Omar Khayam (persan, 1048-1131) n'était pas le seul poète au monde arabo-musulman à se faire l'apôtre des plaisirs terrestres. Il y avait au moins une bonne dizaine comme lui, que la morale bien pensante ou puritaine classe dans la catégories des "libertins".
Mais Khayam doit être le meilleur, l'épicurien paroxysmiste par excellence. Et ses poèmes traduits dans toutes les langues attestent de sa capacité à toucher l'homme au delà de toutes frontières temporelles ou spatiales. C'est un poète universel.
Athée et libertin selon les uns, croyant et mystique selon d'autres, mais peu importe! Omar Khayam est avant tout poète: et là, pas de controverse. Ses détracteurs religieux comme les adeptes de sa philosophie et son art poétique sont unanimes à lui reconnaître une verve inégalée, étourdissante.
Même si le pouvoir de ses poèmes, jugé subversif, le fait bannir de la plupart des programmes scolaires dans le monde arabo-musulman, depuis que ses Quatrains ont été traduits en arabe par Ahmed Rami et chantés par Oum Kalthoum, de l'Euphrate à l'Océan Omar Khayam est partout prisé, toutes générations confondues. Morale: aucune religion si inhibitive soit-elle ne peut brider ou censurer le Beau.
Plus connu comme poète que savant, Omar Khayam était aussi astronome et mathématicien. Mais ses travaux scientifiques, algébriques surtout, n'ont été découverts en Europe qu'à partir du 19e. (A. Amri)
Ci-dessous deux traductions de quelques Quatrains, la première de Vincent-Mansour Monteil et la deuxième de A. Amri.
I- Vincent-Mansour Monteil
O toi qui dans l'univers entier es l'objet choisi de mon cœur!
Toi qui m'est plus chère que l'âme qui m'anime, que les yeux qui m'éclairent!
Il n'y a rien, ô idole, de plus précieux que la vie:
Eh bien! tu m'es cent fois plus précieuse qu'elle.
Lève-toi, viens, viens, et, pour la satisfaction de mon cœur,
Donne-moi l'explication d'un problème:
Apporte-moi vite une cruche de vin, et buvons
Avant que l'on fasse des cruches de notre propre poussière.
Lorsque je serai mort, lavez-moi avec le jus de la treille;
Au lieu de prières, chantez sur ma tombe les louanges de la coupe et du vin.
Si vous désirez me retrouver au jour dernier,
Cherchez-moi sous la poussière du deuil de la taverne.
Puisque personne ne saurait te répondre du jour de demain, empresse-toi
De réjouir ton cœur plein de tristesse; bois, ô lune adorable!
Bois dans une coupe vermeille, la lune du firmament
Tournera bien longtemps, sans nous y trouver.
Puisse l'amoureux être toute l'année ivre fou,
Absorbé par le vin, couvert de déshonneur!
Lorsque nous avons la saine raison, le chagrin nous assaille de tous côtés;
À peine sommes-nous ivres, eh bien, advienne que pourra!
Bien que ma personne soit belle, que le parfum qui s'en exhale soit agréable,
Que le teint de ma figure rivalise avec celui de la tulipe,
Que ma taille soit élancée comme celle d'un cyprès, il ne m'a pas été démontré,
Cependant, pourquoi mon céleste peintre a daigné m'ébaucher sur cette terre.
Je veux boire tant et tant de vin
Que l'odeur puisse en sortir de terre quand j'y serai rentré,
Que les buveurs à moitié ivres de la veille qui viendront sur ma tombe
Puissent, par l'effet seul de cette odeur, tomber ivre-morts.
Dans la religion de l'espérance attache-toi autant le cœur que tu pourras;
Dans celle de la présence lie-toi avec un ami parfait;
Sache le bien, cent Kaâbas, faites de terre et d'eau, ne valent pas un cœur,
Laisse donc là ta Kaâba et va plutôt à la recherche d'un cœur.
Le jour où je prends dans ma main une coupe de vin
Et où, dans la joie de mon âme, je deviens ivre-mort, alors,
Dans cet état de feu qui me dévore, je vois cent miracles se réaliser,
Le mystère de toutes choses me devient aussi clair que l'eau.
Omar Khayam
II- Ahmed Amri
J'entendis s'élever une voix, tard dans la nuit
Goguenard aux vignes d'Allah qui criait:
"Debout damnés du sommeil! ouste, les dormeurs!
Remplissez vite à ras-bord vos verres et buvez
Avant que l'heure vôtre ne vous dise:"trinquons!"
Ne te préoccupe jamais du temps défunt
Ni de l'avenir tant que le présent est là
Ravis à tout instant que tu vis ton butin
Car il n'est pas certain que demain tu sois là
Demain c'est l'incertain mais aujourd'hui je vis
que de déceptions sont venues des lendemains
Le coeur se meurt d'être tant ravi par le Beau
et le corps n'en peut plus qui brûle de désir
Seigneur! est-il sensé que je reste assoiffé
alors que l'eau douce coule à flots devant moi?
Il est plus sensé que mon cœur ravi palpite
et se consume sur la braise de l'amour
Réveille-toi, sois guilleret c'est déjà l'aube
Gobe ton verre, saute du lit, gratte tes cordes
Jamais le sommeil n'a allongé une vie
ni de longues veillées une vie devint courte
Dis combien de nuits aux journées ont succédé?
Et combien ont tourné, orbitées, les étoiles?
Marche en douceur sur l'écorce de notre terre
sa poussière: des yeux jadis concupiscents
Ne te laisse pas miner par les pensées noires
Jouis du seul moment dont tu es sûr et certain
Car sous la terre s'égalent qui part demain
et l'être en poussière depuis des millénaires
Éteins à la salive au miel ton feu ardent
La vie n'étant qu'un léger nuage qui passe
Notre vie spectre d'une chimère sans plus
Alors croque à pleines dents la vie,le temps presse !
Omar Khayam
Traduction A. Amri
Ces Quatrains chantés par Om Kalthoum sur youtube avec sous-titrage FR
Oum Kalthoum, l'ainée d'une fratrie de 3 enfants, est née dans une famille pauvre mais pieuse. Son père était imam, muezzin et chanteur de cantiques dans une chorale, et c'est avec ce père qui l'avait initiée au chant qu'elle a commencé. Jusqu'à l'âge de 16 ans, elle chantait en sa compagnie déguisée en garçon. L'un de ses frères faisait partie lui aussi de la chorale. Et c'était pour soutenir le père qui n'avait pas d'autres ressources pour assurer le minimum de décence à sa famille.
A 16 ans, elle est découverte par deux musiciens cairotes, tous deux célèbres: le premier, Cheikh Abou El Ala Mohamed, faisait lui aussi de la chanson religieuse; ce n'est que plus tard qu'il se convertira à la chanson profane. Le second, c'est Zakaria Ahmed, musicien, compositeur et chanteur qui deviendra l'un des piliers de la renaissance de la musique arabe au 20e siècle. Les deux musiciens réussissent à convaincre le père d'Oum Kalthoum de les accompagner avec sa famille au Caire. Et c'est à partir de ce moment-là, vers 2018, que commence la véritable légende d'Oum Kalthoum.
Ahmed Rami, poète qui a fait ses études à la Sorbonne, et Mohamed El Qasabji, virtuose du luth, vont donner à cette voix ( à 14 000 vibrations par seconde ! ) les conditions optimales pour devenir la 4e pyramide d'Egypte et l'Astre de l'Orient.
Aussi curieux que cela puisse paraitre à ceux qui ne connaissent pas Oum Kalthoum, jamais cette Dame (comme l'appelait De Gaulle) qui s'est produite dans presque toutes les capitales du monde, n'a bu un seul verre d'alcool. Jamais elle n'a fumé. Jamais elle n'a eu d'amant. Jamais elle n'a chanté dans un cabaret ou un lieu où l'on sert de l'alcool. Jamais elle ne s'est permise un maquillage tapageur, un décolleté ou une tenue pas assez austère. Et bien que mariée depuis 1954 à Hassan Assayed Al-Hefnaoui, jamais on l'a vue en public avec son mari ! Ahmad Rami et Qasabgi, qui étaient deux de ses nombreux amoureux transis, n'ont obtenu d'elle autre chose que l'honneur d'être les serviteurs de sa voix.
Cantatrice du peuple, Oum Kalthoum n'a pas mené une vie de star, a toujours fui les mondanités, les ostentations, et s'est consacrée (loin des lumières) aux œuvres caritatives. Ce n'est qu'après sa mort que l'on a appris qu'elle a soutenu plus de 200 familles pauvres. Et que les recettes de ses concerts servaient en grande partie à renflouer les finances de l’État égyptien, épuisées par trois guerres: Suez en 56/57, octobre 73, juin 67.
Quand elle est morte, son cortège a rassemblé plus de 3 millions d’Égyptiens
=== Notes ===
1- Ce qui ne peut que plaider encore en faveur de son art poétique.
2- Alors qu'elle est morte en 1975, Oum Kalthoum et sa chanson Roubayat
Alkhayam figurent encore dans le top des ventes aux marchés de la
chanson arabe.
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