" dans le prétendu "rayonnement tunisien" dont elle prouve ainsi, de façon on ne peut plus incontestable, le mensonge, la fausseté.
Incapable de mesurer l'ampleur des dégâts qu'il provoque en étouffant, entre autres, la liberté d'expression, ne pouvant discerner la critique du nihilisme, quand il impose la censure à un citoyen, le pouvoir a quand même ce mérite qu'il faut lui reconnaître: il atteste que tel citoyen n'est pas des béni-oui-oui. Et sans vouloir paraître le moindrement immodeste, je remercie personnellement ce pouvoir de m'avoir délivré une telle attestation.
6 décembre, 11:20

A suivre...
A.Amri
07.12.2010

samedi 27 novembre 2010

Ce faste bourgeois qui nous choque et insulte

Faste d'une bourgeoisie tunisienne pourrie: concert royal à Hammamet pour la commémoration de l'anniversaire d'un chien! Des cadeaux féériques, à ce qu'on nous dit: bons d'achats et chèques, sans compter les vêtements et accessoires importés! Et la meilleure troupe musicale du pays pour la sérénade et l'aubade!
N'est pas chien qui veut, ni Tunisien bourgeois qui se ressent pour son clébard!



Un chien tunisien "fête" royalement son anniversaire. La nouvelle parcourt la Tunisie, monte sur la toile, délie des langues. On la doit, en première source, au journal tunisois
l'Hebdomadaire (الأسبوعي ) relayé par Aljazeera dans l'une de ses éditions d'infos maghrébines.

On a demandé à de grands musiciens
, écrit l'Hebdomadaire, réputés comme des valeurs artistiques sûres du pays de donner un concert à la ville de Hammamet. Et arrivés sur les lieux, ces musiciens sont surpris d'apprendre que le concert est dédié à l'anniversaire d'un chien. Celui-ci, trônant sur un fauteuil de style Louis XVI, a reçu pour cadeaux des vêtements et des accessoires de luxe, mais aussi des chèques et des bons d'achat.

La nouvelle n'étonne pas, tellement les échotiers de la gazette mondaine dans notre pays nous submergent d'anecdotes délirantes; néanmoins elle choque, bien plus qu'elle ne peut faire rire.
Elle choque, y compris dans les milieux aisés, parce qu'elle fait partie des signes ostentatoires de la néo-bourgeoisie qui se vautre dans un luxe autant indécent qu'immérité. En fait, et même le Tunisien moyen est capable de faire cette distinction, la bourgeoisie traditionnelle, citadine ou rurale, conservatrice ou libérale, n'aime pas le superflu. Globalement cultivée, éclairée aussi, elle aime certes l'argent et ce qui le rapporte et fait fructifier, en l'occurrence le travail, les affaires. Néanmoins elle n'a pas la folie des grandeurs et n'aime pas l'ostentation. A Djerba, à Sfax, mais aussi à Tunis et ailleurs, il est des archi-milliardaires qu'il serait difficile de distinguer du commun des hommes, dans la rue.

Ce style du paraître sobre, dépouillé, n'est pas celui de la nouvelle bourgeoisie. Il faut dire que, constituée de parvenus pour la plupart issus de souche populaire, cette dernière s'est enrichie à la faveur d'opportunités offertes au lendemain de l'accession de Ben Ali au pouvoir. Si la vieille bourgeoisie doit sa situation à l'héritage et, dans une certaine mesure, à une intelligence de gestion lui permettant d'assurer sa continuité, la nouvelle bourgeoisie, elle, a acquis sa fortune par des spéculations, des passe-droits, une législation autorisant des vols légaux ou des vols tout court, c'est-à-dire en pillant les deniers du peuple.

L'on nous rétorquera que si les clebs de Hammamet et de Carthage ne sont pas moins aisés que leurs pairs dans les pays du Nord, ce serait plutôt un signe rassurant! cela signifie que la Tunisie confirme ses dires officiels, en l'occurrence qu'elle est sur la bonne voie!

Que dire alors, si ce n'est pauvres de nous, Tunisiens non canins! Nous qui pour la plupart ne connaissons d'autre fête que celles des aïds! Ou du التحول المبارك Changement Bénit, selon l'expression consacrée depuis ce 27 novembre 1987!

Le pouvoir en place vient de fêter le 23e anniversaire de ce qu'il appelle pompeusement Ère nouvelle. Au cours de ce quart de siècle placé sous la bannière de ce changement, certes le peuple entend dire quotidiennement que son pays a réalisé un miracle économique. Et il voit pulluler les signes on ne peut plus patents de sa prospérité nationale: distributeurs bancaires à l'affût des poches vides, supermarchés à l'affût des cartes de crédit, agences automobiles à l'affût des gros chéquiers!

La monnaie, en espèces sonnantes, au sens littéral de l'expression, ne circule pas en Tunisie. A l'excepté des pièces réservées aux fakirs d'Allah, les mendiants. Les billets de 10, 20 et 30 volent sitôt trouvés et sortis. Et pourvu qu'on les trouve encore et sorte, الحمد لله louange à Allah! Quant aux billets de 50, parce qu'il en faut pour le pays prospère, 99% des Tunisiens n'en ont pas encore fait l'étrenne. On a beau enseigner au peuple que l'argent n'a pas d'odeur, ce peuple est persuadé que les billets de 50 en ont une. Et tout compte fait, le peuple a sûrement raison!

Voilà une facette du miracle économique tunisien: il y a ceux qui vivent au cocagne et ceux qui vivent en Tunisie.

Des entreprises publiques privatisées au rabais, des terrains publics dont certains classés biens patrimoniaux cédés pour moins d'une obole à des particuliers, les trésors publics détournés au profit d'une poignée de privilégiés, et jusqu'aux deniers des caisses sociales, l'argent du peuple laborieux retranché tout au long d'une vie des salaires de misère pour la retraite et la prévoyance sociale, dilapidés.

En même temps, le peuple voit que ses enfants diplômés, par milliers et milliers, sont au chômage. Et diplômés ou non, par centaines et centaines, les laissés-pour-compte qui se jettent à la mer, brûlent (يحرقوا) comme dit le jargon de ces damnés, dans l'espoir de trouver ailleurs l'eldorado qui les fasse rêver d'un anniversaire de chien!

Ce fossé qui se creuse entre une bourgeoisie pourrie à la moelle des os et une large tranche du peuple saignée à blanc et démunie, cette injustice criante et le luxe immonde d'une classe qui étale effrontément son faste choque et insulte.

jeudi 18 novembre 2010

Abraham Serfaty: rétrospective d'un combat

«Le sionisme est avant tout une idéologie raciste. Elle est l’envers juif de l’hitlérisme... Elle proclame l’État d’Israël, «État juif avant tout», tout comme Hitler proclamait une Allemagne aryenne»
Abraham Serfaty - Ecrits de prison sur la Palestine (éditions Arcantère-1992)

A l'âge de 84 ans, Abraham Serfaty s'est éteint ce jeudi 18 novembre à Casablanca. Le juif, marocain et rebelle, l'Insoumis -comme il se définissait lui-même dans ses écrits(1), a été inhumé là où il est né. C'est le fruit de l'une de ses dernières batailles, dans le parcours épique de ce militant de tous fronts. Sa vie marquée de dons prodigieux, de sacrifices et de souffrances, la lourde rançon qu'il a payée pour défendre la justice, le progrès et la liberté, son soutien sans nuance à la libération de la Palestine, ce combat exceptionnel entré dans la légende fait d'Abraham Serfaty un moment incontestable de la conscience humaine.



Un révolutionnaire-né

Né le 16 janvier 1926 à Casablanca, Abraham Serfaty avait tout pour se la couler douce. Mais il est né rebelle, insoumis. Comme d'autres peuvent naître laquais, sujets fidèles. Et d'autres encore seigneurs de tels laquais, et dictateurs. Ou, ailleurs, colonisateurs invoquant la double imposture de l'histoire et de la démocratie pour s'adjuger une terre et des droits qui ne sont pas les leurs.

Affranchi de toute chaîne qui ne soit pas trempée d'amour et de combat et forgée de ses propres mains, Abraham a fait de sa vie une épopée d'actions des plus admirable dans l'histoire de l'engagement social et intellectuel des temps modernes. Son combat contre le colonisateur français,  puis contre la dictature royale, ses luttes pour la justice et le progrès dans son pays, sa résistance antisioniste sans failles, son soutien sans nuances à la libération de la Palestine, son refus de tout compromis lorsqu'il s'agit de défendre des causes justes l'élèvent à ce rang qui est le sien au panthéon de notre histoire. Serfaty n'est pas seulement du Maroc, du Maghreb ni du continent africain, bien que de ce temps-ci précis. Il est de cette constellation de combattants titaniques dont l'éclat rayonne sur l'univers en entier. Il est de cet autre monde qu'il revendiquait lui-même et lequel à son tour le revendique comme un moment de sa conscience.

Dans sa famille, il semble que la foi révolutionnaire se transmette de père en fils. Comme l'amour de la patrie (2) et de la justice. Son père était de gauche, indépendantiste et antisioniste. Sa mère aussi, ne fût-ce que dans l'éducation de ses enfants qui lui incombait en grande partie. Si bien que lorsqu'Abraham grandit et que sa condition d'homme multidimensionnel le met à la croisée des chemins, c'est cette voie-là et la foi qui lui est sous-jacente qui seront les siennes.

Ingénieur à un moment où ce titre assure à son porteur ce qu'on peut appeler une existence de cocagne, Abraham refuse l'opportunité de la vie aisée et, généreux, troque la prospérité assurée pour la justice et la liberté. Pour l'idéal révolutionnaire qui n'admette de richesse ni d'eldorado que partagés.

En 1944, âgé de 18 ans, il adhère aux Jeunesses Communistes Marocaines(JCM). Puis un an plus tard, ses études le menant à Paris, il rejoint le PCF (Parti Communiste Français). Sous la bannière rouge qui sera toujours la sienne quels que soient l'aile, le lieu et la dénomination du parti, il s'engage tôt dans la lutte pour l'indépendance de son pays. Les études terminées, il rentre au Maroc pour adhérer au Parti Communiste Marocain(PCM)(3) et continuer le combat anticolonialiste. En 1950 alors qu'il a 24 ans, marié et père d'un fils encore bébé, il fait le baptême de la prison. Pour des activités syndicalistes à Casablanca. Deux mois de réclusion pour l'initiation à l'épreuve. Mais au vu du délit, il n'y a pas lieu d'en dire que c'est une peine clémente. D'autant qu'Abraham, sitôt libéré, est assigné à résidence avec sa femme, sa sœur Evelyne et son bébé pour cinq ans en France.

Cependant celui qui est né Insoumis n'est pas fait pour se corriger. Ni sous l'occupant français ni, quand cet occupant sera parti, sous la monarchie indépendante.
Rentré au pays en 1956, alors même qu'on l'appelle à participer à l'édification du nouveau Maroc -les diplômés de l'École nationale supérieure des Mines de Paris n'étaient pas légion à ce moment crucial de l'indépendance - et qu'il prend part à la mise en place des institutions de l'État dans le domaine qui relève de sa formation et ses compétences, Abraham Serfaty continue son combat politique, refuse, malgré son côté alléchant et toutes les opportunités offertes, une allégeance qui l'aliène, ôte à l'insoumis sa tête.

Les années de plomb

De 1960 à 1980, le Maroc vit une  période sombre marquée de vagues successives de répression: les années de plomb. Autant ces années furent le creuset d'une véritable épopée révolutionnaire dont les protagonistes sont des opposants et des mouvements de gauche, autant elles inscrivirent dans l'histoire de l'arbitraire et la terreur de la monarchie les plus tristes pages. Entre personnes tuées, blessées, emprisonnées, disparues et exilées, à ce jour le bilan exact des victimes reste inconnu. Mais ce sont plusieurs dizaines de milliers selon de nombreux témoignages. Dont les rapports de l'Association marocaine des droits humains (AMDH).
Si Abraham Serfaty est sorti vivant de cette longue et rude épreuve, ni lui ni les siens (membres de famille et camarades) n'ont été épargnés par ses douloureuses séquelles.

En 1965, au lendemain des émeutes de Casablanca, on l'arrête et torture une première fois. C'est l'année même où est kidnappé à Paris, puis tué on ne sait où, Mehdi Ben Barka. C'est aussi l'année qui marque les dissensions puis la dislocation conjugales chez les Serfaty. Joséphine, sa première femme, ne partage plus la foi révolutionnaire. Elle la trouve trop coûteuse, l'Insoumis n'étant pas près de tempérer son zèle politique. Elle le quitte et part en France pour s'y remarier quelque temps plus tard. C'est un moment difficile dans la vie d'Abraham. Joséphine lui laisse leur fils tout jeune encore; il doit lui donner un peu de son temps même si ses parents sont là pour alléger un tel souci. Mais il n'en varie pas d'un iota sa ligne politique, ne baisse pas d'un cran la force de son engagement.

Deux ans plus tard, avant, durant et après la guerre des six jours, beaucoup de proches et d'amis s'éloignent à leur tour. Les uns émigrant directement en Israël, les autres allant s'installer en France. Le sachant damné antisionsite, on n'ose pas lui faire la morale de ce côté-là. Néanmoins beaucoup lui conseillent de se réfugier momentanément en France, alléguant de la présomption que la vie des juifs au Maroc pouvant connaître des moments difficiles. L'Insoumis ricane; il est justement fait pour ces moments-là et tous les moments difficiles! Il restera au Maroc, et debout, non seulement pour infliger un démenti à ceux qui propagent le mensonge et la terreur en vue d'inciter les juifs marocains à quitter le pays, mais pour enrayer aussi la fuite, autant qu'il le peut, contrecarrer le mouvement de trahison qui le fait énormément souffrir (4). Son père, à cette époque-là encore vivant, lui dit et redit que le sionisme est contraire à la religion. Abraham se gausse de la religion. Mais des juifs, non. Le judaïsme authentique, non perverti, n'a rien à voir avec le sionisme. Ce sont deux voies distinctes et, pour lui comme pour beaucoup d'autres juifs, diamétralement opposées. Il restera au Maroc avec quelques milliers d'indéracinables, répartis dans tout le pays, pour partager avec leurs frères et compatriotes de la majorité musulmane le bon et le pire.

Directeur, et solidaire des gueules noires

En 1968, alors qu'il est directeur de département à l'Office Chérifien des Phosphates, éclate une grève des mineurs de Khouribga (5). Et parce que l'autorité du directeur ne peut empiéter sur celle de l'Insoumis, ce directeur se dit solidaire des grévistes! Conformément à son statut dans la hiérarchie des rapports de production, il aurait dû se ranger du côté de sa bourse, derrière le système capitaliste qu'il est censé représenter et défendre de par son titre. Mais cela l'aurait discrédité vis-à-vis du cœur fidèle à ses convictions. Cet organe, chez Serfaty plus que tout autre, est à gauche. Et à l'heure de vérité, c'est la voix du cœur, du révolutionnaire engagé, qui a primé sur celle du fonctionnaire.

On ne lui pardonne pas d'avoir ainsi craché sur la soupe: il est immédiatement révoqué. Cependant ses compétences et son diplôme lui permettent de trouver presque dans les jours qui suivent un poste d'enseignant. Il est nommé à l'École d'ingénieurs de Mohammedia (6) où il restera jusqu'en 1972. Sans doute beaucoup moins payé qu'il ne l'était dans les phosphates. Néanmoins les amphis ont sur les bureaux l'avantage d'être plus aérés. Politiquement parlant surtout. Ce qui compte plus que l'argent pour le révolutionnaire intègre.

Ila Al Amame (En avant!)

Fidèle au parti communiste marocain pendant près de 20 ans, Abraham n'est pas non plus de ceux qui se complaisent dans le suivisme idéologique crétin et refusent d'évoluer. Il a beau critiquer la sclérose et appeler à en sortir, on ne l'entend pas. En 1970 il décide de quitter le PCM avec d'autres camarades dissidents pour constituer Ila Al Amame (7). C'est une organisation politique d'inspiration marxiste-léniniste, plus à gauche et soutenant la cause sahraouie, mais clandestine. Avec des militants de la stature de Abdellatif Laâbi, Abdellatif Zéroual, Raymond Benhaïm, entre autres, le combat politique peut se radicaliser, envers et contre toutes les appréhensions, les mises en garde, les risques somme toute plus ou moins calculés. La naissance, 4 ans plus tôt, de la revue bilingue "Souffles", le ralliement d'une légion d'intellectuels marocains et d'autres pays faisant de cette publication une référence tout autant que le QG de la gauche militante de 66 à 72, vont permettre à Serfaty et ses camarades de cristalliser autour de l'engagement les énergies créatrices de tous les domaines. Poésie, art, cinéma, recherche scientifique seront pour 7 ans les armes indissociables du combat politique.

Chasse à l'homme et répressions

Mais la dictature ne tarde pas à frapper. Et fort cette fois-ci. En 1972, prétextant d'un complot contre la sûreté de l'État, la machine répressive de la monarchie prend les forces vives de l'opposition sous son étau. La revue Souffles est saisie et interdite. La proscription s'abat sur les plumes associées à son nom comme sur tous les militants de l'organisation Ila Al Amame. Des arrestations en masse s'effectuent: 81 personnes à Casablanca, 150 à Kénitra. D'autres suivront encore. Ce n'est pas tout à fait le Chili de Pinochet, et ce Chili n'est pas encore né en 72, mais rétrospectivement le climat est le même. Le Maroc où, malgré tout, on pouvait dire qu'il y faisait bon vivre devient subitement méconnaissable.

Abraham Serfaty et Abdellatif Laâbi sont arrêtés une première fois, le 27 janvier 72, et sauvagement torturés. La jeunesse marocaine et leurs enseignants ne tardent pas à réagir: de larges manifestations lycéennes et estudiantines éclatent au pays, demandant leur libération. Le 25 février, face à l'ampleur de ce mouvement de solidarité, les autorités cèdent et les relâchent. Mais ce ne sera qu'une liberté provisoire. Alors que Serfaty entre à temps dans la clandestinité avec Abdellatif Zéroual et d'autres camarades d'Elal Amame, Laâbi et beaucoup d'autres sont de nouveau arrêtés à la mi-mars et reconduits au centre de torture de Derb Moulay. Le mouvement des lycéens et des étudiants étant entretemps brisé à la faveur d'une vaste répression, tous les libérés de 25 février qui ont pu être retrouvés sont de nouveau sous les verrous. En août 73, Laâbi est condamné à dix ans de prison (8). Quatre-vingt autres inculpés écopent de peines allant de 18 mois de réclusion à 15 ans.

Abdellatif Laâbi, ou le numéro d'écrou 18 611

On ne peut reconstituer le combat d'Abraham Serfaty sans faire de croisement avec Abdellatif Laâbi. Ni évoquer le combat de celui-ci d'ailleurs, tout aussi grandiose, sans l'attacher, à tel ou tel moment de cette épopée de résistance intellectuelle marocaine, au combat de Serfaty. Soulignons d'abord ce détail, qui n'est pas anodin, que sans la double damnation de la politique et de l'écriture qu'ils ont en commun, ni les lieux et dates de naissance, les communautés dont ils sont issus, les études ni les fonctions de ces deux personnages ne les auraient habilités à se croiser et se connaître.

C'est en 1942 que Laâbi est né. A Fès, cette ville qui fut constamment un haut-lieu de résistance. Que ce soit avant l'indépendance du pays, ou après. Et de cette enfance à Fès dans une famille modeste, on retient la participation à une manifestation contre l'occupant français, vers la fin des années 40. Une protestation  de masses où l'enfant s'est jeté et a failli mourir écrasé par une vague de manifestants que disperse dans la brutalité la gendarmerie. On retient aussi ses qualités d'élève brillant, sa passion précoce pour les livres. En cela il ressemble à Abdellatif Zéroual, comme on le verra plus tard. A quatorze ans, il écrit déjà, aussi bien en français qu'en arabe. Après le bac, il fait ses études à l'Université de Rabat, comme francisant. Et c'est dans l'enceinte de cette grande université qu'il rencontre en 1963 son âme sœur, Jocelyne. Celle-ci est une jeune française âgée de 20 ans, née à Lyon et, en 1950, partie avec sa famille au Maroc. Abdellatif l'épouse un an après, alors qu'il commence sa carrière de professeur de français dans un lycée de Rabat.

En 1965, la répression sanglante d'une manifestation d'écoliers et leurs parents à Casablanca, opposés à une réforme de l'enseignement jugée injuste, puis l'enlèvement de Ben Barka à Paris, marquent le début de son engagement politique. Comme Serfaty, il adhère d'abord au PCM, jusqu'à la dissidence évoquée précédemment et la constitution d'Ilal Amame. La Guerre des 6 jours infuse à ses écrits un ton de révolte et d'amertume, mais fait de lui aussi le premier traducteur, du moins en français, de Mahmoud Darwich. Ses traductions sont publiées au fur et à mesure dans la revue créée un an plus tôt. D'autres réservées au numéro Spécial Palestine intitulé "Palestine-Vietnam, un seul combat" n'ont pu paraître, en raison de la saisie des textes et l'interdiction de la revue.

C'est l'année 1968 qui marque sa rencontre avec Abraham Serfaty. Abdellatif doit déjà à la revue Souffles, dont il est fondateur et directeur, le rayonnement apporté par diverses plumes, que celles-ci soient arabes, africaines ou françaises. En si peu de temps devenue référence culturelle numéro 1 du Maghreb, Souffles deviendra aussi, avec l'arrivée d'Abraham Serfaty au comité de rédaction et l'accentuation des positions politiques qu'il y a apportée, la revue phare de l'élite cultivée de la gauche dans la région. Bilingue avant son arrivée, Souffles devrait à Serfaty aussi sa publication arabe indépendante. C'est que Serfaty, en cela conforme à son combat contre le néocolonialisme sous toutes ses formes, estime que la francophonie freine le développement dans les pays indépendants (9).
Notons aussi ce détail qu'à l'arrivée d'Abraham Serfaty à Souffles, beaucoup de plumes prennent leurs distances. Dont Tahar Ben Jelloun qui y collaborait depuis la France.

Quand il fut de nouveau arrêté le 14 mars 72, Abdellatif Laâbi est âgé de 30 ans. "On apposa un numéro sur le dos de mon absence", écrit-il. C'est son numéro d'écrou 18 611.



Christine Daure-Jouvin: pour le pire et pour le meilleur

Christine Daure-Jouvin est une Française qui enseigne l'histoire et la géographie au Maroc, à titre de coopérante. Abraham Serfaty lui doit deux ans de répit, ou plutôt de sursis. C'est elle qui l'aide lui et Abdellatif Zéroual, en ce moment très difficile où l'assistance même d'un ami, d'un proche, est susceptible d'attirer beaucoup d'ennuis. Généreuse (est-elle déjà éprise d'Abraham?) Christine leur trouve d'abord un appartement pour s'y planquer et, envers tous les périls, chaque fois que cela est nécessaire, elle assure la liaison entre eux et le monde extérieur. C'est elle aussi qui, des années plus tard, sera la nouvelle femme d'Abraham et se battra pour le sortir du trou.

En août 73, jugé par contumace Abraham apprend qu'il a été condamné à la réclusion à perpétuité (10).

Réclusion à la perpétuité!
Il a 48 ans, quand Abraham Serfaty apprend la sentence. Certes, il n'est plus tout à fait jeune mais il a encore de belles années devant lui. De belles s'il les veut ainsi. Et rien n'est encore perdu tant qu'il n'est pas encore menotté. II a la possibilité de fuir le Maroc. On le lui dit et demande, à commencer par celle qui l'aime.
Néanmoins Abraham a beau être libre encore, beau aimer Christine, il ne peut se délier de ce qui l'attache à son pays, à ses camarades, à son peuple. Aussi refuse-il de s'enfuir.

Ce n'est pas sans rappeler un temps fort de la geste de Guevara. L'attitude chevaleresque dans les brousses de la Bolivie, au moment où il se retrouve seul face à sa capture imminente. Le salut n'est pas dans la fuite, mais dans la capacité à triompher de tous ses alibis, dans la résistance héroïque jusqu'au bout. Abraham a-t-il pensé à Guevara à ce moment-là précis? On l'ignore. Mais il y a fort à parier que ce que l'on a convenu d'appeler lyrisme révolutionnaire a dû peser dans ce choix obstiné qui le fait écarter de ses projets la fuite. Tant mieux pour l'épopée! car c'en est une, bien et dûment inscrite dans l’histoire marocaine. Et c'est au courage et l'abnégation d'Abraham et ses compagnons, dont seuls quelques uns sont cités ici, qu'elle doit sa valeur comme telle et sa beauté.

Evelyne: tu parles ou on te tue!


Pendant qu'Abraham se cache et s'obstine à rester au Maroc, les rafles se poursuivent, de même que les recherches. La dictature ne l'oublie pas, ni lui ni son fils. On ratisse là où on les suppose joignables; et tous les moyens sont bons pour mettre le grappin dessus. C'est ainsi que le 26 septembre 1972, on arrête sa sœur Evelyne, sans autre motif que son lien de parenté. Et ce que la police espère tirer d'elle en l'interrogeant.
L'expression française tirer les vers du nez (à quelqu'un) est courante dans les milieux de la police comme dans les polars. Elle semble tirer son étymologie d'une pratique charlatanesque en rapport avec les vers rinaires (11). En tout cas, depuis l'avènement de la société policée, c'est-à-dire depuis toujours, et de nos jours encore plus,  l'expression est bien plus claire dans l'art policier que l'art médical! Et le prévenu qui entend:"Tu vas passer un sale moment" est en fait convié à se montrer collaboratif, souple, faute de quoi les matons se chargent de l'assouplir par leurs moyens et lui tirer les vers du nez.

Evelyne nous a laissé un émouvant témoignage sur ce qu'elle a subi au commissariat de Rabat. Voici, raconté par elle-même, dans quel contexte elle fut arrêtée et torturée:

" 26 septembre 1972. Je suis à Rabat pour y passer la journée (j’habite à Casablanca avec mes parents). Je vais faire des courses en ville. Quand je reviens vers ma voiture, deux policiers en civil, surgissent, m’interpellent, me font monter dans ma voiture et me font prendre la direction du commissariat.
Je suis amenée dans un bureau où un commissaire m’attend. Celui-ci est courtois, d’abord, pour me demander où est mon frère. Son ton change quand je lui réponds que je n’ai aucune nouvelle de lui et que je l’ai vu pour la première fois le 12 mars dernier (1972). Il dit alors : “Je ne vous crois pas, vous allez passer un sale moment.”


Sur les huit jours faisant ce "sale moment", trois surtout lui seront fatals. On la torture (physiquement et moralement), et même si l'adjectif est de trop, sauvagement (12). Mais elle est incapable de fournir la moindre information: en vérité, elle sait bien où se cache son frère ; et magnanime, de la même trempe qu'Abraham, elle ne dit rien. Ce qui donne aux tortionnaires le prétexte à plus de rage. La barbarie est telle qu'elle ne relâche la victime que réduite à une épave de vie, irrémédiablement condamnée à la  mort. Pas que la victime directe, en fait. Le père lui-même, profondément affecté par cette épreuve mourra de désespoir en 73. Et sa fille le suivra un an plus tard, succombant aux graves séquelles de son supplice.

1974: c'est sans doute la mort de sa sœur, la peur aussi pour son fils et pour Christine qui décideront Abraham Serfaty à sortir de la clandestinité et se rendre à la police. En réalité, son fils ne sera pas épargné le moment venu. Et Christine elle-même devra payer le tribut qu'on lui aura imposé, à titre de complice. Arrêtée à la même période, elle subit pendant des jours et des jours d'interminables interrogatoires avant d'être condamnée à trois ans de prison (13). Au terme de cette peine, considérée comme personna non grata, elle est immédiatement expulsée vers son pays. Mais un autre combat l'attend en France. Nous y reviendrons.

Abdellatif Zéroual: la passion du fils et du père

Dans tout parti, toute organisation politique, il y a des hommes à qui incombe la tache de secouer les têtes, d'agiter la pensée. Quoique Ilal Amame compte d'innombrables intellectuels, et des meilleurs au Maroc, de par sa formation philosophique et sa connaissance encyclopédique du marxisme-léninisme, Abdellatif Zeroual est de ceux qui ont le plus voix dans le domaine théorique. La scission qui est aux origines d'Ilal Amame doit ses fondements à cette voix.

Né à la ville de Berrechid (à 30 km de Casabalanca) le 15 mai 1951, Abdellatif Zéroual est, d'après tous les témoignages, un surdoué d'une intelligence rare. A 10 ans, il obtient son certificat de fin d'études primaires. A 17 ans, il est bachelier en lettres. Il s'inscrit en philosophie à la Faculté des Lettres de Rabat. Après la licence, il rejoint l'École Supérieure de Formation de Professeurs. Nommé dans un lycée de Settat (57 km de Casablanca, sur la route de Marrakech) il a juste le temps d'y enseigner pour une année, avant d'être contraint, en 72, à la clandestinité.
Abdellatif Zeroual est de ceux qui ont rejoint très jeunes Ilal Ameme: son adhésion est enregistrée alors qu'il a juste 19 ans.
On ignore dans quelles conditions au juste il est retrouvé par la police. Mais celle-ci a dû arrêter son père et elle aurait arrêté sa mère aussi, sans la maladie de cette dernière. Et alors que le père est détenu au derb Moulay Cherif, le 5 novembre 74, la police réussit à Kidnapper Abdellatif et le conduit dans une cellule voisine de celle de son père. De sorte que celui-ci entendra tout ce qui se passera et subira à travers les cris de son fils les pires douleurs qu'on puisse imaginer. Les tortionnaires ont menacé ce fils de tuer son père. Et lui ont infligé des sévices tels que le père l'entendait hurler jusqu'au matin.
Au lever du jour, ce père est relâché, les yeux bandés, quelque part dans la banlieue de Casablanca. Il attendra trois ans, jusqu'au procès de 77, pour apprendre de la bouche des compagnons de supplice la mort sous la torture de son fils.

Le 14 novembre, un cadavre est déposé à l'hôpital Avicenne de Rabat sous le nom de Bakali. C'est le cadavre de Abdellatif Zéroual mort au bout de 10 jours de torture . A ce jour, personne ne sait où Abdellatif Zéroual est enterré.

Le calvaire d'Abraham

Durant trois années des plus longues et pénibles, dont 14 mois où personne ne saura s'il est mort ou vif, Abraham Serfaty est gardé à vue au derb Moulay Cherif. A la fois commissariat, centre de torture et pénitencier de triste renommée situé à Casablanca, Moulay Cherif a acquis la réputation d'un enfer sur terre (14), le passage obligé de tous les damnés du royaume, le purgatoire où les pires atrocités sont permises. Tous les survivants des cachots de l'âge barbare, les survivants des années de plomb, vous diraient: "la perpétuité ailleurs, et pas un jour au Moulay Cherif". Les rescapés devenus fous ou invalides ont eu au moins la chance d'en sortir vivants. D'autres n'ont pas eu cette chance (15).
Pour avoir une idée sur la torture selon les normes en vigueur au Moulay Cherif, deux témoignages annexés à ce texte méritent d'être lus: Laâbi et Serfaty nous y restituent quelque chose de ce qu'ils ont souffert, à deux ans d'intervalle.

Le procès et le cri des insoumis

En octobre 77, Abraham est enfin jugé. Jugé n'est pas le mot qui convient ici, et pour cause! Mais même si la sentence est déjà prononcée pour lui depuis trois ans déjà, condamné à perpétuité et n'attendant que la confirmation de cette sentence, il veut sceller à sa façon ce procès. Avant de regagner pour la perpétuité sa cellule.
Dans la salle, quelqu'un a crié à la face du juge: " fasciste!" Le juge en devient pâle de colère et crie: "celui qui a dit "fasciste" a-t-il le courage de se lever?" Et c'est toute la salle qui se lève alors, 138 inculpés tous debout!
Le juge n'en pâlit que davantage et crie" deux ans de plus à chacun!  pour outrage à magistrat!"
Une femme dont le fils est déjà condamné à la prison à vie commente: "il les passera au paradis, ces deux ans supplémentaires!"
Mais le juge n'en est pas quitte. Abraham Serfaty veut dire un dernier mot et il obtient la parole.
“Vive la République sahraouie! clame-t-il. Vive la République marocaine! Et vive l’union du Maroc et du Sahara!”
Abraham ne sera pas rétribué de deux ans encore mais il sera condamné à l'isolement.
Les peines totalisées des 138 inculpés jugés dans ce procès sont de 30 siècles de prison!

La sœur de Jamila et Dalal: Saida Menebhi

En 72, lors de la première arrestation des "frontistes", Saida Menebhi était encore étudiante angliciste à l'Université de Rabat. Active au sein de l'UNEC (L'Union Nationale des Étudiants du Maroc), les manifestations et grèves qui ont conduit au relâchement de ses camarades sont en grande partie son œuvre. Épargnée par la première vague de répressions, elle a eu encore le temps de finir une formation pédagogique et d'enseigner dans un collège à Rabat, pendant près de deux ans. Bien que l'organisation Ila Al Amame soit officiellement dissoute, Saida continue de militer sous sa bannière de façon clandestine, parallèlement à sa lutte au sein de l'UMT (L'Union Marocaine des Travailleurs).
C'est le 16 janvier 1974 qu'elle est arrêtée avec trois autres femmes: Rabea Fetouh, Fatima Akacha et Pierra di Maggio (16). Comme les hommes, elle connait la torture et le cachot au derb Moulay Cherif. Puis, fin mars, après déposition devant le juge d'instruction, elle est transférée vers la prison civile de Casablanca.
Le jour du jugement, sous les applaudissements de ses camarades elle dénonce la condition d'oppression dans laquelle vivent les femmes marocaines. A la peine initiale de 5 ans de prison qui la frappe, le juge lui additionne deux ans encore pour outrage à magistrat!

Ce n'est pas tout: Saida, Rabea et Fatima, comme Serfaty, sont condamnées à l'isolement. Outrage oblige!

Le 10 novembre 1977, tous les prisonniers politiques du Maroc entrent en grève de la faim. Objectif: sortir les "parias" de leur isolement, obtenir le statut de prisonniers politiques et améliorer les condition de détention (17).
Saida Mennebhi a déjà participé à une grève de la faim au moment de sa longue garde à vue pour demander avec ses camarades que leur jugement soit fait. Cette fois-ci, la grève est faite pour elle en partie, mais cela ne l'exempt pas de l'honneur d'y participer. La grève est fixée à 40 jours. Saida ne peut pas mener ce combat à son échéance. Le 11 décembre, après 34 jours de grève, elle meurt faute d'assistance et de soins (18).

Lettre de Saida Mennebhi à ses parents

Le calvaire et son supplément


Alors qu'Abraham purge sa peine à la prison de Kénitra, minée par l'épreuve qui ne lui donne aucun répit, sa mère meurt de désespoir, comme son mari par le passé.
En 1982, un supplément s'ajoute au calvaire d'Abraham Serfaty. Son fils unique est arrêté, torturé et condamné à deux ans de prison. A sa libération, il se trouve presque seul, dans un pays qui a dévoré tous le siens. Fort heureusement, un copain de jeunesse dont le père était ministre, Driss Bahnini, lui tend la main. Grâce à cette amitié, Maurice peut remonter la pente. Aujourd'hui vivant à Montréal, s'il ne se plaint pas au plan matériel, il n'a pas tout à fait guéri de son épreuve. Il porte encore les séquelles indélébiles de ces années de souffrance.

Christine: le combat continue

Expulsée vers son pays, Christine Daure-Jouvin y trouve l'aubaine qui lui permet de se battre sur ce front extérieur et être encore utile à celui qui croupit en prison. L'épreuve de clandestinité a fait des deux amis des amants soudés. Et la prison n'a pu que renforcer davantage cette liaison. Dès 81, à l'arrivée des socialistes à l'Élysée, tirant profit de son amitié avec Danielle Mitterrand, Christine met tout son poids pour engager la diplomatie française dans sa bataille. C'est un travail de longue haleine et qui demande beaucoup de courage et de patience. En 85, Christine est autorisée à se marier avec Abraham: la célébration de leur mariage a lieu sous les barreaux de la prison centrale de Kénitra. Christine vit de nouveau au Maroc, à Casabalanca. Elle peut de temps à autre rendre visite à son mari. Mais elle ne peut se résigner à l'idée que la perpétuité soit irrécusable.
En 1991, au bout de 27 ans d'emprisonnement, Nelson Mandela est libre. Les images de sa libération font le tour du monde. Et le nom d'Abraham Serfaty émerge dans certains médias, en marge de l'évènement: il est depuis la sortie de son aîné le plus vieux prisonnier politique du monde. Et Christine a beau être expulsée deux fois encore du Maroc, elle ne désarme pas. Elle écrit. Elle a toujours écrit. Et fait écrire sur le Maroc et ses cachots, le Maroc et son amour, le Maroc et son espérance.

Le 13 septembre 1991: journée, historique, inoubliable. Au bout de 17 ans d'emprisonnement, suite à une campagne internationale engagée pour sa libération, Hassan II cède et libère Abraham Serfaty. Néanmoins, le roi ne veut plus de cet insoumis parmi ses sujets. Il le déchoit de sa nationalité marocaine, ce qui contraint Serfaty de s'exiler en France mais pour y revendiquer malgré tout son inaltérable marocanité. Il y reste pour huit ans.
Le 23 juillet 1999 décède Hassan II. Lui succède sur le trône Mohamed IV. Et dans les semaines qui suivent, Abraham Serfaty est invité à regagner sa patrie.

Sur le fauteuil roulant, Insoumis

Depuis son retour d'exil et jusqu'à sa mort, Abraham Serfaty est cloué à un fauteuil roulant. C'est l'une des multiples rançons du combat qu'il n'a cessé de mener tout au long de sa vie. Tortures, prison, perte d'êtres chers punis sans être directement impliqués dans son combat politique, désunion familiale puis les années de l'âpre exil, autant de facteurs ont marqué terriblement le corps du militant, mais sans le moindrement entamer l'âme de l'Insoumis.
En septembre 99, quand il descend de l'avion qui le ramène au pays, sur son fauteuil d'invalide, il trouve à l'aéroport une foule immense venue l'accueillir en héros et lui témoigner son amour et son attachement. Cet inoubliable instant de joie et de retrouvailles et la main tendue du roi Mohamed IV lui ont certes permis d'oublier un peu les peines tant endurées. Et s'il a pu mourir là où il est né et s'est battu, et dans la dignité, il doit être davantage heureux à l'instant où il repose à côté des siens.

Cercueil couvert des symboles associés à son combat*** Christine, Abdellatif et la foule pour les adieux

Avant de conclure cette rétrospective, ou cette ébauche de rétrospective qui a tenté de restituer quelques temps forts du parcours de ce combattant, il convient de rappeler que la villa que Serfaty a acquise à crédit au lendemain de son retour au Maroc n'est pas encore totalement payée.
Il convient de rappeler aussi que le défunt a refusé les dédommagements que l'État marocain voulait lui verser. Parce que le Maroc, dit-il, ne lui doit rien! Et ce qu'il a fait, ce qu'il a sacrifié, il le devait à sa patrie!

Des écrits pour la Palestine

Abraham Serfaty est au Maroc ce que fut Georges Adda à la Tunisie. Même si ce dernier n'a pas autant souffert, l'un et l'autre s'étaient battus pour l'indépendance et ont connu la prison et la déportation sous le colonisateur. A cette caractéristique commune qui les a soudés par le passé au Maghreb, s'ajoute le combat commun, après l'indépendance, pour la Palestine. Certes, Georges Adda n'était pas écrivain, ou pas assez prolifique comme Abraham Serfaty. Le Tunisien ayant écrit surtout des articles, ou figuré dans des documentaires télévisés, néanmoins il a rejeté sans ambages le sionisme et n'a jamais reconnu l'État d'Israël. Il s'est opposé même au président Bourguiba, alors qu'ils étaient compagnons de lutte, lorsque ce dernier proposait aux Arabes des négociations de paix avec Israël. Et jusqu'à sa mort à l'âge de 92 ans, survenue en 2008, Georges Adda n'a cessé de se battre pour la justice et la liberté en Tunisie, tant au sein du PCT qu'au sein de l'UGTT. Ni de proclamer son soutien sans nuance à la libération de la Palestine.

Parmi les écrits antisionsites d'Abraham Serfaty, outre les articles publiés dans la revue Souffles (les numéros sont, hélas! introuvables depuis l'interdiction de cette revue en 72) il convient de citer:

L'Insoumis, Juifs, marocains et rebelles (Desclée de Brouwer, 2001) : Écrit en collaboration avec Mikhaël Elbaz

Écrits de Prison sur la Palestine (Éditions Arcantère, 1992)

Lutte anti-sioniste et Révolution Arabe (Éditions Quatre-Vents, 1977).


Ils ont dit de lui:

« Il était résolument engagé dans la lutte contre le colonialisme. Et après l’indépendance du Maroc, il a été l’un des militants pour la démocratie et le respect des droits humains dans notre pays. Il ne faut surtout pas oublier qu’il a été, et c’est tout à son honneur, un combattant contre l’occupation israélienne et le sionisme. Il s’est battu pour que justice soit rendue au peuple palestinien » Mohamed Elyazghi - Ancien leader de l'USF (l'Union Socialiste des Forces Populaires)

« Serfaty est le révélateur de tous les combats du siècle marocain [...] « A Derb Moulay Chrif, je n’oublierai jamais son immense courage sous la torture. Serfaty était d’une incroyable résistance physique et morale. Il a toujours été incroyable de courage. Je pense aux procès de 1977, à nos longues grèves de la faim, à nos douloureuses révisions de positions. C’était un homme à la dimension extraordinaire et au courage politique exemplaire. Quand il a une conviction, il joint toujours le geste à la parole. » Salaheddine El Ouadie - ex-détenu politique

« Son parcours se confond avec les grandes séquences du Maroc. De la lutte pour l’indépendance, à la construction de l’Etat national, il s’est engagé en tant que militant mais aussi en tant qu’expert alors qu’il était conseiller d’Abderrahim Bouabid." Habib El Belkouch - directeur du CDIFDH (Le Centre de Documentation, d'information et de formation en droit de l'Homme)

" موقفه المبدئي والحازم الى جانب حقوق الشعب الفلسطيني يستحق كل التقدير والوفاء والإحترام والإنحناء أمام هذه القامة النضالية العالية. وكل الذين التقوا به أو قرأوا له أو سمعوا عنه سيحتفظون بذكرى عطرة لنموذج وقدوة في النضال والصلابة والإخلاص للمبادئ والقناعات النبيلة، حتى الرمق الأخير". داود تلحمي
Traduction:
"Sa position initiale intransigeante appuyant les droits du peuple palestinien mérite tout le respect, appelle à honorer sa mémoire et s'incliner devant cette haute stature combattante. Tous ceux qui l'ont rencontré, lui ont lu ou entendu parler de lui garderont de cet homme le pieux souvenir d'un exemple à suivre dans la lutte, la détermination et la fidélité jusqu'au bout aux nobles principes et convictions" - Daoud Telhami - Membre du FDLP (Front de Libération de la Palestine)


A.Amri
19.11.10



____________________________________Notes

1-L'Insoumis, Juifs, Marocains et Rebelles - Abraham Serfaty et Mikhaël Elbaz (Ed° Desclée de Brouwer -2001)

2- Alors que les ancêtres des Serfaty sont au Maroc depuis le XVe, chaque fois que la politique du pays les juge personæ non gratæ, elle s'arrange pour trouver le bon prétexte et les éloigner du Maroc. C'est ainsi que le père d'Abraham a été expulsé par l'occupant français sanctionnant son combat politique, parce que ce père a travaillé pendant 17 ans au Brésil. Il a pu réintégrer ultérieurement le Maroc mais la politique rééditera la sanction à l'encontre d'Abraham. A sa sortie de prison en 1991, on estime que ce "Brésilien" qui a abusé de l'hospitalité royale ne peut plus rester au Maroc et on l'expulse vers la France.3- Crée en 1943, interdit en 1959, rebaptisé le Parti de la Libération et du socialisme (PLS) en 1968, de nouveau interdit en 1969 et rené sous le nom Parti du progrès et du socialisme (PPS) en 1974.

4- Il faut rendre cette justice à ceux qui la méritent que de nombreux juifs marocains vivant aujourd'hui en France ou ailleurs n'ont jamais trahi ni le Maroc ni la conviction antisioniste d'Abraham Serfaty.
Citons quelques uns des plus connus: Reuven Abergel (Fondateur et leader du mouvement des Panthères Noires en Israël, activiste antisioniste), Jacob Cohen (écrivain et universitaire vivant à Paris, militant antisioniste), Mordechaï Vanunu (le Citoyen du monde, émigré à l'âge de 9 ans avec ses parents et retenu prisonnier et otage en Israël depuis qu'il a dénoncé le programme nucléaire sioniste).

5- Ville minière considérée comme la plus importante zone de production de phosphates au monde, située à 120 km au sud-est de Casablanca.

6- Construite en 1959 à Rabat, c'est la plus ancienne école d'ingénieurs au Maroc et en Afrique.

7-
En avant! (en arabe) devenu aujourd'hui Annahj Addimocrati (la Voie Démocratique).

8- Jocelyne, sa femme, sera arrêtée en janvier 75 mais son statut de Française entrant en jeu, elle sera relâchée au bout de 15 jours de détention.
Abdellatif sera remis en liberté après 8 ans de réclusion, sous la pression d'une campagne internationale pour sa libération, initiée par son ami français et éditeur Ghislain Ripault.

9-
"Rapprochons la pensée d'Al-Ghazali de la pensée dialectique contemporaine que nous avons rappelée. La pensée dialectique d'Al-Ghazali, coeur de la philosophie arabe, nous paraît pouvoir être autrement plus à la base de la construction d'une culture arabe révolutionnaire et créatrice et de la construction intellectuelle et scientifique de la nation arabe que la pensée stérilisante d'un Descartes." Abraham Serfaty ( La francophonie contre le développement)

10- Dans ce même procès, la réclusion à perpétuité a été prononcée par contumace contre 24 autres inculpés. Pour les inculpés arrêtés (35 personnes), les peines allaient de 15, 10, 8 à 5 ans.

11- "Au XVIIIe siècle, les "vers rinaires", parasites du nez, étaient une maladie assez répandue. Cependant, beaucoup avaient honte de dire au médecin qu'ils en étaient affectés. Ce dernier était alors obligé de les soumettre à un interrogatoire pour les faire parler. On disait alors qu'il leur "tirait les vers du nez". (L'Internaute)

- Une autre explication ici.

- Dans les pays du Maghreb, et sans doute dans d'autres pays aussi, la science infuse rurale recommande la consommation d'oignons crus pour l'extraction des vers rinaires.

12- Le texte ci-dessous est extrait du témoignage de la victime sur les atrocités qu'elle a subies :
"Je suis introduite dans un autre bureau où se trouvent plusieurs policiers. Mon sac est entièrement vidé devant moi. Les questions et les gifles pleuvent. Puis on m’oblige à enlever ma jupe et mes chaussures. On m’attache les chevilles et les poignets ensemble avec des chiffons et des cordes. On fait passer entre eux une barre de fer que l’on pose entre deux tables. C’est la torture du “perchoir à perroquet” déjà décrite par mon frère. On me pose un bandeau sur les yeux, un chiffon sur la bouche. On verse de l’eau sur le chiffon en me disant que si je ne parle pas, on ajoutera du javel à l’eau. C’est l’étouffement, une sensation horrible.
Je suis toujours sur le “perchoir ”, mais c’est le supplice de l’électricité, dans les oreilles, dans le sexe, puis on m’enfourche des fils autour des orteils, et ce sont de terribles décharges dans tout le corps. “Ce n’est rien me dit-on, tu verras quand on te fera ça aux seins.”
Un autre supplice : on m’enroule dans une couverture, m’étend sur un banc de bois, attachée avec des cordes, on incline le banc de façon à ce que la tête touche presque le sol. C’est toujours la technique de l’étouffement, mais aggravée par le fait qu’on ne peut pas bouger et que la sensation de perdition est encore plus grande.
Entre deux tortures, les policiers me saisissent par les cheveux, me secouent, me giflent, me disent en arabe “parle, parle”. Je ne parlerai pas d’injures, ce serait trop long.
Cette fois-ci, on m’attache les chevilles et les poignets à une corde. Je n’étais plus en mesure de distinguer où était suspendue cette corde. Je sais que je tourne et qu’à chaque tour, on m’appuie fortement sur la colonne verticale, au creux des reins. J’ai l’impression que mes vertèbres vont se briser d’un moment à l’autre.. C’est atroce.
Je suis par terre, grelottante, claquant des dents. Un de mes tortionnaires me fait mettre ma jupe “pour que j’aie moins froid !”

Puis c’est encore le “perchoir ”. Cela dure longtemps, l’étouffement, l’électricité. “Lève le doigt si tu veux parler”. Je sens mes mains et mes pieds gonfler, devenir de bois. Je sens quelque chose de chaud couler sur ma jambe droite. J’ai réalisé plus tard que c’était du sang et qu’on m’a fait un pansement grossier avec une corde et un chiffon.
Je me retrouve sur le sol, le dos contre le mur. Mes jambes et mes pieds sont bleus, gonflés, énormes. De même que mes mains.

Mais ce n’est pas fini. On m’obligea à me relever, on me frappe sur tout le corps avec une longue barre plate en bois. Un de mes tortionnaires, grand, gros et fort, me marche sur les pieds. Enfin au comble de la rage, les policiers sortent un énorme couteau dont ils me mettent la pointe sur la gorge, puis un revolver qu’ils m’appuient sur l’oreille. Ils sortent un radiateur électrique, qu’ils branchent, et me menacent de me faire asseoir dessus, mais ils se ravisent.
On me laisse tranquille un moment. Puis les policiers reviennent et me disent “puisque tu ne veux pas parler, on va aller chercher tes parents et les amener ici. Ils subiront le même sort que toi (mon père a 83 ans, ma mère, à moitié aveugle, 79 ans). Tu ne dis rien, bon, on va aller les chercher. Tu les verras bientôt, réfléchis”.

La nuit tombe. Les deux policiers qui prennent la relève me font marcher dans le couloir, de plus en plus vite, en me levant et abaissant les bras. Les deux suivants me font rester debout jusqu’à 6 heures du matin. On me permet alors de m’asseoir, le dos contre le mur."
Témoignage d'Evelyne Serfaty datant du 16 octobre 1972

13- Son nom complet: Maurice Ali Moses .

14- A moins que l'enfer réel ne soit la prison de Tazmamart. C'est grâce à Christine Daure-Serfaty et le livre écrit par le journaliste Gilles Perrault Notre ami le roi en 1990 que cette prison, longtemps tenue en secret, a été découverte
. Cédant à la pression internationale suscitée par ce livre, le roi Hassan II décide de fermer la prison en 1991 et de relâcher les derniers détenus.
15 - On peut citer au moins deux anciens détenus sortis fous: Mustapha Ouaham et Hassan Elbou. Abraham Serfaty, suite à son passage au derb Moulay, ne peut plus utiliser ses mains pour écrire tant le fer des menottes lui a abîmé les poignets.

16- Pierra di Maggio, jeune italienne engagée comme enseignante à L'Ecole Montessori de Casablanca, a été mêlée aux
affaires marocaines d'une manière quelque peu forcée. Certes, l'enseignante était de gauche et sympathisait avec l'opposition marocaine mais, à notre connaissance, il n'y avait vraiment rien de consistant dans son dossier : intime amie de Saida Menebhi, elle a dû participer aux grèves et manifestations de 72, ce qui lui a valu l'arrestation et l'inculpation. Elle a été libérée en 78. Installée depuis en France, elle est militante à la section française d'Amnesty.


17- 55 interrogatoires et une condamnation pour "abus de l'hospitalité royale et hébergement d'un recherché de justice".

18- Abdellatif Laâbi, enfermé dans la prison centrale de Kénitra, écrit à ce sujet: "Prisonnier! Qu'est-ce à dire? Une cellule tout ce qu’il y a de plus cellule :2m30 x 1m30 environ. Cubage dans les normes parait-il. Murs blanchis à la chaux, oh si chichement. Une ampoule suintant la misère de ses 25 watts encastrée dans le mur, mise hors d'atteinte par un verre dépoli massif, un w.c. siège à la turque surmonté d'un robinet en cuivre, la petite fenêtre réglementaire avec les non moins règlementaires barres d'épaisseur respectable et, grand luxe, une petite étagère où le « pensionnaire » pourra ranger ses affaires. Devant vous, la porte grise avec son judas lui-même aveuglé par un système ingénieux de plaque métallique à glissière, à son tour perfectionné par un autre système de blocage constitué d'un fil de fer qui passe dans un anneau au milieu de la plaque et l'immobilise à la base. Nous avons enfin une plate-forme en maçonnerie enduite de ciment qui prend pompeusement la moitié de l'espace et reçoit la paillasse. C'est là où le pensionnaire trône, dort, fait ses cauchemars et parfois au bout d'un dédale de raisonnements obscurs et d'hallucinations décide de se suicider. Nous sommes bien sûr à la « Maison Centrale », le joyau de la chaîne des pénitenciers du Pays du Soleil."

Abdellatif Laâbi - Le règne de barbarie (Seuil 1980)

19- Un site dédié à la mémoire de Saida Mennebhi

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Torture: témoignage de Laâbi





"On me coucha sur le ventre. On me replia violemment les mains derrière le dos et on me les attacha solidement. J'ai remarqué qu'avant de m'attacher les mains, ensuite les pieds, ils prenaient la précaution de me couvrir les poignets et les chevilles de chiffons, pour que les cordes ne laissent pas de traces. Ils me passèrent ensuite une grosse barre de fer entre les mains et les pieds, me soulevèrent et posèrent les extrémités de la barre sur deux tables qui étaient disposées à un peu plus d'un mètre l'une de l'autre. J'étais ainsi suspendu, le ventre dans la direction du sol. Tout le corps pesait ainsi sur les mains et sur la colonne vertébrale. Cette position m'était d'autant plus douloureuse que je suis atteint depuis longtemps d'un rhumatisme dorsal qui a entraîné la soudure de deux de mes vertèbres. Je ressentis presque tout de suite une douleur aiguë dans la colonne vertébrale et sentis mes mains se gonfler rapidement. On apporta nsuite une sorte de caisse en bois qu'on déposa sur le milieu de mon dos. Le poids de la caisse accentuait encore la douleur. J'étais au bord du délire lorsqu'on m'a déposé, sans me délier d'ailleurs les mains et les pieds. On me laissa un moment par terre, puis l'opération recommença. Cette fois-ci, elle dura plus longtemps encore. Je ne pus m'empêcher au bout d'un certain temps de crier pour me soulager un peu, mais je devenais de plus en plus faible. Mes idées s'embrouillaient. Je sentis monter dans mon gosier le goût âcre de la mort[...]Au cours des dix premiers jours qui suivirent cette période de "garde à vue", je ne pouvais marcher que péniblement, j'avais mal constamment aux articulations et je soufflais d'une inflammation des yeux"
.

Abdellatif Laâbi - Le règne de barbarie (Seuil 1980)

_______________________Torture: témoignage de Serfaty:
« Il y a d’abord les chevalets : deux lourds chevalets de bois massif de 1,20m à 10,40 m de hauteur, avec une entaille arrondie et recouverte d’acier au milieu de la poutre supérieure ; les deux chevalets placés en vis-à-vis, le tube d’acier qui vous porte est posé dessus et vous voilà suspendu. Ces deux chevalets peuvent également servir au support des cordes qui vous lient respectivement poignets et chevilles dans la torture dite ‘de l’avion’. La suspension du corps au tube d’acier est à la fois simple et diabolique (…) On m’avait d’abord déshabillé entièrement pour me faire enfiler la tenue du Derb (ainsi avons-nous appelé entre nous ce lieu de torture, du nom du quartier de Casablanca où il est situé, le Derb Moulay Cherif) ; cette tenue consiste en une chemise et un pantalon de toile kaki, sans rien d’autre, pas même de sous-vêtements. Assis par terre, les genoux repliés sur le corps, les bras liés fortement par les poignets sont enfoncés sur les jambes jusqu’au-dessous des genoux et les tortionnaires passent alors le tube entre les poignets et le creux des genoux. Il n’y a plus qu’à vous suspendre. L’étouffement par l’eau se fait en pesant un torchon à laver les sols (en toile de sac) sur la bouche. Le raffinement de ces experts de la torture, par rapport à ceux que j’avais subis à Rabat en janvier 1972, est de se contenter d’humecter régulièrement le torchon, ce qui produit le même effet d’étouffement que lorsqu’il est abondamment arrosé, mais ainsi, le corps ne s’emplissant pas d’eau, la torture peut durer beaucoup plus longtemps. A plusieurs reprises, sur ce chiffon ainsi humecté d’eau, les tortionnaires frottaient un produit chimique qui donne alors une légère mousse. L’effet en est pour le moins étrange : on éprouve le besoin irrésistible de se mordre la bouche pour boire son sang.»


Source

___________________Publications de Christine Serfaty

Lettre du Maroc (Stock, 2000).

La femme d'Ijoukak (Stock, 1997) : roman, une étrange histoire dans les montagne de l’Atlas (Lire un commentaire sur le site de l’éditeur). Publié au Maroc en 2008 seulement.


La mémoire de l’autre (Stock, 1993) : La vie de Christine et Abraham Serfaty dans un livre à deux voix.

Rencontres avec le Maroc (La Découverte, 1993)

La Mauritanie (L’Harmattan, 1993).

Tazmamart (Stock, 1992) : Le livre qui a dénoncé le bagne dont les autorités marocaines niaient jusqu’à l’existence

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Liens externes

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Visant à médiatiser son refus d'être « complice d'un génocide » et son soutien à une « Palestine libre », l'immolation d'Aar...