"L'art n'a que faire des lisières,
des menottes, des bâillons; il vous dit : Va ! et vous lâche dans
ce grand jardin de poésie, où il n'y a pas de fruit défendu." (Victor Hugo - Préface des Orientales)
Mort d'une pute est un poème écrit quelques semaines avant la mort de son auteure. Ce chant de cygne au titre provocateur, d'aucuns diraient scabreux, se lit comme le testament spirituel d'une écrivaine pas comme les autres.Une écrivaine qui était aussi "une courtisane révolutionnaire".
Le 17 avril 2005, dans une clinique genevoise où elle était hospitalisée, Grisélidis Réal -qui se battait depuis plusieurs années contre un cancer de l'estomac- se savait perdante, mourante. Et elle écrivit, la nuit (comme elle l'a mentionné elle-même en bas de la feuille encrée) ce poème à travers lequel, revendiquant jusqu'au bout son statut de pute invétérée, elle semblait narguer la mort et ses affres. Tout en formulant, dans un langage simple et poignant, ses derniers vœux. Les vœux pieux d'une "catin révolutionnaire et briseuse de tabous"(1).
Écrivaine suissesse, poétesse, peintre, Grisélidis Réal a "choisi" d'exercer parallèlement le plus vieux métier du monde. Certes dans un contexte biographique qui donne leur sens aux guillemets flanquant ce participe. Une mère célibataire ayant à sa charge 2 enfants, puis bientôt 4, de pères différents, et de surcroit indifférents au sort de leurs progénitures, si elle en vient à manger de ce pain-là ce n'est pas de gaieté de cœur, on l'imagine aisément. Mais parce que l'instinct de survie a ses raisons que la rigueur de la morale bien pensante n'a pas.
Certes, la catin s'est "institutionnalisée" par la suite. Allant jusqu'à abjurer la "vertu" à quoi on a tenté de la reconvertir, le prix de cette conversion, modique, ne valant pas la messe. Certes, à maintes occasions elle s'est inscrite en faux contre tant de clichés "fatalistes", ou candides, qui font de toutes les prostituées des victimes, des poules aux œufs d'or asservies par leurs maquereaux. Certes, la catin aurait bien aimé "valoriser" la profession, sinon faire en sorte que ce métier qu'elle définit comme «un art, un humanisme et une science»(2) soit moins méprisé par la société humaine. Par ses puritains impénitents surtout. Certes, allant à rebours de tous les tabous vieux et si tenaces, bousculant les garde-fous de toutes nos doxas (in)humaines, la catin aurait bien aimé que le monde reconnaisse à ses ouvrières du sexe les mérites du métier, ses bienfaits et leurs droits, comme tout humain, au respect et à la dignité.
N'empêche que loin de toute complaisance et tous faux-semblants, cette catin est un peu comme la fleur de lotus sacré. Le nénuphar dont feuilles et pétales servent de trône aux divinités de l'Orient. Malgré la boue dont se nourrit la plante, le marécage dans lequel elle pousse et s'épanouit, le plus pur des hommes ne saurait rester indifférent à sa beauté. Ni à l'ascendant mystique des divinités païennes qui la protègent.
C'est dire quel plaisir fut pour l'auteur de ces lignes de redécouvrir "Mort d'une pute" chanté par Furia.
Car
en toute franchise, tel auteur aurait été incapable de "dédouaner" dans
sa tombe la "poétesse maudite", pour traduire en arabe son "vœu
testamentaire", sans le talent et le courage de ce duo belge qui a
sanctifié la pute par la magie de l'art. Le pouvoir de ce piano
ensorceleur (Philippe Tasquin) et la non moins ensorceleuse voix de sirène qui
l'accompagne (Julie Jaroszewski), le talent de ce tandem de "furies" se battant sur plus
d'un front pour que notre monde soit vivable, l'art sublime honorant si
bien la chanson et l'engagement, autant de raisons plaident pour que
Mort d'une pute soit "entendu" en arabe, comme la cause de la
péripatéticienne qui a "couché" sur une part de son testament les indignés de l'humanité.
A.Amri
28.10.2013
Notes:
1- Françoise Courvoisier: Grisélidis au théâtre: un paradoxe en or.
2- Interview de Grisélidis Réal sur RTS, par Pascal Rebetez.
Mort d'une pute est un poème écrit quelques semaines avant la mort de son auteure. Ce chant de cygne au titre provocateur, d'aucuns diraient scabreux, se lit comme le testament spirituel d'une écrivaine pas comme les autres.Une écrivaine qui était aussi "une courtisane révolutionnaire".
Le 17 avril 2005, dans une clinique genevoise où elle était hospitalisée, Grisélidis Réal -qui se battait depuis plusieurs années contre un cancer de l'estomac- se savait perdante, mourante. Et elle écrivit, la nuit (comme elle l'a mentionné elle-même en bas de la feuille encrée) ce poème à travers lequel, revendiquant jusqu'au bout son statut de pute invétérée, elle semblait narguer la mort et ses affres. Tout en formulant, dans un langage simple et poignant, ses derniers vœux. Les vœux pieux d'une "catin révolutionnaire et briseuse de tabous"(1).
Écrivaine suissesse, poétesse, peintre, Grisélidis Réal a "choisi" d'exercer parallèlement le plus vieux métier du monde. Certes dans un contexte biographique qui donne leur sens aux guillemets flanquant ce participe. Une mère célibataire ayant à sa charge 2 enfants, puis bientôt 4, de pères différents, et de surcroit indifférents au sort de leurs progénitures, si elle en vient à manger de ce pain-là ce n'est pas de gaieté de cœur, on l'imagine aisément. Mais parce que l'instinct de survie a ses raisons que la rigueur de la morale bien pensante n'a pas.
Certes, la catin s'est "institutionnalisée" par la suite. Allant jusqu'à abjurer la "vertu" à quoi on a tenté de la reconvertir, le prix de cette conversion, modique, ne valant pas la messe. Certes, à maintes occasions elle s'est inscrite en faux contre tant de clichés "fatalistes", ou candides, qui font de toutes les prostituées des victimes, des poules aux œufs d'or asservies par leurs maquereaux. Certes, la catin aurait bien aimé "valoriser" la profession, sinon faire en sorte que ce métier qu'elle définit comme «un art, un humanisme et une science»(2) soit moins méprisé par la société humaine. Par ses puritains impénitents surtout. Certes, allant à rebours de tous les tabous vieux et si tenaces, bousculant les garde-fous de toutes nos doxas (in)humaines, la catin aurait bien aimé que le monde reconnaisse à ses ouvrières du sexe les mérites du métier, ses bienfaits et leurs droits, comme tout humain, au respect et à la dignité.
N'empêche que loin de toute complaisance et tous faux-semblants, cette catin est un peu comme la fleur de lotus sacré. Le nénuphar dont feuilles et pétales servent de trône aux divinités de l'Orient. Malgré la boue dont se nourrit la plante, le marécage dans lequel elle pousse et s'épanouit, le plus pur des hommes ne saurait rester indifférent à sa beauté. Ni à l'ascendant mystique des divinités païennes qui la protègent.
Furia (Photo Furia) |
A.Amri
28.10.2013
Notes:
1- Françoise Courvoisier: Grisélidis au théâtre: un paradoxe en or.
2- Interview de Grisélidis Réal sur RTS, par Pascal Rebetez.