L’info est tombée dimanche 25 février. Celle-ci revêtait 4 caractéristiques sur lesquelles tout média, digne de ce nom, ne pouvait qu’embrayer : insolite, spectaculaire, meurtrière et politique. Le citoyen américain Aaron Bushnell, informaticien dans l’aviation militaire, s’est filmé en train de s’immoler par le feu, jusqu’à ce que mort s’en suive, devant l’ambassade d’Israël à Washington…
Quelques minutes avant de commettre son geste fatal, le jeune homme de 25 ans prononce ces mots :
« Je
m’appelle Aaron Bushnell, je suis un membre en service actif de l’armée
de l’air des États-Unis et je ne serai plus complice d’un génocide […]
Je suis sur le point de m’engager dans un acte de protestation extrême,
mais comparé à ce que les gens ont vécu en Palestine aux mains de leurs
colonisateurs, ce n’est pas extrême du tout. C’est ce que notre classe
dirigeante a décidé de considérer comme normal ».
Peu avant, Bushnell avait aussi diffusé ce message sur Facebook : « Beaucoup d’entre nous aiment se demander : ‘Que ferais-je si j’étais en vie durant l’esclavage ? Ou sous les lois Jim Crow [nom des anciennes lois de ségrégation raciale dans le sud des Etats-Unis] ? Ou sous l’apartheid ? Que ferais-je si mon pays commettait un génocide ? La réponse est ce que vous en train de faire là. Tout de suite. »
Aaron Bushnell (1999-2024) |
Un acte « dévastateur »
Comme d’autres webmédias sérieux et indépendants, Investig’Action diffusera, dès le 26 février, un article traitant de l’acte définitif de Bushnell, faisant notamment le parallèle historique avec d’autres protestations auto-sacrificielles commises par plusieurs citoyens américains durant la guerre du Vietnam. Sans surprise, il en sera radicalement tout autre pour TF1-LCI, France Télévisions, Arte, RTL-TVI, LN24, Le Monde, Le Figaro, Le Soir, La Libre, Sudinfo, etc.
Récapitulons. Un jeune soldat nord-américain décide de se suicider en public, de l’une des manières les plus horribles et douloureuses qui soit, afin d’attirer l’attention sur les crimes, la torture et le génocide programmés contre les Palestiniens de Gaza (plus de 30 .000 tués et 70.000 blessés en 4 mois, famine, maladies, destructions) et… cela n’interroge aucun journaliste des médias belges et français ? En réalité, pour être précis, les dirigeants de ces médias ont visiblement décidé d’interdire à leurs employés de traiter cette information « très dérangeante ».
Pour preuve, à l’heure d’écrire ces lignes, soit 3
jours après la diffusion internationale du sacrifice d’Aaron Bushnell,
cette info a été relayée et (mal)traitée par… 4 médias européens
d’expression française (RFI, Libération, La Croix et la RTBF).
Une censure grossière et d’autant plus grotesque que la vidéo de Bushnell a été si virale que les mainstream US (CNN, New-York Times ou Newsweek) et britanniques (BBC, The Guardian ou The Independant)
ont dû la traiter en temps et en heure. Ensuite, depuis 72h, le net,
les réseaux sociaux comme une partie de la société américaine échange et
débat tous azimuts sur « le sujet ». Comme le résume la journaliste
américaine Caitlin Johnstone : « Un membre de l’armée américaine qui s’enflamme en criant « Palestine libre » est
absolument dévastateur pour les intérêts informationnels d’Israël et
des États-Unis, car cela réveille les gens comme rien d’autre ne
pourrait jamais le faire. »
Médias anglophones plus sournois
Bref,
il n’y a pas à chercher très loin les motivations de censure des
sergent-chefs « éclairés » des médias traditionnels francophones. Hors
de question, pour ces « dirigeants libres », d’ouvrir un cadre
médiatique, une réflexion, un éventuel débat portant sur le geste
sacrificiel d’Aaron Bushnell ! Trop susceptible de mettre en doute,
sinon en péril, leur ligne « israélo-embarquée » ; leur ignoble
soumission anti-journalistique envers le tandem étatique et génocidaire
USA-Israël…
Si la majorité des mainstream anglophones ont traité l’immolation du jeune soldat, ce n’est pas, selon le journaliste Ben Norton, sans invisibiliser son message politique. « Les médias occidentaux ont montré leur partialité en dissimulant le fond de la protestation meurtrière de l’aviateur américain », estime Norton dans un article diffusé sur ce site. « Des études scientifiques ont montré qu’environ 60% des Américains ne lisent pas au-delà des gros titres », poursuit-il. Or, « dans leurs titres, la plupart des grands médias américains, notamment le New York Times, le Washington Post et CNN, ont omis de mentionner pourquoi Bushnell s’est immolé devant l’ambassade d’Israël. »
Le journaliste compare ensuite ce traitement douteux avec celui que les mêmes médias ont réservé au suicide politique d’Irina Slavina à Moscou : « Lorsque la journaliste russe, Irina Slavina, s’est immolée par le feu en 2020, le New York Times a bien médiatisé qu’il s’agissait d’un ‘acte de protestation contre le gouvernement de Vladimir Poutine‘. »
Idem pour la « prestigieuse » BBC, soucieuse de « dépolitiser la protestation fatale de Bushnell contre le génocide à Gaza parrainé par les États-Unis » après avoir, en 2020, « héroïser le suicide par immolation de Slavina en Russie telle une ‘protestation finale‘ contre Poutine. »
Selon Caitlin Johnstone, l’impact du suicide d’Aaron sur la société nord-américaine s’explique « du
fait qu’il s’agit de l’acte de sincérité le plus profond dont nous
ayons jamais été témoins. Dans cette civilisation frauduleuse où tout
est faux et stupide, nous ne sommes pas habitués à une telle sincérité ».
S’adressant peut-être à celles et ceux à qui il faut encore « expliquer » l’abomination du génocide en cours, la journaliste ajoute : « Sorti de nulle part, un gars de l’armée de l’air arrive et fait quelque chose de vrai. Quelque chose d’aussi authentique et sincère que possible, avec les intentions les plus nobles. Il s’est immolé en direct pour attirer l’attention des gens sur l’horreur des atrocités commises à Gaza avec le soutien des États-Unis. Il savait parfaitement à quel point ce serait douloureux. Sachant parfaitement qu’il mourrait ou survivrait avec d’horribles brûlures […] Il n’a pas reculé […] et il l’a quand même fait. Rien dans notre société ne peut nous préparer à une telle sincérité. »
« Immortel dans la mémoire du peuple palestinien »
Autre
information dont le public des mainstream n’entendra jamais parler,
tant elle dissone avec la doxa falsificatrice ambiante, c’est le
communiqué du Hamas diffusé suite au décès de Bushnell. Un communiqué
qui – à rebours de toutes les agences de presse – a le mérite de
rappeler que l’informaticien n’est pas le premier citoyen US à mourir
pour la Palestine :
« Nous, au sein du Mouvement de la
Résistance Islamique (Hamas), exprimons nos sincères condoléances et
notre entière solidarité avec la famille et les amis du pilote américain
Aaron Bushnell […] Comme la militante américaine Rachel Corrie,
qui a été écrasée par un bulldozer sioniste en 2003 à Rafah, Aaron
Bushnell a payé de sa vie pour faire pression sur le gouvernement de son
pays afin d’empêcher que les crimes sionistes se poursuivent.
L’administration du président américain Joe Biden
porte l’entière responsabilité de la mort du pilote américain en raison
de sa politique de soutien à l’entité sioniste dans sa guerre
génocidaire contre notre peuple. Aaron Bushnell a donné sa vie pour
mettre en lumière les massacres et le nettoyage ethnique sioniste contre
notre peuple dans la bande de Gaza. Ce pilote héroïque restera immortel
dans la mémoire de notre peuple palestinien et des peuples libres du
monde, et il restera un symbole de l’esprit de solidarité mondiale avec
notre peuple et sa juste cause. »
En conclusion, souhaitant dépasser le caractère horrible du geste du militaire, Johnstone estime que Bushnell a lancé au monde « une invitation ». « Une invitation à percer le voile de la superficialité et du narcissisme vers une authenticité radicale et une profonde compassion pour nos semblables. À une profonde sincérité qui nous est propre, avec laquelle nous pouvons réveiller le monde à notre manière. »
Et la
journaliste de rejeter le sentiment d’impuissance comme la résignation
égocentrique auxquels nous appellent, chaque jour, les médias
mainstream : « Le 25 février à 13 heures, Aaron Bushnell a allumé
plus d’une sorte de feu. Un feu qui nous pousse à agir. Un feu qui
éclaire le chemin. Un feu qui nous inspire. Un feu qui nous montre une
autre façon d’être. Un feu qui nous montre qu’un monde meilleur est
possible. »
Olivier Mukuna
28. 02. 2024
Source: Investig’Action