Quand
vous envoyez au TLF une requête au sujet de l'origine du mot "calame",
voici ce que les
Gardiens du Trésor vous disent: du latin "calamus" qui
dérive lui-même du grec "kάλαμος" [kalamos]. Et l'histoire s'arrête là.
Ou plutôt là commence l'histoire. Car au-delà de kalamos, il n'y a rien à
part la nuit chtonienne dont est sorti le jour grec. Duquel est sorti
ensuite l’œuf originel de l'univers.1
Calame
Au clair du soleil, mon amie Hélène Feu grand-père a prêté son vert roseau A ta feue mamie pour écrire un mot Et son qalam depuis devint hellène
C'est que de haute Grèce feue mamie Et sur les dos amis mangeant sa laine En trempant le mirliton dans son encre Le vit si baveux qu'elle en fit son ancre Y mouillant de vie à très bas l'ami
Hélène de Troie feue sa légataire Mordue de houkas et tout feu lascif Du qalam fit calumet pour son kif Et leur kief aux copains célibataires
Athéna à Roma abdicataire Et païens aux chrétiens avec ferveur De la phragmite2 encor dans sa verdeur Le roseau devint chaume des nattaires3
Puis chaumière4 au bonheur des cœurs qui s'aiment Au Sang du Sauveur c'est son chalumeau Le pape le tète comme un chameau Et nul de ses ouailles ne l'en blâme
Du qalem dérivèrent calamide Calamidon et puis calamité Calmar et tant de kelmas usités Se ramifiant kifkif les arabides Dites haut khamsa dans l’œil du jaloux Sinon le roseau n'aura plus de jus Et mamma Romaine plus de verjus Ni de mots pour nourrir ses morfaloux
Du sarrasin Qalam naquit Kalamos Son fils Calamus donna à ma mère Flopée utérine à Chaume et Chaumière5 Tous baptisés couvée de l'Omphalos
Et pas un ne se souvient de Kadmos ?6 Oubliés Alpha, Béta et leur maître Qui à l'écrit initia le parlêtre ? Pas chic ce novice ingrat jusqu'à l'os !
C'est que les Gardiens de notre Trésor Plus fiers que le beau coq de leurs ancêtres Ne souffrent pas que les murs de notre aître Au dehors révèlent nos mines d'or
A. Amri 15.05.2016 ===Notes===
1-
Pourquoi ce nombrilisme qui se complait dans la fausseté et le mensonge
? On peut trouver une esquisse de réponse dans les propos de Pierre
Rossi:"Une vision bornée de l'histoire nous a imposé d'en localiser les
sources non loin de chez nous, dans l'aride péninsule hellénique et sur
les misérables rives du Tibre. Les Européens réduisent volontiers les
origines de leur culture aux cantons athéniens et romains. C'est là une
appréciation erronée; elle nous a été inspirée par des partis pris
confessionnels et politiques. Il n'est guère douteux en effet que les
historiens de l'Eglise catholique romaine, seuls maîtres durant plus de
mille ans des archives de l'antiquité, en ont orienté l'interprétation
pour la plus grande gloire de l'Occident européen." ( Pierre Rossi, La Cité d'Isis: histoire vraie des Arabes (Nouvelles Ed° Latines, 1976))
2- Alors que le radical de ce mot, natte, proviendrait, selon toute vraisemblance, de mattarius qui a donné matelas (de l'arabe matrah مطرح),
le TLF se complait comme toujours à user de ses "euphémismes" habituels
afin de nous persuader qu'il n'y pas trop d'arabe en français ! Natte,
nous dit-il en citant ses références d'autorité, c'est sémite,
phénicien, hébreux. Tant mieux pour la France et le français !
3-
Du grec ancien φραγμίτης, phragmites (« poussant sur le bord [de l’eau]
»), dérivé de φράγμα, phrágma (« enceinte »). Remarquez que l'arabe horma signifie enceinte.
4- Contrairement aux connotations liées à "chaume", chaumière désignait au 19e des maisons luxueuses, comme en témoignent Balzac ( Modeste Mignon,1844, p. 13) et Hugo(Le Rhin,1842, p. 387). 5- Le corpus que j'ai pu reconstituer comprend 40
dérivés de calamus. Il peut y avoir d'autres mots sur l'origine
desquels j'ai des doutes: calamine et ses dérivés semblent venir de
cadmea (et ceui-ci de Cadmus (grec Kadmos) évoqué dans ce texte). Voici
la liste: calame,
calamagrostidées, calamariées, calamédon, calamées, calamide,
calamifère, calamiforme, calamule, calamistré, calamistrer, calamistrum,
calamite, calamité,
calamiteusement, calamiteux, calamophyles, calamar, calmar, calmaret,
calemar, calumet, chalumeau, chalumer, chalumet, chalumeur, chalumiste,
chaume, chaumine, chaumière, chaumet, chaumier, chaumeret, chaumé,
échaumer, chaumis, chaumis, échaumage, déchaumage, déchaumeuse, lapsus
calami. 6-
En vérité, ceux qui se souviennent de Cadmus sont surtout des
historiens ou des philologues incapables de s'infliger cette blessure
narcissique qui consiste à reconnaître à l'Orient un quelconque rôle
civilisateur de l'Occident. Ainsi, Juan Bautista Erro et José Antonio
Conde, à titre d'exemple, considèrent nulles et sans valeur ce que
Hérodote, Diodore et Pline, entre autres, nous apprennent sur l'origine
de l'alphabet grec. Selon ces deux auteurs espagnols, le grec tire ses
origines non du phénicien mais du basque (voir Alphabet de la langue primitive de l'Espagne (Madrid, 1806), p.18).
«Prestige du verbe, orgueil de soi, volonté de surélévation :
lorsque nous avons prononcé le mot Occident, nous avons tout dit, comme
si l’Occident était autre chose que la pente déclinante de l’Orient.»
Pierre Rossi1
« Is Rose a semetic or an aryan word ? »
Max Müller
Tel est le titre d’un article publié le 2 mai 1874 par la British Academy des Humanités et des Sciences sociales. Max Müller y répondait à un message très court -mais fort courtois- qui lui a été adressé par l'orientaliste britannique et professeur d'arabe à l'université de Cambridge, William Wright. Celui-ci ayant constaté que l’auteur allemand considérait à tort que le mot « ورد ward » est indo-européen, a jugé bon de signaler cette « légère erreur » et de rétablir l’origine correcte du mot. Voici la traduction du corps de sa lettre: « J'espère que le professeur Müller voudra bien m’excuser de corriger une légère erreur dans laquelle il est tombé. Verd, rose en turc, n'est pas persan, c'est-à-dire mot aryen, mais arabe, c'est-à-dire mot sémitique... » ."2
Auteur de plusieurs monographies sur les littératures arabe et syriaque, et de la célèbre Wright's Grammar3,
WilliamWright parlait en connaissance de cause, et croyait rendre
service à Max Müller en le corrigeant. Mais Müller ne l'entendait pas de
cette oreille. Une semaine à peine plus tard, il répondait à son
contradicteur par une longue lettre qui commençait ainsi: "Il y a peu de
mots, je crois, sur lesquels l'aryen, le sémitique, et même les érudits
hamitiques se sont battus avec autant d'insistance que le nom de Rose.
Mais si le professeur Wright est vraiment lui-même convaincu que le
corps de Patrocle appartient à l'armée sémitique, et non pas à l'Aryen,
je l'espère, il nous donnera ses raisons".4
Le
grief formulé à demi-mot à l'encontre de Wright et le ton, mi-narquois
mi-amer, sur lequel Müller le formulait, nous permettent de comprendre
l'une des lois fondamentales qui régissent la «mythémologie». J'appelle de
ce nom barbare5
une pseudo-philologie au service d'un orgueil doxique, ce «prestige du verbe» qui honore les coqs de la philologie, et déshonore la
science. Si l'art étymologique, selon Falconet, "est celui de
débrouiller ce qui déguise les mots, de les dépouiller de ce qui, pour
ainsi dire, leur est étranger, et par ce moyen les amener à la
simplicité qu'ils ont tous dans l'origine"6, l'art «mythémologique» est tout le contraire. Tissé de mensonges et de mythes, nourri de haine à l'endroit de l'Autre et de sa culture, cet art,sous
un discours apparemment objectif, déguise de manière savante les mots, les
affuble de ce qui ne leur appartient pas. Parce que les instincts racistes incoercibles y ont voix au chapitre, la «mythémologie»ne s'embarrasse pas de latiniser, helléniser, romaniser le plus arabe des mots. Par «allergie aux thèses non indo-européennes» selon l'expression de Salah Guemriche.7
Comprendre
la réaction de Müller dans ce contexte précis c'est saisir les
fondements de cette allergie. Aux yeux de Max Müller, s'il ne convient
pas à un Occidental, fût-ce pour un idéal scientifique des mieux fondé,
de «profaner» la mémoire de Patrocle8,
c'est que la rose est imbriquée dans un système mythologique complexe
qui innerve d'une certaine façon la doxa de l'Occident, ou ce que Pierre
Rossi appelle «prestige du verbe, orgueil de soi, volonté de surélévation ».
Comment admettre l'arabité de ward sans brouiller
l'hypertexte tissé autour de ses dérivés rhódon, wrodion,
rose, etc.? Dès que le mot rose se détache du fond gréco-latin et se rattache à une racine arabe, tout ce qui s'est greffé dans
l'inconscient culturel occidental sur ce mot à partir d'un nombre
astronomique de récits, à commencer par ceux transmis du grec, s'en affecte fatalement. Chloris,
Aphrodite, Dionysos, Apollon, les Grâces, tous associés au mythe de la
rose, risquent de devenir anémiques si le mot s'avère, ou plutôt s'avoue, arabe.
Ne
nous a-t-on pas tant débité sur la rose redevable de sa naissance à
Chloris, déesse des fleurs, qui l'a faite jaillir du corps inanimé d'une
nymphe, Aphrodite lui ayant donné la beauté, Dionysos ayant déposé
entre ses pétales du nectar dont elle tire son parfum; les trois Grâces
l'ayant comblée en lui donnant le charme, l'éclat et la joie; et
Apollon, enfin, l'ayant couronnée Reine des Fleurs ?9
Il y a aussi toute la littérature stratifiée dans l'inconscient de l'élite,
aussi bien allemande qu'occidentale en général, au sujet du personnage
homérique, ami et amant d'Achille. L’Iliade mais aussi, indirectement,
Les Amours de Leucippé et Clitophon, roman d'Achille Tatius10, ont
construit un large réseau de symboles s'articulant sur la rose, et
associé à l'évocation de Patrocle. C'est un énorme édifice de mythes et
de fantasmes construit là-dessus. Et le moindre doute jeté sur l'origine
de l'étymon en question, ward, entrainerait fatalement des avaries pouvant mettre à faux les fondements dudit édifice.
Comment défendre, à titre d'exemple, le très poétique vers
Warda et son ward
homérique évoquant la fille du matin, l'aurore aux doigts de rose11, ou Éos en robe de safran, si rose et safran s'avèrent arabes ? Comment interpréter les mythes de Crocus si crocus s'avère arabe ? Comment soutenir les fantasmes liés aux nymphes et à la nymphomanie si nénuphar s'avère arabe?12Ces étymons auquel le grec est redevable des prémisses de ses mythes ne sont pas faciles à digérer.
Sans doute est-ce là la raison qui explique pourquoi Littré a honoré rose d'une racine «sanskrite». Sa devise a dû être: des deux «mots» il faut choisir le moindre ! «Rose: bourguignon
reuse ; wallon, rôz ; provençal, espagnol et italien rosa ; du latin rosa ;
ancien persan, vrada, sanscrit vrad, se courber, être flexible.»13
Courbons-nous autant que faire se peut et soyons flexibles pour admettre le bon sens de Littré. Le vrad sanskrit qui
signifie «se courber, être flexible» cadre mieux avec la rose et son parfum aryen que le «ward» arabe qui signifie simplement «rose» !
Si nous consultons le dictionnaire en ligne du TLF
pour voir quelle racine il nous propose en la matière, nous constatons
qu'il nous gave de citations documentant la partie historique. Mais il
n'y a presque rien à se mettre sous la dent sur l'étymologie, à part
ceci: «Emprunté au latin rosa « rose (fleur), rosier ». Nous pouvons nous demander pourquoi le TLF opère un «recul»
par rapport à Littré et se borne au latin. Ce n'est pas nécessairement
parce que le passage du grec rhódon au latin rosa puisse poser quelque
problème, les métaplasmes ayant toujours marqué la plupart des emprunts.
Mais parce que les linguistes ont acquis la certitude que le rhódon
grec n'est ni sanskrit ni persan. Michel Masson qui a consacré une
minutieuse étude à cette question, s'il n'a pas explicitement désigné
l'arabe comme source du nom grec de rose a néanmoins attribué celui-ci à
"une langue sémitique".14
Pour
conclure, rappelons que d'autres noms de fleurs, soit directement
empruntés à l'arabe soit dérivés de racines arabes, sont également
affublés de fausses étymologies15.
Il y a aussi un grand nombre de plantes dont les noms, d'origine arabe,
sont attribués en français et d'autres langues romanes au grec ou au
latin16.
8-
Personnage de l’Iliade, l'un des guerriers grecs de la guerre de Troie,
cousin et ami intime d'Achille. Les deux personnages sont devenus un
symbole des relations pédérastiques. Et sans aller jusqu'à prêter à
Müller une "sensibilité" à ce côté précis du personnage, je crois que
s'il n'admet pas que "le corps de Patrocle appartienne à l'armée
sémitique", c'est qu'il n'est pas indifférent à cet aspect du mythe.
Cela ne doit pas occulter, bien sûr, tout le côté mythologique associé à
la rose, notamment dans les évocations homériques de l'aurore.
16-Dont anémone, muguet, nénuphar(pour le TLF, l'arabe n'est qu'une courroie de transmission: l'arabe nainūfar, nīnūfar, nīlūfar, du persan nīlūfar, lui-même emprunté au sanskrit nīlōtpala), suzanne,camélia (la fleur a été introduite en Europe par le botaniste Jiří Josef Camel. Après
la mort de ce botaniste, le naturaliste suédois Carl von Linné a donné
à la fleur le nom qu'elle porte à ce jour. Camel (en latin Camellus) du
grec ancien κάμηλος, kámêlos, emprunté à l'arabe jamêlجمل [chameau]), capucine (capucin, capuche, capuchon, cappucino, du latin tardif capa, de l'arabe cobbaâ قبعة [coiffe, calotte, béret] : le mot latin caput est une translittération de l'arabe qafa قفا. Le français cap /chef est issu de l'arabe القب qui signifie la même chose: chef, seigneur, roi et tête), crocus,géranium (de l'arabe gurnûqi غرنوقي géranium, de gurnûq غرنوق grue), guimauve(du radical latin classique malva « mauve », du grec ancien μαλάχη, malakhê, de l'arabe ملوخية mloukhiya. Mauve est l'un de 80 mots empruntés à l'arabe, qui désignent des couleurs), hysope, hibiscus (forme corrompue de l'arabe khubiz خبيز qui signifie la même chose), jacinthe, marguerite (de l'arabe مرجان morjen [corail]), œillet(diminutif de œil, de l'arabe عين ayn qui a donné le celtique eyne, l'anglais eye, les toponymes français Aïn), rhododendron (de l'arabe ward dont le pluriel woroudon a donné le grec ancien rhódon et l'éolique wrodion)...
«Prestige du verbe, orgueil de soi, volonté de surélévation :
lorsque nous avons prononcé le mot Occident, nous avons tout dit, comme
si l’Occident était autre chose que la pente déclinante de l’Orient.»
Pierre Rossi1
Anémone, nous dit Littré, se tire du grec ἄνεμος, ánemos (« vent »), « parce que la fleur s'ouvre au moindre vent » selon Pline. Il faut peut-être rappeler ce détail plinien à tous les auteurs2 qui se sont apparemment gourés en tirant le mot de l'arabe النعمان an-nôman, apocope de شقائق النعمان chaqaïq an-nôman. La remarque de Pline est d'autant plus frappée de bon sens que le vent des Arabes, chamsin (khamsin), sirocco, chergui, sahel, simoun, et j'en oublie, n'ont pas la vertu magique pour ouvrir les pétales de l'anémone. Muguet, selon le mythe grec, a été créé par Apollon, dieu du djebel Parnasse. Donc, pas la peine d'en chercher l'étymon dans l'arabe مسك musc. Lequel du reste n'a rien d'arabe quoiqu'en disent D'Herbelot et Pihan. Et puis le musc sent bon, s'il vous plait, alors que l'arabe, ne m'en parlez pas ! Crocus, nous dit Larousse, vient du "latin crocus, du grec krokos, safran".
Évidemment, les Grecs ayant à l'appui un joli mythe, il n'y aurait rien à redire sur la pertinence de cette «mythémologie» cousue de fil blanc ! Krokos, selon le mythe grec, était un jeune homme très beau, ami du dieu Hermès. Un jour que
les deux jouaient à une partie de lancer du disque, Hermès a tué
accidentellement Krokos. Et de la plaie ouverte de ce dernier, trois
gouttes de sang coulèrent, tombant entre les pétales d'une fleur qui en
devint mauve3, et depuis s'appela Crocos.4
Légitimation homérique
Au VIIIe siècle av. J.-C., Homère compose une épopée en vers, l'Iliade, dans laquelle il raconte, 400 ans après sa fin, la
guerre mythique de Troie. C'est à ce texte fondateur que les
philologues se réfèrent pour défendre à la fois la grécité de Krokos et
de rose. Décrivant l'aurore, fille du matin, Homère lui a donné diverses épithètes devenues lieues communs, l'habillant d'une robe de safran (krokópeplos) et lui donnant tantôt des mains aux doigts de rose (rododaktulos), tantôt des «avant-bras de rose» (rhodópêkhus). Ces images d'un nec plus ultra de la poétique homérique, s'ils baignent d'un halo
si chatoyant la robe de l'aurore aussi bien que ses doigts, ne
pourraient qu'être hellènes. Mais les philologues n'aiment pas creuser
plus profond pour déchausser la racine de Krokos, de peur que l'on révèle chez quel tailleur au juste s'habille la môme du matin. Et de quel rhizome5 ses doigts tirent leur teinte rose.
Le TLF qui cite Larousse reprend telle quelle l'étymologie donnée plus haut. Littré, qui ne propose pas d'entrée pour crocus, nous apprend toutefois que son dérivé crocine "a probablement la même origine que curcuma". Pourquoi le TLF ne met pas à jour ses données ? Et pourquoi Littré omet de rattacher à l'arabe crocique et crocipède qui sont de la même smala que curcuma ? Parce que la «mythémologie» a ses raisons que l'étymologie n'a pas.
Courbette à Littré
Si nous interrogeons Littré sur l'étymologie de «rose», voici ce qu'il nous dit:«Bourg.
reuse ; wallon, rôz ; provenç. espagn. et ital. rosa ; du lat. rosa ;
anc. persan, vrada, sanscr. vrad, se courber, être flexible.»
Courbons-nous et soyons flexibles pour admettre que le «ward» arabe qui signifie «rose», vieux comme le monde arabe et sa langue, n'est pas arabe. Récuser Littré et son étymologie cousue elle aussi du même fil ne sied qu'aux illettrés, gens de chicane comme les Arabes, qui prétendent à ce prestige du verbe adjugé depuis la nuit des temps aux héritiers du fond gréco-romain.
N'est-il pas pertinent que le «vrad» sanscrit cadre mieux avec le sens et l'encens, «flexibles», de rose ?
Courbette à Müller
Max Müller n'aimait pas entendre que le mot ورد ward soit arabe. Et comme un orientaliste britannique n'a pas manqué de le contrarier à ce propos, en soutenant que le mot est arabe6, Müller l'avait presque sermonné, lui reprochant de prendre le part des sémites contre celui des Aryens !7 Ne peut-on pas dire qu'il avait absolument raison, Müller ? Et d'ailleurs Littré, que j'ai salué ci-haut, lui a donné raison. De même le mythe grec qui nous dit que ῥόδον, rhódon (rose) doit sa naissance à Chloris, qu'Aphrodite lui a donné la beauté, que Dyonisos a déposé entre ses pétales du nectar dont elle tire son parfum.
Rose en latin et langues romanes
L'un des premiers auteurs latins, ou latinistes pour être plus précis, à avoir parlé de la rose s'appelle Dracontius8. Et c'est un Ifriqien9 qui a vécu au Ve siècle, soit un siècle après Saint Augustin. Six siècles plus tôt, les Romains ont traduit l'encyclopédie agraire de Magon. Et quoique l’œuvre de ce Carthaginois ne nous soit pas parvenue pour nous en assurer, il semble que cet agronome qui a vécu au IIIe siècle av. J.-C. s'est intéressé aussi au jardinage et à la culture des fleurs. Selon Jean Pierre Moet (1721-1806), Varron "dans ses ouvrages sur le jardinage assure que Magon avait lui seul plus de connaissances dans cette partie, que tous les Grecs n'en avaient jamais réuni ensemble."10
Dans
son Glossaire des mots espagnols et portugais dérivés de l'arabe datant
de 1869, Reinhart Dozy définit comme suit le mot portugais guedre:
"(espèce
de fleur, sambucus femina, Moraes). Comme la fleur de cette espèce de
sureau ressemble à une rose blanche et qu'on l'appelle aussi en latin
sambucus rosea, en hollandais rose de Gueldre (voyez Dodonaeus,
Cruydt-Boeck, p.1419a), je n'hésite pas à reconnaître dans guedre une
transposition de ورد (werd), qui signifie en général fleur et
spécialement rose."11 En français, il semble que la première attestation du mot rose date du milieu du12e siècle.
Alors qu'elle était honorée aussi bien des Grecs que des Romains, dans
l'ensemble des pays de l'Occident chrétien médiéval, la rose fut
longtemps proscrite, presque frappée d’anathème. Selon, Charles Joret
(1839-1914), "le dédain dont la reine des fleurs fut tout d'abord
l'objet auprès des chrétiens"12 trouve son explication dans l'austérité
prêchée par la vertu chrétienne. "Une
religion, fondée sur la mortification de la chair, ne pouvait manquer
de condamner l'usage que les païens faisaient de la rose; n'était-elle
pas d'ailleurs associée aux pratiques d'un culte proscrit, comme aux
plaisirs coupables d'une vie condamnée par les nouveaux croyants ?"13 Dans
un ouvrage consacré aux fleurs, Mélinda Wilson souligne que la rose fut
"introduite en Europe par les Arabes, en Espagne au Xe siècle, et
ensuite en Occident par les Croisés..."14