dimanche 15 mai 2011
Riadh Chraïti: un combat pour la justice et la dignité
Ce n'est pas étonnant (Riadh Chraïti - traduit de l'arabe)
Des volées d'illusions
passent à fleur de la fenêtre
mon ami est hanté ce matin
par la voix du laitier
L'enfant s'affaisse sur une planche
sur la boue
il skie
tel un riche sur la neige de la Suisse
Ma bien-aimée rentre à l'instant
de sa soirée de la veille
Ce n'est pas étonnant
Mon verre est toujours souffrant de vide
Mes cahiers, les eaux des fous s'en amusent
en font des cerfs-volants
Les volées d'illusions
décident enfin d'entrer par la porte
J'ouvre la fenêtre et sors
Riadh Chraïti , poète tunisien
Traduit par A.Amri
15.05.11
Du même auteur:
Salutation à une patrie
Textes narratifs traduits par Mortadha Labidi
Texte en arabe:
لا عجــــبْْْْْْْْْْ
أسراب الوهم تمرّ قرب النّافذة
صاحبي مهوس هذا الصّباح بصوت بائع الحليب
الطفل يرمي بدنه على خشبة فوق الطّين
يتزحلق كما غنيّ فوق ثلوج سويسرا
حبيبتي تعود التوّ صباحا من سهر البارحة
لا عجــــبْْْْْْْْْْ
كأسي دائما مصاب بالفراغ
كراريسي ،تلهو فيها مياه المجانين
تصنع منها طائرات
أسراب الوهم تقرّر أخيرا الدّخول من الباب
فأفتح النّافذة و أخرج
رياض الشرايطي
Riadh Chraïti : Salutation à une patrie (poème traduit de l'arabe)
Bonsoir mon ombre diffuse
sur les joues des portes closes
Bonsoir ma plume
Ô mon sang répandu
sur le canon de ma feuille, bonsoir
Armé jusqu'aux dents du vide de mon tabac
et du désert de mon verre
Je lis l'ululement de mon moi
et je me vois balbutiant
devant mon premier pas
Bonsoir mon premier pas!
Compagnon de mon oppression, et ma portée
Bonsoir
Agrippé à ma poussière
A ma table
A ma nostalgie
A mes reliefs par dessus ma cité
Je diffuse ma face sur la sienne
et sur son vacarme le mien
Tandis que mes talismans sont sur elle
Bonsoir ma cité
Bonsoir ô cité où l'incendie
s'est fait chic quand il a débuté
Un martyr dans son sang
criblé de balles quand les balles ont éclaté
Bonsoir martyr
Ô passager des arcs du meurtre gratuit,
transitant vers les fleurs de la Casbah
Tu laves les cils de la patrie
avec du sang rutilant d'amour
Bonsoir, ô sien sang rassis comme le vent
ô son sang pénible, extrait du faîte du jour
Bonsoir acclamations du passager
traversant les fragrances du sens
Ô corps d'étoiles
qui se précipitent à l'entrée du pays
Armoires de désirs
Membres de l'écorce du feu
J'ai vidé dans le vagin des libertins
la lumière
Bonsoir ô lumière/ mort
Est mort qui est mort
Est toujours vivant qui vit encore
Flanqué d'une saison bondée de moi
et me protégeant de mon hier
Il descend plein
comme quelqu'un ayant pour saule la lune
sur une progéniture de météores
venus des emplacements de rosiers
Donc bonsoir quartier disparu et existant encore
Ô toi faisant irruption
par une blessure errant sur mes pages
rassemblant mes fragments épars
élisant domicile dans une rue
amourachée d'une eau à portée débridée
J'aménage en conséquence ma voix
pour chanter les mystères du matin et de la rosée
Alors bonsoir à vous et à moi
Ryadh Chraiti
Traduit par A.Amri15.05.11
_______________ Le texte dans sa version arabe:
تحيّة إلى وطن
عمت مساء يا ظلّي المنتشر على خدود الأبواب المغلقة
عمت مساء يا قلمي ،
يا دمي المسفوك على فوهة ورقي ،
عمت مساء ،،
مدجّج بفراغ تبغي و قفر كاسي ،
أقرأ نعيق أناي ،
فأجدني متلعثم قدّام أوّل خطاي ،
عمت مساء يا أوّل خطاي ،
يا قرينة قهري ، و مداي ،
عمت مساء ،،
متشبّث بغباري ،
بطاولتي ،
بغربتي ،
و بتضاريسي فوق مدينتي ،
أنشر على وجهها وجهي ،
و على ضجيجها ضجيجي ،
و عليها تمائمي ،
عمت مساء مدينتي ،
عمت مساء ،،
عمت مساء يا مدينة تأنّق فيها الحريق حين ابتدأ ،
و شهيد مضرج بالرّصاص حين انطلق ،
عمت مساء أيّها الشّهيد ،
أيّها العابر أقواس القتل المجّانيّ ، لزهر القصبة ،
تغسل أشفار الوطن بدمّ ناصع العشق ،
عمت مساء يا دمه الرّصين كالرّيح ،
يا دمه الشّاق، المشتقّ من قمّة النّهار ،
عمت مساء ، يا هتاف العابر في طيوب المعنى ،
يا فيالق نجوم تتدافع عند مدخل البلاد ،،،
خزائن الشّهوات ،
أعضاء قشرة النّار ،
أفرغت في مهبل انفجار الضوء ،
عمت مساء يا أيّها الضوء / الموت ،
مات الذي مات ،
و مازال حيّ الذي زال ،
يصطحب فصلا مكتظا بي يحميني من أمسي ،
ينزل مكتملا كما صفصافة البدر ،
على نسل شهب جاءت من مرابض الورد ،
فعمت مساء أيّها الحيّ الذي زال و مازال ،
أيّها الدّالف من جرح هائم في صحائفي يجمّع أنحائي ،،
و يبثّني في طريق تتعشّق ماء مطلوق المدى ،
فأهيّئ صوتي لإنشاد أسرار الصّباح و النّدى ،
فعمتم مساء يا أنتم ، و أنارياض الشرايطي
mercredi 11 mai 2011
Silence, on torture!
La poésie engagée n'a de sens que déclamée et montrant de l'index l'ennemi à abattre. En cela, Ayat n'a enfreint aucune loi du genre, aucune morale littéraire ou éthique artistique. Néanmoins, l'oligarchie, le pouvoir en général, les dictatures arabes en particulier, n'aiment pas les poètes, les vrais. Car il y a les flagorneurs, ou lèche-bottes, d'un côté et les poètes de l'autre. Ces derniers sont de tout temps debout. Ne savent pas opiner de la tête dans le sens approbateur. Répugnent à se courber ou prêter allégeance.
Pour avoir été de cette race-là, Ayat ne pouvait que pécher à l'endroit du pouvoir. Et elle a péché. Elle a commis le "délit" de critiquer plus d'un symbole de la monarchie, entre autres le roi et son premier ministre, tous deux des al-Khalifa. C'est un lèse-majesté qu'elle paiera très cher.
Fin mars, dans la vague de répressions qui s'est abattue sur le Bahreïn pour mater la révolte, Ayat est embarquée par la police qui la séquestre dans un lieu inconnu et -comme on en aura la confirmation plus tard- soumet à la pire torture qu'on puisse imaginer. En même temps, partout où ses parents crient leur détresse ils butent soit contre le black-out total sur le sort de leur fille soit sur le cynisme de ceux qui "voudraient bien lancer un avis de recherche si les intéressés acceptent d'abord de signer une déclaration portant disparue leur fille". On imagine aisément le calvaire de ces parents se déplaçant jour après jour de poste en poste, frappant à toutes les portes, téléphonant à tel et tel, sans réussir à avoir la moindre nouvelle de leur fille.
Mi-avril, soit plus de deux semaines après l'arrestation de Ayet, un appel anonyme parvient aux parents pour leur dire enfin que leur fille se trouve à un hôpital militaire. Arrivés sur le lieu, ces derniers ont juste le temps de constater que Ayat est dans le coma. Cause: hémorragie consécutive à un viol répété, telle est la constatation des médecins, vraisemblablement perpétré par plusieurs policiers jusqu'à ce que la victime en soit tombée dans l'état ayant nécessité son hospitalisation. Les efforts des médecins pour secourir la jeune fille sont vains. Ayat succombe des suites de ce crime innomé, sous les yeux de ses parents.
A.Amri
11.05.11
Page dédiée à la mémoire de la martyre sur Facebook
samedi 12 mars 2011
Arrêtez d'insulter le peuple!
Permettez-moi de vous rappeler que c'est le peuple qui vous a permis d'accéder à la primature. Et ce peuple est encore capable de vous en congédier s'il vous juge indigne de la charge.
Vous êtes au poste de premier ministre pour une période de transition, un épisode éphémère. Et les conditions dans lesquelles vous avez été investi de cette fonction sont censées vous éclairer assez sur les tares reprochées à votre prédécesseur pour n'en être pas vous-même prévenu.
Il semble que ni vous ni votre ministre de l'intérieur n'avez assimilé les règles du jeu politique propre à la révolution. Quand le peuple vous somme d'en finir avec le système Ben Ali, qu'il crie:" RCD, dégage!", qu'il descend dans la rue et monte par deux fois à la Kasbah pour en chasser les imposteurs, vous êtes censé avoir reçu cinq sur cinq le message en vertu duquel vous êtes l'actuel premier ministre.
Or pour oser reconduire dans leurs fonctions des administrateurs de la dictature déchue, comme ce fut le cas récemment avec 117 délégués issus du RCD dissous, que la décision vous revienne directement ou soit du seul ressort de votre ministre de l'intérieur, vous donnez l'impression que vous n'avez tiré aucune leçon des deux sit-in de la Kasbah. Au peuple qui crie:" RCD, dégage!" vous rétorquez de manière pour le moins insultante: "Engageons des RCD!"
Le peuple qui a bouté hors du bureau que vous occupez votre prédécesseur l'a fait parce que ce dernier et une bonne partie de son équipe devaient impérativement suivre leur maître. Incarnant de facto les tentacules de la pieuvre benalyenne, la tête de cette pieuvre étant tranchée il serait absurde de soutenir que ces appendices sont sains, qu'ils peuvent s'adapter à la révolution ou que celle-ci puisse les résorber ou s'en accommoder dans cette phase transitoire.
Nonobstant vos déclarations et vos promesses, vous donnez l'impression que vous êtes incapable de rompre réellement avec l'époque révolue. Vous donnez aussi l'impression que vous êtes incapable de comprendre le sens réel de la révolution. Et ce déphasage par rapport au sens de l'histoire et à la volonté du peuple risque de vous emporter vous aussi dans le sillage de ceux qui ont grossièrement insulté le peuple.
Si vous êtes là pour tenter de nous jouer un autre tour de passe-passe, dites-vous que le peuple en a assez qu'on le méprise et qu'on se méprenne encore sur son compte. Dites-vous que ce peuple est prêt à remonter à la Kasbah pour faire valoir ses droits si besoin. Sinon, épargnez au pays et à vous-même cette agaçante tartuferie dont les Tunisiens ne veulent plus.
Le peuple qui a réalisé une révolution exemplaire jusqu'ici, qui a libéré d'autres peuples frères de la léthargie séculaire et incarne depuis le 14 janvier 2010 le porte-flambeau de l'émancipation, le peuple dont l'épopée héroïque est devenue référence dans le monde entier, le peuple qui a donné à la Tunisie ce rayonnement sans précédent ne peut plus vous autoriser ni vous ni vos successeurs à l'insulter!
S'il faut le souligner davantage, dites-vous que ce peuple qui a botté son cul à Ben Ali ne peut plus respirer de près ni de loin la charogne infecte léguée par la dictature. En d'autres termes, RCD et consort dehors! Les hommes de main et les laquais de Ben Ali n'ont plus aucune légitimité pour administrer les affaires du peuple.
Alors, au nom du peuple, faites le ménage comme il se doit dans les appareils administratifs publics ou partez! faites juger les criminels et leurs complices ou partez! Et que la Tunisie en finisse une fois pour toutes avec la carcasse en putréfaction de la pieuvre benalyenne!
Au nom du peuple, donnez un coup de balai à ce tas d'excreta qui étouffe le jasmin de notre Tunisie et profane la révolution!
Au nom du peuple, mettez-vous à la page de la révolution ou .. dégage!
A. Amri
12.03.11
lundi 14 février 2011
La caravane passe
J'oubliais de mentionner aussi que tu contestais à la révolution tunisienne même l'appellation. Je présume que la contestation vaut aussi pour l'Égypte.
Voilà contre quoi je m'élève au juste quand je faisais état de cette dissonance révoltante. Et n'invoque pas d'autorité intellectuelle, Pierre, pour te permettre cette provocation, à mon sens, déplacée. Un universitaire qui se respecte se doit un minimum d'objectivité dans ses propos s'il se veut crédible. Le vocabulaire péjoratif très connoté (post en date du 18 janvier), l'intention dévalorisante et pour le moins méprisante, ôtent toute prétention à la rigueur d'un discours supposé analytique.
Quant à cet épouvantail islamiste que brandissent traditionnellement Adler, BHL et Finkielkraut, entre autres, autant je comprends l'angoisse de ces "maîtres penseurs" et de leurs disciples (parce que le sionisme, c'est certain, vient de perdre deux alliés notoires, voire deux agents fidèles dans la région, sans compter ce qui va s'ensuivre) autant je trouve ridicule chez les nôtres (et je voudrais que ce possessif s'entende dans un sens plus politique que communautaire) cette angoisse d'un avenir confisqué par les islamistes.
Je suis persuadé que nous sommes en retard d'une guerre, les amis. Depuis la chute de l'Irak, la gauche bouge autour de nous et évolue à pas de géant, dépassant les vieux clivages et les querelles de chapelle: lisez Chomsky, Bricmont, Collon, Boniface, Paul-Eric Blanrue... Méditez les alliances de Hugo Chavez et ses voisins dans l'Amérique latine avec l'Iran, le Hezbollah, le Hamas, la Turquie. L'islam politique est devenu pièce maîtresse dans la résistance contre le sionisme et l'impérialisme, et ce n'est pas tout: que ce soit en Égypte ou en Tunisie, les vieilles images stéréotypées au sujet de ces barbus vivant et pensant dans les limbes du Moyen âge ne sont plus valables. Plus de 63% des dirigeants au sein du Hezbollah sont des femmes. Toute la gauche libanaise et les chrétiens réunis autour de Michel Aoun sont alliés avec le Hezbollah. En Palestine, les dernières révélations faites sur Aljazeera plaident plus que jamais pour la légitimité représentative du Hamas.Et quiconque parie encore sur Abbas et consort pour libérer la Palestine ou une partie se trompe.
Mais souligner ceci ne veut pas dire que nous avons déjà fourni aux islamistes une procuration pour nous gouverner en Tunisie ou en Égypte. C'est seulement reconnaître à une tranche de notre société le droit à la vie politique. Il n'y a pas plus d'extrémistes chez nous qu'ailleurs. Il y a seulement des peurs amplifiées, surfantasmées, dont une bonne part importée ou greffée à la faveur de nos vieilles dictatures, peurs que nous devons conjurer ensemble en réapprenant à cohabiter et en disant à ceux qui alimentent la division pour faire perdurer leur règne que nous en avons assez! nous voulons prendre notre destin en main. Et nous en sommes capables, rassurez-vous.
Dites-vous seulement que l'islamisme n'aurait pu prospérer dans notre région sans l'existence d'Israël. Le vrai mal, le diable que toutes les forces vives du monde, arabe ou autre, doivent pointer du doigt est bien celui-là, et non les Frères musulmans d'Égypte ou les Nahdhaouis de Tunisie.
Parce que la terreur réelle n'est pas ni ne doit être chez nous: elle est et doit être ailleurs, à Washington, à Tel-Aviv, dans les officines sionistes où qu'elles puissent avoir pignon sur rue, en rapport avec les promesses de ce printemps arabe pour l'avenir de nos peuples, et parallèlement pour nos rapports de force avec Israël.
Voilà ce qu'il faut prendre en compte avant toute chose; la menace islamiste ce sont les thèses et les alibis des dictateurs déchus. Et de ceux qui pourraient suivre parce que, n'étant pas à bonne école comme l'est Pierre, je suis optimiste. Quoiqu'on en dise et médise, la révolution arabe ne fait que commencer.
A bon entendeur..salamalec!
mardi 1 février 2011
Pour que l'espoir ne soit pas chimère
Pierre Piccinin - Professeur de d'histoire et de sciences politiques
Le 14 janvier 2011, un immense espoir est né en Tunisie et dans l'ensemble des pays arabes. Au bout de 23 ans de pouvoir dictatorial et mafieux, Ben Ali est acculé à abdiquer et fuir à l'étranger. La révolution populaire tunisienne a incontestablement marqué ce jour-là une victoire retentissante que l'histoire n'oubliera pas. Pour la première fois dans le monde arabe, si ce n'est dans le monde entier depuis la révolution française, la lutte d'un peuple déterminé à en finir avec un système politique caduc et prendre son destin en main, en s'appuyant exclusivement sur les moyens de la résistance citoyenne pacifique, s'est avérée possible et concluante.
L'impact de cet évènement dans les pays frères est immédiat: en Algérie, en Jordanie, au Yémen puis en Égypte surtout, les masses arabes qui ne sont pas moins méritantes que le peuple tunisien décident de suivre l'exemple. Ce qui se passe en Égypte, cœur du monde arabe, augure de la fin du vieil ordre établi dans la région. On en tremble à Washington comme à Tel-Aviv. Et pour cause! Et le monde entier vit au pouls de ce soulèvement arabe qui promet de s'affirmer encore et s'étendre à d'autres zones.
Néanmoins, parce que l'euphorie ne doit pas cacher la réalité pour nous, l'optimisme doit rester toujours relatif. Ce qui se trame dans les coulisses américaines pour l'avenir de l'Égypte semble procéder du même ordre qui a arrangé la fuite de Ben Ali, le 14 janvier, et motivé la visite en Tunisie de Jeffrey Fieltman, une dizaine de jours plus tard. Les USA s'activent pour assurer un changement dans la continuité, du moins en ce qui concerne leurs intérêts stratégiques et la sécurité d'Israël.
Quoiqu'il en soit, dans l'attente de la chute de Moubarek en Égypte, chute que tous les signes annoncent imminente, la vigilance s'impose à bon droit en Tunisie, où de nombreux signes inquiétants s'accumulent depuis la fuite du dictateur déchu. Le bras de fer que soutient le gouvernement provisoire contre la volonté populaire appelant à sa chute, les remaniements ministériels successifs qui reconduisent incessamment une majorité d'anciens laquais de Ben Ali, la répression barbare des contestations que ce soit à Tunis ou à l'intérieur du pays, la non dissolution du RCD alors que cette dissolution est le leitmotiv de tous les slogans scandés dans les manifestations populaires des deux dernières semaines, autant de signes doivent alarmer le peuple et le mobiliser pour la poursuite des luttes. Disons-le de vive voix: il ne faut jamais se replier ni desserrer le moindrement l'étau autour du gouvernement actuel sous peine d'avoir à pâtir d'une dictature blessée à mort mais pas achevée.
Au premier acquis de la révolution que fut la chute de Ben Ali doivent suivre ceux pour lesquelles la révolution a mobilisé son peuple. Les Tunisiens ne se sont pas débarrassés d'une vieille dictature pour accepter une nouvelle à sa place. Fût-elle de coton! Ben Ali est parti, toutefois ce n'est qu'une tête coupée de l'hydre dictatorial. "Ali Baba est parti mais les quarante voleurs sont toujours là!" lit-on sur les pages d'internautes tunisiens qui n'acceptent pas qu'on se paye leur tête. Il n'est caché pour personne, et les Tunisiens en premier, que la piovra tient encore le pays. Pieuvre ou hydre au sens mythologique du terme, le système benaliste n'abdiquera pas de son gré. On lui a tranché une tentacule, une tête, deux en sus des six restants ont d'ores et déjà repoussé avec le maintien de ses valets au pouvoir. Ces têtes ou tentacules assurent encore la survie du système pourri. Et la révolution risque en tout temps d'être mot creux pour les Tunisiens comme pour le monde qui les entoure, tant que les cerbères du vieil ordre tunisien sont encore au pouvoir.
Le gouvernement, contrairement à tout ce qu'il nous dit au sujet de la soi-disant démission du RCD de ses membres, continue de collaborer avec le parti, comme en témoignent les actes menés conjointement par les milices et les forces de l'ordre contre les manifestants et les participants au sit-in de la Casbah. Ce parti impliqué jusqu'au cou dans les crimes de Ben Ali et sa bande mafieuse, ainsi que ses milices qui n'abdiquent pas, qui sèment la terreur, saccagent, pillent et menacent de livrer le pays à une guerre civile constituent une autre tête de l'hydre à abattre. Cette tête doit impérativement tomber sans délai. Sans quoi adieu la révolution!
Et nous ne le dirons jamais assez: la révolution, les Tunisiens attachés à leurs valeurs patriotiques et civilisationnelles ne veulent pas d'effusion de sang. Ni piloris ni chasse aux sorcières. Jusqu'ici le peuple a consenti des martyrs dans ses rangs sans répandre la moindre goutte dans le camp opposé. Tant mieux pour une certaine image de marque qui fut constamment la nôtre et dont nous ne voulons pas nous défaire! Un peuple pacifique et tolérant, un pays au carrefour des civilisations, une Tunisie terre des hommes. Ce sont, entre autres, des traits identitaires qui font partie de notre fierté. Et nous ne souffrirons pas d'en immoler un seul au nom de la révolution.
Le capital de sympathie dont notre pays a bénéficié dans le monde entier à la faveur de cette magnifique révolution, nous sommes appelés à le préserver et le soutenir. Car il sera demain le garant de notre estime, aussi bien dans le bassin de la Méditerranée -notre environnement immédiat, que dans le reste du monde.
Continuons donc dans cette voie et ne cédons en aucun cas ni à la haine ni à la violence. Tous les citoyens, y compris les adhérants au RCD, sont tunisiens à part entière: leurs vies, leurs biens, leur dignité à tous sont sacrés au même titre que la révolution qui catalyse notre espoir.
C'est dire que la dissolution du RCD que nous devons réclamer et réaliser sans concession aucune ne signifie pas guerre contre les rcédistes. S'il y a des criminels dans ce parti, et il y en a incontestablement, il n'appartient à aucun citoyen de s'ériger en juge, ni en son propre nom ni au nom du pays, pour faire justice lui-même. Seuls les tribunaux compétents sont habilités le moment venu à juger les justiciables. Et quoi qu'il en soit, nous qui avons tant souffert de l'arbitraire et de l'oppression sous Ben Ali ne pouvons admettre que d'autres tunisiens, parce que différents et politiquement d'un autre bord, subissent les mêmes torts dans la Tunisie nouvelle. Tout accusé est présumé innocent jusqu'à preuve de sa culpabilité: voilà un principe de droit universel duquel nous ne devons jamais nous écarter.
A. Amri
01.02.11
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