lundi 27 septembre 2010

Autopsie d'un ectoplasme dissout



Il est des supplices, des passions que nous ne soupçonnons pas dans ce monde saturé d'écrits et de dits, et jamais assez dit ni écrit quand même. Ces abcès increvables de la parole renvoyée à sa gorge, saucissonnée en travers du gosier, quand ils en viennent à imploser sous la plume d'un auteur de talent, injustement méconnu, donnent un écrit qui a tout pour ravir les fins gourmets des nourritures spirituelles.

Dissolution d'un ectoplasme est le procès qu'intente Denis MARULAZ à la société de l'édition. Un procès en bonne et due forme contre "l'hermétisme du Milieu du Livre", avec ses réquisitoires, ses plaidoyers, ses pièces à conviction, ses témoins et sa sentence finale. Accablante : "La métaphore universelle veut que le poète confie ses mots au vent ensemenceur. A moi, il ne reste qu’à couler les miens dans mon cercueil de vase et de limon. Puisque la société des hommes a décidé que tel se conjuguait notre destin d’inexistence."

Julien Terreneuve, la soixantaine passée, est découvert un jour dans la plus haute des déchéances. Crasseux, puant, esseulé et végétant à l'état d'ectoplasme dans sa piaule, au milieu de ses livres inédits, ses morts-nés, et ses immondices.
Dans un monde où les institutions encadrent partout les hommes, se trouvant en aval de la déchéance comme en son amont pour mieux réussir l'œuvre "désintéressée" de réinsertion, on fait ce qu'on peut pour s'acquitter de son devoir. On charge une travailleuse sociale, Marie-Françoise, de réapprendre à Terreneuve à vivre et d'assurer un suivi de tel réapprentissage.

C'est ainsi que s'ouvre ce procès. Aux mille et une questions que le lecteur-spectateur se pose et pose à Terreneuve par le biais de cet ange gardien Marie-Françoise, le mort-né et père de morts-nés oppose un silence des plus éloquent.
A quoi bon dire quand vous n'avez pas d'oreilles? car Terreneuve avait été condamné à la déchéance et voudrait y sombrer pour être voix sans oreilles. Son silence, parole en grève, cri de protestation et arme autant d'autodéfense que d'autodestruction, fait le procès de ceux qui n'écoutent plus les rêveurs, les utopistes, les poètes, les artistes. Quand le silence se tait, c'est au tour de la poésie, un peu hermétique pour le commun des hommes, aérée et spacieuse pour les initiés, de relayer et d'appuyer ce procès dramatique.

"Il ne leur manquait plus
qu’à me souder
les lèvres
pour que je sois
vaincu
terrassé
muet."


Poète, dramaturge, nouvelliste, artiste total, Denis MARULAZ n'aurait écrit
Denis Marulaz
que pour échapper à la mort dans la vie ingrate, asphyxiante, de l'éducateur qu'il fut dans une structure d'accueil et de soins pour personnes toxicomanes. Aux années d'apnée à l'éducation, il a tenté de substituer une régénération dans "l'eupnée de l'écriture", si l'on peut dire. Mais dire, écrire ne valent pas sans l'écoute primordiale et salutaire qui les valorise et leur donne un sens. L'écrit n'est pas soliloque ni monologue ni aparté, il est dialogue (avec le lecteur) ou n'est pas.
Or quand le talent est profané par les commerçants du discours, quand les mercantiles du livre vous rognent les mots parce que "cette année le thème est: Et toi ton toit?", quand ils apposent à vos lèvres un scellé, une fin de non recevoir, vous vous rendez compte alors que les maux et leur homonyme sont désormais pour vous synonymes. Et, qui pis est, preuve irréfragable de votre cogito d'inexistence.

Si une telle inexistence et son cogito sont les vôtres, vous êtes alors un ectoplasme. Vous avez beau être poète et noble, votre déchéance vous somme de la consommer. Même le procès que vous intentez à la fratrie de l'édition devient alors absurde. A moins qu'il puisse vous servir peut-être de testament.

"...C’est cela, le destin des hommes ? De bosser comme des esclaves anonymes, de pondre des gosses et de s’enfermer chacun dans sa bulle bien confortable ? Vous vous contentez de cette existence débile, programmée et aseptisée de la naissance à la mort, vous êtes des potiches, des soldats de plomb, des nains de jardins ! Vous vous tenez où l’on vous pose, vous faites ce qu’on vous dit, comme on vous dit, vous n’avez plus de regard, vous êtes un troupeau qui se laisse guider aveuglément pourvu qu’on lui donne sa ration de bonheur quotidienne et égocentrée ! Sachez qu’il y a des gens qui ont besoin de respirer un autre oxygène, qui ont besoin de baigner leur visage au vrai Soleil, d’ouvrir les yeux sur des horizons dont vous n’imaginez même pas la profondeur, de s’abreuver à des sources jaillissantes de Conscience qui n’ont rien de commun avec vos flaques d’eau boueuse. Sachez qu’il est des gens qui transpercent de leur regard les apparences trompeuses du Monde et qui ne trouvent comme sens à leur vie que d’observer, de décrypter, de comprendre, d’apprendre et de DIRE, de dire, de dire, de dire… de révéler à la vue de tous les rouages de la « Machine à décerveler » et la magnificence des autres Mondes possibles. Mais votre société n’en a que faire, de ces énergumènes ! Entre le boulanger, le plombier, le curé, le serreur de boulons, le médecin et l’architecte, la D.R.H. et le trader, Ha Ha Ha ! Le Trader ! quelle place voulez-vous qu’une société sérieuse accorde à des gambergeurs de l’utopie et de l’inaccessible? Hein ? Je vous le demande !"

J'écorne ici, comme je l'ai fait à maintes pages ailleurs, la tragédie mentale de Denis MARULAZ.
J'ai copié-collé je ne sais plus combien de citations, croyant écrémer à chacun de ces passages et phrases ainsi élus la pièce. Mais arrivé à la dernière page, évaluant ce que je pouvais transvaser comme eau, caséine et lactose dans le restant de l'œuvre, je m'aperçois que la terrine est presque à sec. Il n'y a rien dans le texte de cet auteur qui ne soit pure crème.

A. Amri
27.09.2010.

Le blog de
Denis MARULAZ : espace où il fait bon errer et se perdre.

dimanche 19 septembre 2010

A mon camarade Nicolas, Son Excellence Sarkosy


L'auteur de ces lignes aurait croisé dans une vie antérieure un voisin de palier et un camarade d'université qui s'appelait Nicolas. Le premier, accrédité par sa profession d'enseignant, deviendra ambassadeur de la culture française dans les lycées tunisiens et le second, plus chanceux, Président de la République Française. Cette lettre d'un ancien camarade à son camarade ancien voudrait contester à la France la prérogative du droit d'ingérence.


Monsieur le Président,

Il y a une trentaine d'années, l'auteur de ces lignes , fils d'immigré, séjournait en France où il faisait des études littéraires françaises. Sans vous avoir connu de loin ni de près, il pourrait néanmoins supposer avoir été votre voisin de palier, ne fût-ce que le temps d'un campement de transit, tant il a erré sur sa terre d'accueil, bivouaquant une année ici, l'année d'après là, en région parisienne. Et le hasard a fait que c'était à Paris X, là où vous prépariez vous-même votre maîtrise de droit privé, que cet ancien bédouin de Paris se ressourçait aux humanités et philosophies des Lumières.

Aujourd'hui et depuis un bail enseignant dans les lycées tunisiens, l'ex-nanterrois voudrait prétendre à un droit d'ingérence dans la politique française. Votre Excellence conviendra que l'État qui se targue d'être l'inventeur de cette expression devenue belle formule incantatoire dans la bouche de certains politiques (1), au risque de prêcher dans le vide, ne pourrait accréditer cette sacro-sainte ingérence s'il n'admet pas pour lui-même les règles que son droit entend appliquer vis-à-vis des états tiers.

Parce qu'il enseigne votre langue, les valeurs républicaines auxquelles il adhère depuis sa prime jeunesse et que face à la profanation de ces valeurs, il en vient à EN SAIGNER plus qu'à enseigner, votre ancien camarade juge de son droit comme du salut de son enseignement d'interpeller les instances politiques en France, et la plus haute en premier chef, pour rappeler que ce droit n'est pas une prérogative française.

Monsieur le Président,

La France qui fait la chasse aux Roms, à cette sous-humanité qu'elle appelle "Gens du voyage", n'est pas en meilleure posture que le Soudan des Janjaouid. Les méthodes sont peut-être moins soudanaises, et tant mieux! mais au vu des résultats que la politique répressive entend réaliser dans votre pays, c'est la même épuration ethnique, puisqu'on voudrait bouter hors de France ce sang tsigane impur, au mépris des lois et des conventions signées par votre État.

La France qui voudrait retirer la nationalité à des Français d'origine étrangère, quel que soit le motif invoqué, mais aussi au vu même du motif invoqué par son président, n'est pas en meilleure posture que les États du Sud, qu'elle appelle de "vive voix" à respecter le droit et fustige pour des atteintes inacceptables aux libertés élémentaires de l'homme. Quand l'ancien étudiant en droit, fils d'immigré et aujourd'hui marié à une immigrée, brandit cette menace en direction d'un autre sang impur, quand il suppose et présuppose que le sang pur ne tue pas des policiers, l'ancien camarade voudrait rappeler au camarade ancien (2) que cela s'appelle du racisme, de la ségrégation raciale, de la xénophobie et que ces tares réunies ne font pas partie des valeurs françaises que l'ancien camarade enseigne!

La France qui fait la chasse aux musulmanes parce que celles-ci ne respectent pas un certain code vestimentaire laïc n'est pas en meilleure posture que les pays non laïcs qu'elle fustige pour leur oppression de la femme. Le droit à la différence, c'est aussi une valeur que nous devons aux philosophes des Lumières et défendons opiniâtrement dans notre enseignement. Nous défendons aussi les droits de l'homme, le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Si Paris abjure le Palais Chaillot, si le Président de la France abjure ses Droits, qui prêtera à l'ancien camarade un quelconque crédit pour défendre auprès des siens la tolérance et le droit?

Votre Excellence pourrait rétorquer à l'ancien camarade que la France ne fait qu'appliquer chez elle ce que certains pays musulmans ont osé faire depuis des années. Soit! mais c'est justement parce que ces pays musulmans ne sont pas habilités à donner un exemple à suivre en matière de démocratie et de respect des droits que la France ne peut s'en inspirer pour "promouvoir" sa propre démocratie.

Monsieur le Président,

La France qui limoge un responsable administratif (3) pour avoir écrit un article pas conforme aux idées du prêt à penser, la France qui envoie en prison un intellectuel qui a osé repenser un sujet de l'histoire humaine et refuser la momification de la vérité (4), la France qui empêche des auteurs réfractaires à la pensée unique de se faire éditer et diffuser sur son sol (5), la France qui exerce la terreur sur des librairies et des maisons d'édition,(6) le tout au nom d'une idéologie dominante à obédience sioniste, peut-elle soutenir encore son droit d'ingérence pour dénoncer tel ou tel obscurantisme dans les pays du Sud? Il ne manquerait à votre grand pays, appelé berceau des Lumières dans les manuels scolaires de l'ancien camarade et ses enseignés, qu'une belle fatwa en bonne et due forme, de même veine que celle qui frappe l'auteur des Versets Sataniques pour nous donner le juste ton de ces Lumières rendant méconnaissable la France à enseigner!

Monsieur le Président,

La France officielle se bat depuis des années pour la libération d'un jeune soldat israélien détenu en otage par la résistance palestinienne. Raison invoquée pour justifier ce combat: le jeune captif est de nationalité franco-israélienne. Cette même France officielle oublie curieusement qu'il y a un autre Français, pas moins français que le premier, qui croupit dans les prisons israéliennes depuis 2005, dans l'indifférence totale du pouvoir que vous incarnez. Parce que l'un s'appelle Gilad Shalit et l'autre Salah Hammouri, que l'un est franco-israélien et l'autre franco-palestinien, l'État français peut s'accommoder de ce deux poids deux mesures lui permettant le droit d'ingérence pour l'un et le droit d'indifférence pour l'autre. L'ancien camarade comprend votre excuse, Monsieur le Président, mais pour faire ingérer cette excuse à ses enseignés, vous conviendrez que la tâche n'est pas facile.

Monsieur le Président,

Notre éminent philosophe BHL, Madame la Présidente et Votre Excellence, sans oublier Monsieur le Ministre des Affaires Étrangères, avez pris fait et cause pour cette malheureuse Skineh condamnée à la peine de lapidation en Iran. La cause en soi n'a rien de répréhensible pour l'ancien camarade, si ce n'est que la lapidation de Skineh par les mollahs ne peut occulter la lapidation de tout le peuple iranien par les médias et les officiels français. Ceux qui font tout pour anéantir l'Iran, ceux qui calomnient de façon systématique ce pays et diabolisent ses dirigeants pour des fins belliqueuses servant l'intérêt d'Israël sont-ils habilités à défendre le droit d'une iranienne condamnée pour un double crime de droit commun?

Et puis, Monsieur le Président, pourquoi notre éminent philosophe BHL, Madame la Présidente et Votre Excellence, sans oublier Monsieur le Ministre des Affaires Étrangères, êtes vous si prompts à réagir pour sauver une personne dans le monde musulman, et ABSENTS, totalement absents, quand il s'agit d'arrêter des tueries, des massacres, des répressions et oppressions frappant des millions d'hommes et de femmes en Palestine?

La vie de ces millions est-elle à ce point insignifiante pour justifier encore ce deux poids deux mesures?


A.Amri

03.09.10


1-En vérité l'État n'a rien inventé, à ce propos précis. Le droit d'ingérence est un vieux dada de Kouchner, celui-ci ayant fait d'une expression qu'on doit à Jean François Revel son cheval de bataille, dans les années 80, pour s'adjuger un nom de Marquis dans l'Humanitaire. L'actuel chef de la diplomatie française, Caméléon de politique par excellence, n'a conservé de l'Humanitaire qu'un fétu de paille, si ce n'est moins, qui ne le qualifie qu'à confirmer son parcours de politique félon.

2- Tant que Nicolas Sarkosy n'affichait pas les couleurs, il a dû se faire appeler bon gré mal gré "camarade". Mais ce camarade a la malchance de perdre un jour dans les locaux d'études un papier compromettant, retrouvé peu de temps après par les maîtres de céans. Les murs de la fac qui le dénoncent alors comme un nervi du pouvoir et un fasciste l'ont voué depuis au bannissement. (Voir à ce sujet Nicolas Sarkozy Secrets de jeunesse.)

3- Bruno Guigue a été démis de ses fonctions de sous-préfet de Saintes le 8 avril 2009 pour avoir écrit un article qui critique Israël.

4- En vertu de la loi Gayssot qui pénalise le négationnisme, Vincent Reynouard est condamné à un an de prison et 60 ooo euros d'amende. Il purge sa peine depuis le 9 Juillet 2010.

5- C'est le cas du Français Paul-Eric Blanrue, auteur de Sarkozy, Israël et les Juifs mais aussi de ses amis belges Jean Bricmont et Michel Collon pour des œuvres antisionistes.

6- Le 3 juillet 2009, la librairie Résistances connue pour sa lutte contre le racisme, le colonialisme et pour le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes a été saccagée par un commando se réclamant de la Ligue de défense juive (LDJ).



lundi 13 septembre 2010

نشيد المناشدة



ألا يا أهل تونس العابدية لقد أنعم الله عليكم بأعز نعمه فلا تكونوا من الجاحدين، حباكم بخضرة البلاد وندرة الجراد وقدرة القادر المختار فيكم على اقتياد البلاد، فانشدوا مع المناشدين ونادوا مع المنادين وعادوْا المعادين ولا تخشوا لومة لائم في صواب التجديد والتمديد والتوريث واصدحوا عاليا بالنشيد ولا يركبنكم خوف من أن ينعتكم بالقوادة ناعت أو بالوصولية والتهريج ماقت فوالله الذي ألهم حزبه نداء المناشدة وطنيتكم خالصة قبل الإصداح وبعده. ولا يكونن فيكم للسابع من شابع أو على تجديد البيعة بينكم من قابع، ولا تكبحوا للوطنية حسا ولا تمنعوا عن تزكية المناشدة إماما أو قسا.

أشيدوا أشيدوا بنشيد المناشدة التي تنشد بشدة شدكم لأشد المتاريس ضد الشدائد والشذوذ والشواذ في تصور الحكم ولا تكونوا من الجاحدين او الكافرين فتحت سدة الوارث لحكم الله فيكم وفق ما بان ولم يبن من بيان الشابع وإعجازه آيات بينات لا غبار عليها، فقد شيد الشابع لشعبه أشد صروح المجد وسطع في سماء الدنيا نجمه وعلا في محفل الأمم ذكره واشتد في داخل تونس عود ديمقراطيته وما شذ يوما عن شدة ولا شدّ وانبعثت على كامل تراب البلاد حقوق الإنسان بعد عدم وتجدد في كل العروق دم الحريات بعد هرم وتشددت في كامل جسد السلطة عضلات الحكم بعد ورم وتكرشت هنا و هناك عباد بعد سقم ونهض اقتصاد بعد إعاقه وابيضت وجوه بعد سواد وفاقه واستتب بشدة التمترس أمن ورفاقه وعمرت سجون كانت في الماضي موحشة وما عدنا نحتاج اليوم أو غدا لمقرات رابطة مؤنسه فالكل مؤنوس مربوط ولله الحمد أو بالبيت مرابط ولخوفه مؤانس ومؤشر التعبير ككل الحريات بفضل الشابع هابط والشعب وفق كل انتخاب لمعبود العابدين عابد وأحزاب المعارضة ومقراتها وصحفها في نعيم وعزة لا تجد لهما مثيلا حتى في غزه و قناة 7 تشهد بتحسن منحة الإنتاج وأعلاف الدجاج ورعاية الشابع للحجاج ونشراتها الجوية تؤكد تواترا غير معهود للغيث النافع يبلغ أوجه كل شابع وهو لمن له بصيرة من الإعجاز نابع، أفلا تناشدون؟

أ.عامري
13 سبتمبر 2010

dimanche 12 septembre 2010

Si du 11 septembre chilien on se souvient

"Ils ont la force, ils pourront nous asservir, mais on ne peut arrêter les mouvements sociaux ni par le crime, ni par la force. L'Histoire est nôtre, et ce sont les peuples qui la font." (Salvador Allende - Dernier discours au peuple chilien - 11.09.1973)


Le 11-9 dont je me souviens est bien antérieur à 2001.
Le 11 septembre 1973, les généraux des oligarchies latino-américaines et leurs bailleurs de fonds à Washington ont assassiné la démocratie au Chili. Combien de médias commémorent aujourd'hui la tragique fin de Salvador Allende? Qui se souvient des victimes du coup d'état de Pinochet? Qui évoque les escadrons de la mort, le plan Condor, les 3000 exécutés et disparus chiliens, le million d'exilés dont 40 000 politiques, les stades transformés en camps de concentration, le pays devenu prison, la démocratie immolée sur l'autel des intérêts capitalistes et impérialistes?

Contre l'oubli et les discriminations mémorielles: le 11 septembre 1973.
Comment expliquer cette amnésie médiatique qui, depuis les attentats de New York, éclipse le 11-9 de l'an 1973 ?
Sûrement pas une logique de postériorité historique qui ait rendu caduc le vieil 11-9 comme on serait tenté de le penser. Mais derrière cette amnésie, il y a, outre les lavage et bourrage de cerveaux répondant aux impératifs du nouvel ordre mondial, une logique de priorité stratégique
, dictée par les intérêts du Pentagone et les guerres qui ont marqué la première décennie du nouveau siècle.
Pris dans le tourbillon de la communication non-stop
l'information et l'évènement qu'elle rapporte sont devenus presque simultanés, l'homme d'aujourd'hui a rarement le loisir de se déconnecter un petit instant du monde qui l'informe et désinforme tour à tour, pour prendre le recul nécessaire et objectiver l'évènement. C'est dans de telles conditions que nous avons reçu le 11-9 de ce début du siècle. Et nous avons cette impression que le retentissement qui s'ensuit depuis neuf ans est (à) la mesure de sa gravité réelle, indépendamment des rebondissements à venir. Alors que ce sont surtout ces rebondissements vus à l'avance, la tragédie grecque ouverte par ce prélude choc, mais anticipée de longue date, fantasmée, planifiée dans la politique américaine et son projet de nouvel ordre mondial qui, de façon rétrospective, ont fait l'évènement. Et donné à ce 9-11 son véritable poids: les guerres d'Afghanistan et d'Irak, entre autres épisodes noirs, décidées et préparées en coulisses. Les bonnes intentions de ceux qui instrumentalisent et l'information et l'évènement pour servir leurs agendas politiques ont fait du 11-9-2001 ce qu'il est pour nous: un micro-apocalypse qui n'a pas de précédent, un mythe au sens originel du terme, apodictique. Avant de l'être au sens courant au fur et à mesure des controverses qu'il suscitera.
Cette illusion d'optique due à la redondance de l'information est aussi ce qui éclipse pour nous l'ampleur de ce vieil 11-9, laquelle, dans ses implications immédiates comme dans ses répercussions historiques, dépasse de beaucoup celle de 2001. Trente-sept ans plus tard, et sans le concours d'aucune fanfare de médias, pour des milliers et des millions d'hommes, au Chili comme ailleurs, la cicatrice est toujours ouverte et n’est pas près de se refermer.
Le 11 septembre 1973, avec le soutien logistique de la CIA et l'argent des Rockfeller, Pinochet renverse dans un bain de sang (et si ce n'était qu'un bain!) le régime socialiste de Salvador Allende. Le verdict des urnes et l'appui d'une majorité au Congrès, ce choix démocratique par lequel les Chiliens, trois ans plus tôt, ont jeté leur dévolu sur le candidat de l'Unité Populaire, est ainsi contesté et annulé. Si elle n'est pas taillée à la mesure des normes américaines, si elle ne reçoit pas la bénédiction du capital papal étasunien et des oligarchies compradores locales, la démocratie ne passe pas. La junte militaire qui s'est emparée du pouvoir en cet 11-9-73 et le conservera jusqu'en 1990, impose au pays une dictature de fer, et des plus sanglante, dont les crimes n'ont rien de comparable dans l'histoire de la seconde moitié du XXe.
Pendant 17 ans, Augusto Pinochet et son armée font du Chili la plus vaste prison qu'on puisse imaginer, en même temps qu'un exécutoir qui ne désemplit jamais. Les chiffres et les témoignages des survivants sont éloquents. Un million d'exilés dont 40 000 des politiques, entre 2500 et 3000 morts et disparus (1), sans compter les prisonniers, les détenus des camps de concentration, la vie brisée de millions de familles qui, à ce jour, ne sont pas près d'oublier ces années dont on ne guérit pas. Jamais dans l’histoire des dictatures un pays n’a été si martyrisé. Même les espaces de fêtes et de loisirs ont été transformés en lieux de supplices. Le stade national de Santiago, devenu pour la circonstance camp de prisonniers à ciel ouvert, a accueilli pas moins de 40 000 femmes et hommes qui, durant trois mois, ont été interrogés, torturés, affamés, humiliés au gré des bourreaux. Les uns ont été exécutés de façon sommaire, d’autres, pas nécessairement tous plus chanceux, déportés un peu partout à travers le pays pour subir chacun son sort. Même ceux qui ont tenté de trouver le salut à l'étranger n'ont pas été épargnés. En Amérique latine, aux USA et en Europe, avec ou sans la complicité des services secrets de ces pays (2), ces fugitifs seront pourchassés sans merci, assassinés sur place ou kidnappés pour disparaître ailleurs.
Parallèlement à ces crimes ciblant la gauche autant que tout sympathisant de circonstance (3), tout ce qui est institution démocratique dans le pays est dissout: Congrès national, syndicats, conseils municipaux, partis politiques. Le couvre-feu qui s'instaure le jour même du coup d’état et qu’on croit de courte durée s'éternise, la liberté d'expression est interdite, la presse est muselée. Et des centaines de millions de livres, les publications de gauche où qu'elles soient saisies, tout ce qui sent le rouge, sont brûlés.
Cela s'est passé un 11-9, il y a de cela 37 ans.
 
Malgré les allégations des premières enquêtes américaines qui prétendent qu'il n'y a aucune preuve de l'implication directe des USA dans le putsch du 11 septembre 1973, au lendemain même de l'élection de Salvador Allende, Henry Kissinger, à l'époque Secrétaire d'État de Richard Nixon, déclare:« Je ne vois pas pourquoi il faudrait s'arrêter et regarder un pays devenir communiste à cause de l'irresponsabilité de son peuple. » Cette phrase est en réalité la première déclaration de guerre (4) à la démocratie naissante chilienne. Plus tard d’autres enquêtes confirmeront le rôle primordial joué par les Américains dans la chute d’Allende. Même si les documents qui accablent les USA dans ce crime sont aussi divers que nombreux (5), on citera en particulier le livre de Christopher Hitchens, écrivain et journaliste américain d'origine britannique, Les Crimes de M. Kissinger. L'auteur y répertorie et détaille non seulement les guerres secrètes de Kissinger en Amérique latine et au Chili, mais aussi ses implications dans la prolongation de la guerre au Vietnam, l'extension de cette guerre au Cambodge et au Laos, les assassinats et les actes de subversion en Grèce et en Chypre, de même que sa responsabilité dans le génocide du Timor-Oriental (6). Un autre livre, écrit par celui qui fut à l'origine de l'éclatement du scandale du Watergate, Bob Woodward, éclaire des périodes plus récentes des crimes de la CIA: CIA : Guerres secrètes 1981-1987..
 
A. Amri
25.08.2010
 
Notes:
 
1- Le Rapport Rettig (Rapport de la Commission nationale Vérité et Réconciliation: résultat d'une enquête sur les violations des droits de l'homme commis sous la dictature de Pinochet) datant de 1991 donne un chiffre plus élevé: il y aurait 3200 morts ou disparus au Chili entre 1973 et 1990.
2- Christopher Hitchens et Eduardo Galeano, respectivement journalistes américain et uruguayen soutiennent la complicité des USA dans la campagne d'assassinats organisée conjointement par les dictatures militaires de l'Amérique latine au milieu des années 1970 et connue sous le nom de L'Opération Condor . D'autre part, dans son livre Escadrons de la mort, l'école française, Marie-Monique Robin, journaliste, réalisatrice et écrivaine française, montre comment, par voie de coopération militaire et coordination entre services de renseignements, les méthodes employées par l'armée française pendant la guerre d'Algérie, en particulier pendant la bataille d'Alger, ont été exportés à la fois vers les USA et les pays gouvernés par les dictatures militaires de l'Amérique latine.
3- Le cas le plus retentissant est sans doute celui de Sheila Cassidy, médecin britannique, qui a été arrêtée au Chili en 1975 et torturée pour avoir soigné un opposant au régime.
4- En vérité la guerre américaine contre Allende a commencé bien avant son élection : la campagne électorale de son adversaire conservateur Jorge Alessandri a été financée par la compagnie américaine ITT(International Telephone and Telegraph).
5- Une liste minima comporterait: Les années Condor par John Dinges, La Mort lente des disparus au Chili par Antonia García, L'Afrique australe, de Kissinger à Carter par Barry Cohen et Howard Schissel, Les années Condor : Comment Pinochet et ses alliés ont propagé le terrorisme sur trois continents par John Dinges, William Bourdon, et Isabelle Taudiere pour la traduction.
Quelques films aussi:
- La Spirale, film sur le coup d'état au Chili par Armand Mattelart.
- Torture made in USA + Escadrons de la mort, l'école française, documentaires français de Marie-Monique Robin
- Salvador Allende, Film de De Patricio Guzmán
6- Concernant la CIA elle-même, il y a toute une Histoire noire qui n'a pas encore de fin mais on peut en citer de façon succincte quelques épisodes saillants associés à des personnages comme Mossadagh en Iran, Jacobo Arbenz Guzmán au Guatemala, Patrice Lumumba au Congo. Sans oublier les multiples tentatives de renversement de Castro à Cuba et les manœuvres subversives contre Chávez au Venezuela.

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