samedi 16 juillet 2011

Lettre à Yosri


Ensemble, donnons à ce cri toute sa force pour rompre à temps la corde de la mort. J'en appelle à la conscience de chacun pour en prendre acte.



Il aimait Roger Milla, Samuel Eto'o, Christiano Ronaldo, Alan Shearer, Bobby Charlton, Ally McCoist, entre autres maillots numéro 9.


Et puis un jour, sans prévenir, sur un tapis volant il a fugué vers l'Irak, pays des Mille et une nuits. Et là au milieu de l'enfer, presque orphelin, presque le môme de Bagdad, il n'avait pas beaucoup de choix. Sitôt débarqué, il a dû troquer son tapis volant contre une arme à feu. Être de ce camp-ci, de l'autre, un Rambo, un Abou Kodama, un lambeau de chair dans les corps déchiquetés: quel que soit le camp qui l'eût choisi, même si l'enfer ne se prête ni au jeu de la candeur ni aux présomptions d'innocence, c'est surtout Gavroche qui lui aurait le mieux réussi.

Cher Yosri,

Quand, fin juin 2006, j'ai appris qu'un groupe de terroristes comprenant un jeune compatriote surnommé Abou Kodama le Tunisien a été arrêté en Irak, je n'ai pas trop fait attention à la nouvelle. Pour te dire la vérité, les attentats de chaque jour, rivalisant de sensationnel et de punch avec la fiction, les échos des nouvelles d'explosions que nous transmettaient inlassablement les médias, les images de morts -à l'unité et en vrac- qui nous pourchassaient sur tout écran ou toute page citant Bagdad, Kaboul, Islamabad, entre autres cibles privilégiées des Escadrons de la mort, ne nous laissaient guère le temps pour nous préoccuper de l'arrestation de Abou Kodama le Tunisien ou de son sort.

Peut-être m'en voudras-tu si je te dis: je me sentais plus proche des lambeaux humains déchiquetés sur l'autel du terrorisme. J'étais davantage préoccupé par le souci de voir un jour endiguée cette absurde effusion de sang, davantage sensible aux voix appelant à épargner la vie des innocents. Que ce soit dans les zones chaudes de notre Orient ou ailleurs. Tels soucis ne me donnaient pas le loisir de m'enquérir sur ce compatriote arrêté en Irak. Et puis ce compatriote arrêté en Irak, tout compte fait, quoique je ne l'aie jamais vu ni connu, est un terroriste! Comme l'attestent la télé, le sang des innocents, les évocations assez connotées de son nom de guerre... Et la moindre sympathie à son égard, objectivement parlant, serait une bénédiction du terrorisme.

Abou Kodama le Tunisien, membre d'Al-Qaïda, dynamiteur du mausolée chiite de Samarra et meurtrier de la journaliste et femme de lettres Atwar Bahjat(1):
voilà en gros, cher Yosri, l'image qu’on se faisait de toi en 2006. Il n'y avait pas de quoi se flatter que Abou Kodama soit tunisien.

Il va sans dire que le black-out médiatique où la Tunisie tenait bien haut son rang au nom de la lutte contre le terrorisme, entre autres facteurs, ne permettait pas de dégrossir le moindrement ce profil. Qu’on disait seulement Abou Kodama, et Ossama, la lèpre! surgissait immédiatement au premier ou en arrière-plan. Et le principe censé cher au droit universel, stipulant que tout accusé est présumé innocent jusqu'à preuve du contraire, dans ton cas précis ne pouvait que se pervertir, s'invertir même pour devenir: cet accusé-là est coupable, nonobstant preuve du contraire.

Dans les procès qu'on t'a faits, ceux de la presse et ceux de l'opinion publique, c’est tel principe introverti et perverti qui a prévalu. Et même les tribunaux irakiens, les magistrats qui t'avaient jugé, présumés au dessus de tout parti pris, probes et impartiaux ne s’étaient pas écartés d’une telle règle.

Ce n'est que longtemps après ton arrestation et ton jugement que, disposant d'assez d'éléments pour prendre mes distances avec la version officielle des faits pour lesquels tu fus jugé que j'ai pu te voir sous un autre jour. Au fur et à mesure des navigations dépistant Abou Kodama le Tunisien, j'ai appris que tu as été jugé surtout pour des aveux extorqués sous la torture. Et pire! tu aurais été menacé par tes juges contre toute tentation de te rétracter(2).

C'est en 2003, au lendemain de la chute de Bagdad et du régime de Saddam, que tu es entré en Irak. Clandestinement par la frontière irako-syrienne. Et tu n'étais pas le seul Tunisien à avoir fait telle incursion. Vous étiez des dizaines de compatriotes, sous diverses bannières, à rallier la résistance irakienne (3). Vous vous êtes battus de façon héroïque contre l'occupant américain et ses alliés. Beaucoup sont tombés dans des attaques menées contre les Américains, certains dans des opérations-suicides. Beaucoup aussi ont été arrêtés aux frontières, dont la plupart refoulés vers la Tunisie pour y être jugés et condamnés à de lourdes peines de prison.
Je n'ai pas réussi à trouver une indication qui confirme ton appartenance à Al-Qaïda; néanmoins, outre les motivations nationalistes soutenant ton engagement, c'est dans ta foi de musulman que tu puisais surtout la force de résister. Tu savais qu'en tout moment tu pouvais mourir ou tomber en captivité, mais tu n'avais pas d'autre choix pour soutenir tes frères en Irak.
Tu a participé à de nombreuses batailles, et des plus féroces, contre l'occupant. Tu as tué un grand nombre de soldats américains. Et tout au long des trois années dans ce parcours de guérillero harcelant l'armée ennemie, toi et tes camarades avez semé la terreur dans les rangs des forces d'occupation. Et de ceux qui sont entrés à Bagdad sur les chars américains(4).

Jusqu'à cet été 2006, fin juin plus exactement.
En compagnie de tes frères d'armes, tu tentais de franchir un check-point à l'entrée de Dhoulouiyya, à près de 30 km au nord de Bagdad. Face à vous, des forces mixtes irako-américaines, armées jusqu'aux dents, cela va de soi, mais qui en plus, selon toute vraisemblance, vous attendaient(5). Vous a-t-on sommés de vous rendre et auriez-vous refusé? Vous a-t-on proposé à tel ou tel moment une reddition que vous avez déclinée? On n'en sait rien. Mais si c'était le cas, on ne dira pas quand même de vous que vous avez soutenu une gageure et l'avez perdue. Ou que votre attitude chevaleresque était insensée. Vous êtes des fedayins instruits pour vaincre ou mourir. Il n'y a jamais de perdants dans votre guerre et votre foi. Et dans cet ultime combat, tes compagnons et toi, 16 en tout, en avez donné l’illustration. On ne saura pas le nombre de morts et de blessés dans les rangs de vos ennemis, mais dans vos rangs à vous, pour le moins c'est un carnage. Tes quinze compagnons sont tous tombés. Vous aspiriez à la chahada, mourir debout, pour nous offrir la gloire et votre sang de martyrs. Sauf que ce jour-là, sur les seize candidats postulant à tel honneur, le destin a élu 15, de diverses nationalités, et disqualifié un: Abou Kodama le Tunisien!

Et pourtant ce n'est pas faute d'avoir sollicité un tel honneur, cher Yosri!
Criblé de balles, sept en tout logées dans ton corps de Gavroche, tu n'étais pas moins méritant pour être ainsi écarté! le fusil entre les mains et chavirant sous tant de blessures, tu t'es pourtant dit à part toi:" Houris d'Allah, me voilà! j'atteste qu'il n'est de dieu qu'Allah..." Et tu as franchi, ou cru franchir vers l'au-delà cet ultime check-point si éprouvant.


Dis-moi, Yosri, est-ce parce que tu es encore môme, candide, que les houris d'Allah ont délivré leur ticket de passage à tes quinze compagnons et refusé d'en fournir un à toi?


Quand tu pus rouvrir les yeux et aviser en quel lieu tu te trouvais, tu as dû songer un moment que même un martyr est passible du jugement dernier! Et puis tu as fini par te rendre à l'évidence que ce n'était pas le jugement de Dieu qui t'attendait à la ligne franchie. Mais celui des hommes! De ceux qui n'avaient pas songé que tu pusses avoir besoin d'une balle de grâce quand ils avaient ramassé, ensanglanté et inanimé, ton corps de Gavroche.
Incarcéré dans une prison sous l'administration américaine, sitôt rétabli, voire bien avant, tu as été soumis à la torture. Et les vers qu'on a dû te tirer du nez ne pouvaient être que flatteurs pour les bourreaux.

"Signe!" qu'on t'a dit au terme de ton supplice. Et tu as signé. Signé que tu es membre d'Al-Qaïda, que tu agis sous les ordres de Haitham al-Badri, que tu es l'auteur de l'attentat contre le mausolée chiite et que tu es le meurtrier égorgeur de Atwar Bahjat. Tu as dû signer aussi d'autres crimes mais tu ne t'en souviens plus. Et de toutes façons, dans une telle géhenne, signer c'est rien face à tout ce que tu as subi d'atrocités. Que n’aurais-tu pas dit, avoué, inventé même et authentifié par ta signature et tes empreintes digitales, dans une telle circonstance, pour tempérer l'humeur de ces messieurs connaissant sur le bout des doigts les arts de l'interrogatoire!(6)

A l'automne 2006, jugé par la Central Criminal Court de Bagdad, tu as beau clamer ton innocence de tout attentat et tout crime qui ne soient dirigés exclusivement contre l'occupant militaire américain, beau crier que tous les aveux retenus contre toi t'ont été extorqués sous la torture, le 10 octobre tu es condamné à la peine capitale.

Jusqu'à cette date, l'opinion communément ancrée dans la presse nationale, du moins celle qui daignait te consacrer de temps à autre une petite colonne, plus rarement un encadré, dans l'espoir de donner un coup de pouce à ses ventes, est que tu es bel et bien l'auteur des deux crimes précités. En bonne logique, seuls de tels faits d'armes pouvaient réellement concorder avec ton nom de guerre, en l’occurrence saillant, évocateur, dont les consonances riment inévitablement avec Ossama. Cependant, ta famille qui t'a éduqué dans l'amour et le respect d'autrui, t'a inculqué les justes valeurs de l'islam, entre autres l'indulgence et la tolérance, savait mieux que personne que la vérité est tout autre. Cette famille(7) qui endurait les souffrances depuis ta fugue vers l'Irak, qui vivait dans le supplice depuis qu'elle a appris ton arrestation, se battait chaque jour dans ton pays, dans ta ville, dans ton quartier natal, pour faire valoir à bon droit la légitimité de ton combat. Et clamer haut ton innocence dans les crimes qu'on t'avait indûment attribuées.

Évidemment, le plaidoyer parental, par essence subjectif, ne pouvait faire contrepoids au discours médiatique, celui-ci passant pour plus savant, objectif, désintéressé. Du moins chez le commun des citoyens. Quand bien même la subjectivité des tiens serait somme toute relative, ta famille tenant l'essentiel de ses informations de ton avocat, irakien et résidant à Bagdad. Mais quel que soit l'impact des médias à ton propos, peu à peu la bataille des tiens a réussi à faire des percées dans l'opinion publique, ne serait-ce que dans ta ville natale et dans les milieux politisés de l'opposition. Puis peu à peu de nouveaux témoignages venant directement d'autorités irakiennes plaidaient à leur tour en ta faveur. Il y eut d'abord la déclaration du préfet de Samarra accusant des forces irakiennes en uniforme d'avoir commis l'attentat du saint mausolée. Une telle accusation venant d'un haut responsable, et chiite, ne pouvait que réconforter tes défenseurs. D'autres témoignages ont suivi, concernant le meurtre de Atwar Bahjat. Celle-ci aurait été vue kidnappée par une force encore en uniforme, suite à son dernier reportage pour le compte de Al-Arabya. Et on l'a retrouvée morte le lendemain aux environs de Samarra. Quoiqu'il ait fallu attendre le 4 août 2009 pour arrêter son meurtrier, un nommé Yasser Ali appartenant aux commandos de la police irakienne, l'aveu de ce dernier devait te blanchir enfin des deux crimes ayant fait le poids dans la sentence de la peine capitale.

Fin janvier 2007, temps fort dans la vie des tiens, inoubliable moment pour tes parents dont le calvaire n'est pas moindre que le tien.
C'était invraisemblable, presque féerique. Le téléphone qui sonnait dans leur maison, à Sfax, décroché, leur fit entendre une voix qui leur semblait revenir de l'autre monde. Et effectivement, cette voix-là revenait de l'autre monde, tant le premier effet, poignant, inouï, a dû les étourdir. Le timbre, les inflexions ont dû changer un peu, s'imprégnant à la fois de la forte émotion et des marques du temps, mais c'était bel et bien ta voix! c'était bel et bien, inaltérable, leur tendre enfant qui était au bout du fil.

Cela faisait combien d'années pour eux comme pour toi, certes soudés dans cette rude épreuve mais terriblement marqués, qu'un tel bonheur tant rêvé se profilait inespéré?
Tu étais toujours incarcéré sous l'administration américaine et celle-ci a daigné t'offrir à toi et tes parents ce coup de téléphone inattendu, inoubliable. Qu'est-ce que tu as pu leur dire au bout de tant d'années de séparation et de souffrances? Qu'est-ce qu'ils ont pu te dire à leur tour? Sûrement pas beaucoup de choses, la communication étant chronométrée, imprévue et la voix ici et là, comme on peut l'imaginer, coupée de hoquets. Mais l'essentiel n'aurait pas été omis. Tu n'avais rien commis de répréhensible; tu t'es battu en vaillant guérillero; tu n'as braqué ton fusil que contre l'occupant qui a humilié tes frères et sœurs. Et s'ils t'exécutaient quand même, tu serais heureux, certain que les houris d'Allah te dédommageraient d'une telle peine(8).

La communication terminée, tes parents qui étaient tantôt dans l'euphorie se trouvaient subitement plongés dans l'angoisse. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, un sentiment oppressant, obsédant, s'est emparé d'eux. Un pressentiment funeste, des affres de la même nature que susciterait l'imminence d'une mort certaine.

Pour comprendre cette angoisse si oppressante, il faut la restituer au contexte historique de cette première communication téléphonique.
Nous sommes au lendemain de la triste exécution de Saddam Hussein, survenue quatre semaines plus tôt le jour de l'Aïd al-Adha, en ce 30 décembre 2006, fête qui nous donnait du mouton un âpre goût de charogne. Du coup, la communication inattendue a réveillé le spectre de la corde. Et ce spectre devenait hantise, lancinant. Si les Américains avaient offert au condamné cette communication, c'était signe pour tes pauvres parents que le dernier vœu du condamné à mort a été exaucé.
On ne dira jamais assez ce que ta mère, ton père avaient souffert dans les jours suivant cet appel mémorable.

Peu à peu quand même, il leur fallait s'accrocher à la vie et à l'espoir que ton heure n'était pas encore décidée.

2008, première semaine du mois de janvier et par une nuit glaciale, ta famille apprend une bonne nouvelle qui radoucit sensiblement l'air ambiant de la maison. Dans son journal de 20h, Al-Arabya annonce la nouvelle de l'arrestation de Mahmoud Dahaoui qu'elle présente comme l'auteur de l'attentat contre le mausolée de Samarra. Et la chaîne de télé diffuse les images des aveux amplement détaillés, le récit de son arrestation et l'inventaire des objets de valeur récupérés par les forces de police qui a réalisé telle opération.
Cet événement, qui n'est pas des moindre, censé augurer d'un retournement de situation en ta faveur, ne pouvait que faire la joie de tes parents et le bonheur de ceux qui croyaient ferme en ton innocence. Pour une fois, l'espoir que ton affaire serait réexaminée, que le jugement initial ramené à une peine moins lourde, était enfin permis. Et si on pouvait rêver encore, si le traité de Genève relatif aux prisonniers de guerre avait quelque chance d'être respecté, en la circonstance la peine de mort, au moins, serait écartée.

Mais ce serait dans une République, Yosri -souviens-toi bien de ceci, même si la République, la vraie, on ne l'a jamais vue ailleurs que dans les livres de Platon! que les rêves justes sont permis. Et non dans une oligarchie comme celles qui nous gouvernent. Le-dit traité de Genève et la justice ne peuvent avoir droit de cité là où la haine est la seule conseillère des justiciers.
Il y eut bien un second procès, ou un semblant de procès, mais dans lequel tes droits les plus élémentaires d'accusé furent bafoués. En ton absence et en l'absence de ton avocat, le tribunal a confirmé le premier jugement.

Cher Yosri,
Que tel semblant de procès se soit fait au moment même où la Tunisie a déboulonné son dictateur, que le tribunal n'ait voulu tenir compte d’aucun élément nouveau dans ton dossier, que la peine capitale, et seule cette peine, ait été requise par le procureur et entendue par tes juges, les autorités irakiennes nous donnent à penser qu'elles voudraient adresser par-là un message implicite à l'attention des peuples en révolte(9). Et ce n'est pas un hasard si tes frères d'armes, dont trois appartiennent à des pays marqués par le printemps, soient jugés en même temps que toi et frappés de la même sentence.
Quoiqu'il en soit, et tu en conviendras cher Yosri, en Tunisie nous nous sommes révoltés contre la tyrannie et l'injustice, et non pour fonder le califat d'Abou Kodama!
Et nous ne méritons pas d'être rétribués par la décapitation de l'un des nôtres, même s'il porte un surnom pas trop catholique!
Et puis la révolution tunisienne, comme l'atteste le monde entier, a fait chuter en même temps que Ben Ali le mythe d'Al-Qaïda. Bien avant les Américains, Bouazizi a réglé son compte au cheikh Oussama Ben Laden!

Par conséquent, pour nous tu es prisonnier de guerre, pas terroriste. Notre propos ici n'est pas de défendre ton idéal politique, ni tes convictions religieuses, mais de nous élever contre une sentence injuste qui, en cas d'exécution, sera lourde de conséquences, et pour cause!

Que me reste-t-il enfin à te dire, cher Yosri?
En ce moment précis où je scrute ton visage, à travers ces quelques photos que j'ai pu glaner ça et là sur les pages web, j'apprends que tu viens d'être transféré à la centrale de Kathimya à Bagdad.
Je ne voudrais pas que ces photos deviennent les saintes reliques d'un martyr. Je ne voudrais pas non plus jouer à la Cassandre. Mais en même temps, je tremble à l'idée que les autorités irakiennes aient procédé à ton transfert, quelques jours seulement avant le mois de ramadan, pour rééditer leur triste scénario macabre de l'an 2006. Il y a cinq ans, à la veille de l'Aïd, c'est dans cette même prison que Saddam Hussein a été transféré.

A cet instant-ci tant éprouvant, c'est un de mes enfants que je vois en toi. Mieux! tu m'es le plus proche de mes petits. Compte tenu de ton épreuve, des justes appréhensions que suscite la circonstance, de ce cas de détresse qui n'autorise ni indifférence ni attentisme, je n'ai que ma voix, que ce cri de vivant pour me dresser farouchement contre l'échafaud.
Je voudrais interpeller chaque membre de notre gouvernement de transition(10), Son Excellence le Président provisoire, les citoyens libres du pays et du monde, afin qu'ils s'engagent tous dans cette bataille pour la vie. De vive voix, réclamons que ce jugement injuste, barbare et lourd de conséquences soit révoqué.

Ensemble, donnons à ce cri toute sa force pour rompre à temps la corde de la mort.

J'en appelle à la conscience de chacun pour en prendre acte(11).


Cher Yosri,
Je souhaite te voir bientôt en Tunisie, vivant et libre. En attendant ce jour que j'appelle de tous mes vœux, reçois ma poignée de main chaleureuse et paternelle.



A. Amri
16.07.2011.

Au même sujet:
- Yosri Trigui: le plaidoyer du père
- Une version condensée, en arabe, de ce même texte.
- Lettre à la Commission Arabe des Droits de l'Homme
- Lettre au Premier Ministre Tunisien
- Lettre à Erdogan

- Lettre à Mme Micheline Calmy-Rey, Présidente du DFAE
- Deux lettres écrites selon les modèles présentés sous l'annotation 11 (voir NOTES plus bas) ont été adressées par voie de l'ambassade irakienne en France à Messieurs le Président et le Premier Ministre irakiens.

_______________NOTES:

1- C'est ce qui ressort de la conférence de presse donnée fin juin 2006 par Mouaffik Rébiï, conseiller à la sécurité irakienne.

2- Source: site Al-Karma.

3- Il serait difficile d'évaluer le nombre exact de ces résistants tunisiens en Irak. Cependant, depuis la chute de Bagdad en avril 2003, "des dizaines de tunisiens sont tombés en martyrs dans les rangs de la résistance irakienne": c'est ce que souligne dans un message de soutien à la révolution tunisienne un haut responsable du Baâth irakien dans une communication téléphonique à Achourouk en date du 16 janvier 2011. Par ailleurs de nombreux tunisiens se rendant en Irak ont été été arrêtés en Syrie. On recense au moins 13 personnes jugées en Tunisie, dont 4 refoulées par les autorités syriennes, pour tentatives de ralliement à la résistance irakienne. Et depuis 2003, il y aurait près de 2000 personnes arrêtées en Tunisie dans le cadre de ce qu'on appelle "lutte contre le terrorisme".

4- Témoignage du père intervenant dans un meeting organisé contre la normalisation avec l'Etat sioniste.

5-Dans la conférence de presse donnée par Mouaffak Rébiî, conseiller à la sécurité irakienne, on apprend que l'aide américaine était déterminante dans cette opération. On présume que les services d'espionnage avaient facilité la tâche des forces stationnées au chek-point de Dhoulouiyya.

6- La toile foisonne de témoignages sur la torture en Irak: on se souvient encore de la diffusion en 2004 de photographies choquantes montrant des détenus irakiens humiliés par des soldats américains (le scandale d'Abou Ghraib) . Mais il y a d'autres témoignages tout aussi accablants concernant les centres de détention à Kaboul, sans oublier tout ce qui a été révélé sur la prison de Guantánamo.
Ci-dessous les liens de trois vidéos évoquant la torture en Irak:
- Vidéo 1 - Vidéo 2 - Vidéo 3

7-Témoignage du père sur youtube.

8- Ce rêve associé aux récompenses divines, Yosri ne s'embarrasse pas d'en faire part à ses parents. Dans les lettre adressées à sa mère, la formule de clôture est souvent celle-ci:" Ne pleure pas, douce maman. S'il est écrit que tu ne reverras plus ton enfant, je n'en serai que plus heureux entouré des houris d'Allah."

9- Le premier à avoir établi un lien entre le printemps arabe et la reconduction de cette sentence est le père même de Yosri, Fakher Trigui. Dans un article écrit au mois de mai dernier, le père estime que les autorités irakiennes redoutent de restituer son fils, blanchi des crimes de terrorisme ou gracié, à la Tunisie nouvelle, d'autant que celle-ci entend retourner la page sombre de l'époque où les islamistes étaient persécutés.

10- Aux dernières nouvelles, le ministère de l'extérieur aurait engagé des transactions avec les autorités irakiennes en vue d'obtenir le transfert de Yosri vers la Tunisie. Souhaitons que cette initiative soit couronnée de succès.

11- Ci-dessous un modèle de Requête de grâce pour Yosri Trigui (en français et en arabe) pouvant être personnalisé et envoyé par fax à l'ambassade irakienne de votre pays. Le numéro de fax de l'ambassade irakienne à Paris est le suivant:
0033 1 45 53 33 80

Modèle en langue arabe (les éléments nécessitant la personnalisation sont écrits en rouge):

إسمك ولقبك بلدك في 2011.07.17

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إلى عناية فخامة رئيس جمهورية العراق السيد جلال طالباني

الموضوع: التماس عفو

فخامة رئيس جمهورية

أكتب إليكم من تونس بلد المحبة والإخاء والسلام باسمي الخاص وأصالة عن الشعب الذي تربطه بالعراق أواصر الأخوة والحضارة ملتمسا منكم فخامة الرئيس أن تبروا بيسري الطريقي القابع في سجن الشعبة الخامسة في الكاظمية ببغداد وبذويه الذين يكتوون بالنار في تونس منذ أن صدر في حق ابنهم حكم الإعدام سنة 2006 وتم تثبيته لاحقا لدى التعقيب وإني أذ أهيب بسيادتكم فخامة الرئيس ان تشملوا بعفوكم الواسع هذا الشاب الذي ما كان قدره ليسوقه لأرض العراق لولا حبه لهذا البلد وغيرته الصادقة والعفوية على أرض وشعب كان يرى فيهما رمز العزة والحضارة ومجد الأمة أناشد سيادتكم فخامة الرئيس أن تراعوا أولا وآخرا عائلة المحكوم عليه بالإعدام وخاصة والديه، وثانيا كل الظروف التي حفت باستنطاق الشاب يسري وبالخصوص ما تعرض إليه من تعذيب حتى يتبنى التهم المنسوبة إليه، وثالثا محاكمته التي شابتها أكثر من شائبة ليس أقلها حرمانه كمتهم ومحاميه من متابعة جلسات المحاكمة الثانية ثم كل المستجدات التي حصلت بعد صدور الحكم منذ 2006 كالقبض على ياسر علي قاتل الإعلامية أطوار بهجت وبعد ذلك القبض على محمود الدهوي مفجر المرقدين بسمراء وهما عنصران أساسيان كان يفترض فيهما أن يدفعا القضاء العراقي لمراجعة كل التهم المنسوبة ليسري أو على الأقل إسقاط تهمتي القتل والتفجير اللتين رجحتا كفة الحكم بالإعدام في المحاكمة الأولى.

فخامة الرئيس ،

إن الذي زرع بذور التطرف والإرهاب في تونس هو طاغية من طينة صدام حسين وقد ذهب بدون رجعة بفضل الثورة ولدينا القناعة التامة أن الإرهاب والتطرف قد هربا من تونس في نفس اليوم الذي سقطت فيه الدكتاتورية. وبالتالي حين تتفضلون فخامة الرئيس وتشملون بعطفكم وعفوكم شابا في مقتبل العمر زلت به قدماه وهو في عمر المراهقين ثقوا أن شعب تونس لن ينس لكم هذا الفضل الكبير وسيكون ممتنا لفخامتكم ولشعب العراق الشقيق

أملنا فيكم وفي رحمة الله كبير

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A la bienveillante attention de Son Excellence le Président de la République irakienne M. Jalal Talabani

Objet: Requête de grâce pour Yosri Trigui

Monsieur le Président,
Je viens par la présente solliciter de votre excellence la grâce pour le jeune tunisien Yosri Trigui, emprisonné à la centrale de Kadhimya à Bagdad, et qui a été condamné à mort suite à un procès injuste.
La jeunesse de l'accusé, les irrégularités de son procès, la nullité des aveux qui lui ont été extorqués sous la torture, autant d'éléments plaident, Monsieur le Président, pour cette faveur que je voudrais soumettre à votre bienveillante attention.
J'en appelle à la générosite du descendant de Saladin pour en prendre acte.

Votre signature

vendredi 15 juillet 2011

رسالة إلى يسري


ليس ثمة معركة أشرف لضميرنا بصفتنا أحياء طلقاء ولا أنبل من وقوفنا معا ضد حبل المشنقة لنرفع رأس الحياة



عزيزي يسري

عندما شاع في أواخر جوان 2006 نبأ القبض على مجموعة "إرهابية" في العراق تضم بين عناصرها شابا تونسيا يلقب بأبوقدامة، لم أكترث كثيرا للخبر. وأصدقك القول أن حلقات "فرق الموت" وصدى أخبار التفجيرات التي تنقلها لنا وسائل الإعلام وصور الموتى فرادى وبالجملة التي كانت تطاردنا على كل شاشة أو صفحة تذكر بغداد وغيرها من مدن العراق ما كانت لتترك لنا مجالا حتى نقف عند خبر القبض على أبو قدامة أو نهتم بمصيره.

قد تعتب علي إن قلت : كنت أحس بنفسي أقرب من الأشلاء البشرية الممزقة في ساحات العراق واهتمامي بحقن الدماء البريئة في هذا الجزء من الوطن أو غيره من أصقاع الأرض كان أكبر من أن يفسح لي مجالا للتفكير في أبو قدامة التونسي ومصيره. فهذا الأخير،
بشهادة المرئيات ودم الأبرياء ودلالات الإسم الحركي "إرهابي"، وأقل تعاطف معه بأي شكل يعد تزكية موضوعية للإرهاب .

نعم، عزيزي يسري، تلك كانت الصورة التي ارتسمت في مخيلتي عنك، وكنت أجهل الكثير بخصوص الحيثيات ولا أعرف من الحقائق أو ما يسمى بهذا الإسم إلا ما وصلني عن طريق الويب وبعض الصحف التونسية التي نقلت الخبر
عن مستشار الأمن العراقي، في شكله الجاهز للتسويق والإستهلاك، دون أن تكلف نفسها عناء التمحيص والتحقيق حتى نفهم الظروف الحقيقية لإيقافك والملابسات التي حفت بتواجدك في العراق وطبيعة العمليات القتالية التي كنت تنفذها . وأذكر من جملة ما قيل عنك حينئذ أنك تنتمي للقاعدة و لقب أبو قدامة التونسي يضعك في موقع قيادي والأهم من هذا كله أنك متهم بتنفيذ تفجير المرقدين الشيعيين بسمراء والإستيلاء على ما فيهما من كنوز أثرية نفيسة وكذلك اغتيال الإعلامية والأديبة أطوار بهجت .. تهم كتلك دفعتني للقول: ليسري رب يحميه إن كان بن لادن وأتباعه من جند الله.

وبالأكيد أن الرواية الرسمية، في ظل التعتيم الإعلامي الذي كانت تونس طرفا فيه تحت مسمى مكافحة الإرهاب أساءت لصورتك بدرجة جعلت من الصعب على الكثير، في تونس أو اينما وصل الخبر، أن يتتفاعلوا موضوعيا مع قضيتك، ولو أن واجب الإنصاف الحقيقي لك ولكل متهم كان يفترض أن نقول عنك: أنت بريء حتى تثبت إدانتك.

في جملة التحريات التي تلت هذا الخبر، علمت أنك دخلت العراق سنة 2003 متسللا عن
طريق الحدود السورية
وكنت واحدا من عشرات التونسيين الذين انضموا لصفوف المقاومة العراقية وأبلوا البلاء الحسن في محاربة المحتل الأمريكي. لم أوفق في التثبت من انتمائك للقاعدة ولكن الأكيد أن دوافعك الإسلامية والعروبية كانتا وراء إيمانك بضرورة الجهاد لنصرة الإخوة في العراق. خضت معارك شرسة مع المحتل الأمريكي وقتلت من المغتصبين الكثير والكثير، وعلى مدى ثلاث سنوات وفي ساحات عدة زرعت ورفاقك الرعب في صفوف المحتل والقادم على دبابة المحتل .. قبل أن تحل صائفة 2006 لتقع في قبضة الأعداء، عند نقطة تفتيش في الضلوعية، وبعد معركة حامية أصبت فيها أنت
بجروح بالغة في حين استشهد كل رفاقك، وكانوا خمسة عشر من جنسيات عربية مختلفة . ولولا الحظ الذي أسعفك أو أسعفنا نحن (لأنك كنت ترغب في شرف الشهادة) لما كتب لك أن تبق حيا وأنت المصاب بسبع رصاصات في أماكن عدة من جسدك.

قبض عليك وانت في حالة غيبوبة لتصارع الموت أياما عدة، وأودعت سجنا تحت إشراف المحتل وكتب لك أن تتعافى ليتم تعذيبك لاحقا، وربما عذبت وانت ماتزال جريحا.. وألصقوا بك التهم التي أشار إليها موفق الربيعي في ندوته الصحفية المتلفزة.
وفي خريف 2006 حوكمت في محكمة الجنايات المركزية ببغداد و
صدر ضدك بتاريخ 10 أكتوبر2006 الحكم بالإعدام .

حتى هذا التاريخ مازال الإعتقاد سائدا لدى قسط كبير من الصحافة الوطنية، أو تلك التي اهتمت بك أملا في تنشيط مبيعاتها، أنك مورط في حادثة تفجير المرقدين الشيعيين وفي مقتل الصحفية أطوار بهجت، لكن عائلتك التي ربتك على قيم المحبة والإسلام السمح وهي أدرى بحقيقتك من أي كان، كانت على يقين من براءتك في كل ما يتصل بجرائم الإرهاب وواثقة بأن عملك الجهادي موجه حصريا ضد المحتل الأمريكي(1) وبالتالي فما قمت به مشروع لا غبار عليه، أيا كان اللواء الذي تنطوي تحته.
ثم جاءت التأكيدات على مراحل من العراق وأولها من محافظ سمراء بالذات لتزيد في قناعة عائلتك وتمس الرأي العام
ولو في جزء يسير منه لغياب الإعلام المواكب للشأن العراقي وشأنك أنت بالخصوص..فقد صرح المحافظ المذكور أن قوات عراقية بالزي الرسمي هي التي نفذت تفجيرات المرقدين، وشهادة بهذه القيمة ومن مصدر شيعي عال لا يمكن ان يستهان بها. كما أكدت شهادات أخرى أن قوات عراقية خاصة هي التي اختطفت أطوار بهجت بعد آخر تصريح لها على قناة العربية ووجدت بعد ذلك مقتولة وقد تم القبض على قاتلها بتاريخ 4 أوت 2009 وهو المدعو ياسر علي أحد منتسبي مغاوير الداخلية في سامراء.

في نهاية جانفي 2007، وصل أهلك ولأول مرة صوتك عن طريق الهاتف، وكانت مناسبة لتأكد
لذويك بالصوت الواضح براءتك من دم أي عراقي نسب إليك. وبقدر ما أعادت مكالمتك بصيص الأمل عند الأهل والأقارب في إمكانية مراجعة القضايا الملصقة بك زادت في حدة الخوف من قرب تنفيذ الحكم بالإعدام سيما وأن هذه المكالمة جاءت بعد أسابيع قليلة من إعدام صدام حسين يوم عيد الإضحى الموافق لــ30ديسمبر 2006 .

في الأسبوع الأول لشهر جانفي 2008 ، بثت العربية تسجيلا للمسمى محمود الدهوي الذي اعتقل قبل أربعة أيام تقريبا يعترف فيه بأنه هو الذي قام بتفجير المرقدين وكان اعترافه مدعما بصور المسروقات التي عثرت عليها قوات الأمن بحوزته. وكان من المفروض أن تعاد محاكمتك على ضوء هذه المعطيات الجديدة وتعامل على أساس اتفاقية جنيف الخاصة بأسرى الحرب. ولئن تمت المحاكمة الثانية بالفعل في شهر جانفي المنصرم وفي الفترة التي تلت بقليل سقوط بن علي في تونس، إلا أن هذه المحاكمة، خلافا لكل الأعراف وقوانين القضاء تمت بصفة غيابية وبدون حضور أي محام وتم تثبيت الحكم الأول، أي الإعدام، وأبلغوك الخبر بمراسلة من وزارة العدل العراقية .


عزيزي يسري،
أن تعاد محاكمتك وتونس تعيش على وقع الثورة ويثبت القضاء العراقي حكم الإعدام الأول رغم المستجدات وفي الظروف التي سبق ذكرها مفاده أن رسالة ما تود السلطات العراقية توجيهها لنا. وليس محض صدفة ان يشمل الإعدام رفاقا آخرين لك من جنسيات عربية عدة ثلاثة منها تعيش بلدانها هي الأخرى على وقع الثورة. ومهما يكن نحن ثرنا في تونس ضد الجبروت والظلم ولا نستحق أن نعاقب على إسقاط طاغية بقطع رأس لأحد ابناء تونس البررة لأن الثورة التي أطاحت ببن علي أسقطت في نفس الوقت أسطورة القاعدة وشهد العالم كله لنا بأن البوعزيزي كان أسبق من الأمريكيين في قتل بن لادن.

وبالتالي، نحن نعتبرك، يسري الطريقي، أسير حرب، لا إرهابيا، ضحيت بأنفس سنوات العمر، زهرة شبابك، وبرخاء العيش وهناء عائلتك وذويك لتخدم قضية عادلة وتناصر وفق ما أملاه عليك دينك وضميرك إخوتك في العراق ضد من اغتصب أرضهم ودنس عرضهم.

وفوق هذا كله، انت ضحية مؤامرة قضائية إذا صح ما تردد على موقع الكرامة (2) بخصوص التهديدات التي وجهها لك قاضي التعقيب في أكتوبر 2010 حيث حذرك بصفة صريحة من مغبة التراجع في الإعترافات التي سجلت ضدك تحت التعذيب.

ماذا أقول لك في الختام، عزيزي يسري، سوى إيماني الراسخ وأنا أتصفح صورا لك جادت بها علي صفحات أحبتك وأهلك الذين يعملون قدر وسعهم على إنارة الراي العام ونصرة الحقيقية، بأنك واحد من أبنائي في هذه الساعة العصيبة بل أنت أقربهم لقلبي بفعل المحنة التي تعيشها والمكروه الذي نخشاه ونتمنى ألا يحصل. ولا أملك غير رفع الصوت مناديا بل صارخا في ضمير كل فرد من الحكومة المؤقتة(3) ورئيس الجمهورية المؤقت وكل طرف عربي وإسلامي وأممي بوسعه التدخل أن يتحركوا لإيقاف التنفيذ وإبطال الحكم بالإعدام وإعادة الأمل لوالديك وإخوتك ولنا جميعا.
ليس ثمة معركة أشرف لضميرنا بصفتنا أحياء طلقاء ولا أنبل من وقوفنا معا ضد حبل المشنقة لنرفع رأس الحياة.

أشد على يديك بكل قوة، يسري، وأتمنى من أعماق قلبي أن نراك قريبا حيا وحرا في تونس

أ.عامري
2011.07.15

الترجمة الفرنسية لهذا النص

1- شهادة والد يسري على اليونيب
2- موقع الكرامة
3-تلقى السيد فاخر الطريقي تأكيدات من وزارة الخارجية التونسية تفيد بأنها تعمل على نقل يسري لتونس ونتمنى أن يكلل مسعى الوزارة بالتوفيق

lundi 11 juillet 2011

Pour que le scrution et notre volonté ne soient pas falsifiés - Par Noureddine Aouididi

Demain lundi, débute l'inscription des électeurs pour le scrutin de l'Assemblée Nationale Constituante. L'opération prendra fin le 2 août prochain. Comme le nombre de Tunisiens habilités à élire dépasse les 6 millions, leur inscription en l'espace d'une vingtaine de jours, en saison estivale où priment la mer, les vacances, les fêtes de mariage et les veillées de joie, il est à craindre que la masse électorale effective en vienne à se réduire énormément, ce qui aura pour conséquence d'engendrer une constituante à faible légitimité si le nombre d'électeurs recensés par l'instance est faible.
La décision d'inscrire les électeurs au lieu de recourir à la carte d'identité sans autre formalité apparaît comme une procédure strictement technique, qui n'aurait aucun arrière-fond. Néanmoins derrière les procédures techniques se cachent des décisions politiques majeures. Nous savons que le report des élections, fixées d'abord au 24 juillet, au 16 octobre est une procédure strictement technique aux dires de M. Kamel Jendoubi. Mais les sous-jacents politiques de ce report n'en sont pas moins que la prolongation d'un gouvernement provisoire ayant à gérer les affaires de 11 millions de Tunisiens. Sur simple décision de 16 individus qui sont le président de la Haute Instance Indépendante des élections et ses membres.
Il est du droit du citoyen d'appréhender les mesures procédurales et techniques suspectes préparant les élections de la constituante. Nous sommes en effet face à un courant politique d'une seule couleur, ou presque, qui domine la Haute Instance présumée indépendante ayant à charge d'organiser les élections. Cette domination s'étend aux organes subsidiaires et régionaux de l'Instance, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du pays.

Il va sans dire que l'erreur qui nous a conduits à cette triste condition réside en amont du mode choisi pour constituer la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. Cette instance à nom de traîne désignée par des parties occultes et tenue par une couleur politique connue n'a pas été composée de façon consensuelle. De sorte qu'elle ne représente pas les diverses familles et sensibilités politiques de poids dans la société. Au lieu de nous impliquer, de nous inciter à participer massivement et dans la joie aux élections, elle a donné à une majorité artificielle les prérogatives de fonder sa majorité, d'élire une instance organisant le scrutin, choisie d'une seule couleur, laquelle s'est reproduite à travers ses sections régionales ou à l'étranger. Ainsi, la procédure "technique" nous met face à un agenda politique qui semble anticiper la fraude électorale.

Les Tunisiens se doivent de faire échec à la falsification de leur volonté. Et pour ce faire, ils sont appelés à se mobiliser en vue de surveiller les élections le jour venu, réduire les dégâts et faire en sorte que ne réussisse pas une minorité à confisquer la volonté de tout un peuple.

Noureddine Aouididi
Traduit de l'arabe par A.Amri
11.07.2011

jeudi 7 juillet 2011

Elle s'appelle Fatiha, lui Claude

"Ô gens! Vous êtes tous d'Adam et Adam a été créé de poussière. Aucun Arabe ne doit être préféré à un non-Arabe sauf en vertu de sa piété" (Mohamed - Le Sermon d'Adieu)

"Se battre et aimer. Aimer à s'en rompre le cœur." (Abdellatif Laâbi - Le règne de barbarie -Seuil 80)



Les prénoms ont beau décliner chacun son épiderme et son idiome, il fait bon citer
Claude et Fatiha géminés. Au Nord comme au Sud, en latin comme en arabe, en commençant par le petit nom masculin ou par son pair féminin, quel que soit le mode d'alliage ou d'hybridation(1) il en résultera toujours une consonance peu commune qui dépayse agréablement autant qu'elle berce. Et comme un philtre subtil dont le bouquet réveille la terre et son magma originel, la synthèse de ces deux herbes exotiques issues chacune de son terroir, leur mixture sonore, alchimie du verbe, fait patiner l'un vers l'autre les continents!

Il est des mystères, des mouvements gravitaires, des glissements de terrains dont le ressort dépasse la simple mécanique de la géologie!


A un moment où les autoroutes terrestres, saturées, ne mènent guère plus loin que le nombril des États ou des conglomérats économiques, où les voies maritimes et aériennes sont plus faciles d'accès aux nuées de requins et de faucons qu'aux messagers de paix, de par leur heureuse union Fatiha et Claude viennent de tracer dans le ciel et la mer, lumineux et propice à l'espérance, un pontifex entre l'Orient et l'Occident, un pont flottant à l'honneur de l'alliance des peuples, une autoroute intercontinentale que seule la diplomatie des cœurs est capable de réaliser, et à si peu de frais.

Claude et Fatiha ont célébré leur mariage ce 25 juin 2011 à Bruxelles.

J'ai beau vivre sur la rive sud de la Méditerranée, au moment de cette union j'ai cru percevoir la voix de Dieu bénissant en arabe et en latin l'union des mariés. J'aurais même vu côte à côte Mohamed et Jésus parmi les invités. Et des myriades d'anges planer par dessus le couple, se congratulant dans une poignante émotion. Pour les hommes que nous sommes. Pendant que l'Orient et l'Occident, tout aussi saisis, s'étreignent autour du couple heureux. J'ai cru voir cela dans cet instant solennel où l'échevin déclare mari et femme Claude et Fatiha.
"J'ai maintenant à mes côtés - et de ce côté de la rive - une perle d'Orient, si intense et si vive qu'elle éclaire les jours parfois bien gris de mon pays...parler de racisme, de xénophobie, d'islamophobie c'est une chose ! le vivre, au plus proche, le subir chaque fois que nous nous baladons dans Bruxelles : c'est autre chose! parfois nous aimerions nous promener sous globe...mais en même temps nous recevons tant de messages de sympathie que cela en devient étrange...quelle époque !"

Quand j'ai lu ces mots, j'ai deviné à peine la petite inflexion marquant la voix au moment où celle-ci évoque
la grisaille belge. Quand bien même cette inflexion donnerait à penser qu'elle s'étire un peu. C'est que la perle d'Orient, ou la tendresse qui déborde de cette périphrase avait dissout dans son éclat la note quelque peu amère qui suivait.

Je recevais de Claude Zylmans ce message le jour de mon anniversaire. Et c'était aussi le jour où je découvrais ces splendides photos(2) immortalisant son mariage. Je ne pouvais espérer meilleur cadeau pour la circonstance.
 


"Ô hommes! Nous vous avons créés d'un mâle et d'une femelle; et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d'entre vous, auprès de Dieu, est le plus pieux. » Coran 49.13.



A. Amri
07.07.2011



1- Il convient de rappeler quelques interférences d'ordre à la fois
sémantique et onomastique entre ces deux prénoms. Les connotations spirituelles liées au prénom Fatiha sont évidentes pour les arabophones: elles rappellent, entre autres, la sourate coranique du même nom, lequel signifie "celle qui ouvre, inaugure [le Coran]". Cette sourate ponctue les cinq prières quotidiennes du musulman, les cérémonies de fiançailles et de mariage, les prières funèbres, etc.
D'autre part, Fatiha signifie aussi en arabe "conquérante", du "fath" (conquête religieuse qui permet de rallier à la nation musulmane le pays conquis).
Le prénom Claude quant à lui, même s'il n'a pas de connotation religieuse chrétienne, de par son origine latine a été consacré parce qu'il "offrait la possibilité de communiquer avec l'au-delà". Très répandu depuis l'Antiquité dans l'Empire romain, il fut porté par les empereurs de la dynastie julio-claudienne comme Néron, Claude et Caligula. Il fut porté aussi par un grand nombre de saints des premiers siècles de la chrétienté, dont Saint Claude mort en 703 et dont on a retrouvé intact le corps, dit-on, cinq siècles plus tard au monastère de Condat.

2- Publiées avec l'aimable autorisation de
Sergio Bianchini que nous remercions du fond du cœur.

Elle sappelle Fatiha, lui Claude

Les prénoms ont beau décliner chacun son épiderme et son idiome, il fait bon citer Claude et Fatiha géminés. Au Nord comme au Sud, en latin comme en arabe, en commençant par le petit nom masculin ou par son pair féminin, quel que soit le mode d'alliage ou d'hybridation(1) il en résultera toujours une consonance peu commune qui dépayse agréablement autant qu'elle berce. Et comme un philtre subtil dont le bouquet réveille la terre et son magma originel, la synthèse de ces deux herbes exotiques issues chacune de son terroir, leur mixture sonore, alchimie du verbe, fait patiner l'un vers l'autre les continents!

Il est des mystères, des mouvements gravitaires, des glissements de terrains dont le ressort dépasse la simple mécanique de la géologie!


A un moment où les autoroutes terrestres, saturées, ne mènent guère plus loin que le nombril des États ou des conglomérats économiques, où les voies maritimes et aériennes sont plus faciles d'accès aux nuées de requins et de faucons qu'aux messagers de paix, de par leur heureuse union Fatiha et Claude viennent de tracer dans le ciel et la mer, lumineux et propice à l'espérance, un pontifex entre l'Orient et l'Occident, un pont flottant à l'honneur de l'alliance des peuples, une autoroute intercontinentale que seule la diplomatie des cœurs est capable de réaliser, et à si peu de frais.

Claude et Fatiha ont célébré leur mariage ce 25 juin 2011 à Bruxelles.

J'ai beau vivre sur la rive sud de la Méditerranée, au moment de cette union j'ai cru percevoir la voix de Dieu bénissant en arabe et en latin l'union des mariés. J'aurais même vu côte à côte Mohamed et Jésus parmi les invités. Et des myriades d'anges planer par dessus le couple, se congratulant dans une poignante émotion. Pour les hommes que nous sommes. Pendant que l'Orient et l'Occident, tout aussi saisis, s'étreignent autour du couple heureux. J'ai cru voir cela dans cet instant solennel où l'échevin déclare mari et femme Claude et Fatiha.
"J'ai maintenant à mes côtés - et de ce côté de la rive - une perle d'Orient, si intense et si vive qu'elle éclaire les jours parfois bien gris de mon pays...parler de racisme, de xénophobie, d'islamophobie c'est une chose ! le vivre, au plus proche, le subir chaque fois que nous nous baladons dans Bruxelles : c'est autre chose! parfois nous aimerions nous promener sous globe...mais en même temps nous recevons tant de messages de sympathie que cela en devient étrange...quelle époque !"

Quand j'ai lu ces mots, j'ai deviné à peine la petite inflexion marquant la voix au moment où celle-ci évoque
la grisaille belge. Quand bien même cette inflexion donnerait à penser qu'elle s'étire un peu. C'est que la perle d'Orient, ou la tendresse qui déborde de cette périphrase avait dissout dans son éclat la note quelque peu amère qui suivait.

Je recevais de Claude Zylmans ce message le jour de mon anniversaire. Et c'était aussi le jour où je découvrais ces splendides photos(2) immortalisant son mariage. Je ne pouvais espérer meilleur cadeau pour la circonstance.
"Ô gens! Vous êtes tous d'Adam et Adam a été créé de poussière. Aucun Arabe ne doit être préféré à un non-Arabe sauf en vertu de sa piété" (Mohamed - Le Sermon d'Adieu)

"Se battre et aimer. Aimer à s'en rompre le cœur." (Abdellatif Laâbi - Le règne de barbarie -Seuil 80)

"Ô hommes! Nous vous avons créés d'un mâle et d'une femelle; et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d'entre vous, auprès de Dieu, est le plus pieux. » Coran 49.13.


A. Amri
07.07.2011


1- Il convient de rappeler quelques interférences d'ordre à la fois
sémantique et onomastique entre ces deux prénoms. Les connotations spirituelles liées au prénom Fatiha sont évidentes pour les arabophones: elles rappellent, entre autres, la sourate coranique du même nom, lequel signifie "celle qui ouvre, inaugure [le Coran]". Cette sourate ponctue les cinq prières quotidiennes du musulman, les cérémonies de fiançailles et de mariage, les prières funèbres, etc.
D'autre part, Fatiha signifie aussi en arabe "conquérante", du "fath" (conquête religieuse qui permet de rallier à la nation musulmane le pays conquis).
Le prénom Claude quant à lui, même s'il n'a pas de connotation religieuse chrétienne, de par son origine latine a été consacré parce qu'il "offrait la possibilité de communiquer avec l'au-delà". Très répandu depuis l'Antiquité dans l'Empire romain, il fut porté par les empereurs de la dynastie julio-claudienne comme Néron, Claude et Caligula. Il fut porté aussi par un grand nombre de saints des premiers siècles de la chrétienté, dont Saint Claude mort en 703 et dont on a retrouvé intact le corps, dit-on, cinq siècles plus tard au monastère de Condat.

2- Publiées avec l'aimable autorisation de
Sergio Bianchini que nous remercions du fond du cœur.

samedi 2 juillet 2011

Action de soutien à la flottile de paix empêchée d'appareiller vers Gaza

Copie d'un fax adressé ce samedi 2 juillet 2011 à l'ambassadeur grec en Tunisie.

M. Ahmed Amri
Professeur - Gabès
webamri@yahoo.fr
http://amriahmed.blogspot.com/


Gabès, le 2 juillet 2011

A la bienveillante attention de Son Excellence l'Ambassadeur de Grèce en Tunisie

Excellence,
Au moment où le monde entier se tourne vers votre pays, attendant que la flottille de soutien pacifiste à Gaza soit autorisée à appareiller depuis les côtes grecques, les tracasseries bureaucratiques et les manœuvres de sabotage se multiplient pour faire avorter cette mission humanitaire. Sous les pressions sionistes appuyées par des actions criminelles contre les bateaux devant participer à la flottille, la Grèce semble plier, hélas, au diktat israélien, voire s'impliquer de manière directe dans cette sordide machination dirigée à la fois contre la Palestine, ses amis de par le monde et les partisans de la paix et de la justice au Moyen Orient.

Permettez-moi de vous dire, Monsieur l'Ambassadeur, qu'une telle attitude mettant de votre Etat l'allié de l'entité sioniste est indigne de la Grèce qui, historiquement, tant au niveau officiel qu'au niveau populaire, s'est distinguée par son soutien aux causes justes et son appui inconditionnel à la lutte du peuple palestinien pour le recouvrement de ses droits légitimes et inaliénables.

Aussi est-il scandaleux pour votre pays, pour le peuple grec qui désavoue cet acte humiliant subordonnant la Grèce à Israël, d'autoriser une telle complaisance à l’égard du sionisme. L'indépendance de la politique grecque et son honneur sont en jeu. D'autant que les organisateurs de la mission humanitaire et les participants à la flottille de paix, accrédités par leurs peuples pour les représenter dans cette action non gouvernementale, ont statut d'ambassadeurs et non de guerriers, entendent mener une mission diplomatique citoyenne et pacifiste, et non une campagne internationale belliqueuse.

C'est une honte pour les pays libres, davantage accablante pour la Grèce en tant que berceau des civilisations humaines, de permettre que la barbarie triomphe sur son sol du droit et de la justice.
J'en appelle à l'honneur grec et à votre conscience d'homme libre pour en prendre acte.

Ahmed Amri
Professeur tunisien et citoyen du monde.

webamri@yahoo.fr
http://amriahmed.blogspot.com/

vendredi 17 juin 2011

Le Coffre de Wadhah

Aux origines du présent article, une bourde de traduction relevée sur les pages d'un média français, à laquelle je n'ai pu rester indifférent. Non que le média, de grande renommée, ou que le traducteur, réputé "arabisant émérite", aient commis quelque vilain péché à travers une perle somme toute minime et s'inscrivant dans les risques du métier. Mais parce que l'expression arabe originale, dont on a altéré la poéticité et le sens vieux de quelque mille trois cents ans, m'appela à sa rescousse! En date du 14.06.11, Le Monde publie dans son dossier spécial "PRINTEMPS ARABE" un texte de Ahmad Zein (1) traduit par Gilles Gauthier (2). Quoique ce dernier semble maîtriser l'arabe, il a commis l'ingénue maladresse de traduire l'expression "soundouk wadhah" صندوق وضاح par "le coffre lumineux": translation littérale assignant au mot "wadhah" وضاح un sens dérivé de l'étymologie, alors que dans le texte original et l'usage courant le mot a valeur absolue de nom propre. Certes, Gilles Gauthier est excusable. Il n'y a pas de bilingue parfait. Et l'expression sur laquelle il a candidement buté, peu usitée, pourrait piéger même les locuteurs natifs de l'arabe. A moins de connaître la légende de Wadhah Al-Yamen (littéralement: Wadah du Yémen) et du coffre qui lui est associé, ce qui suppose une bonne imprégnation de la littérature arabe classique, on ne peut saisir le sens exact de "soundouk wadhah". D'où ce texte dont le propos est de fournir aux non initiés (arabes ou occidentaux) la clé ayant fait défaut à Gilles Gauthier. Wadhah Al-yamen est un poète yéménite né aux alentours de Sanaa(3) et mort à Damas en 708. En raison des discordances marquant les récits des anciens et de certaines incohérences biographiques, ses origines, son œuvre et sa vie sont controversées. Persan émigré au Yémen pour les uns, Yéménite de souche pour d'autres, pure légende selon certains critiques modernes(4), il est l'un des rares poètes arabes classiques autour de qui la polémique ne semble pas à ce jour épuisée. Toujours est-il que sa légende, authentique ou affabulée, est quelque peu rocambolesque. Et par certains aspects, elle n'est pas sans rappeler le mythe grec d'Adonis. A commencer par la beauté sublime du personnage qui a valu à ce dernier le surnom Wadhah Al-Yamen, le Lumineux du Yémen. Si le surnom est indiscutablement éloquent, les témoignages historiques le sont davantage. D'après Kitab Al-Aghani (5), Wadhah, "lumineux, radieux, de stature parfaite, est avec Al-Moukanna Al-Kantadi et Abou Zid Attaï l'un des trois Arabes qui n'entraient jamais dans un souk sans s'être auparavant voilé le visage, de peur d'avoir à pâtir du mauvais œil et de faire pâtir les femmes de l'effet pernicieux de leur beauté." De son vrai nom, il s'appelait Abderrahmane Ben Ismaïl Al-Khoulani(6). Son père étant mort alors qu'il est tout petit, sa mère a dû quitter la tribu maritale pour vivre chez ses parents qui sont d'origine perse. Passée son îdda (période d'attente que doit observer une veuve ou une divorcée avant de se remarier, pour s'assurer qu'elle n'est pas enceinte) elle a épousé en secondes noces un cousin qui a pris en charge l'éducation de son fils. Au bout de quelques années, la grand-mère maternelle de l'enfant est venue à la tête d'une délégation de sa tribu les Béni-Hamir(7) réclamer au couple son petit-fils. Vraisemblablement de concert avec sa femme, le beau-père a refusé de livrer Abderrahmane, prétendant que celui-ci était son enfant biologique. La tribu des Béni-Hamir déposa une plainte devant un juge et gagna le procès. On raconte qu'au moment de prononcer le verdict, le juge s'est approché d'Abderrahmane, lui a caressé la tête et dit:" Va, tu es Wadhah Al-Yamen, et non descendant des Yezan", des Perses s'entend. Depuis, plus personne ne le connut autrement que par son surnom Wadhah. L'on imagine que pour s'appeler ainsi et avoir à se plier à la prévention à la fois superstitieuse et morale qui le fit porter le voile dans les lieux publics, Wadhah devait avoir sur les femmes un pouvoir de séduction peu commun. A vrai dire, à travers l'œuvre courtoise attribuée à ce poète (8), deux femmes seulement semblent avoir tenu une place privilégiée dans sa vie. Mais l'un des éléments qui donnent matière à la controverse évoquée précédemment concerne précisément l'ordre chronologique de ces deux amours dans la vie de Wadhah. Les récits ne concordant pas à ce propos, nous reproduirons tour à tour les deux chronologies, en commençant par celle qui fait de Raoudha Bent Amr la première amante du poète. Raoudha (au sens étymologique, le nom arabe روضة signifie "jardin") est le surnom donné par Wadhah à une jolie jeune fille (9) d'origine perse vivant au Yémen. Le poète l'ayant aimée dès sa puberté et chantée dans des poèmes devenus célèbres, voulant l'épouser il a buté contre le refus de ses parents. L'amour s'était ébruité, semble-t-il, et conformément à une tradition arabe inscrite au chapitre de l'honneur, la famille de la jeune fille a sanctionné en conséquence le prétendant disqualifié par son inconduite. C'est alors que les amoureux, d'un commun accord, choisirent de vivre comme amants. Il semble que pour persuader sa bien-aimée de la justesse de ce recours, le poète a dû s'engager avec elle dans une joute de paroles. On ne s'étonnerait pas que ce fût lui qui eût pris en la circonstance le dessus! Un poème célèbre, plus tard adapté en chanson pérennisée et vivante à ce jour, rend compte de ce fait d'armes dont s'enorgueillit à juste titre le conquérant. Aux avances pressantes qui lui étaient faites, Raoudha alléguait de mille obstacles qui empêcheraient Wadhah d'accéder à sa chambre. Mais à chaque argument féminin, à chacune des enchères tendant à le décourager, surenchérissant de son côté, Wadhah opposait, plus percutante, sa réplique d'amant pressant. Au bout de ce duel poétique, Raoudha finit par battre la chamade, dans tous les sens de l'expression, fixant au soupirant rendez-vous chez elle à une heure tardive de la nuit. On imagine que les contraintes et les risques liés à cette relation n'étaient pas de nature à encourager l'assiduité de Wadhah ni surtout sa fidélité à Raoudha. Mais cela ne devait pas l'incommoder beaucoup non plus car il était souvent bien plus sur les routes du Hedjaz que bivouaquant ici ou là aux alentours de Sanaa. En vérité, le poète était un pieux fidèle des lieux saints! Une fois tous les ans, le pèlerinage et, à longueur d'année, l'amra drainaient vers la Mecque et Médine des foules humaines venant de toutes parts s'acquitter de leur devoir de musulmans. Ces moments exceptionnels qui procuraient aux dévots la joie de se laver de leurs péchés constituaient aussi pour les poètes du ghazal une bonne aubaine, compte tenu des opportunités d'aventures galantes qu'ils offraient, nonobstant la sainteté des lieux, aux poètes libertins! C'est à la faveur de ces moments de vie à la bohème que Wadhah aurait rencontré pour la première fois à la Mecque l'autre amour majeur de sa vie, Oum Al-Banin. Mais il y a lieu de croire que cette rencontre fut bien moins le fruit d'une prédisposition à l'inconstance chez Wadhah que la conséquence d'un drame survenu dans sa vie avec Raoudha, lequel aurait détruit de façon irrémédiable sa relation physique avec celle-ci. Il rentrait d'un voyage qui a dû être long et avait hâte de revoir son amante. Se rendant chez celle-ci, au lieu de trouver la femme radieuse et la douce étreinte des retrouvailles dont il rêvait, c'est une triste nouvelle et une vision traumatisante qui l'attendaient. Pendant son absence, la belle Raoudha était devenue lépreuse. Et comme le prescrivait la tradition en ces temps-là, elle fut placée dans un hospice pour lépreux. "Alors qu'il rentrait de voyage avec ses compagnons, lit-on à ce propos dans Kitab Al-Aghani, Wadhah a pris congé de ceux-ci pour s'absenter une heure. Quand il revint, il était en pleurs. Interrogé, il répondit:" je suis allé voir Radhoua et je l'ai trouvée lépreuse et bannie parmi les lépreux. Je l'ai consolée du mieux que j'ai pu et lui ai laissé le gros de ma bourse." Et il a donné libre cours à ses sanglots d'homme accablé par le malheur." Vraisemblablement, Wadhah a quitté définitivement le Yémen après cet évènement tragique et ce serait dans de telles circonstances que sa rencontre avec Oum Al-Banin a eu lieu. Mais même avec celle-ci, il n'oubliera pas Raoudha. Plus d'un poèmes, marqués de la lancinante hantise de cette amante, témoignent de la place que celle-ci tenait encore dans sa pensée, alors qu'il vivait à Damas, si éloigné d'elle et de Sanaa. Le nom de Oum Al-Banin ayant été porté par trois ou quatre femmes célèbres au moins, et toutes vivant à l'époque omeyyade (661-750), il convient de distinguer la femme qui nous intéresse ici en précisant qu'il ne s'agit ni de l'épouse de Abdelmalek Ben Marouan (calife) ni de la sœur de Omar Ben Abdelaziz (calife lui aussi) ni enfin de l'épouse de Ali Ibn Abi Talab (cousin du Prophète). Il s'agit plutôt de l'épouse du calife omeyyade Walid Abdelmalek, elle aussi yéménite comme Wadhah. Coquette et recherchant à se mettre en vedette auprès des grands maîtres du ghazal, cette dernière femme aurait succombé au charme du Lumineux Voilé bien avant de le voir en personne, à travers ses poèmes et nouvelles de bourreau de cœurs, lesquels colportés par les conteurs, les voyageurs ou les troubadours, seraient parvenus jusqu'au palais du calife à Damas. Toujours est-il que lorsque Oum Al-Banin rencontra sur son chemin Wadhah, elle ne s'est pas le moindrement embarrassée de lui demander, lui demander et non suggérer, de lui dédier à elle aussi une romance qui la mît au rang des immortelles. Cette même demande, Oum Al-Banin l'a faite simultanément à un autre poète de même veine, en l'occurrence Kathir Azza, qui hantait lui aussi les lieux saints pour des raisons identiques à celles de Wadhah. Comment expliquer une telle audace, une telle témérité chez Oum Al-Banin, alors que son rang de femme de calife est censé lui dicter une conduite plus sage? Sachant en plus que son mari qui régnait sur l'ensemble de l'empire musulman (10), sans doute soupçonnant les bonnes dispositions de sa femme à l'égard des poètes, avait bien mis en garde ceux de son empire, contre toute tentation de "faire la romance" à Oum Al-Banin ou à ses odalisques, on peut dire à propos de cette femme qu'elle jouait tout simplement avec le feu. La menace du calife signifie que tout contrevenant était passible de la peine de mort. Et conscient du risque, Kathir Azza n'a pas donné satisfaction à Oum Al-Banin, bien qu'il eût déjà composé un poème pour l'une des odalisques de sa compagnie. Wadhah quant à lui a défié le péril. Et s'il s'était prêté de bon cœur au désir de Oum Al-Banin, c'était surtout parce qu'il avait reçu de celle-ci les gages de son amour et l'assurance qu'elle le protègerait auprès de son mari. Pour quelqu'un dont la perception du monde arabo-musulman filtre à travers un réseau d'images stéréotypées, quelqu'un qui verrait ce monde à l'image d'une citadelle de dogmes comme peut l'illustrer l'actuelle Arabie, il serait difficile d'imaginer dans le même espace géographique une société totalement différente, plus ouverte, voire libertine, existant au 7e siècle, au cœur même des lieux saints. Et pourtant, cette société-là fut bien réelle, assumant à la perfection cette cohabitation des contraires, ou ce chassé-croisé entre le divin et l'humain, le spirituel et le profane, l'action visant le salut de l'âme éternel et celles recherchant les voluptés physiques éphémères. Hassan Ibn Thabit ou encore Kaâb Ibn Zouhayr, pourtant l'un et l'autre considérés comme les poètes du Prophète, ne commençaient jamais une ode sacrée autrement que par des vers galants. En réalité, la poésie galante prospérant sur les lieux saints était une tradition bien ancrée dans la culture du Hedjaz (11). Les poètes dits libertins saisissaient l'opportunité que leur offraient les périodes de pèlerinage pour élire à la Mecque leurs muses. Celles-ci se faisaient distinguer en particulier autour de la Kaâba, dans la foule des femmes accomplissant les sept tours du tawaf (circumambulation). Si sacrée la Kaâba soit-elle, il n'était pas rare que des femmes, et de haut rang souvent (12), flanquées de leurs chaperons pour les jeunes et les plus belles, fussent là pour mettre en valeur autre chose que leur piété de musulmanes. La dévotion pour la parade susceptible d'enflammer les poètes courtois avait ses fidèles, qui n'étaient pas moins zélées que leurs sœurs attentives à celle que réclame le devoir envers Dieu. Dans ce hajj (pèlerinage) où le divin et le profane se partagent le lieu et le rituel, Allah reconnaissait les siennes dans le troupeau, cela va de soi, de même que les leurs les poètes courtois! Comme Omar Ibn Rabiâ, Bachar Ibn Bord, Abou Nawas et bien d'autres "coutumiers du fait", Wadhah Al-yamen dont la verve en outre n'était pas moins étourdissante que sa beauté physique était sollicité par les femmes elles-mêmes pour qu'il les immortalisât dans un poème osé, lequel, de belle facture, repris par les voyageurs, mis en musique et chanté par les bardes ou les achougs, se diffusait au bout d'un certain temps dans toute l'Arabie, avant de se répandre dans le reste de l'empire musulman. Cette quête féminine de la célébrité était d'autant plus courante que les poètes courtois, en professionnels du genre, maquillaient souvent par un surnom inconnu le véritable nom des belles qu'ils célébraient ainsi. Faute de quoi, ces "libertins" et les femmes complaisantes à leurs égards risquaient de payer cher ces poèmes, tant la plupart à ce jour sont jugés impudiques, immoraux. Quand Wadhah a fait sa romance à Oum Al-Banin, celle-ci lui a demandé de la suivre jusqu'à Damas. Elle a fait de lui son amant. Mais pour espérer voir cet amant à sa guise, et au palais, elle a dû persuader son mari de l'accepter dans sa cour. La verve poétique de Wadhah ayant plaidé pour cette faveur, Oum Al-Banin a pu mettre ainsi à sa disposition "le poète du calife", et partant cocufier sans problèmes son mari, du moins pendant un certain temps. On dit que les concubines de Walid Abdelmalek avaient soupçonné la liaison mais n'avaient jamais réussi à surprendre les amants en flagrant délit. Nous allons marquer une pause ici, ou plutôt faire marche arrière pour reprendre ce même récit selon l'autre chronologie que nous évoquions ci-haut. Cela allongera un peu le récit mais le mystère du coffre n'en sera que plus piquant. Wadhah et Oum Al-Banin, tous deux yéménites et des Béni-Hamir, vivant au même quartier, se sont aimés passionnément dès leur enfance. Tant qu'ils avaient l'âge candide, ils étaient presque inséparables. Mais arrivés à la puberté, il leur fut interdit de se revoir, et pour cause! Tous deux ont souffert de cette rude épreuve mais leur amour n'en fut que plus intense. Si la pudeur ne permet pas à la jeune fille, en général, de crier sur les toits son amour, ce qui n'en diminue pas l'intensité mais doit plutôt exacerber cet amour faute d'expression permettant son délestage, il en va autrement pour un garçon quand il est poète. Wadhah a tiré de sa souffrance les meilleurs vers, composé les plus belles romances, glorifiant, toute bride lâchée, son amour et sublimant, à l'instar de Antar et Majnoun Leyla, la beauté de sa bien-aimée. Chantées par les troubadours arabes et perses, ces romances s'étaient vite répandues à travers l'empire omeyyade. Leur facture était telle qu'elles ont pu conquérir la cour même du calife, à Damas. Quand il les entendit, Walid Abdelmalek en éprouva le désir de voir Oum Al-Banin. A la fin d'un pèlerinage à la Mecque, au lieu de rentrer en Syrie, il visita le Yémen et demanda à voir la muse de Wadhah. Quand on la lui fit voir, ébloui à la fois par sa beauté, son esprit et la richesse de sa culture, il demanda aussitôt à l'épouser. Oum Al-Banin ne pouvait en aucun cas refuser la demande ni la faire attendre. Et c'est ainsi que le calife l'a ravie à Wadhah, la conduisant après le mariage vers son palais à Damas. Wadhah en était devenu presque fou, dit-on, ne pouvant se faire à l'idée qu'il ne reverrait plus Oum Al-Banin. Et la peur d'être persécuté, voire tué par le calife, l'a contraint à ravaler son amour, dans l'expression poétique de celui-ci. C'est alors qu'il aurait tenté de trouver consolation auprès de Raoudha Bent Amr (citée précédemment). Et voulant susciter la jalousie d'Oum Al-Banin, Wadhah a composé des poèmes chantant selon la même facture que ses vieilles romances la beauté de sa nouvelle amante. Quand Oum Al-Banin a entendu ces poèmes, sachant que Wadhah était de ceux qui hantaient les lieux saints aux saisons de pèlerinage, elle a demandé à son mari de l'autoriser à aller à la Mecque. Le mari l'y autorisa non sans prévenir les poètes galants contre la tentation de mentionner le nom de sa femme ou de l'une de ses odalisques dans une romance. Wadhah et Kathir Azza, entre autres, avaient reçu des messages écrits à ce propos. En outre, le calife recommanda sa femme et ses compagnes de pèlerinage à un corps de gardes et d'espions des plus vigilants. De sorte que Oum Al-Banin et Wadhah, tout au long du pèlerinage, ne purent que se voir de loin et se raviver réciproquement l'ardeur de leur amour. A son retour au Yémen, Wadhah a retrouvé dans la triste condition évoquée ci-haut Raoudha. Désespéré, il lui légua une bonne part de son argent puis partit, errant sur les chemins comme les saâliks (poètes bohémiens de l'Arabie). Jusqu'à son arrivée, maigre et presque méconnaissable, à Damas. Longtemps, il a rôdé autour du palais califal, recherchant le moyen d'entrer en contact avec Oum Al-Banin. Mais ce ne fut pas chose facile, compte tenu des sentinelles surveillant le lieu. Et finalement, c'est la sortie d'une esclave qu'il aurait identifiée comme une odalisque de Oum Al-Banin qui le décida à l'aborder pour la charger de transmettre un salut à sa maîtresse. "Dites-lui, lui recommanda-t-il, que c'est de la part d'un cousin qu'elle serait heureuse de revoir si jamais elle savait où il se trouve exactement." L'esclave a transmis à la lettre le message, ce qui fit s'exclamer de joie Oum Al-Banin:" il est encore vivant!" Et elle chargea la messagère de transmettre en toute urgence à Wadhah sa réponse: "reste-là où tu es jusqu'à nouvel ordre!" Et dès qu'elle put, elle le fit entrer au palais. Comment une femme de calife, une souveraine, peut-elle abriter chez elle, dans sa propre chambre, son amant, sans que personne autour d'elle ne le sache? Est-ce plausible? En vérité, la légende raconte que lorsqu'une servante ou un proche annonçait sa venue chez Oum Al-Banin alors que celle-ci était dans les bras du poète, la femme cachait Wadhah dans un gros coffre placé à cet effet à côté de son lit. Coffre à bijoux royal, dirait-on, sauf que pour la maîtresse du palais, ce coffre-là gardait le plus précieux de ses trésors! Un jour le calife a chargé un esclave de faire parvenir à Oum Al-Banin un joli cadeau, de nombreux bijoux qu'il a acquis lui-même au cours d'une randonnée au souk. Et pressé de remettre à la femme de son maître ce précieux cadeau, l'esclave a commis la maladresse de pénétrer dans la chambre de celle-ci sans frapper. Il a pu voir Wadhah au moment précis où la cachette l'engloutissait! Croyant pouvoir tirer d'une telle situation un bel avantage, l'esclave aurait demandé à Oum Al-Banin le prix de son silence, un de ces bijoux coûteux dont il était porteur. Mais la femme, bien moins par avarice que par l'offense que constituent cette impertinence et ce chantage, a refusé et même rabroué vertement l'esclave. Celui-ci, à la fois dépité et craignant la hargne de Oum Al-Bani, s'en retourna chez son maître et lui raconta tout, croyant que le calife ne manquerait pas de le récompenser pour sa loyauté. En vérité, comme dans la situation précédente, l'esclave a commis ce qu'on pourrait appeler infraction à l'étiquette. Mais cette fois-ci, par une telle indiscrétion il s'est rendu aussi coupable d'un outrage à l'honneur de son maître. Par conséquent, il a commis l'irréparable et signé l'arrêt de sa mort. Le calife l'a traité de menteur et fait décapiter sur-le-champ. Et sans tarder il est allé voir dans sa chambre Oum Al-Banin. Celle-ci était en train de se peigner la chevelure dans son lit. Le calife s'est assis en face d'elle sur le coffre, a pris le temps de la dévisager dans cette posture; puis il lui a demandé de lui faire cadeau du coffre. Là encore, les récits ne concordent pas. La réaction d'Oum Al-Banin diffère d'une version à l'autre. Selon une première version, Oum Al-Banin aurait répondu:" tout ce qui est dans la chambre est à vous!" Le calife désigna alors le coffre sur lequel il était assis et dit:" je ne veux que ce coffre-ci." Et sans le moindrement sourciller, Oum Al-Banin aurait dit:" il est à vous!" Une deuxième source précise que c'est avec dépit qu'Oum Al-Banin a accepté la demande de son époux. Enfin, une troisième raconte que lorsque le calife a désigné le coffre sur lequel il était assis, sa femme lui a proposé d'en prendre un autre: "Celui-là, dit-elle, j'y mets des effets qui me sont chers". Mais son mari insista; elle lui dit alors en pleurant qu'elle acceptait. Le souverain a ordonné à ses valets de creuser un puits au milieu de la chambre. Au milieu de son propre office, selon une autre version. Et quand le trou fut assez profond, le calife s'est penché sur le coffre et a dit:"Caisse, quelque chose à ton propos nous est parvenue. Si c'est vrai, tu emporteras ton secret avec toi dans la tombe. Si c'est un mensonge, personne ne nous reprochera d'avoir enterré une caisse vide!" Et sans même prendre la peine de l'ouvrir, le calife a ordonné que le coffre fût jeté dans le puits et enterré. Depuis, On ne revit nulle part Wadhah Al-Yamen. Et le calife et Oum Al-Banin ne se sont plus revus non plus. 
 
 A. Amri  
17 juin 2011
 
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  Notes:

1-Romancier et journaliste yéménite, correspondant du quotidien Al-Hayat à Riyad (Arabie saoudite).

2- Gilles Gauthier est un ancien diplomate français qui a assuré les fonctions d'ambassadeur au Yémen et de consul en Alexandrie. Arabisant, il a traduit un roman à succès égyptien
L'Immeuble Yacoubian (Imarat Ya'qubyan عمارة يعقوبيان) de Alaa al-Aswani علاء الاسواني

3- Date de naissance inconnue.

4- C'est surtout Taha Hussein qui a initié la thèse "négationniste" au sujet de Wadhah, suivi par d'autres au fil du siècle dernier. Dans son essai Hadith Al-irbiâ (حديث الاربعاء الجزء الاول - Propos du Mercredi- Tome I) paru en 1926 au Caire et consacré à la littérature arabe classique, l'intellectuel égyptien, doctorat en histoire, passe au crible certaines incohérences biographiques de Wadhah et des textes dont l'authenticité parait douteuse, pour en conclure que ce poète aurait été inventé par des Yéménites jalousant la richesse littéraire des hedjaziens. Mais il faut remarquer que l'entreprise destructuraliste de Taha Hussein ne concerne pas seulement le mythe de Wadhah Al-Yeman; c'est un "règlement de compte" entrepris par un jeune historien, érudit certes, mais qui est aussi un cartésien nouvellement diplômé de la Sorbonne, à l'endroit d'une bonne partie du patrimoine arabao-musulman. D'où le scepticisme méthodique de l'œuvre en général et des élucubrations touchant à Wadhah Al-Yeman. D'autre part, tout ce qui touche à Wadhah Al-Yamen, et en particulier sa liaison avec Oum-Al-Banin, a dû être soumis à la censure politique sous la dynastie des omeyyades au point que les premiers écrits reconstituant la vie et l'œuvre du poète ne purent paraître et bénéficier d'une certaine diffusion qu'à partir de l'accession au pouvoir, en 750, des Abassides. Près d'un siècle d'occultation systématique frappant Wadhah Al-Yamen expliquerait, à notre sens, tant d'incohérences et de discordances dans les récits des anciens, perpétués selon la tradition orale, que les historiens et critiques modernes détournent aisément au profit de ce "négationnisme" académique initié par Taha Hussein.

5- Kitab Al-Aghani (arabe : كتاب الأغاني, Le livre des chansons) est une immense œuvre encyclopédique de la poésie arabe chantée, composée par Abou Al-Faraj Al-Asfahani (né à Ispahan en 897, mort à Bagdad en 967). Dans son édition moderne, publiée à Beyrouth en 2004, Kitab Al-Aghani couvre 10 000 pages réparties sur 24 volumes.

6- Le nom complet suggère un descendant à traîne: Abderrahmane Ben Ismaïl Ben Abd Kilal Ben Dath Ben Abi Jamad عبدالرحمن بن اسماعيل بن عبدكلال بن داذ بن ابي جمد

7-
Les Béni-Hamir forment les plus importantes et vieilles tribus du Yémen. Leur histoire remonte à 4000 ans. Le nom Béni-Hamir (ar.: Descendants des Rouges) a été attribué à ces tribus parce que leur ancêtre Al-Aranjaj, qui fut roi, portait une couronne rouge.

8- On estime à une cinquantaine le nombre de poèmes attribués à Wahah Al-Yamen. En comparaison à ses contemporains, si le poète ne semble pas prolixe c'est que sa mort prématurée ne lui a pas permis de léguer davantage de textes.


9- La poésie courtoise, par certaines révélations impudiques, étant jugée libertine, les auteurs recourent à ce procédé de "voilement" pour ne pas exposer au déshonneur leurs amantes et ne pas encourir pour eux-mêmes les sanctions consécutives. D'après les sources citées par Kitab Al-Aghani, cette Raoudha est la fille d'un certain Amrou, des descendants de Frân Thi Eddorouô Al-Kandi: روضة بنت عمرو ، من ولد فرعان ذي الدروع الكندي

10- L'empire musulman sous la dynastie des Omeyyades.
11- Le Hedjaz est l'appellation qui désigne la zone du nord-ouest de l'actuelle Arabie saoudite et dont les principales villes sont Djeddah, la Mecque et Médine.

12- Quelques célébrités féminines ayant fait l'objet de romances: Fatima Bent Abdelmalik Ben Marouane (fille de calife et sœur de calife; ce dernier n'étant autre que le mari de Oum Al-Banin!) ayant inspiré Omar Ibn Rabiâ, Ramlat Bent Abdallah Ben Khalaf (soeur de Tahat Talhaat, gouverneur de Sistan) ayant inspiré à la fois Omar Ibn Rabiâ et Abderrahmane Ben Hassan, Atika Bent Mouâouya Ben Sofian (fille du premier calife de la dynastie omeyyade) par Abou Dahbel Al-Jemhi, Zeyneb Bent Akrama Ben Abderrahmane (fille d'un docteur de foi, l'un des sept grands oulémas de Medine mort en 794) par Ibn Rahima, Zeyneb Bent Youssef Ben Al-Hakam (sœur du tristement célèbre Al-Hajjaj Ben Youssef, commandant militaire et chef de police sanguinaire, puis gouverneur du Hijaz et de l'Irak) par Ibn Namir Athakhafi.
Notons aussi que, d'après Kitab Al-Aghani (Le livre des Chants) , même Sakina Bent Al-Houssein (petite-fille du Prophète) aurait fait l'objet d'une romance attribuée à Omar Ibn Rabiâ. http://www.rafed.net/books/tarikh/amene-bente-alhussein/08.html


__________ Bibliographie: - تاريخ الإسلام للذهبي Histoire de l'Islam -Dahbi - Kitab Al-Aghani (كتاب الاغاني لابو فرج الاصفهاني Le Livre des Chansons) de Abou Al-Faraj Al-Asfahani. - La mort des notables - Ibn Khalkan وفيات الأعيان لابن خلكان - La littérature et la culture du Yémen à travers les âges de Mohamed Saïd Jrada.لادب والثقافة في اليمن عبر العصور لمحمد سعيد جرادة - Hadith Al-irbiâ (Propos du Mercredi- Tome I) de Taha Husseinحديث الاربعاء الجزء الاول للدكتور طة حسين - Afaq Arabya Wadhah Al-yeman aw Attayf Al-âid (Horizons arabes, Wadhah Al-yeman ou le spectre revenant) de Akram Rafî Ed°1960.افاق عربية وضاح اليمن او الطيف العائد لاكرم الرافعي طبعة - Ci-dessous un poème adapté en chanson, interprété en mode de maqam irakien:" elle m'a dit et j'ai dit قالت وقلت" (sous-titrage FR); la vidéo est disponible aussi sur Youtube:

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