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mardi 14 juin 2016

De deux mots le moindre


«Prestige du verbe, orgueil de soi, volonté de surélévation : lorsque nous avons prononcé le mot Occident, nous avons tout dit, comme si l’Occident était autre chose que la pente déclinante de l’Orient.» Pierre Rossi1


« Is Rose a semetic or an aryan word ? »  
 
Max Müller
Tel est le titre d’un article publié le 2 mai 1874 par la British Academy des Humanités et des Sciences sociales. Max Müller y répondait à un message très court -mais fort courtois- qui lui a été adressé par l'orientaliste britannique et professeur d'arabe à l'université de Cambridge, William Wright. Celui-ci ayant constaté que l’auteur allemand considérait à tort que le mot « ورد ward » est indo-européen, a jugé bon de signaler cette « légère erreur » et de rétablir l’origine correcte du mot. Voici la traduction du corps de sa lettre: « J'espère que le professeur Müller voudra bien m’excuser de corriger une légère erreur dans laquelle il est tombé. Verd, rose en turc, n'est pas persan, c'est-à-dire mot aryen, mais arabe, c'est-à-dire mot sémitique... » ."2

Auteur de plusieurs monographies sur les littératures arabe et syriaque, et de la célèbre Wright's Grammar3, WilliamWright parlait en connaissance de cause, et croyait rendre service à Max Müller en le corrigeant. Mais Müller ne l'entendait pas de cette oreille.  Une semaine à peine plus tard, il répondait à son contradicteur par une longue lettre qui commençait ainsi: "Il y a peu de mots, je crois, sur lesquels l'aryen, le sémitique, et même les érudits hamitiques se sont battus avec autant d'insistance que le nom de Rose. Mais si le professeur Wright est vraiment lui-même convaincu que le corps de Patrocle appartient à l'armée sémitique, et non pas à l'Aryen, je l'espère, il nous donnera ses raisons".4

Le grief formulé à demi-mot à l'encontre de Wright et le ton, mi-narquois mi-amer, sur lequel Müller le formulait, nous permettent de comprendre l'une des lois fondamentales qui régissent la «mythémologie». J'appelle de ce nom barbare5 une pseudo-philologie au service d'un orgueil doxique, ce «prestige du verbe» qui honore les coqs de la philologie, et déshonore la science. Si l'art étymologique, selon Falconet, "est celui de débrouiller ce qui déguise les mots, de les dépouiller de ce qui, pour ainsi dire, leur est étranger, et par ce moyen les amener à la simplicité qu'ils ont tous dans l'origine"6, l'art «mythémologique» est tout le contraire. Tissé de mensonges et de mythes, nourri de haine à l'endroit de l'Autre et de sa culture, cet art, sous un discours apparemment objectif, déguise de manière savante les mots, les affuble de ce qui ne leur appartient pas. Parce que les instincts racistes incoercibles y ont voix au chapitre,  la «mythémologie» ne s'embarrasse pas de latiniser, helléniser, romaniser le plus arabe des mots. Par «allergie aux thèses non indo-européennes» selon l'expression de Salah Guemriche.7

Comprendre la réaction de Müller dans ce contexte précis c'est saisir les fondements de cette allergie. Aux yeux de Max Müller, s'il ne convient pas à un Occidental, fût-ce pour un idéal scientifique des mieux fondé, de
«profaner» la mémoire de Patrocle8, c'est que la rose est imbriquée dans un système mythologique complexe qui innerve d'une certaine façon la doxa de l'Occident, ou ce que Pierre Rossi appelle «prestige du verbe, orgueil de soi, volonté de surélévation ».

Comment admettre l'arabité de
ward sans brouiller l'hypertexte tissé autour de ses dérivés rhódon, wrodion, rose, etc.? Dès que le mot rose se détache du fond gréco-latin et se rattache à une racine arabe, tout ce qui s'est greffé dans l'inconscient culturel occidental sur ce mot à partir d'un nombre astronomique de récits, à commencer par ceux transmis du grec, s'en affecte fatalement. Chloris, Aphrodite,  Dionysos, Apollon, les Grâces, tous associés au mythe de la rose, risquent de devenir anémiques si le mot s'avère, ou plutôt s'avoue, arabe.

Ne nous a-t-on pas tant débité sur la rose redevable de sa naissance à Chloris, déesse des fleurs, qui l'a faite jaillir du corps inanimé d'une nymphe,  Aphrodite lui ayant donné la beauté, Dionysos ayant déposé entre ses pétales du nectar dont elle tire son parfum; les trois Grâces l'ayant comblée en lui donnant le charme, l'éclat et la joie; et Apollon, enfin, l'ayant couronnée Reine des Fleurs ?
9

Il y a aussi toute la littérature stratifiée dans l'inconscient de l'élite, aussi bien allemande qu'occidentale en général, au sujet du personnage homérique, ami et amant d'Achille. L’Iliade mais aussi, indirectement, Les Amours de Leucippé et Clitophon, roman d'Achille Tatius10, ont construit un large réseau de symboles s'articulant sur la rose, et associé à l'évocation de Patrocle. C'est un énorme édifice de mythes et de fantasmes construit là-dessus. Et le moindre doute jeté sur l'origine de l'étymon en question, ward, entrainerait fatalement des avaries pouvant mettre à faux les fondements dudit édifice. 

Comment défendre, à titre d'exemple, le très poétique vers
Warda et son ward
homérique évoquant la fille du matin, l'aurore aux doigts de rose11, ou Éos en robe de safran, si rose et safran s'avèrent arabes ? Comment interpréter les mythes de Crocus si crocus s'avère arabe ? Comment soutenir les fantasmes liés aux nymphes et à la nymphomanie si nénuphar s'avère arabe?12 Ces étymons auquel le grec est redevable des prémisses de ses mythes ne sont pas faciles à digérer.

Sans doute est-ce là la raison qui explique pourquoi Littré a honoré rose d'une
racine «sanskrite». Sa devise a dû être: des deux «mots» il faut choisir le moindre ! 
«Rose: bourguignon reuse ; wallon, rôz ; provençal, espagnol et italien rosa ; du latin rosa ; ancien persan, vrada, sanscrit vrad, se courber, être flexible.»13


Courbons-nous autant que faire se peut et soyons flexibles pour admettre le bon sens de Littré. Le vrad sanskrit qui signifie «se courber, être flexible» cadre mieux avec la rose et son parfum aryen que le «ward» arabe qui signifie simplement «rose» !

Si nous consultons le dictionnaire en ligne du TLF pour voir quelle racine il nous propose en la matière, nous constatons qu'il nous gave de citations documentant la partie historique. Mais il n'y a presque rien à se mettre sous la dent sur l'étymologie, à part ceci:
«Emprunté au latin rosa « rose (fleur), rosier ».
Nous pouvons nous demander pourquoi le TLF opère un
«recul» par rapport à Littré et se borne au latin. Ce n'est pas nécessairement parce que le passage du grec rhódon au latin rosa puisse poser quelque problème, les métaplasmes ayant toujours marqué la plupart des emprunts. Mais parce que les linguistes ont acquis la certitude que le rhódon grec n'est ni sanskrit ni persan. Michel Masson qui a consacré une minutieuse étude à cette question, s'il n'a pas explicitement désigné l'arabe comme source du nom grec de rose a néanmoins attribué celui-ci à "une langue sémitique".14 

Pour conclure, rappelons que d'autres noms de fleurs, soit directement empruntés à l'arabe soit dérivés de racines arabes, sont également affublés de fausses étymologies15. Il y a aussi un grand nombre de plantes dont les noms, d'origine arabe, sont attribués en français et d'autres langues romanes au grec ou au latin16





A. Amri
17 mai 2016


=== Notes ===

1-  Pierre Rossi, La Cité d’Isis, Histoire vraie des Arabes, Nouvelles Editions Latines, 1976, p.9/10

2- The Academy, Janury - June, Volume 5 (London, 1874); p. 488
 
3- Grammaire d'arabe destinée aux étudiants arabisants: A Grammar of the Arabic Language, Londres, 1875.

4- The Academy, Janury - June, Volume 5 (London, 1874); p. 488 

5-  Voir mon article sur ce blog Mythémologie: hanche et racines arabes à la pelle.

6- Cité in Dictionnaire étymologique de la langue française, Volume 1, Par Jean-Baptiste-Bonaventure de Roquefort,  Paris 1820, p.13 

7- Vous avez dit "Pas d'amalgame" ? par Salah Guemriche

8- Personnage de l’Iliade, l'un des guerriers grecs de la guerre de Troie, cousin et ami intime d'Achille. Les deux personnages sont devenus un symbole des relations pédérastiques. Et sans aller jusqu'à prêter à Müller une "sensibilité" à ce côté précis du personnage, je crois que s'il n'admet pas que "le corps de Patrocle appartienne à l'armée sémitique", c'est qu'il n'est pas indifférent à cet aspect du mythe. Cela ne doit pas occulter, bien sûr, tout le côté mythologique associé à la rose, notamment dans les évocations homériques de l'aurore.

9- Pour se faire une idée sur les liens dans la littérature occidentale avec cet hypertexte mythologique, voir La rose: son histoire, sa culture, sa poésie, Jean-Louis-Auguste Loiseleur-Deslongchamps, Paris, 1844.
Pour les clichés d'épithétisme en rapport avec les doigts de roses, voir Anne-Marie Perrin-Naffakh, Le cliché de style en français moderne: nature linguistique et rhétorique, fonction littéraire, Presses Universitaires de Bordeaux, 1985, p.169/170

10- Voir Le roman d'Achille Tatios: "discours panégyrique" et imaginaire romanesque, Par Marcelle Laplace, Editions Scientifiques Internationales, Berne, 2007, p.194/195/196.

11- Voir Les métamorphoses d'Ovide, traduction nouvelle avec texte latin, Mathieu-Guillaume-Thérèse Villenave, Paris, 1806, p. 217

12- Sur le rapport entre nénuphar, nymphe, nymphette... voir l'article de Fred Renn: nénufar.

13- Dictionnaire Littré, dictionnaire en ligne avec recherche dans le texte intégral du Littré.

14- Michel Masson, Le nom de la rose: problème d'étymologie grecque, Kentron, 1986, p.61 à 67

15- Il faut saluer la mémoire d'Alexandre de Théis qui a restitué une centaine de ces mots à leur source arabe, et ce à travers son Glossaire de Botanique ou Dictionnaire Etymologique, Paris, 1810.

16-Dont anémone, muguet, nénuphar ( pour le TLF, l'arabe n'est qu'une courroie de transmission: l'arabe nainūfar, nīnūfar, nīlūfar, du persan nīlūfar, lui-même emprunté au sanskrit nīlōtpala), suzanne, camélia (la fleur a été introduite en Europe par le botaniste Jiří Josef Camel. Après la mort de ce botaniste,  le naturaliste suédois Carl von Linné a donné à la fleur le nom qu'elle porte à ce jour. Camel (en latin Camellus) du grec ancien κάμηλος, kámêlos, emprunté à l'arabe jamêlجمل [chameau]), capucine (capucin, capuche, capuchon, cappucino, du latin tardif capa, de l'arabe cobbaâ  قبعة [coiffe, calotte, béret] : le mot latin caput est une translittération de l'arabe qafa قفا. Le français cap /chef est issu de l'arabe القب qui signifie la même chose: chef, seigneur, roi et tête), crocus, géranium (de l'arabe gurnûqi غرنوقي géranium, de gurnûq غرنوق grue), guimauve (du radical latin classique malva « mauve », du grec ancien μαλάχη, malakhê, de l'arabe ملوخية mloukhiya. Mauve est l'un de 80 mots empruntés à l'arabe, qui désignent des couleurs), hysope, hibiscus (forme corrompue de l'arabe khubiz خبيز qui signifie la même chose), jacinthe, marguerite (de l'arabe مرجان morjen [corail]), œillet (diminutif de œil, de l'arabe عين ayn qui a donné le celtique eyne, l'anglais eye, les toponymes français Aïn)rhododendron (de l'arabe ward dont le pluriel woroudon a donné le grec ancien rhódon et l'éolique wrodion)...




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Sur l'étymologie arabe de Rose:

Jean-Claude ROLLAND, Dix études de lexicologie arabe, autoédité, 2010 , p.35-41


Antoine Laurent Apollinaire Fée, Flore de Virgile: composée pour la collection des Classiques Latins, Nicolaus Eligius Lemaire,‎ , p.252 

The Academy, A weekly review of litterature, science and art, Janury-June, Volume 5, Londres, 1874, p.517-518

Michel Masson, Mirages étymologiques: Du sémitique ou de l'iranien au grec, La Linguistique, Vol. 25, Fasc. 2 (1989)

Michel Masson Le nom de la rose: problème d'étymologie grecque, Kentron, 1986


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 Au même sujet sur ce blog:

Etymologies, mythémologies et prestige du verbe


Mythémologie: hanche et racines arabes à la pelle

 Un brin de muguet pour toi

 في كلام منسوب للذكتورة نوال السعداوي

Le français en couleurs arabes





mardi 17 mai 2016

Etymologies, mythémologies et prestige du verbe

«Prestige du verbe, orgueil de soi, volonté de surélévation : lorsque nous avons prononcé le mot Occident, nous avons tout dit, comme si l’Occident était autre chose que la pente déclinante de l’Orient.» Pierre Rossi1

Anémone, nous dit Littré, se tire du grec ἄνεμος, ánemos (« vent »), « parce que la fleur s'ouvre au moindre vent » selon Pline. Il faut peut-être rappeler ce détail plinien à tous les auteurs2 qui se sont apparemment gourés en tirant le mot de l'arabe النعمان an-nôman, apocope de شقائق النعمان chaqaïq an-nôman. La remarque de Pline est d'autant plus frappée de bon sens que le vent des Arabes, chamsin (khamsin), sirocco, chergui, sahel, simoun, et j'en oublie, n'ont pas la vertu magique pour ouvrir les pétales de l'anémone.



Muguet, selon le mythe grec, a été créé par Apollon, dieu du djebel Parnasse. Donc, pas la peine d'en chercher l'étymon dans l'arabe مسك musc. Lequel du reste n'a rien d'arabe quoiqu'en disent D'Herbelot et Pihan. Et puis le musc sent bon, s'il vous plait, alors que l'arabe, ne m'en parlez pas !

Crocus, nous dit Larousse, vient du "latin crocus, du grec krokos, safran".

Évidemment,
les Grecs ayant à l'appui un joli mythe, il n'y aurait rien à redire sur la pertinence de cette
«mythémologie» cousue de fil blanc !
Krokos, selon le mythe grec, était un jeune homme très beau, ami du dieu Hermès. Un jour que les deux jouaient à une partie de lancer du disque, Hermès a tué accidentellement Krokos. Et de la plaie ouverte de ce dernier, trois gouttes de sang coulèrent, tombant entre les pétales d'une fleur qui en devint mauve3, et depuis s'appela Crocos.4


Légitimation homérique


Au VIIIe siècle av. J.-C., Homère compose une épopée en vers, l'Iliade, dans laquelle il raconte, 400 ans après sa fin, la guerre mythique de Troie. C'est à ce texte fondateur que les philologues se réfèrent pour défendre à la fois la grécité de Krokos et de rose. Décrivant l'aurore, fille du matin, Homère lui a donné diverses épithètes devenues lieues communs, l'habillant d'une robe de safran (krokópeplos) et lui donnant tantôt des mains aux doigts de rose (rododaktulos), tantôt des «avant-bras de rose» (rhodópêkhus). Ces images d'un nec plus ultra de la poétique homérique, s'ils baignent d'un halo si chatoyant la robe de l'aurore aussi bien que ses doigts, ne pourraient qu'être hellènes. Mais les philologues n'aiment pas creuser plus profond pour déchausser la racine de Krokos, de peur que l'on révèle  chez quel tailleur au juste s'habille la môme du matin. Et de quel rhizome5 ses doigts tirent leur teinte rose.

Le TLF qui cite Larousse reprend telle quelle l'étymologie donnée plus haut. Littré, qui ne propose pas d'entrée pour crocus,  nous apprend toutefois que son dérivé crocine "a probablement la même origine que curcuma". Pourquoi le TLF ne met pas à jour ses données ? Et pourquoi Littré omet de rattacher à l'arabe crocique et crocipède qui  sont de la même smala que curcuma ? Parce que la
«mythémologie» a ses raisons que l'étymologie n'a pas.

Courbette à Littré


Si nous interrogeons Littré sur l'étymologie de «rose», voici ce qu'il nous dit: «Bourg. reuse ; wallon, rôz ; provenç. espagn. et ital. rosa ; du lat. rosa ; anc. persan, vrada, sanscr. vrad, se courber, être flexible.»

Courbons-nous et soyons flexibles pour admettre que le
«ward» arabe qui signifie «rose», vieux comme le monde arabe et sa langue, n'est pas arabe. Récuser Littré et son étymologie cousue elle aussi du même fil ne sied qu'aux illettrés, gens de chicane comme les Arabes, qui prétendent à ce
prestige du verbe adjugé depuis la nuit des temps aux héritiers du fond gréco-romain.


N'est-il pas pertinent que le «vrad» sanscrit cadre mieux avec le sens et l'encens, «flexibles», de rose ?


Courbette à Müller

Max Müller n'aimait pas entendre que le mot ورد ward soit arabe. Et comme un orientaliste britannique n'a pas manqué de le contrarier à ce propos, en soutenant que le mot est arabe
6,  Müller l'avait presque sermonné, lui reprochant de prendre le part des sémites contre celui des Aryens !7
Ne peut-on pas dire qu'il avait absolument raison, Müller ? Et d'ailleurs Littré, que j'ai salué ci-haut, lui a donné raison. De même le mythe grec qui nous dit que ῥόδον, rhódon (rose) doit sa naissance à Chloris, qu'Aphrodite lui a donné la beauté, que Dyonisos a déposé entre ses pétales du nectar dont elle tire son parfum.


Rose en latin et langues romanes

L'un des premiers auteurs latins, ou latinistes pour être plus précis, à avoir parlé de la rose s'appelle Dracontius
8. Et c'est un Ifriqien9 qui
a vécu au Ve siècle, soit un siècle après Saint Augustin.
Six siècles plus tôt, les Romains ont traduit l'encyclopédie agraire de Magon. Et quoique l’œuvre de ce Carthaginois ne nous soit pas parvenue pour nous en assurer, il semble que cet agronome qui a vécu au IIIe siècle av. J.-C. s'est intéressé aussi au jardinage et à la culture des fleurs. Selon Jean Pierre Moet (1721-1806),  Varron "dans ses ouvrages sur le jardinage assure que Magon avait lui seul plus de connaissances dans cette partie, que tous les Grecs n'en avaient jamais réuni ensemble."
10

Dans son Glossaire des mots espagnols et portugais dérivés de l'arabe datant de 1869, Reinhart Dozy définit comme suit le mot portugais guedre: "(espèce de fleur, sambucus femina, Moraes). Comme la fleur de cette espèce de sureau ressemble à une rose blanche et qu'on l'appelle aussi en latin sambucus rosea, en hollandais rose de Gueldre (voyez Dodonaeus, Cruydt-Boeck, p.1419a), je n'hésite pas à reconnaître dans guedre une transposition de ورد (werd), qui signifie en général fleur et spécialement rose."
11


En français, il semble que la première attestation du mot rose date du milieu du 12e siècle. Alors qu'elle était honorée aussi bien des Grecs que des Romains, dans l'ensemble des pays de l'Occident chrétien médiéval, la rose fut longtemps proscrite, presque frappée d’anathème. Selon, Charles Joret (1839-1914), "le dédain dont la reine des fleurs fut tout d'abord l'objet auprès des chrétiens"12 trouve son explication dans l'austérité prêchée par la vertu chrétienne. "Une religion, fondée sur la mortification de la chair, ne pouvait manquer de condamner l'usage que les païens faisaient de la rose; n'était-elle pas d'ailleurs associée aux pratiques d'un culte proscrit, comme aux plaisirs coupables d'une vie condamnée par les nouveaux croyants ?"13

Dans un ouvrage consacré aux fleurs, Mélinda Wilson souligne que la rose fut "introduite en Europe par les Arabes, en Espagne au Xe siècle, et ensuite en Occident par les Croisés..."
14



A. Amri
17 mai 2016



=== Notes ===

1-  Pierre Rossi, La Cité d’Isis, Histoire vraie des Arabes, Nouvelles Editions Latines, 1976, p.9/10

2- Je cite juste quelques uns:
- Heinrich Lewy, Die semitischen Fremdwörter im griechischen, Berlin, Gaertner, 1895, p. 49

- J. Wellhausen, Reste arabischen heidentums, Berlin, G. Reimer, 1897, p. 10
- Mathias Delcor, Études bibliques et orientales de religions comparées, Leiden, 1979, pages 114, 115, 116
- Caussin de Perceval, Essai sur l'histoire des arabes avant l'islamisme, Tome 2, Paris, 1847, pages de 156 à 188
- Leopoldo de Eguilaz, Glosario etimologico de las palabras españoles, Grenade 1886, p. 4
- Enrico Narducci, Saggio di voci italiane derivate dall'arabo, Rome, 1858, p. 27
- Antoine-Paulin Pihan, Glossaire des mots français tirés de l'arabe, du persan et du turc, Paris, 1866, p. 58
     
3- Du latin malva de même sens, du grec ancien μαλάχη, malakhê, de l'arabe ملوخية mloukhiya. Plus de 80 mots français désignant des couleurs sont empruntés à l'arabe.

4- Presque la même version est reproduite pour Hyacinthe. Du sang de ce jeune homme mort dans les mêmes circonstances, est née la jacinthe.
On nous dit aussi dans le mythe d'Adonis (version grecque) que du sang de ce personnage amalgamé avec une larme d'Aphrodite est née l'anémone.
Dans un article sur ce blog à propos du muguet, je remarquais que "chaque fois que les Grecs nous débitent un mythe, c'est un peu comme la teinture au triste renom des Hézami ! Il y a dessous un maquignonnage certain, une manigance comparable à la teinture des ânes !" (L'article est ici: Un brin de muguet pour toi)


5- Du grec ῥίζωμα, rhízôma: ce qui est enraciné, touffe de racine, racines. Remarquez que l'arabe razim رازم signifie "être fixé à la terre, rester planté dans un lieu, ne pas bouger".


6-  The Academy, Janury - June, Volume 5 (London, 1874); p. 488

7- The Academy, Janury - June, Volume 5 (London, 1874); p. 488 . Voir De deux mots il faut choisir le moindre pour le texte traduit illustrant la réaction de Müller.

8In Carmen de Deo, lib. I, v.437, d'après Charles Joret, voir La Rose dans l'Antiquité et au Moyen Âge : Histoire, légendes et symbolisme, Paris, Émile Bouillon,‎ 1892; p.153

9-  Paul Monceaux, Les intellectuels carthaginois (Paris, 1894, réédition Carthaginoises, 2009), p.90

10- Traité de La Culture Des Renoncules Des Œillets, Des Auricules Et Des Tulipes (1754); p. 24

11- Glossaire des mots espagnols et portugais dérivés de l'arabe, Reinhart Pieter Anne Dozy, Willem Herman Engelmann, Leyde, E.J. Brill, 1869, p.281


12- La rose dans l'antiquité et au Moyen Age: histoire, légendes et symbolisme,  Charles Joret, Slatkine, Genève, Paris, 1893, p.142

13- Ibid. p.141/142

14- Fleurs comestibles: Du jardin à la table Par Mélinda Wilson, Canada, Fides, 2007, p.194



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