« Ohé, fonctionnaires, ouvriers, colons, hommes, jeunes gens et même vous, femmes d’origine française, maltaise, italienne, espagnole, ou tout autre- qu’importe ! pourvu que vous soyez Européens, venez ! [...] Unissez-vous ! Venez au salut de vos privilèges aujourd’hui menacés. Accourez donc ! Voici des révolvers, des fusils, des mousquetons, des mitrailleuses en nombre ! Choisissez, prenez, armez-vous au nom du colonialisme généreux et humain et tuez-nous tous ces Arabes, ces vaincus de 1830, ces va-nu-pieds, ces haillonneux, ces ventres creux, faits pour vous servir et qui osent maintenant parler de droit des gens, de dignité humaine et poussent la prétention jusqu’à vouloir être nos égaux et vivre comme des hommes sur cette terre d’Algérie qui doit nous appartenir pour l’éternité» ( Achiary, sous-préfet de Guelma, 10 mai 1945)1
Le 8 mai 1945, au moment où l'Europe fête la victoire des Alliés sur l'Allemagne nazie et la fin de la Seconde Guerre mondiale, au moment où le Premier ministre britannique Winston salue la foule à Londres et le le Général de Gaulle annonce par radio la bonne nouvelle aux Français, Sétif en Algérie "fête" tout autrement la victoire contre le nazisme.
En ce triste jour sétifois, pour avoir manifesté dans la rue avec un drapeau algérien, un jeune homme est tué par le tir d'un policier. La réaction des Sétifois ne se fait pas attendre. Des émeutes embrasent la ville de Sétif d'abord et s'étendent vite vers d'autres zones de Constantine, Guelma et Kherrata surtout. Elles s'étalent sur plusieurs jours.
Bilan: près de cent Européens ont trouvé la mort. Mais combien d'Algériens au juste ont été tués? Et pourquoi un tel massacre?
Les chiffres varient selon les sources. Alors que les autorités françaises de l'époque fixent à 1165 le nombre de morts autochtones, un rapport des services secrets américains datant de 45 note 17 000 morts et 20 000 blessés. Selon le gouvernement algérien, il y aurait 45 000 morts.
Quoiqu'il en soit, la boucherie semble avoir atteint son point
culminant le 10 mai à la ville de Guelma. Et elle avait pour principal instigateur le sous-préfet de cette ville, Achiary. C'est lui qui -après avoir proclamé la ville en état de siège- a distribué des armes aux Européens et appelé ceux-ci à faire la chasse aux "ratons". A ses administrés, il demande de liquider, dit-il, "ces va-nu-pieds faits pour nous servir, qui osent parler de dignité humaine et qui poussent la prétention jusqu'à vouloir être nos égaux et vivre comme des hommes sur cette terre d'Algérie qui doit nous appartenir pour l'éternité”.2
Et l'appel a été suivi pour la triste gloire du 8 mai 1945. Fêtes en France et en Grande Bretagne. Et deuils et colère sur la rive sud de la Méditerranée. Un massacre qui rappellera aux Algériens, aux Berbères, aux Arabes, aux Africains que la victoire sur l'Allemagne nazie, malgré le sang maghrébin et africain versé pour la libération de la France, n'est pas la victoire de l'humanité.
«C'est en 1945 que mon humanisme fut confronté pour la
Kateb Yacine, écrivain algérien |
« 1945, l'Armistice. La France célèbre la cérémonie de sa victoire dans la joie. Mais la promesse pour la liberté de l'Algérie fera l'objet d'une autre célébration, noyée celle-là dans le sang de milliers d'Algériens. Les localités de Sétif, Guelma, Kherrata, Ain-Abessa, Ain-Kebira, Ain-Rouah furent le théâtre d'un génocide mené par des forces militaires auxquelles s'étaient jointes des milices de fermiers européens qui n'hésiteront pas à massacrer sans distinction enfants, femmes et vieillards...»4 Abdelkader Benarab
A. Amri
08.05.2013
=== Notes ===
1- Guelma- La ville martyre, les hécatombes: premières exécutions et intervention de l'aviation sur dknews-dz.com
2- Ibid.
3- Cité par Boucif Mekhaled « Chroniques d’un massacre 08 mai 1945.Setif, Guelma, Kherrata. Syros. Paris.1995
4- Abdelkader Benarab, La bataille de Sétif, roman, L'Harmattan, 2011, p. 5