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jeudi 2 mai 2013

Pourquoi faire venir en Tunisie tant de prédicateurs wahabistes?

"Rien ne me choque plus que le prosélytisme et ses moyens, toujours impurs." Valéry



On se demande pourquoi et comment, dès leur accession au pouvoir en Tunisie, les dirigeants du mouvement Ennahdha ont ouvert grand les portes de notre pays à des prédicateurs venant d'Arabie ou d'Égypte.
Wajdi Ghanem

On se demande pourquoi et comment, au lieu d'offrir des tribunes à des savants dignes de ce nom pour instruire le peuple et promouvoir au sens réel sa culture et son savoir, Rached Ghannouchi et son état-major veulent plutôt faire du prosélytisme et vulgariser, avant tout, le principe de l'obéissance absolue au Maître, quels que soient les dits et les agissements de celui-ci.
Mohamed Hassen

En vérité, pour espérer pérenniser leur règne les islamistes n'ont qu'une seule voie: anéantir la cervelle du pays en la purifiant de tout germe de pensée critique. Le peuple qui pense, qui dit non, ne se prête pas à la docilité qu'espèrent ses maîtres. Ceux qui s'étaient révoltés contre Ben Ali, ceux qui poursuivent la révolte aujourd'hui, ceux qui pourront faire capoter demain le projet du califat ce sont les esprits dotés de la plus puissante arme d'autodéfense: la pensée critique. Et tant que cette pensée-là résiste, le califat n'a aucune chance de voir le jour.

Kamel Ayfi
Voila pourquoi -depuis le 23 octobre 2011, la Tunisie est devenue la Mecque des prédicateurs wahabistes: l'œuvre obscurantiste que ces derniers se relaient à vouloir réaliser dans notre pays se profile comme le tremplin  à fournir aux gourous de l'islamisme, indispensable, pour leur permettre de mener à bien leur projet.

Nabil Awadhi
La vidéo ci-dessous illustre bien ce à quoi le "génie de sape" wahabiste veut parvenir quand ses prédicateurs nous demandent outre l'exécution à la lettre des recommandations cheikhales, de ne jamais mettre en doute le bien-fondé de leurs agissements, quand bien même ceux-ci nous paraitraient blâmables.

"Verriez-vous votre cheikh commettre l'adultère, dixit le prédicateur filmé sur cette vidé, ne dites jamais que le cheikh fornique! dites plutôt que c'est  votre œil qui fornique!"






Ahmed Amri
2 mai 2013

lundi 28 janvier 2013

Fatah Thabet in memoriam - Par Tounès Thabet

Dédié à la mémoire de son mari Fatah décédé le 12 juillet 2012, cet hommage écrit par Tounès Thabet nous saisit autant par le style imagé, la tendre poésie, que par la lumière -tantôt blanche, chaude,  tantôt bleue, tamisée- qu'il jette sur le disparu. Transcendant tout épanchement jugé impudique, toute effusion à tonalité idyllique ou élégiaque, il  nous restitue de Fatah des instantanés  qu'on croit sortis d'un album-photos, images qui recoupent sans fioriture aucune les souvenirs de ses anciens élèves. D'autres, plus intimes, semblent emperlées de ces cristaux de sel brûlant qui poudroient sous les paupières. Mais sans le moindrement affecter la dignité de la dame qui nous les révèle. Toutes rendent au militant, retrempé dans l'amour de celle qui lui parle et nous parle de lui, ce qui lui appartient.  
C'est beau, parfait, captivant. Et c'est peu dire. Un chant ciselé dont les résonances intérieures, le non dit, sont bien plus poignants encore que ce qui s'entend au pied de la lettre
. (A.Amri)



« Tant que je ne me laisse pas écraser par le nombre, je suis moi aussi une puissance. Et mon pouvoir est redoutable tant que je puis opposer la force de mes mots à celle du monde, car celui qui construit des prisons s’exprime moins bien que celui qui bâtit la liberté »  ( Stig Dagerman )
Homme libre, tu le fus, toujours, traversant les chemins rocailleux, la colère en bandoulière et la lumière pour ultime horizon. Dans le regard, ce désir ardent d’abattre les murailles des geôles, de couper les fers de l’oppression et de l’aliénation. Combat harassant et  ardu, tel fut le tien, contre toutes les entraves à la pensée libre et souveraine, contre les chaînes invisibles, mais bien lourdes du conformisme et du conservatisme, contre l’immobilisme et le défaitisme.

Tu te battis contre les ténèbres, les bonimenteurs, les discoureurs aux paroles futiles, contre les illusionnistes aux  mirages dévoreurs, contre les bourreaux qui flagellent la liberté avide de soleil et de terres fertiles. Contre les mots qui ronronnent, insipides et fastidieux, tu brandissais des phrases de feu, ciselées au fer rougi, ce langage enflammé qui fut le tien, pétri de ferveur, d’humour et de rébellion. Tes pages furent le lieu de ton combat, sans cesse renouvelé. Une plume acérée, jetée dans l’encre épaisse des jours de révolte, à l’écume coléreuse. Lorsque la réalité devenait insupportable, intolérable, je voyais ton front s’assombrir, les mots courir sur tes lèvres, fuyants et espiègles. Tu les poursuivais, les dénudais, les retenais, t’y agrippais, saisissais le meilleur au bout de ta plume triomphante et en étalais la splendeur sur ta page blanche, bientôt remplie des graffitis que toi, seul, savais déchiffrer et décrypter. Je me suis toujours extasiée sur cette écriture fine et délicate, posée sur des bouts de papiers essaimés sur le bureau à l’ordre improbable. Tu souriais malicieusement et me parlais « de désordre organisé ».

Quand tu devenais silencieux, toi, l’amoureux des mots, qui  m’inondais de paroles, je savais qu’un texte te trottait dans la tête, qu’une idée cheminait derrière les rides d’un front, devenu, soudain, soucieux. Mais rares étaient tes silences tant tu aimais la musique des mots. Tu les éveillais de leur torpeur, les habillais de colère et d’enthousiasme, domptais leur désobéissance, parfois, et les éclairais. L’enfantement pouvait durer des jours, mais la délivrance, vécue dans la douleur, illuminait ton sourire. Je relisais la merveille, sous ton regard inquisiteur, discutais d’un mot, d’un titre et finis par avouer mon envoûtement. Ainsi la traque des mots est-elle devenue notre sport favori.

Discret jusqu’au bout, tu ne parlas jamais de tes combats pour les damnés de la terre, les rejetés, les discriminés, les laissés pour compte, les abandonnés, les oubliés. Jamais, tu ne dévoilas ces pans d’une vie de lutte pour les belles causes, celles qui nous transcendent, nous donnent le feu sacré. Mais, tous te reconnaissent la fidélité à des principes inébranlables et un engagement fougueux. Ton combat de syndicaliste, pendant les années de braise fut laborieux et rude, mais jamais, tu ne t’agenouillas, jamais tu n’abandonnas, le front fier et la parole libre. Des batailles furent perdues, jamais le désir de se battre, persuadé que le chemin était long, tortueux et torturé, parsemé d’épines. D’autres furent plus prometteuses. Ce 14 Janvier fut glorieux. Fatigué, tu battus le pavé qui résonnait du bruit assourdissant de nos pas et de la clameur libératrice. A 13h 30, tu rentras à la maison, non sans m’avoir fait cette belle confidence «  Je suis heureux d’avoir vécu ce jour ! ».  Cela te donna des ailes, de la vigueur et des étoiles dans le regard. Tu passas des heures à discuter, à analyser, à mesurer les futures espérances. Le 23 Octobre, tu exhibas avec fierté et bonheur ton doigt enduit de bleu azur.

Ton dernier combat fut long, douloureux et pénible contre le temps que tu appréhendais différemment, non plus en durée, car ce qui comptait était l’instant, la fulgurance d’une seconde, un moment fugace, l’éclair d’un instant. Une conversation à bâtons rompus avec un ami, une phrase bénie attrapée au vol, l’envol d’un papillon de nuit, le bruissement d’une feuille, la voix chaude d’un intime, le rire de ta fille, cristallin et limpide, l’arbre qui, derrière ta fenêtre explosait de fleurs. Tu aurais pu écrire comme Stig Dagerman « Il n’existe pour moi qu’une seule consolation qui soit réelle, celle qui me dit que je suis un homme libre,… un être souverain à l’intérieur de ses limites. ». Tu sus créer de l’espérance et de la beauté à partir de ce désespoir que tu taisais. Tes mots planent, désormais, lucioles d’argent, au-dessus de la voie lactée.

Tu transmis à des générations ta part de rébellion et de merveilleux, fébrile et déterminé à passer la main à ces jeunes qui t’adorèrent et t’adulèrent. Semences généreuses d’un printemps splendide, même si des orages nous guettent. Tu étais persuadé qu’il n’y aurait ni renonciation, ni capitulation et que la nuit  n’était qu’une passerelle entre deux jours. Les saisons ont été douloureuses, mais « le miracle de la libération » t’a porté «  comme une aile » vers ces contrées verdoyantes où tu survis. Tu as atteint, serein, l’inaccessible étoile, inondé de lumière.

Tounès Thabet
Journal "Le Temps"- 21.08.2012



Merci à tous qui se sont associés à notre douleur suite au décès de Fatah : La Rédaction du journal «  Le Temps », tous les collègues, les amis et compagnons de route de Tunisie, de France, d’Allemagne, de Vienne, du Liban, de Jordanie, de Libye. (Tounès Thabet)

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Du même auteur sur ce blog:

Ami, si tu tombes...

 

Au même sujet sur ce blog:

A Fatah qui ne nous a pas quittés

 

Au sujet de Tounès Thabet sur ce blog:

Tounès Thabet, ou la Fée tisserande d'espérance

 

 

 

 

 


dimanche 23 décembre 2012

Marzouki s'est tu au moment où il devait parler (par Dr Ahmed Manai)

Dr Ahmed Manai se souvient.
A l'occasion de la journée mondiale  des droits de l'homme, la Présidence de la République a organisé une cérémonie en l'honneur des Amis de la Tunisie qui ont tenu tête au régime de Ben Ali. Cet évènement ne s'est pas passé sans susciter une large polémique en raison de l'interdiction d'accès au palais de Carthage qui a frappé Zouheir Makhlouf, secrétaire général de la section tunisienne d'Amnesty International. A quoi ajouter l'exclusion des représentants de l'AMT (Association des magistrats tunisiens) de l'hommage, malgré leur invitation à la cérémonie. Dr Ahmed Manai, président de l'Institut Tunisien des Relations Internationales et qui, dès le début des années 90, fut l'un des pionniers de l'opposition déclarée à Ben Ali,  figurait aussi parmi les absents notoires de cette cérémonie.

Dr Ahmed Manai, auteur de "Supplice Tunisien - Le jardin secret du général Ben Ali", paru en France en 1995, nous a confié un texte relatif à son premier témoignage public contre le régime de Ben Ali, datant du 15 juin 1991, que nous publions dans son intégralité.

Mohamed Ghalleb
21.12.2012



Moncef Marzouki et Ahmed Manai
" Le samedi 15 juin 1991, j'ai été invité à un séminiare intitulé «Monde arabe, les droits de l'homme et le nouvel ordre mondial»,  organisé à Paris par l'Association arabe en France des droits de l'homme. Cette association avait pour président Boutros Hallaq, syrien, et pour secrétaire général le marocain Ibrahim Sayes.
Au début, j'ai longuement hésité à assister au séminaire, certain que si je devais y être je ne m'empêcherais pas de fournir mon témoignage au sujet de ce qui se passait en Tunisie. Un tel acte signifiait la rupture de l'engagement que j'avais pris vis-à-vis du ministère de l'intérieur, condition imposée par les appareils sécuritaires et les services spécialisés que présidait Mohamed Ali Fazouï pour obtenir mon passeport et réintégrer mon travail aux Nations Unies. On m'a demandé de m'abstenir de toute activité et tout témoignage contre le régime; bien plus: on m'a demandé de les informer de toute action hostile au pouvoir. Et pour s'assurer que tel engagement soit respecté par moi, ils ont mis ma femme et mes cinq enfants, y compris Tahar qui a 4 ans, sur la liste des personnes interdites de voyage.
En vérité, à peine une semaine après le début de mon exil le 18 mai 1991, j'ai transgressé l'interdit. J'ai consigné sur trois pages un témoignage que j'ai adressé à quelques organisations de défense des droits de l'homme et certaines de mes connaissances. Cela m'a soulagé moralement et m'a sorti de ma prison intérieure.

Finalement, j'ai vaincu mes hésitations et dépassé mes supputations personnelles. Je suis allé au séminaire en projetant de garder le silence. Ce dessein était probablement motivé par la présence de Moncef Marzouki. Je m'imaginais qu'il allait nous apporter de nouvelles révélations sur le pays.
Le séminaire a été ouvert par le rituel des allocutions de bienvenue et la présentation de l'Association. Puis nous sommes passés aux interventions.
La situation des droits humains dans le monde arabe: droits lamentables, pour ne pas dire inexistants. Il y avait consensus là-dessus. Quant au nouvel ordre mondial, n'en parlons pas. Surtout après l'effondrement de l'URSS, la guerre contre l'Irak et l'hégémonie américaine plus que jamais affirmée.
Feu Hammadi Essid
Ce jour-là, j'ai découvert Hammadi Essid qui était le représentant de la Ligue Arabe à Paris. C'était un homme cultivé par excellence, polyglotte et maîtrisant l'art du dialogue et, au besoin, de la joute. Il l'a prouvé tout au long des années suivantes et jusqu'à sa mort. Continuellement, c'était lui qui excellait et se distinguait dans tous les débats télévisés touchant aux affaires arabes et islamiques.
Moncef Marzouki dont nous avions attendu la parole n'a pas parlé. Et j'ai pris alors conscience de la nécessité d'intervenir, afin que la question de la violation des droits de l'homme ne reste pas une question théorique dont débattent exclusivement les intellectuels, les défenseurs des droits de l'homme et, occasionnellement pour l'éloquence de la tribune, les politiques.
Il y avait dans la salle quelques figures nahdhaouies mais pas un n'a parlé. Dans l'immédiat, je croyais que ce silence était imputable à leur connaissance relative du français. Mais leur mutisme dans les colloques s'est poursuivi alors même que certains d'entre-eux ont obtenu le doctorat. Chez eux le silence était une règle qu'ils ne cessaient d'observer, d'autant qu'ils ont eu toujours des gens pour les défendre sans contrepartie.
Assis à l'écart au fond de la salle, j'ai demandé la parole et parlé longuement et amplement sur ce qui se passait en Tunisie : les arrestations en série et par milliers, les procès, la torture surtout et les dizaines de morts sous la torture . J'ai évoqué aussi mon expérience personnelle. Tout le monde m'écoutait. Et à la fin de mes propos, Hammadi Essid m'a répondu qu'il m'avait entendu et pris acte de mon témoignage. Et qu'il transmettrait.

Profitant de la pause et voyant sortir de la salle Moncef Marzouki, j'ai rejoint celui-ci, lui disant: "Si Moncef, viens, on va causer un peu". Il m'a répondu:" Ils nous regardent!" Il était épouvanté! Je ne sais pas si c'était de me revoir vivant alors qu'il me croyait englouti par le poisson ou noyé dans le gouffre du ministère de l'intérieur et de la sécurité de l’État.
Il est vrai qu'il y avait dans la salle des indicateurs du régime, que je ne connaissais pas à l'époque mais qui me sont devenus familiers par la suite. Monsieur Moncef a continué de marcher et moi le suivant. Il m'a entraîné vers les toilettes situées en face de la salle 4 de l'Unesco. Alors que je l'interrogeais avidement sur les dernières nouvelles du pays, il me répondait avec autant d'avidité:" comment t'ont-ils laissé sortir?"
Un mois et demi avant cette date-là, c'est-à-dire à l'époque où j'étais en arrestation au ministère de l'intérieur (entre le 3 avril et le 8 mai 1991) ma femme Malika a contacté Moncef Marzouki -alors président de la LTDH (Ligue tunisienne des droits de l'homme). Elle l'a informé de mon arrestation et l'a prié avec insistance de faire quelque chose. Elle lui a rappelé notre vieille amitié. Ce à quoi il a répondu que mes semblables se comptaient par milliers. C'était vrai. Et il n'a rien fait, évidemment.
Mais ce que Malika ma compagne a fait ces jours-là et dans les années suivantes, beaucoup d'hommes seraient incapables de le faire. Elle a écrit à de nombreuses organisations de défense des droits de l'homme. Et l'un des paradoxes cocasses à ce sujet, c'est que quand elle a écrit à la Ligue française des droits de l'homme, Robert Verdier, responsable des affaires internationales, lui a répondu que la Tunisie ne relevait pas de leurs compétences mais il transmettrait sa lettre à Dr Moncef Marzouki, président de la ligue tunisienne!
Au début de l'automne 1991, j'ai rencontré ce responsable, et c'était une agréable coïncidence, dans une émission de la radio Mghreb Arabe, consacrée aux droits de l'homme en Tunisie. Il y avait avec nous Karim Azzouz, représentant de l'UTT(Union des Etudiants Tunisiens).
Rentré à la maison ce jour-là et réévaluant mon acte, j'ai compris que j'avais franchi la ligne rouge.
Peut-être avais-je ouvert pour ma famille les portes de l'enfer. C'est ce qui surviendrait une semaine plus tard, quand mon action serait parvenue aux USA. "

Dr Ahmed Manai
http://www.attounissia.com.tn/  
Texte original

Traduit par Ahmed Amri
23.12.2012
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Pour le même auteur sur ce blog: 
La liberté d’expression et la responsabilité de l’intellectuel musulman

Liens externes:
http://tunisitri.wordpress.com/



dimanche 5 février 2012

Tunisie: spectre du fascisme islamiste


Fascisme islamiste?
Certes, l'expression a de quoi offenser l'hypersensibilité de nos puritains locaux. Et pour cause! Néanmoins ce n'est pas parce que le fascisme a fait son triste renom ailleurs, et plus exactement en Europe, qu'il nous serait interdit ou obscène de l'associer à l'extrémisme religieux chez nous. Sur la rive sud de la Méditerranée et plus précisément en Tunisie.

Le salafisme dont la montée alarme à bon droit les composantes de la société civile et les défenseurs de la démocratie en général est de plus en plus désigné du doigt en Tunisie. Il est décrié comme l'avatar islamiste de la vieille peste brune européenne, avatar dont les menaces pèsent sérieusement sur notre pays. Entre autres touchés par les révolutions du Printemps arabe.
Mais ce qui inquiète davantage les Tunisiens, parce que plus pernicieux, c'est la collusion d'intérêts fondamentalistes factuelle et la connivence politique probable entre les élus islamistes et ce fascisme du même qualificatif, tel qu'incarnent les radicaux du salafisme qui pullulent à l'ombre d'Ennahdha. Même s'il est trop tôt pour le dire sur un ton incisif, même si les élus d'Ennahdha ne sont pas tous à l'image de Chourou, il y a lieu de croire que la complaisance de ceux qui nous gouvernent à l'égard de ce fascisme local naissant, nonobstant discours officiel et vulgaires oripeaux de démocratie, ne sont pas seulement dus aux difficultés inhérentes à la transition.

Alors que la Tunisie ne cesse d'être adulée pour sa révolution somme toute exemplaire et son engagement en bonne et due forme sur la voie de la transition démocratique, jour après jour l'euphorie qui a succédé au départ de Ben Ali cède la place au scepticisme et à l'angoisse. L'islamisme, qui n'était ni au programme de Bouazizi et des martyrs tombés derrière lui ni dans les objectifs du peuple qui a acculé à la fuite le dictateur, a cueilli les primeurs du Printemps tunisien. Pour les perdants aux élections du 23 octobre dernier, majoritaires en masse électorale mais pénalisés par la rançon de leur division, cette déroute est d'autant plus lourde de conséquences qu'elle menace la démocratie naissante. 
 
 Le gouvernement et le mouvement Ennahdha dont est issue la majorité ministérielle ont beau se défendre d'être des instances islamistes, beau se dire défenseurs de la démocratie, aux yeux d'une large tranche du peuple, ils font preuve d'une dangereuse incurie face aux extrémistes religieux. Les salafistes qui émergent de l'ombre depuis la chute de Ben Ali, multipliant les démonstrations de force et les actions spectaculaires sur le terrain, comme tout un chacun le sait, n'entendent pas se plier au jeu démocratique. D'ailleurs, la plupart des groupes salafistes locaux, issus du wahabisme saoudien puritain et des plus réactionnaire, prêchent une ligne rigoriste ouvertement obscurantiste, et qui pis est, rejette en bloc la démocratie.

D'où ce sentiment de plus en plus partagé que Haj Moussa et Moussa Haj ne font en réalité qu'une seule personne(1). Derrière chaque projet fasciste, il y a des milices d'avant-garde à qui incombent la terreur, les tâches ardues, les basses besognes. Les salafistes tunisiens et leurs activistes zélés surtout sont-ils les poulains de chargement d'un fascisme nahdhaoui non déclaré?

Sans vouloir pérorer sur l'origine du mot fascisme ni sur son sens, dans les contextes mussolinien et hitlérien surtout, je voudrais faire une petite analogie à la volée. Quand Mussolini a pris le pouvoir en Italie en 1922, il a puisé l'essentiel de son soutien sur le terrain dans les groupes de choc, les Chemises noires (camicie nere ou squadristi). Idem pour Hitler en Allemagne avec ses Chemises brunes (les SA). Point commun entre ces deux fascismes et leurs chemises respectives la célèbre devise mussolinienne: « Tout par l'État, rien hors de l'État, rien contre l'État ! ». Et sa réplique hitlérienne:" Un seul peuple, un seul Etat, un seul chef"(2) Est-il besoin de rappeler que conformément à cet idéal totalitaire, le fascisme s'est défini d'abord comme ennemi de la démocratie, ennemi des valeurs de l'humanisme démocratique du siècle des Lumières? Il ne reconnait ni droits de l'homme, libertés individuelles, libéralisme ni communisme. La laïcité et la gauche sont ses principaux ennemis. Et le pouvoir dans sa totalité est aux mains du commandant suprême politique (Guide, Führer, Chef...)
A présent, pour compléter l'analogie, venons-en aux fractions salafistes les plus pacifistes chez nous, nos "Chemises blanches"! et demandons-leur un projet, une devise, un idéal: selon la tendance, peu ou prou rigoriste , le mot central sera soit islam soit califat, mais l'un ou l'autre mot ne changera rien au sens global de la devise: « Tout par l'islam, rien hors de l'islam, rien contre l'islam! »

Demandons à ces salafistes de situer pour nous leurs principaux ennemis à l'intérieur du pays, ils diront: gauche, laïques. Et si les mots en eux-mêmes ne sont pas assez puants ou nauséabonds, ils y rajouteront ce qu'il faut pour les rendre assez persuasifs: mécréants, francs-maçons, sionistes ou pro-, orphelins de Ben Ali et parti de la France(3), entre autres éléments de la phraséologie servant à diaboliser les opposants tunisiens d'aujourd'hui.

Sur le terrain, le fascisme islamiste évolue selon une ligne ascendante qu'on pourrait schématiser comme suit: takbir, takfir, tafjir(4). Depuis l'été dernier, voire dès le lendemain de la fuite de Ben Ali, la Tunisie n'a cessé de vivre au rythme du tawhid et takbir annonçant ici ou là une bataille salafiste. Cela a commencé d'abord à Tunis la capitale, où il a fallu l'intervention de l'armée pour empêcher des jihadistes résolus de mettre le feu au quartier réservé Abdallah Guech. Peu de temps après, les mêmes jihadistes s'en sont pris à la synagogue de cette même ville qu'ils voulaient détruire. Et comme il était de bon ton à l'époque d'accuser les contre-révolutionnaires d'être derrière ces actes criminels, dès qu'une barbe assez voyante se faisait repérer quelque part dans une manifestation ou un sit-in on y soupçonnait immédiatement des ornements postiches, l'ercédiste travesti en islamiste qui tentait de faire jeter le discrédit sur le mouvement Ennahdha et ses partisans. D'ailleurs, suite à une campagne anti-bikini menée sur certaines plages du Sahel, les nahdhaouis, alors à la veille de la campagne électorale, ont crié aux "barbes postiches", dénonçant à travers ce coup monté des manœuvres de sape menées par leurs adversaires politiques en vue de salir Ennahdha.

Mais c'est surtout depuis le début de l'été dernier que les actes de violence davantage systématisés et se réclamant de la charia islamique ont commencé à prendre une tournure de plus en plus alarmante. Au mois de mai, un bar et une boîte de nuit sont brûlés à Bizerte. A Jendouba des débits de boissons alcoolisées clandestins et des restaurants ouverts au mois de ramadan seront pillés et incendiés à leur tour. Les lieux de débauche
Entretemps l'attaque de Cinémafricart le 26 juin 2011 et, deux mois plus tôt, l'agression contre le cinéaste Nouri Bouzid marquent le début d'un terrorisme salafiste ciblant les artistes (5) et les intellectuels se réclamant de la laïcité. Les médias et les journalistes ne seront pas épargnés. Le 9 octobre 2011, une attaque contre les locaux de Nessma TV a été avortée par les forces de l'ordre. Une autre contre la maison de Nabil Karoui directeur de cette chaîne (fort heureusement ce directeur et sa famille étaient absents lors de l'attaque) s'est soldée par l'incendie de la maison et la destruction de deux voitures garées à l'intérieur. Et comme si les détracteurs de Karoui et sa chaîne, qu'on voulait corriger ainsi pour avoir diffusé le film iranien Persepolis(6), n'étaient pas assez rétribués, de surcroit une poursuite judiciaire a été engagée par une légion d'avocats (7) contre ce directeur et deux employés de Nessma TV pour «atteinte aux bonnes mœurs et aux valeurs du sacré». Et alors que le tribunal ne s'est pas encore prononcé à ce sujet, la violence salafiste continue de plus belle, ciblant d'autres journalistes et intellectuels. Le 23 janvier 2012, Zied Krichen(8) et Hamadi Redissi(9), ont failli se faire lyncher par une foule de fanatiques, et ce à leur sortie du tribunal qui jugeait Nessma TV et son directeur. Après avoir essuyé les huées et les insultes, ils se font agresser simultanément par le même individu qui assène à l'un un coup de de poing, à l'autre un coup de tête. Au même lieu et le jour même, un autre journaliste, Abdelhalim Messaoudi(10), et deux avocats, Chokri Belaïd(11) et Saïda Grach(12), sont agressés en marge dudit procès.



Dans tous ces faits et bien d'autres imputés aux salafistes tunisiens, Ennahdha et ses partisans ne seraient que des colombes blanches, dira-t-on. La faute des actions ici énumérées ne pouvant incomber qu'à la situation sécuritaire de transition et le gouvernement à majorité nahdhaouie ne pouvant assumer la responsabilité de tant de dérives antérieures pour la plupart à sa prise de pouvoir.
Mais que dire de la non ingérence gouvernementale dans la violence qui s'abat sur les institutions universitaires? Que dire de l'absence de réaction officielle face à la confiscation de l'imamat des mosquées par les salafistes (13)? Que dire de l'incurie gouvernementale face à la tragédie de Sejnane?(14)



Que dire encore des élus nahdhaouis qui prônent la crucifixion, l'amputation d'une jambe ou d'une main aux contestataires "empêchant le gouvernement de faire son travail"?



A. Amri
08.01.2012


Notes:



1- Historiquement, la mouvance islamiste tunisienne est issue du même noyau: Mouvement de la tendance islamique (MTI) fondé le 6 juin 1981 et dont les thèses sont, grosso modo, celles des Frères musulmans d'Egypte. Persécutés sous le règne de Bourguiba, avec l'arrivée au pouvoir de Zine el-Abidine Ben Ali le 7 novembre 1987 ils bénéficient d'une trêve, les membres emprisonnés sont graciés et une certaine liberté d'action est accordée au mouvement. Le 7 novembre 1988, pour prouver leur insertion dans le jeu démocratique ils signent le Pacte National, sorte de contrat rassemblant les différentes formations politiques et sociales du pays autour d'un code de conduite démocratique: respect de l’égalité des citoyens des deux sexes, des acquis du Code du statut personnel (CSP), des principes républicains et refus d’utiliser l’Islam à des fins politiques.
C'est au lendemain de la signature de ce pacte par Rached Ghannouchi que le MTI va se scinder en deux ailes: les modérés représentés notamment par Rached Ghannouchi et Abdelfettah Mourou; les radicaux dont certains rejoindront, à sa création en 1983 par Mohamed Fadhel Chtara, le parti Attahrir, tandis que d'autres comme Sadok Chourou continueront de militer au sein d'Ennahdha (la Renaissance), nom par lequel la partie impliquée dans le Pacte National a rebaptisé le MTI pour gommer toute référence explicite à l'islam.
Aujourd'hui, si les dirigeants d'Ennahdha se déclarent en public davantage proches des modèles islamiques à succès comme les modèles turc, malaisien et indonésien ; des modèles qui combinent islam et modernité (Rached Ghannouchi) les salafistes radicaux quant à eux sont plus proches du modèle taliban et des thèses d'Al-Qaîda.

2- «Ein Volk, Ein Reich, Ein Führer» est le slogan d'une affiche politique conçue pour l’annexion de l’Autriche par l'Allemagne nazie en 1938.

3- L'expression injurieuse Parti de la France ne date pas d'aujourd'hui. Elle semble ancrée jusque dans la doctrine des islamistes, sans doute par aversion pour Bourguiba en qui les islamistes tunisiens voient un défenseur de la laïcité et de la francophonie. Que Rafik Bouchlaka, gendre de Rached Ghannouchi et ministre des affaires étrangères dans l'actuel gouvernement de Jebali, soit anglophone et ne sache pas le moindrement s'exprimer en français, que Rached Ghannouchi, leader d'Ennahda, fustige en octobre 2011 "la pollution linguistique" de la langue arabe par le français, ce sont là deux exemples qui illustrent le parti pris islamiste à l'encontre de la France et de sa culture laïque. Rappelons par ailleurs que ce rejet de la francophonie fut l'un des thèmes de prédilection du FIS (Front islamique du salut) algérien au début des années quatre-vingt-dix. Belhadj déclarait à ce propos:«Si mon père et ses frères (en religion) ont expulsé, physiquement, la France oppressive de l'Algérie, moi je me consacre, avec mes frères, avec les armes de la foi, à la bannir intellectuellement et idéologiquement et en finir avec ses partisans qui en ont tété le lait vénéneux», (in Gilles Kepel, A l'Ouest d'Allah, p. 2

4- Le takbir conssite à dire Allahou akbar (Dieu est plus grand). Alors que cette expression n'avait aux origines d'autre sens que la glorification de la toute-puissance de Dieu (plus grand que tout le reste), scandée en foule à la faveur des conquêtes islamiques, l'expression devient peu à peu le cri de guerre annonçant l'assaut contre l'ennemi. Les salafistes qui usent et abusent de ce cri en ont fait une formule incantatoire pour endormir leurs disciples.
Le takfir est une fatwa de déchéance du statut de musulman émise à l'encontre de celui que l'auteur de la fatwa juge mécréant.
Le tafjir qui signifie en arabe dynamitage est, à mon sens, la prochaine étape du fascisme islamiste en Tunisie. Il y a tant de bourrage de cerveaux, tant de violence entretenue par les prêches et les discours politiques que, tôt ou tard, les fascistes salafistes passeront à la vitesse supérieure dans l'usage de la violence. Si je me trompe, et je le souhaite de tout mon cœur, alors tant mieux!



5- Le 17 décembre 2011, alors que les Tunisiens commémorent le premier anniversaire du martyr de Bouazizi qui a déclenché la révolution, c'est dans la région même de Bouazizi que les salafistes s'en prennent à la troupe musicale Ouled Al-manajem, détruisant leur matériel estimé à 8 000 dinars et tabassant de nombreux musiciens dont l'un a dû se faire hospitaliser.

6- Il est curieux que ce long métrage d’animation réalisé par Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud et qui a fait son entrée en Tunisie au lendemain de sa sortie en France, soit en 2007, se soit diffusé dans les salles de cinéma sans susciter la moindre réaction négative. La hargne des islamistes contre Nessma TV est, en vérité, motivée par des raisons purement politiques

7- 140 avocats qu'on présume pour la plupart nahdhaouis.

8- Directeur et rédacteur en chef de l'édition arabe du magazine hebdomadaire Le Maghreb.

9- Juriste, écrivain et professeur de sciences politiques à l'Université de Tunis.

10- Professeur à l'Institut des Beaux Arts de Sousse, Abdelhalim Messaoudi est producteur-animateur d'une émission culturelle de Nessma TV, intitulée Notre Maghreb dans l'émancipation et les lumières مغربنا في التحرير والتنوير

11- Chokri Belaïd est également leader du Mouvement des Patriotes Démocrates (MPD, Al Watad) et membre de l'Assemblée Constituante.

12- Cette dame est également membre de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution.

13- Selon des estimations datant du mois d'août 2011, près de 400 mosquées seraient sous contrôle salafiste.

14- Au début de janvier 2012, alors que des journalistes tunisiens et étrangers dénoncent la terreur qui s'abat sur Sejnane, localité qui se trouve au nord de la Tunisie (Gouvernorat de Bizerte), que des témoignages recueillis sur place par les représentants de la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH) font état d'une talibanisation de la localité, devenue émirat salafiste, à part l'envoi de renforts policiers à Sejnane ni le ministre de l'intérieur ni le chef du gouvernement n'ont pipé mot sur la gravité de la situation. Les partisans d'Ennahdha quant à eux ont accusé sur les réseaux sociaux les orphelins de Ben Ali de divulguer de fausses informations afin de déstabiliser le pays.


vendredi 15 juillet 2011

رسالة إلى يسري


ليس ثمة معركة أشرف لضميرنا بصفتنا أحياء طلقاء ولا أنبل من وقوفنا معا ضد حبل المشنقة لنرفع رأس الحياة



عزيزي يسري

عندما شاع في أواخر جوان 2006 نبأ القبض على مجموعة "إرهابية" في العراق تضم بين عناصرها شابا تونسيا يلقب بأبوقدامة، لم أكترث كثيرا للخبر. وأصدقك القول أن حلقات "فرق الموت" وصدى أخبار التفجيرات التي تنقلها لنا وسائل الإعلام وصور الموتى فرادى وبالجملة التي كانت تطاردنا على كل شاشة أو صفحة تذكر بغداد وغيرها من مدن العراق ما كانت لتترك لنا مجالا حتى نقف عند خبر القبض على أبو قدامة أو نهتم بمصيره.

قد تعتب علي إن قلت : كنت أحس بنفسي أقرب من الأشلاء البشرية الممزقة في ساحات العراق واهتمامي بحقن الدماء البريئة في هذا الجزء من الوطن أو غيره من أصقاع الأرض كان أكبر من أن يفسح لي مجالا للتفكير في أبو قدامة التونسي ومصيره. فهذا الأخير،
بشهادة المرئيات ودم الأبرياء ودلالات الإسم الحركي "إرهابي"، وأقل تعاطف معه بأي شكل يعد تزكية موضوعية للإرهاب .

نعم، عزيزي يسري، تلك كانت الصورة التي ارتسمت في مخيلتي عنك، وكنت أجهل الكثير بخصوص الحيثيات ولا أعرف من الحقائق أو ما يسمى بهذا الإسم إلا ما وصلني عن طريق الويب وبعض الصحف التونسية التي نقلت الخبر
عن مستشار الأمن العراقي، في شكله الجاهز للتسويق والإستهلاك، دون أن تكلف نفسها عناء التمحيص والتحقيق حتى نفهم الظروف الحقيقية لإيقافك والملابسات التي حفت بتواجدك في العراق وطبيعة العمليات القتالية التي كنت تنفذها . وأذكر من جملة ما قيل عنك حينئذ أنك تنتمي للقاعدة و لقب أبو قدامة التونسي يضعك في موقع قيادي والأهم من هذا كله أنك متهم بتنفيذ تفجير المرقدين الشيعيين بسمراء والإستيلاء على ما فيهما من كنوز أثرية نفيسة وكذلك اغتيال الإعلامية والأديبة أطوار بهجت .. تهم كتلك دفعتني للقول: ليسري رب يحميه إن كان بن لادن وأتباعه من جند الله.

وبالأكيد أن الرواية الرسمية، في ظل التعتيم الإعلامي الذي كانت تونس طرفا فيه تحت مسمى مكافحة الإرهاب أساءت لصورتك بدرجة جعلت من الصعب على الكثير، في تونس أو اينما وصل الخبر، أن يتتفاعلوا موضوعيا مع قضيتك، ولو أن واجب الإنصاف الحقيقي لك ولكل متهم كان يفترض أن نقول عنك: أنت بريء حتى تثبت إدانتك.

في جملة التحريات التي تلت هذا الخبر، علمت أنك دخلت العراق سنة 2003 متسللا عن
طريق الحدود السورية
وكنت واحدا من عشرات التونسيين الذين انضموا لصفوف المقاومة العراقية وأبلوا البلاء الحسن في محاربة المحتل الأمريكي. لم أوفق في التثبت من انتمائك للقاعدة ولكن الأكيد أن دوافعك الإسلامية والعروبية كانتا وراء إيمانك بضرورة الجهاد لنصرة الإخوة في العراق. خضت معارك شرسة مع المحتل الأمريكي وقتلت من المغتصبين الكثير والكثير، وعلى مدى ثلاث سنوات وفي ساحات عدة زرعت ورفاقك الرعب في صفوف المحتل والقادم على دبابة المحتل .. قبل أن تحل صائفة 2006 لتقع في قبضة الأعداء، عند نقطة تفتيش في الضلوعية، وبعد معركة حامية أصبت فيها أنت
بجروح بالغة في حين استشهد كل رفاقك، وكانوا خمسة عشر من جنسيات عربية مختلفة . ولولا الحظ الذي أسعفك أو أسعفنا نحن (لأنك كنت ترغب في شرف الشهادة) لما كتب لك أن تبق حيا وأنت المصاب بسبع رصاصات في أماكن عدة من جسدك.

قبض عليك وانت في حالة غيبوبة لتصارع الموت أياما عدة، وأودعت سجنا تحت إشراف المحتل وكتب لك أن تتعافى ليتم تعذيبك لاحقا، وربما عذبت وانت ماتزال جريحا.. وألصقوا بك التهم التي أشار إليها موفق الربيعي في ندوته الصحفية المتلفزة.
وفي خريف 2006 حوكمت في محكمة الجنايات المركزية ببغداد و
صدر ضدك بتاريخ 10 أكتوبر2006 الحكم بالإعدام .

حتى هذا التاريخ مازال الإعتقاد سائدا لدى قسط كبير من الصحافة الوطنية، أو تلك التي اهتمت بك أملا في تنشيط مبيعاتها، أنك مورط في حادثة تفجير المرقدين الشيعيين وفي مقتل الصحفية أطوار بهجت، لكن عائلتك التي ربتك على قيم المحبة والإسلام السمح وهي أدرى بحقيقتك من أي كان، كانت على يقين من براءتك في كل ما يتصل بجرائم الإرهاب وواثقة بأن عملك الجهادي موجه حصريا ضد المحتل الأمريكي(1) وبالتالي فما قمت به مشروع لا غبار عليه، أيا كان اللواء الذي تنطوي تحته.
ثم جاءت التأكيدات على مراحل من العراق وأولها من محافظ سمراء بالذات لتزيد في قناعة عائلتك وتمس الرأي العام
ولو في جزء يسير منه لغياب الإعلام المواكب للشأن العراقي وشأنك أنت بالخصوص..فقد صرح المحافظ المذكور أن قوات عراقية بالزي الرسمي هي التي نفذت تفجيرات المرقدين، وشهادة بهذه القيمة ومن مصدر شيعي عال لا يمكن ان يستهان بها. كما أكدت شهادات أخرى أن قوات عراقية خاصة هي التي اختطفت أطوار بهجت بعد آخر تصريح لها على قناة العربية ووجدت بعد ذلك مقتولة وقد تم القبض على قاتلها بتاريخ 4 أوت 2009 وهو المدعو ياسر علي أحد منتسبي مغاوير الداخلية في سامراء.

في نهاية جانفي 2007، وصل أهلك ولأول مرة صوتك عن طريق الهاتف، وكانت مناسبة لتأكد
لذويك بالصوت الواضح براءتك من دم أي عراقي نسب إليك. وبقدر ما أعادت مكالمتك بصيص الأمل عند الأهل والأقارب في إمكانية مراجعة القضايا الملصقة بك زادت في حدة الخوف من قرب تنفيذ الحكم بالإعدام سيما وأن هذه المكالمة جاءت بعد أسابيع قليلة من إعدام صدام حسين يوم عيد الإضحى الموافق لــ30ديسمبر 2006 .

في الأسبوع الأول لشهر جانفي 2008 ، بثت العربية تسجيلا للمسمى محمود الدهوي الذي اعتقل قبل أربعة أيام تقريبا يعترف فيه بأنه هو الذي قام بتفجير المرقدين وكان اعترافه مدعما بصور المسروقات التي عثرت عليها قوات الأمن بحوزته. وكان من المفروض أن تعاد محاكمتك على ضوء هذه المعطيات الجديدة وتعامل على أساس اتفاقية جنيف الخاصة بأسرى الحرب. ولئن تمت المحاكمة الثانية بالفعل في شهر جانفي المنصرم وفي الفترة التي تلت بقليل سقوط بن علي في تونس، إلا أن هذه المحاكمة، خلافا لكل الأعراف وقوانين القضاء تمت بصفة غيابية وبدون حضور أي محام وتم تثبيت الحكم الأول، أي الإعدام، وأبلغوك الخبر بمراسلة من وزارة العدل العراقية .


عزيزي يسري،
أن تعاد محاكمتك وتونس تعيش على وقع الثورة ويثبت القضاء العراقي حكم الإعدام الأول رغم المستجدات وفي الظروف التي سبق ذكرها مفاده أن رسالة ما تود السلطات العراقية توجيهها لنا. وليس محض صدفة ان يشمل الإعدام رفاقا آخرين لك من جنسيات عربية عدة ثلاثة منها تعيش بلدانها هي الأخرى على وقع الثورة. ومهما يكن نحن ثرنا في تونس ضد الجبروت والظلم ولا نستحق أن نعاقب على إسقاط طاغية بقطع رأس لأحد ابناء تونس البررة لأن الثورة التي أطاحت ببن علي أسقطت في نفس الوقت أسطورة القاعدة وشهد العالم كله لنا بأن البوعزيزي كان أسبق من الأمريكيين في قتل بن لادن.

وبالتالي، نحن نعتبرك، يسري الطريقي، أسير حرب، لا إرهابيا، ضحيت بأنفس سنوات العمر، زهرة شبابك، وبرخاء العيش وهناء عائلتك وذويك لتخدم قضية عادلة وتناصر وفق ما أملاه عليك دينك وضميرك إخوتك في العراق ضد من اغتصب أرضهم ودنس عرضهم.

وفوق هذا كله، انت ضحية مؤامرة قضائية إذا صح ما تردد على موقع الكرامة (2) بخصوص التهديدات التي وجهها لك قاضي التعقيب في أكتوبر 2010 حيث حذرك بصفة صريحة من مغبة التراجع في الإعترافات التي سجلت ضدك تحت التعذيب.

ماذا أقول لك في الختام، عزيزي يسري، سوى إيماني الراسخ وأنا أتصفح صورا لك جادت بها علي صفحات أحبتك وأهلك الذين يعملون قدر وسعهم على إنارة الراي العام ونصرة الحقيقية، بأنك واحد من أبنائي في هذه الساعة العصيبة بل أنت أقربهم لقلبي بفعل المحنة التي تعيشها والمكروه الذي نخشاه ونتمنى ألا يحصل. ولا أملك غير رفع الصوت مناديا بل صارخا في ضمير كل فرد من الحكومة المؤقتة(3) ورئيس الجمهورية المؤقت وكل طرف عربي وإسلامي وأممي بوسعه التدخل أن يتحركوا لإيقاف التنفيذ وإبطال الحكم بالإعدام وإعادة الأمل لوالديك وإخوتك ولنا جميعا.
ليس ثمة معركة أشرف لضميرنا بصفتنا أحياء طلقاء ولا أنبل من وقوفنا معا ضد حبل المشنقة لنرفع رأس الحياة.

أشد على يديك بكل قوة، يسري، وأتمنى من أعماق قلبي أن نراك قريبا حيا وحرا في تونس

أ.عامري
2011.07.15

الترجمة الفرنسية لهذا النص

1- شهادة والد يسري على اليونيب
2- موقع الكرامة
3-تلقى السيد فاخر الطريقي تأكيدات من وزارة الخارجية التونسية تفيد بأنها تعمل على نقل يسري لتونس ونتمنى أن يكلل مسعى الوزارة بالتوفيق

lundi 17 janvier 2011

La Révolution continue

En ce 14 janvier dont l'histoire se souviendra, le dictateur tunisien a capitulé et pris la poudre d'escampettes. Mais l'épopée du peuple tunisien n'a pas dit son épilogue. La Révolution n'est pas terminée.

N'en déplaise à ceux qui parlementent, négocient, vendent et achètent sans mandat du peuple, ceux qui pillent encore et tuent pour justifier le couvre-feu, ceux qui reconduisent dans leurs fonctions les vieux laquais de Ben Ali, le peuple ne veut rien de moins que la fin d'un système. Avec tous ses appareils répressifs, ses sbires, ses juges et agents corrompus et impliqués dans la longue liste de crimes qui a conduit au soulèvement général du peuple.

En un mot, Ghannouchi et compères, la clique qui rampait sous Ben Ali et soutenait sa dictature ne peut plus gouverner au nom de la Tunisie.

Le dictateur parti, il faut que sa valetaille le suive. Il faut aussi que le parti, en tant que label et organisation politiques, disparaisse.
Le RCD qui, de l'indépendance tunisienne à nos jours, sous sa vieille dénomination comme sous la nouvelle, a exclu la majorité des Tunisiens du pouvoir, qui a tout fait pour museler la voix de l'opposition et s'accaparer le droit de l'exercice politique, aujourd'hui que le peuple a dit haut son mot, doit partir. A la Mecque ou ailleurs, peu importe! mais qu'il parte sans délai! Qu'il cesse de profaner le pouvoir au nom des Tunisiens! Qu'il cesse de revendiquer une pseudo-légitimité que les crimes sans nombre commis sous son règne et le sang des révoltés qui n'a pas encore séché désavouent! Ni ceux qui sont tombés sur le chemin de la Révolution ni les leurs ne peuvent admettre une telle insulte.

Le corps de Mohamed Bouzizi qui s'est embrasé par le feu de l'injustice ne s'est pas encore éteint. Et il ne s'éteindra pas de si tôt. Pas tant que les damnés de la terre pour laquelle il s'est immolé ne recouvrent leur dû: justice! justice! justice!

Justice pour ceux qui ont souffert et souffrent encore à cause d'une politique à tous niveaux élitiste, des choix économiques régis par les lois d'un capitalisme sauvage, qui consacrent la loi de la jungle, ne profitant qu'à une minorité, ceux qui règnent et ceux qui vivent dans leur sphère, les arrivistes de tout bord, caniches et lèche-culs arborant la carte du RCD.

Justice pour les justiciables qui n'avaient ni Dieu ni maître à part Ben Ali et leur propre cupidité, qui se sont vautrés dans un luxe immérité et indécent, qui ont soutiré les deniers du contribuable, c'est-à-dire l'argent des humbles, pour s'offrir une existence de cocagne et condamner de larges tranches du peuple à végéter dans la misère.

Justice enfin pour la Tunisie entière! Ce pays qui, des années durant, dans la presse écrite comme à la télé, voyait ternir son image de marque par la légion des tabbalas et zakkaras (timbaliers et fifres), ce pays meurtri et jamais soumis, ne s'est pas révolté pour la gloire d'un label!

Révolution du Jasmin, oui, si c'est pour dire révolution blanche; le peuple n'a pas de sang sur les mains et tant mieux pour la gloire de sa révolution! Mais le jasmin ne peut embaumer au milieu d'un tas de fumier qui gouverne encore le pays!

A. Amri
17.01.11

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Au même sujet:

La politique citoyenne
http://amriahmed.blogspot.com/2011/01/la-politique-citoyenne.html


شجرة الطغيان باقية مالم تجتث جذورها
http://amriahmed.blogspot.com/2011/01/blog-post.html

samedi 27 novembre 2010

Ce faste bourgeois qui nous choque et insulte

Faste d'une bourgeoisie tunisienne pourrie: concert royal à Hammamet pour la commémoration de l'anniversaire d'un chien! Des cadeaux féériques, à ce qu'on nous dit: bons d'achats et chèques, sans compter les vêtements et accessoires importés! Et la meilleure troupe musicale du pays pour la sérénade et l'aubade!
N'est pas chien qui veut, ni Tunisien bourgeois qui se ressent pour son clébard!



Un chien tunisien "fête" royalement son anniversaire. La nouvelle parcourt la Tunisie, monte sur la toile, délie des langues. On la doit, en première source, au journal tunisois
l'Hebdomadaire (الأسبوعي ) relayé par Aljazeera dans l'une de ses éditions d'infos maghrébines.

On a demandé à de grands musiciens
, écrit l'Hebdomadaire, réputés comme des valeurs artistiques sûres du pays de donner un concert à la ville de Hammamet. Et arrivés sur les lieux, ces musiciens sont surpris d'apprendre que le concert est dédié à l'anniversaire d'un chien. Celui-ci, trônant sur un fauteuil de style Louis XVI, a reçu pour cadeaux des vêtements et des accessoires de luxe, mais aussi des chèques et des bons d'achat.

La nouvelle n'étonne pas, tellement les échotiers de la gazette mondaine dans notre pays nous submergent d'anecdotes délirantes; néanmoins elle choque, bien plus qu'elle ne peut faire rire.
Elle choque, y compris dans les milieux aisés, parce qu'elle fait partie des signes ostentatoires de la néo-bourgeoisie qui se vautre dans un luxe autant indécent qu'immérité. En fait, et même le Tunisien moyen est capable de faire cette distinction, la bourgeoisie traditionnelle, citadine ou rurale, conservatrice ou libérale, n'aime pas le superflu. Globalement cultivée, éclairée aussi, elle aime certes l'argent et ce qui le rapporte et fait fructifier, en l'occurrence le travail, les affaires. Néanmoins elle n'a pas la folie des grandeurs et n'aime pas l'ostentation. A Djerba, à Sfax, mais aussi à Tunis et ailleurs, il est des archi-milliardaires qu'il serait difficile de distinguer du commun des hommes, dans la rue.

Ce style du paraître sobre, dépouillé, n'est pas celui de la nouvelle bourgeoisie. Il faut dire que, constituée de parvenus pour la plupart issus de souche populaire, cette dernière s'est enrichie à la faveur d'opportunités offertes au lendemain de l'accession de Ben Ali au pouvoir. Si la vieille bourgeoisie doit sa situation à l'héritage et, dans une certaine mesure, à une intelligence de gestion lui permettant d'assurer sa continuité, la nouvelle bourgeoisie, elle, a acquis sa fortune par des spéculations, des passe-droits, une législation autorisant des vols légaux ou des vols tout court, c'est-à-dire en pillant les deniers du peuple.

L'on nous rétorquera que si les clebs de Hammamet et de Carthage ne sont pas moins aisés que leurs pairs dans les pays du Nord, ce serait plutôt un signe rassurant! cela signifie que la Tunisie confirme ses dires officiels, en l'occurrence qu'elle est sur la bonne voie!

Que dire alors, si ce n'est pauvres de nous, Tunisiens non canins! Nous qui pour la plupart ne connaissons d'autre fête que celles des aïds! Ou du التحول المبارك Changement Bénit, selon l'expression consacrée depuis ce 27 novembre 1987!

Le pouvoir en place vient de fêter le 23e anniversaire de ce qu'il appelle pompeusement Ère nouvelle. Au cours de ce quart de siècle placé sous la bannière de ce changement, certes le peuple entend dire quotidiennement que son pays a réalisé un miracle économique. Et il voit pulluler les signes on ne peut plus patents de sa prospérité nationale: distributeurs bancaires à l'affût des poches vides, supermarchés à l'affût des cartes de crédit, agences automobiles à l'affût des gros chéquiers!

La monnaie, en espèces sonnantes, au sens littéral de l'expression, ne circule pas en Tunisie. A l'excepté des pièces réservées aux fakirs d'Allah, les mendiants. Les billets de 10, 20 et 30 volent sitôt trouvés et sortis. Et pourvu qu'on les trouve encore et sorte, الحمد لله louange à Allah! Quant aux billets de 50, parce qu'il en faut pour le pays prospère, 99% des Tunisiens n'en ont pas encore fait l'étrenne. On a beau enseigner au peuple que l'argent n'a pas d'odeur, ce peuple est persuadé que les billets de 50 en ont une. Et tout compte fait, le peuple a sûrement raison!

Voilà une facette du miracle économique tunisien: il y a ceux qui vivent au cocagne et ceux qui vivent en Tunisie.

Des entreprises publiques privatisées au rabais, des terrains publics dont certains classés biens patrimoniaux cédés pour moins d'une obole à des particuliers, les trésors publics détournés au profit d'une poignée de privilégiés, et jusqu'aux deniers des caisses sociales, l'argent du peuple laborieux retranché tout au long d'une vie des salaires de misère pour la retraite et la prévoyance sociale, dilapidés.

En même temps, le peuple voit que ses enfants diplômés, par milliers et milliers, sont au chômage. Et diplômés ou non, par centaines et centaines, les laissés-pour-compte qui se jettent à la mer, brûlent (يحرقوا) comme dit le jargon de ces damnés, dans l'espoir de trouver ailleurs l'eldorado qui les fasse rêver d'un anniversaire de chien!

Ce fossé qui se creuse entre une bourgeoisie pourrie à la moelle des os et une large tranche du peuple saignée à blanc et démunie, cette injustice criante et le luxe immonde d'une classe qui étale effrontément son faste choque et insulte.

lundi 4 octobre 2010

Celui qui injuriat sa mère par amour du sein nourricier

Il s’appelait Boucetta, ou on l’appelait comme tel.
Il devait avoir la soixantaine, un peu moins, un peu plus, quand il est mort. Je dis « mort » car je présume qu'il n'est plus de ce monde, ne l’ayant revu nulle part depuis une bonne trentaine d’années. Et la dernière fois que je l’avais vu, comme la première dix ou quinze ans plutôt, Boucetta était plein comme un sac. Assez comme toujours pour baver sur les honnêtes citoyens, disons surtout leurs respectables institutions, leurs symboles sacrés, leurs amulettes, gris-gris, talismans et fétiches de patriotisme à la con, comme il disait, et tout le bataclan. Et se faire immédiatement jeter après en tôle. Médire de la Patrie et la maudire en un tel état d'ébriété, profaner ce qu'elle a de plus saint et, sauf votre respect, du pied en cap! était l'air à boire de Boucetta.
Heureusement qu'il y a la tôle! parce que sans ça, bonjour les dégâts! Vous conviendrez que ceux qui ont inventé la tôle, les premiers bâtisseurs de ces merveilles nées en même temps que la société policée, l'ont fait d'abord, voire exclusivement, par amour de la Patrie. Car il n'est de peste qui puisse inquiéter l'humanité, et à sa tête ceux qui ont l'ingrate tâche de l'en préserver, que l'impiété patriotique.
Boucetta était-il un impie patriotique?
Aux dires de ses vieux compagnons de tasse, le bonhomme n'était assurément ni saint ni apôtre en matière de piété patriotique. Mais ce n’était pas non plus le scélérat justiciable et pendable, et voici pourquoi. D'abord il n'était pas communiste! ni socialiste d'ailleurs. Ni anarchiste. Ni nationaliste. Ni -cela va de soi- intégriste, sauf à se méprendre un peu sur les vignes ou les palmes du Seigneur qui alimentaient son Courant. Opposant, traître, vendu, tous ces qualificatifs s'avèrent impropres à son sujet. Maboul alors? Timbré, et assez, pour se permettre un tel « air à boire»? Se le permettre et l’adopter comme style de vie, ou plutôt principe de survie tant qu'il fut de ce monde.
Non! que non! vous jureraient ses vieux compagnons de tasse. "Mais c'était par amour du sein nourricier que le scélérat insultait sa mère!" Il aurait été même, sauf respect des patriotes décorés de toutes les légions, plus patriotique que le meilleur de vous et moi. Mais il ne lui venait jamais à l'esprit de s'aligner comme vous et moi devant une perche sur laquelle un drapeau est perché pour saluer le drapeau. Ou même seulement la perche! "Pasque c'est pas un salut à vot' dapô qui m' faut à moi, pour mon salut!" qu'il disait Boucetta, quand quelqu'un le narguait là-dessus, manière de dérider un peu l'assemblée.

Et sans le moindrement vouloir faire l'apologie, n'en déplaise à Dieu! de l'impiété patriotique, je dirais qu'il aurait eu tout à fait raison de formuler et soutenir son pasque, ce scélérat d'ivrogne. Jamais salut en bonne et due forme patriotique ne lui assura parcelle de salut! l'injure patriotique, elle, tapageuse et assortie de la marche civile qui lui fut constamment associée, sauva toute sa vie feu Boucetta!
D'ailleurs, sa marche à Boucetta ne pouvait s'accommoder d'aucun alignement ni de perche aucune. Marche, comme la militaire, sauf que la sienne était civile, individuelle et plus dévote! L’injure à la Patrie, à ses dirigeants, était en quelque sorte son hymne national à lui. Et il ne manquait jamais de le scander en lieu et temps opportuns, ni ne se permettait de brider son zèle quand, le dernier verre vidé, il sortait du bistrot, se plantait au milieu de la rue la plus animée, se criait: "marche!" et de sa voix de ténor éraillée par l’alcool et le tabac, titubant mais décidé dans sa marche, s’acquittait ainsi de son devoir de patriote pas comme les autres.
Évidemment, dans une ville où le spectacle était souvent l'œuvre improvisée de la rue -il y avait deux salles de cinéma mais les chefs-d'œuvres de Hollywood pâliraient devant les productions inouïes de nos bars- la marche de Boucetta drainait toujours son fervent public. Badauds, touristes, clients des cafés avoisinants s'attroupaient sur le lieu dès qu'ils entendaient sonner le clairon du Patriote. La circulation s'arrêtait, les commerces suspendaient leurs activités, les balcons qui surplombaient la rue se bariolaient de leurs couleurs féminines, les pieux remettaient à plus tard l'heure de la prière. Et tout le monde prenait sa part à ce spectacle gratuit où l'on pouvait littéralement se tenir les côtes de rire. Il y avait même parmi les touristes quelques objectifs, férus d'art et d'insolite, qui se braquaient sur la scène, immortalisant cet instant qui rajoutait au dépaysement. Ça durait ce que cela pouvait durer, mais il y a toujours un moment où la police doit s'amener quand même -c'est toujours au beau milieu de la marche- non sans froisser une partie du public, pour remettre de l'ordre dans la rue. Et pour ce faire il fallait juste que le fauteur de trouble soit jeté dans le panier. Et que celui-ci ait immédiatement mené sa salade au commissariat.
Vous voulez savoir ce qui faisait sortir du moule commun un tel patriote, la raison de cette conduite, d'aucuns diraient inconduite, qu’aucun code de conduite civique ne reconnaisse ni ne puisse intégrer comme exemple à suivre, pour le bonheur de « bons citoyens » que nous sommes ?
C'est une histoire rocambolesque, pas nécessairement des mieux édifiante, mais puisque je l'ai déjà entamée, je n'ai d'autre choix que la mener à son dénouement. En vérité, de son vivant Boucetta était ce que l’on peut appeler rétrospectivement un SDF. Sans doute le meilleur de son rang, inégalé, sans pair aucun ni en Tunisie ni dans les pays mêmes où les SDF ont acquis ce statut de citoyens à part entière en même temps que ce sigle qui le dit si bien. Et cet SDF qui est parti un jour sans trop se faire remarquer, si ce n'est par des nostalgiques du "bon vieux temps" qui l'évoquent parfois à travers une anecdote comme celle-ci, avait une longue histoire bien ancrée dans le passé. Une histoire qui remonte à l'époque de la Tunisie beylicale. Et qui s'enchâsse aussi dans celle du protectorat français.
Du temps où ce protectorat avait encore quelques belles années devant lui, le premier à l’avoir insulté en public, et à cor et à cri, était Boucetta. Et c'était pour lui dire, à lui ou ses institutions protectrices, qu'en fait de protection certains Tunisiens espéraient encore qu'ils en seraient assurés tellement ils se sentaient orphelins! C’est vous dire de quelle pâte était ce patriote. Qui des Tunisiens vivant dans les années 30 ou 40 ait pu baver autant que Boucetta sur l’honneur de telle puissance coloniale, un empire qui maintenait sous sa domination on ne sait plus combien de pays répartis sur trois continents au moins ? « France, t'es là, ma coquine ? qu’il disait. Pétain, mais dis-moi combien de pères t'as, putain de maréchal!» Et ce ne serait que deux pâles graines dans le chapelet, encore que l'euphémisme inhérent à la traduction aurait expurgé en bonne partie ces graines, le français le mieux adapté au crû arabe ne pouvant rendre toute sa teneur ni même l’essence de sa verdeur aux propos insultants que Boucetta, dans les vignes ou palmes du Seigneur, vociférait à l’encontre de la République.
A quand remonte le baptême du feu, l’étincelle de la « lutte par insulte » contre l’occupant français ? Je m’étais enquis à ce sujet auprès de quelques vieux compagnons de bar de Boucetta, et confrontant les témoignages des uns et des autres, j'en conclus que la première fois que la gendarmerie française eut à arrêter Boucetta fut une nuit d’hiver. L’année ? D’après le calendrier consigné dans la mémoire des vieux, c’était l’Hiver du Gel. Ce n’est ni lunaire ni grégorien ni républicain mais gabésien, et pas moins digne d'historicité.
Un soir donc, au plus fort de l’Hiver du Gel, plein comme un sac mais sans le sou, Boucetta quitte le bar et fait : « brrr ! ça caille, nom de pipe ! » Il est pourtant drapé de son burnous, coiffé de sa chéchia, a un mégot qui brûle encore entre ses lèvres et les vapeurs de tout ce qu'il a pu biberonner le long du jour ne font que monter! En titubant, il fait deux pas à droite, trois à gauche puis, se ravisant, cinq pas d'affilée derrière! Il a fait demi tour pour demander au premier qui lui barre le chemin à ce qu’on condescende à le laisser cuver son vin sur une table vide! Quand il était bourré, Boucetta parlait toujours fekhi, c'est-à-dire comme les docteurs de foi, les ulémas à qui on prête l'oreille parce que justement on ne les comprend pas. Mais, compris ou pas, Boucetta se fait congédier alors même que sa belle langue vient juste de se délier. Il demande alors à ce qu'on veuille lui servir un dernier verre. "Et que ça saute!" appuie-t-il du ton le plus souverain sa requête. Mais ayant entretemps pivoté d'un demi pas et titubé de deux dans le sens le plus commode à cette valse à trois temps, il a juste le temps de voir claquer la porte à son nez.
Alors, étourdi, grisé autant par l'alcool que par le froid, il s’en va errant, comme Jean Valjean à un moment de ses tribulations. Et sans avoir lu les Misérables, à force de geler il s’écrie : « eurêka !» Et sans plus tarder, il va frapper à la porte de la gendarmerie.
« Messieurs ! dit-il quand on lui ouvre, auriez-vous l’amabilité de m’accueillir chez vous, dans la plus chaude des cellules si possible, jusqu’au lever du jour ? » Soit que les gendarmes étaient eux-mêmes bourrés soit qu'ils n’étaient pas enclins, ce soir-là du moins, à une hospitalité bon enfant, on rabroua sans ménagement Boucetta. Et la porte fut fermée à son nez.
Sans le sou, certes SDF pas mal rodé, mais jamais jusque-là confronté à un Hiver du Gel aussi digne de tel nom, Boucetta se sent subitement aux abois, totalement démuni. Que faire ? Que faire pour trouver le gîte jusqu’au lendemain ?
Pressé par l’envie d’uriner, de déféquer selon une autre version, Boucetta n’eut pas le loisir de chercher un abri pour ce faire. Il en voulait un peu aux gendarmes mais répondant bien plus à un réflexe de vivant qu’à une vraie rancune, il a fait ses besoins sur le seuil même de la gendarmerie. Aurait-il pris sa vessie pour une lanterne alors qu’il prenait dans telle posture ses aises ? ou fût-ce le génie du poivrot illuminé qui s’était éveillé en ce moment-là précis pour lui susurrer l’abracadabra salutaire de circonstance ?
« França, yelli bik wa âlik ! qu’il entonna. Pétain, ya « figues et raisins !» Et même l’arabe et le français bougnoul réunis ne feraient qu'ôter tout son jus à ce que Boucetta, dans sa langue crue intraductible, chanta en cette nuit immémoriale de l’An d’Hiver-Gelant. Sérénade ou aubade, peu importe ! Mais la lourde porte avait cédé. Et les gendarmes se firent de bon cœur hospitaliers. Et Boucetta eut à passer non seulement trois jours dans la cellule de dégrisement, mais trois mois supplémentaires en prison. Pour délit d’offense à la République, ce qui avait l’avantage de mettre Boucetta au rang des fellaghas. Le seul, à ma connaissance, à n'avoir pas eu sa pension d'ancien combattant ni son permis de taxi, et qui s'en foutrait si on le rappelait de sa tombe pour lui demander de réclamer son dû! Il les troquerait volontiers contre trois litres de pinard. Et une marche!
Quand il a fini de purger sa peine, Boucetta a décidé de tourner la page à sa vie de SDF. Finies les nuits à la belle étoile, les matins sans petit-déjeuner, les soirs sans bol de soupe ! Grâce à son premier pécule de libération, il a passé son (premier) jour de libéré à se désaltérer comme un chameau. Un chameau ayant sillonné le désert, 90 jours durant, dans l’abstinence totale. Et s’apprêtant à recommencer la traversée le soir même, dans les meilleures conditions. Son dernier litre injecté sous sa double bosse, il alla faire sa sérénade à la fieffée coquine du protectorat. Celle-ci, au fur et à mesure qu'elle se faisait insulter par cet orphelin, se prit d'amour pour lui. Jusqu'à l'indépendance de la Tunisie, elle lui assura gîte, soupe, grabat en son nom, pécule trimestriel du caoua et le loisir d'insulter la coquine en grande pompe pour être constamment à ses bonnes grâces.
A suivre...
Celui qui injuriat sa mère par amour du sein nourricier (2)
A. Amri
04.10.10

jeudi 29 juillet 2010

Africains, Saint-Cyrois, Novembriens: ils sont faits pour durer

Africains, Saint-Cyrois, Novembriens: les attributs qu'il faut pour mériter la longévité des patriarches. Politiques s'entend. Leurs Excellences Paul Biya et Zine el-Abidine Ben Ali ont tout pour ravir leurs peuples. A eux deux, ils cumulent 51 ans de pouvoir. Un demi siècle d'abnégation totale au service du Cameroun et de la Tunisie. Les droits, les libertés, la démocratie, l'emploi, le niveau de vie décent, quasiment tout ce qu'il faut pour être envié dans ces deux pays est acquis et consolidé. Si vous êtes mécréant ou incrédule, à Allah ne plaise! branchez-vous sur la radio ou demandez leur avis à Bourhen Bsaies et son homologue camerounais.

Ces 6 et 7 novembre, souhaitons aux Africains, Saint-Cyrois et Novembriens longue vie, un autre demi siècle de pouvoir et d'abnégation! Et que la République qui n'a cessé de s'épanouir et prospérer depuis leur accession à la présidence prospère encore et encore s'épanouisse! Pour le bien commun de l'Afrique et de l'humanité!

La fratrie des patriarches

Africains ou Arabes, leurs Excellences qui nous gouvernent appartiennent à la même fratrie. Ce qui les sépare importe peu à côté de ce qui les unit.
Certes, quand vous les alignez côte à côte sur un banc (d'essai), vous ne manquerez pas de remarquer quelques petites différences, des nuances de couleurs, par exemple.
Notre propos n'est pas de disserter là-dessus mais juste de contextualiser une anecdote en noir et blanc que la rumeur attribue à deux chefs d'États africains disparus. Nous disons bien "la rumeur", faute de source documentée à notre connaissance, pouvant confirmer cette anecdote. Si quelqu'un trouve une référence écrite, nous sommes prenant.

On raconte que lors d'une rencontre avec Bourguiba, probablement à la fin des années 70, Senghor aurait conseillé à son homologue tunisien de se retirer sans plus tarder de la scène politique. Sensiblement diminué par la maladie, Bourguiba n'était plus que le fantôme d'un président. Et cela ne pouvait laisser indifférent l'ami qui lui vouait beaucoup d'estime et pensait pouvoir le convaincre de préserver ce qu'il lui restait de sa vieille image glorieuse. On ne sait pas quelle fut au juste la réponse de Bourguiba. Mais Senghor reparti, Bourguiba aurait confié à ses proches quelque chose comme ceci:" Carthage n'est pas Dakar".
Autre anecdote, mais celle-ci authentifiée, quand Bourguiba apprend que Senghor a démissionné de son propre chef avant le terme de son mandat, il semble impressionné, très même, et le dit à ses proches.
Senghor aurait-il quitté le pouvoir pour avoir prévu ce qui l'attendait s'il imitait l'exemple de Bourguiba? Quelle que soit la réponse, on retiendra surtout ceci: toute grande qu'elle ait été, Carthage ne voyait pas aussi loin que Dakar.

Aujourd'hui la Tunisie semble vouée à un destin qui rappelle la triste période de ce qui se tramait autour de Bourguiba, entre 69 et 75. Plus d'un le dit: la présidence à vie n'était pas l'œuvre de Bourguiba ni son vœu personnel. Les éminences grises, les arrivistes de l'ancien parti et les profiteurs de tout bord savaient que leur survie en dépendait. Et ils avaient obtenu ce qu'ils voulaient. Nous sommes persuadé que les trompettistes qui ressuscitent l'allégeance à vie aujourd'hui, autour de Ben Ali,ne sont pas plus nombreux qu'ils ne l'étaient par le passé autour de son prédécesseur. Mais ils sont animés des mêmes motivations, sont tout aussi influents et pourraient bien parvenir à leurs fins.
Quoi qu'il en soit, cela ne fera de mal à personne de se remémorer et remémorer le passé évoqué à travers les anecdotes précédentes et ces deux exemples de pouvoir africains.

En 87, il nous a fallu un Général et une cohorte de toubibs pour en finir avec un pouvoir devenu insupportable. Faudra-t-il attendre que l'histoire se répète pour permettre la seule possibilité d'alternance que les Africains et les Arabes sont en mesure de nous donner?

A. Amri
29.07.2010

Quand les médias crachent sur Aaron Bushnell (Par Olivier Mukuna)

Visant à médiatiser son refus d'être « complice d'un génocide » et son soutien à une « Palestine libre », l'immolation d'Aar...